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Full text of "Annuaire historique universel; ou, Histoire politique pour 1818-61"

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ANNUAIRE 


HISTORIQUE  UNIVERSEL 


OU 


HISTOIRE  POLITIQUE'. 


t 


POIS&Y.  —  TTPOCIUM1E  ARfilEU, 


ou 


HISTOIRE  POLITIQUE 


POUR 


1849 


Avec  un  Appendice  contenant  les  actes  publics,  traités,  notes  diplomatiques, 
tableaux  statistiques  financiers,  administratifs  et  judiciaires,  documents 
historiques  officiels  et  non  officiels,  et  un  artlcie  Yariélii  renfermant  des 
chroniques  des  événements  les  plus  remarquables,  des  travaux  publics, 
des  lettres,  des  sciences  et  des  arts,  et  des  notices  bibliographiques, 
et  nécrologiques; 

RÉDIGÉ    PAR   A.    FOUQUIER 

FONDÉ  PAR 

G.-L.  LESUR 


Prix  :  18  fr. 


.      PARIS 

THOISNIER  DESPLACES,  ÉDITEUR 

ME  DE  L1LLB,    5. 

1849. 


trente-deux  ans,  président  à  notre  œuvre,  et  aussi  que 

ces  révélations  tardives  qui  éclairent  les  événements  les 

.  »     .««.•     •*    »   *     •■•       .. •     .'.*.         .<•••••*•. 

plus  graves  nous  missent  à  même  de  dire  toute   la 
vérité* 

L'étendue  déjà  exceptionnelle  de  l'année  \  848  a  donc  - 
été  de  beaucoup  dépassée  dans  ce  nouveau  volume.    - 
Histoire  et  documents  ofOcicls  s'y  présentent  dans  des 
proportions  inusitées.  Telles  sont  les  causes  d'un  retard 
qui  ne  se  renouvellera  plus. 

L'année  A  850,  sous  presse  aujourd'hui,  se  rétrécit, 
on  le  sait,  dans  le  cadre  ordinaire  des  autres  années  po- 
litiques. Nous  pouvons  donc  annoncer  avec  certitude 
l'apparition  de  ce  volume  pour  le  mois  de  septembre 
prochain ,  ainsi  qu'un  retour  aux  anciennes  propor- 
tions normales  de  notre  ouvrage,  qui  reprendra  égale- 
ment son  ancien  prix. 


-TABLE  CHRONOLOGIQUE 


DES 


ÉVÉNEMENTS  LES  PLUS  REMARQUABLES 


18       — 
16      — 


DE  L'ANNÉE  1*4». 


*  • 


1er  janvier.       Autriche.  —  Prise  de  Pesth  par  Tannée  impériale.  495 
2       —            Gaandb-BretA£NE  (Indes-Orieptales.)  —  Prise  de 

Moultan.  655 

2       —           Portugal.  —Ouverture  de  la  session  des  Cor  tes.  644 

10       —             TOSCANE.  —  Réunion  du  Parlement.  585 

13  —  Grande-Bretagne. — (Indes-Orientales.)  Dé- 

•   -•       •  •  faite  de  l'armée  anglaise  ô  Djelam.  6*55 

20  —  FRANCE.  —  Élection  de  M.  Boulay  (de  la  Meurthe) 

comme  vice-président  da  la  République.  1 0 

21  —  Et  ATS  romains.  —  Élections  pour  l'Assemblée  • 

constituante.  584 

29       —  •  France.  —  Conspiration  démagogique.  102 

31       —  Toscane. — Fuite  du  grand-duc  Léopold.  •  586 

1*   février.         Néerla.nde.— Ouverturede  la  session  des  États- 
Généraux.  484 

id.       —         Piémont»  — Ouverture  du  Parlement.  587 

4  •  m  * 

id.        —  Deux-SiCiLEs.   —  Ouverture  du  Parlement  napo- 

litain. S14 

id        —         Grande-Bretagne;  —  Ouverture  du  Parlement.  049 

5       —  États  romains!  — -  Réunion  de  V Assemblée  consti- 

tuante. 584 

9      —  États  Romains.  —  Pr«Jaa«tion 4e  la  République.  588 

14  —         États-Unis  d'Amérique —  Proclamation  officielle 

du  président  Zacharie  Taylor.  t>03 

Etats  romains.  — ■  Occupation  de  Ferrare  par  les 
Autrichiens.  501 

Toscane;  —.  Proclamation  dejia .République.  ...    .       .  «J&80L 


VIII 

21   février.        Grande-Bretagne  (Tndes  orientales). -— Victoire  des 

Anglais  à  Goudjerat.  658 

24       -*  France.  —  Agitation  et  désordre  à  l'occasion  de  l'an- 

niversaire de  la  Révolution.  136 

26  —  •  PftUSSB.  —  Ouverture  des  Chambres.  .  632 

27  —  Autriche.  —  Bataille  de  Kapolna.  503 
4  mars.  Autriche.  —  Promulgation  d'une  charte  à  Olmûtz.  507 
9      —           Grande-Bretagne  (Antilles).  —  Révolte  de  noirs 

à  Sainte-Lucie.  606 

I  1       —  Perse.  —  Insurrection  a  Téhéran.  *  573 

12  —  Piémont.  —  Dénonciation  de  l'armistice.  593 

1 5  —  NÉERLANDE.  —  Mort  de  S.  M.  Guillaume  H.  484 
19  —  Deux-Siciles.  —  Dénonciation  de  l'armistice  sicilien.  617 
21       —            Néerlande.  —  Avènement  au  trône  de  S.  M.  Guilr 

laume  Ht.      —  *     *  485 

2 1  —  Piémont.  —  Bataille  de  Mortara.  623 

23  —  Piémont.  —  Bataille  de  Novarre,  abdication  du  roi 

Charles-Albert.  598—601 

27      —            Piémont.  —  Nomination  d'un  nouveau  ministère.  603 

31       —           Piémont.  —  Insurrection  de  Gênes.  609 

3  avril.         Danemark.  —  Reprise  des  hostilités.  555 

4  —  Danemark.  —  Perte  de  deux  vaisseaux.  555 
4       —           Deux-Siciles.  —  Prise  de  Catane  par  le  général 

Filangierî,  617 

10      —  Toscane.  — Réaction  à  Florence  en  faveur  du  Grand- 

Duc.  Fuite  de  Guerrazzi.  612 

II  —  Piémont.  —  Prise  de  Gènes  par  le  général  LaMar- 

mora.  610 

13  —  Danemark.  —  Bataille  de  Dnppeln.  556 

14  —  Autriche.  —  Déclaration    d'indépendance   par*  la 

diète  de  Debreczin.  513 

16  —    '       Néerlande.  —  Expédition  de  BaJi.  Prise  de  Djaga- 

Raga.  .  487 

iO      —  Danemark.  —  Invasion  du  Jutland  par  Tes  troupes 

allemande/i.  557 

22  —  Btats  romains.  —  Départ  de  l'expédition  française 

contre  Rome.  ...  ^^ 

.23.    — ?       ,  .Danemark.  —  Bataille  de. Kolding.  558 

24  —  AUTRionE.  —  Evacuation  de  Petch  par  les  troupes  im- 

'    pérîales.  509 

24"     —  Etats  romains.  —  Débarquement   de   l'expédition 

française  à  Civita-Vecchia.  61 G 

26      —  HANOvnt.  —  Dissolution  et  ajournement  des  cham- 

•  -—  -■         —    fcw»»    ....  .  .    .  .55.6 


IX 

71  avril.  Prusse.  —  Dissolution  et  prorogation  des  chambres. 

Emeute  de  Berlin.  537 

30  —  Etats  romains.  —  Combat  de  la  porte  San-Pancrazio.  623 

ô    mai         ■   Saxe  ROYALE Insurrection  de  Dresde.  527 

7       —            France.  Italie.  —  Vote  de  l'Assemblée  nationale  rela- 
tif aux  affaires  d'Italie,  624 

11       —            Toscane.  —  Prise  de  Livourne  par  le  général  autri- 
chien baron  d'Aspre.  614 

15      —           Etats  Romains.  —  Prise  de  Bologne  par  les  Autri- 
chiens. 623 

« 

20      —  Autriche.  —  Prise  de  Bude  par  Georgey.  512 

2 S       —  France.  —  Fin  de  l'Assemblée  constituante  ,  ouver- 

ture de  l'Assemblée  législative.  29 1  -297 

31  —  Etats  Romains.  —   Rappel  de  M.    de    Lesseps. 

Reprise  des  hostilités  contre  Rome.  628 

3  juin.  Etats  Romains.  —  Prise  de  la  villa  Panfili.  629 

H       —  Bavière.  — Dissolution  du  Parlement.  547 

13      —  France.  —  Journée  insurrectionnelle  à  Paris.  317 

15      —  "        France.  —  Insurrection  à  Lyon.  325 
23      —           Grand  duché  de   Bade.  —  Défaite  des  insurgés. 

Prise  de  Rastadt.  544 

28      —  Autriche. — Batailles  de  Raab  et  d'Acs.  516 

30      —  Etats  Romains.  —  Assaut  et   prise  du  bastion   de 

Rome  n°  8.  63 1 

1er  juillet.         Mexique. — Ouverture  dn  Congi es.  609 
3      ~ .           Ï.TATS  ROMAINS.'—  Ocuupation  de Konif  prrr  les  trou- 
pes françaises.  622 

6  —  Danemark.  —  Victoire  des  Danois  à  Frédéiiuia.  559 

10*    — '   '      Danemark.  -*-  Armistice.-  -  5£0 . 

15      —          États  romains.  —  Rétablissement  solennel  de  l'au- 
torité pontificale.         »  633 

28      —  Piémont. — Mort  du  roi  Charles-Albert.  636 

1*  août.  Grande-Bretagne.  —  Clôture  du  parlement.         -•  •  651 

2      —  EGYPTE.  —  Mort  de  Méhémet- Ali.  573 

7  —  Prusse.  —  Ouverture  du  nouveau  Parlement.  553 

9      —  France.  —  Renvoi  du  13  juin  devant  la  haute  Cour 

de  justice.  355 

12  —  Portugal.  —  Assassinat  par  les  Chinois  du  gouver-  * 

neur  de  Macao,  M.  Do'Amarul.  645 

13  —      •      France.  — Prorogation,  de  l'Assemblée  .législative^  387 
13       —           Autriche.  —  Georgey  se  rend  aux  Russes.  520 
20       —           Piémont.  —  Dissolution  de  la  Chambre  des  députés.  636 
26^     —          Haïti.  —  Proclamation  de  Soulouque  comme  empe- 
reur.                 "     ~ **  «7* 


062. 


4  septembre.  Grande-Bretagne  (lies  Jonnienes).  —  Défaite  des 
paysans  insurgea. 
Espagne.  —  Àrr^tion  dute iroupe  d'aventuriers 
qfti  préparaient  une  expédition  contre  Cul*a.  &4  4 — 6*05* 

Etats  Roua  INS.  —  Lettre  du  président  de  la  Répu- 
blique française  au  colonel  Eâgar  Ney. 
Bavière.  —  Ouverture  4e  la  session  parlementaire. 
France.  —  Réouverture  de  l' Assemblée  législative. 
Autriche.  —  Prise  de  Komorn  et  fin  de  ta  guerre  de 

Hongrie.  

Espagne*  —  Ministère  Cleonard. 
Espagne.  —  Ouverture  de  la  session  des  Certes. 
France.— Message  du  président  de  la  République,  mi- 
nistère nouveau.  ' 
3  novembre.    Frange.  Institution  solennelle  de  la  magistrature. 


e  — 

8  — 

19  — 

l*r  octobre. 

2  — 

18  — 

30  — 

31  — 


13      — 

13       — 

3  décembre. 
23      — 


Suisse.  —  Elections  tumultueuses. 

Franck.  —  Verdict  rendu  par  la  baute  Conr  da  justice 

dans  l'affaire  du  43  juin. 
Etats-Unis  d'Amérique. —  Ouverture  du  Congrès/ 
Wurtemberg.  « —  Dissolution.de  l* Assemblée. 


034 
547 
393 

522 

042 
638 


402 
404 
580 


402 
CC6 
552 


»  •**  f  •  1 


ANNUAIRE 

HISTORIQUE  UNIVERSEL 

POUR  4849. 


*amumm 


PREMIÈRE  PARTIE. 

HISTOIRE  DE  FRANCE. 


CHAPITRE  PREMIER. 


LES  PREMIERS  JOURS  DI  LÀ  PRÉSIDENCE. 


SiTCàTiOH.  —  Sens  do  l'élection  du  10  Matqbn.  — .  L'industrie  et  la  Révolu- 
tion. —  M.  le  maréchal  Bugeaad  et  l'armée  des  Alpes.  —  M.  Carlier  et  la 
préfecture  de  police.  —  Programme  du  nouveau  cabinet,  M.  Odilon  Barrot* 
—  Premier  engagement,  interpellations,  double  commandement  de  M.  Cban- 
garnier,  M.  Ledru-Rollin.  —  Modification  ministérielle,  retraite  de  MM.  do 
Malevilte  et  Bixio,  dosûers  de  Strasbourg  et  de  Boulogne,  M.  Germain  Sarrut 
et  ses  cent  quatorze  conspirations,  avances  faites  an  président  par  l'extrême 
gaaehe.  —  Viee-présidence,  candidatures,  traitement  du  vice-président, 
M.  Boulay  (de  la  Nearthe). 


Cette  année,  qui  avait  soumis  la  France  i  tant  d'épreuves,  la 
laissait,  en  finissant,  en  présence  de  difficultés  encore  redouta- 
bles. Le  Pouvoir  exécutif  puisait  sans  doute  une  grande  force 
dans  la  majorité  immense  d'où  il  était  sorti.  Mais  il  était 
placé  sur  le  terrain  nouveau  pour  lui,  nouveau  pour  tons,  d'une 
constitution  imparfaite  dans  quelques-unes  de  ses  parties,  et  dont 
l'application  rigoureuse  était  temporairement  suspendue,  préci- 

1 


2  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1949.) 

sèment  dans  celles  de  ses  dispositions  qui  réglaient  les  relations 
du  Pouvoir  législatif  avec  le  Pouvoir  exécutif. 

La  nouvelle  administration  constituée,  la  France  se  trouvait  ei 
fece  de  cette  question  terrible  :  La  société  française  est-elle  encore 
capable  d'enfanter  et  de  supporter  un  gouvernement?  Déjà. trois 
pouvoirs  avaient  été  élevés  et  renversés  en  dix  mois.  Aujourd'hui 
commençait  une  nouvelle  épreuve,  et  celle-là  durerait  quatre  ans 
à  peina.  Le  pays  pourrait-il  souffrir  cette  instabilité  normale  f 
Ses  forces  vives  ne  se  perdraient-elles  pas  dans  ces  agitations 
maladives,  dans  ces  convulsions  répétées? 

Puisque  la  nation  avait  dft  être  consultée  pour  le  choix  d'un 
chef  temporaire,  c'était  au  moins  un  symptôme  rassurant  que  de  la 
voir  se  prononcer  d'une  manière  aussi  claire  et  presque  unanime. 
Si  ce  n'était  pas  une  solution  de  l'avenir,  an  moins  c'en  était  une 
du  présent.  L'entraînement,  et  en  quelque  sorte  l'enthousiasme 
de  la  France  pour  un  nom,  constituait,  au  profit  du  pouvoir 
nouveau,  une  force  morale  incontestable. 

Ce  qu'il  était  encore  impossible  de  ne  pas  voir  dans  le  scrutin 
du  10  décembre,  c'était  un  jugement  porté  par  le  pays  sur  l'œu- 
vre de  dix  mois.  Gouvernée  depuis  lors  comme  au  hasard,  me- 
nacée, par  l'anarchie  et  par  des  théories  désorganisatrices,  dans 
sa  fortune  et  même  dans  sa  vie,  la  société  française  manifestait 
ses  rancunes.  Les  auteurs  p  la  Révolution  de  Février,  ceux-là 
même  qui  avaient  le  plus  énérgiquement  combattu  la  démagogie, 
étaient  repoussés  par  elle  avec  colère,  et  M.  de  Lamartine , 
pesé  dans  sa  balance,  était  trouvé  plus  léger  même  que  II.  Ledru- 
Rollin.  Malgré  d'incontestables  services,  malgré  une  modération 
qui  l'affciL,  dans  une  certaine  mesure,  rapproché  du  parti  de 
l'ordre,  M.  Gavaignac  avait  été  également  écarté.  G'est  que  par 
ses  antécédents,  par  ses  doctrines,  par  ses  amitiés,  il  appar- 
tenait à  la  fraction  militante  de  parti  révolutionnaire. 

Sans  doute  il  fallait  avouer  que  l'union  qui  s'était  manifestée 
pour  le  vote  dans  la  nation,  n'existait  pas  au  même  degré  dans 
la  représentation  nationale.  Ce  vote,  qui,  aux  yeux  de  beaucoup, 
signifiait  le  i^tatyissement  de  Tordre  et  la  condamnation  d'une 
anarchie  de  dix  mois,  appliqué  cependant  à  m  nom,  se  prétait 
aux  plus  dangereux  commentaires  des  partis* 


LES  PREMIERS  JOURS  DE  LA  PRÉSIDENCE.     3 

L'Assemblée,  après  avoir  terminé  l'œuvre  de  la  Constitution, 
s'était  néanmoins  réservé  tons  les  droits  d'un  pouvoir  constituant» 
situation  exceptionnelle,  anomale,  qui  pouvait  faire  craindre  de 
graves  conflits  d'attributions  entre  elle  et  Je  Pouvoir  exécutif,  si 
une  grande  modération,  une  grande  sagesse  ne  réglaient  pas 
des  deux  côtés  l'exercice  de  deux  prérogatives  parallèles  »  sinon 
rivales. 

Malgré  ces  germes  de  désordre,  le  pays  se  rassurait  SoUidtéé 
par  d'inexorables  besoins,  la  consommation  semblait  vouloir  m* 
prendre  son  cours  régulier  et  rendre  au  travail  national  uneaeti* 
vite  depuis  longtemps  perdue.  Les  entrepôts,  surchargés  jusqu'a- 
lors, commençaient  à  écouler  le  trop  plein  de  leurs  marchandieest 
dans  la  plupart  des  centres  industriels,  les  métiers  se  remontaient, 
les  usines  se  rallumaient,  les  commandes  arrivaient»  l'ouvrier 
reprenait  le  chemin  de  l'atelier.  Tout,  ente,  satorisait  A  espérer 
«ne  reprise  sérieuse  de  travail  et  d'affaires,  si  quelque  nouvel  in» 
aident  politique  ne  venait  entraver  ce  premier  essor,  encore  feibU 
et  incertain. 

Les  premiers  choix  du  Pouvoir  présidentiel  forent  à  la  fine  un 
gage  de  conciliation  et  l'indice  d'une  heureuse  fermeté*  Le  mi* 
nistère  une  fois  constitué  (1),  il  fallnt  songer  aux  antres  parties 
de  l'administration  publique.  M.  le  maréchal  Bugeand  fut  nommé 
an  commandement  en  chef  de  l'armée  des  Alpes.  La  création  de 
cette  armée  remontait  aux  premiers  jours  de  mars  J046»  Elle  ne 
devait  d'abord  être  composée  que  de  trots  divisions  d'infanterie 
et  d'nue  division  de  cavalerie.  L'effectif  était  fixé  150,000  hom- 
mes et  i  4,000  chevaux.  Elle  avait  été  successivement  portée, 
par  l'accroissement  des  cadres  et  par  l'adjonction  de  deui  divi- 
sons d'infanterie,  dites  de  réserve,  à  72,000  hommes  et  à  0,000 
chevaux.  Cette  belle  armée,  admirablement  organisée  par  le 
général  Oudinot,  avait  rendu  dans  plusieurs  circonstances  gravée 
d'émine***  services  an  pays.  C'est  à  elle  qu'il  fallait  attribuer  le 
maintien  de  l'ordre  à  Lyon  ;  une  de  ses  divisions  était  arrivée 
de  Màcon,  4  marches  forcées,  sur  Paria,  à  la  première  nouvelle 
des  événements  de  juin.  C'est  elle  enfin  qni,  par  son  attitude 

<l)  Vofe*  VAnmmhrt  précédent,  ptge  344. 


4  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

imposante  et  énergique  sur  la  frontière,  avait  empêché  les  sol- 
dats de  l'Autriche  de  franchir  le  Tessin  et  d'envahir  le  Piémont. 

A  cette  force,  destinée  à  agir  contre  l'anarchie  du  dedans  et 
contre  les  ennemis  du  dehors,  s'ajoutait  une  organisation  vigou- 
reuse de  l'administration  générale. 

M.  Carlier,  précédemment  chargé  au  ministère  de  l'intérieur 
d'importantes  fonctions  dans  la  direction  de  la  police  générale, 
était  installé  comme  chef  de  la  police  municipale,  avec  extension 
d'attributions  en  ce  qui  concernait  la  partie  politique,  jusqu'à 
ce  jour  réservée  au  cabinet  particulier  du  préfet. 

Le  programme  du  nouveau  cabinet,  porté  à  la  tribune  par 
M.  Odilon  Barrot,  ressembla  à  tous  les  programmes  des  admi- 
nistrations régulières.  Il  est  vrai  que  depuis  longtemps  le  pays 
était  déshabitué  du  langage  des  politiques  calmes  et  normales* 
Rétablir  la  sécurité,  rendre  par  là  à  l'industrie,  au  commerce  et 
à  l'agriculture  la  liberté  et  la  fécondité  des  transactions  ;  en  un 
mot,  constituer  l'ordre  matériel  et  l'ordre  moral,  telles  étaient 
les  loyales  intentions  exprimées  par  M.  Barrot.  Rude  tâche  sans 
doute  !  Que  de  ruines,  en  effet,  ne  s'était-il  pas  fait  en  France  ! 
Que  de  maux  à  réparer  depuis  le  banquet  de  Février  !  Le  ministre 
du  23  février  48-48  se  retrouvait  au  pouvoir  dix  mois  après,  non 
plus  cette  fois  pour  réformer,  mais  pour  reconstruire. 

Le  premier  engagement  entre  le  nouveau  ministère  et  l'oppo- 
sition eut  lieu  à  propos  d'une  ordonnance  qui  investissait  le  gé- 
néral Changarnier  du  double  commandement  des  Gardes  natio- 
nales du  département  de  la  Seine  et  des  troupes  de  ligne  com- 
prises dans  la  1"  division  militaire.  M.  Ledru-Rollin  adressa,  à 
ce  sujet,  des  interpellations  au  cabinet.  L'orateur  démontra  aisé- 
ment l'irrégularité  d'une  ordonnance  semblable,  et  alla  jusqu'à 
dire  qu'un  pereil  arrangement  détruisait  la  responsabilité  du  mi- 
nistre et  violait  la  Constitution. 

Le  ministre  interpellé  répondit  que,  quant  à  la  responsabilité, 
le  tait  même  de  la  délégation  maintenait  sous  la  responsabilité  du 
cabinet  les  actes  du  délégué.  Sans  doute  te  général  Changarnier 
était  investi  da pouvoirs  extraordinaires.  Il  était  contraire,  non- 
seulement  à  la  loi  de  4831  sur  la  Garde  nationale,  mais  aux 
principes  de  la  prudence  et  de  la  saine  politique  des  tempe 


LES  PREMIERS  JOURS  LE  LA.  PRÉSIDENCE.     5 

réguliers,  que  le  même  officier  réunît  le  commandement  des 
troupes  et  celui  delà  Garde  nationale,  et  eût  sous  la  main  une 
armée  à  sa  disposition,  sous  la  seule  condition  de  prévenir  dans 
les  vingt-quatre  heures  le  ministre  de  la  guerre  des  dispo- 
sitions qu'il  jugerait  convenable  de  prendre.  Mais  M.  Ledru- 
Rollin  pouvait-il  affirmer  que,  cinq  mois  après  la  plus  terrible 
guerre  civile,  lorsque  60,000  hommes  bivouaquaient  encore  dans 
Paris,  la  situation  de  la  capitale  pût  être  considérée  comme  régu- 
lière? Cette  armée  toujours  prête,  contre  la  révolte,  il  lui  fallait 
un  chef,  et  l'unité  de  commandement  exigeait  que  ce  chef  fût  en 
même  temps  chef  de  la  Garde  nationale.  Nécessité  n'est  pas  léga- 
lité. Telle  fut  la  réponse  de  M.  Odilon  Barrot,  réponse  plus  em- 
barrassée peut-être  et  moins  claire  qu'il  ne  l'eût  fallu. 

La  discussion  se  prolongea  entre  M.  Ledru-Rollin  et  le  minis- 
tre de  l'Intérieur,  M.  de  Maleville.  Un  ordre  du  jour  motivé  im- 
pliquant un  blâme  contre  le  Gouvernement  fut  proposé  par 
MM.  Degousée  et  Ducoux.  La  Chambre  préféra  Tordre  du  jour 
pur  et  simple.  Ce  fut  laie  premier  succès  de  la  nouvelle  adminis- 
tration (26  décembre  1848). 

Le  cabinet  subit,  après  quelques  jours  de  durée,  deux  modi- 
fications significatives.  M.  Bixio  fut  remplacé  par  M.  Buffet  au 
ministère  de  l'Agriculture  et  du  Commerce  ;  M.  Léon  de  Ma- 
leville quitta  le  ministère  de  l'Intérieur, auquel  fut  appelé  M.  Léon 
Faucher,  qui  céda  à  M.  Lacrosse  le  ministère  des  Travaux  publics 
(30  décembre).  La  retraite  de  M.  Bixio  ne  pouvait  étonner.  Son 
nom  avait  été  une  tentative  de  conciliation  :  démocrate  sincère, 
mais  trop  engagé  avec  les  partis  extrêmes,  M.  Bixio  ne  pouvait 
rester  dans  un  cabinet  conservateur  et  réparateur.  La  retraite  de 
M.  de  Maleville  avait  plus  de  gravité.  On  s'accordait  à  l'attribuer 
à  une  lettre  qui  lui  aurait  été  adressée  par  M.  Louis  Bonaparte. 
Dans  cette  lettre,  disait-on,  M.  le  Président  de  la  République  au- 
rait rédamé  du  minisire  de  l'Intérieur  la  remise  de  dossiers  re- 
latifs à  l'affaire  de  Strasbourg  et  de  Boulogne,  et  aurait  exprimé 
en  des  termes  asses  vifs  son  mécontentement  du  retard  apporté 
à  l'accomplissement  de  son  désir. 

Si  l'on  écartait  la  question  de  procédés,  ce  premier  défaut 
d'entente  paraissait  n'être  que  le  résultat  des  rapports  nouveaux 


«  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

établis  entre  le  chef  do  Gouvernement  responsable  et  ses  minis- 
tres, responsables  comme  lui.  II  ne  pouvait  paraître  surprenant 
que  cette  complication  fficheose,  que  cet  état  mal  défini  amenât 
des  difficultés  faciles  à  prévoir.  Le  Président  de  la  République, 
pénétré  de  sa  propre  responsabilité,  décidé  par  conséquent  & 
gouverner  lui-même,  rencontrait,  dès  ses  premiers  pas*  des  ré- 
sistances'chez  des  hommes  politiques  habitués  aux  anciennes 
évolutions  du  gouvernement  constitutionnel.  L'opinion  publique 
elle-même  comprenait  mal  le  jeu  de  ces  rouages  nouveaux,  et 
cherchait  k  la  modification  du  cabinet  des  motifs  plus  secrets  et 
plus  personnels. 

Une  lettre  de  M.  Germain  Sarrut,  publiée  le  6  janvier,  dans  le 
journal  la  Liberté,  et  formulant  une  accusation  précise  de  détour- 
nement des  dossiers  des  affaires  de  Strasbourg  et  de  Boulogne, 
les  insinuations  répandues  depuis  plusieurs  jours  contre  M.  de 
Maleville  à  l'occasion  de  son  différend  avec  M.  le  Président  de  la 
République}  amenèrent  à  la  tribune  l'ex-ministre  de  l'Intérieur. 
Après  avoir  exprimé  le  sentiment  de  surprise  que  cette  étrange 
accusation  lui  causait,  il  procéda  comme  on  le  fait  sous  l'inspira- 
tion d'une  conscience  qui  n'a  point  de  reproche  à  s'adresser.  11 
voulut  avant  tout  établir  que  l'acte  qu'on  semblait  ainsi  lui  prêter 
était  matériellement  impossible,  et  il  en  fournit  la  preuve  irré- 
cusable en  constatant,  par  un  document  authentique,  qu'au  mo- 
ment de  son  entrée  au  ministère,  et  le  jour  même  de  l'installation 
du  Président  de  la  République,  les  seize  cartons  contenant  les 
pièces  relatives  aux  affaires  de  Strasbourg  et  de  Boulogne  avaient 
été,  après  inventaire  dressé  en  présence  de  témoins,  mis  sous  le 
scellé,  avant  même  la  nomination  de  M.  de  Maleville,  et  que  des 
mesures  avaient  été  prises  pour  qu'ils  demeurassent  en  lieu 
sûr.  Aujourd'hui  encore  ces  cartons,  ces  dossiers  étaient  sous  le 
scellé  ;  personne  ne  les  avait  ouverts,  personne  ne  les  avait  dé- 
placés. Après  avoir  ainsi  détruit  le  grief  et  enlevé  tout  prétexte  h 
l'insinuation,  M.  de  Maleville,  s'abandonnant  au  sentiment  d'in- 
dignation qu'il  s'était  appliqué  jusque-là  à  contenir,  s'écria  : 
«  Oui,  sur  mon  honneur  et  à  la  face  de  cette  Assemblée,  quicon- 
que dira  que  le  ministre  de  l'Intérieur,  M.  de  Maleville,  a  touché 
â  res  papiers,  les  a  fouillés,  les  a  vus,  les  a  retenus,  en  a  détourné 


LES  PREMIERS  JOURS  DE  LA  PRÉSIDENCE.    ? 

iiM  pièce,  Pa  rétabli»,  oeluiJà  a  lâchement  menti.  »  La  ia|lê  ra» 
tentit  d'applaudissements. 

M.  Léon  Faucher,  nouveau  ministre  de  l'Intérieur,  confirma  de 
tous  points  Jes  déclarations  de  son  prédécesseur.  Force  Ait  à 
M.  Sarrut  de  venir  expliquer  sa  lettre,  mais  ses  eiplioatiom  fo- 
rent embarrassées,  vagues  et  diffuses.  D'abord  il  n'avait  jamais 
entendu  accuser  M.  de  Malevllle,  et  oe  qu'il  réclamait,  ce  n'était 
pas  d'ailleurs  le  dossier  de  Strasbourg  ou  celui  de  Boulogne, 
mais  oelui  (fane  conspiration  de  485t,  conspiration  mi-partie 
bonapartiste,  mi-partie  républicaine,  Tune  des  cent  quatorze 
auiqoelles  M.  Sarrut  se  vantait  d'avoir  pris  part.  La  question  se 
trouvait  par  là  réduite  à  des  proportions  indignes  d'arrêter  un 
instant  l'attention  de  l'Assemblée.  M.  Barrot  le  fit  sentir.  En 
quelques  paroles  simples  et  fermes,  il  montra  que  si  M.  Sarrut 
avait  prodoit  dans  ee  procès  des  pièces  qui  lui  appartinssent  en 
propre,  il  y  avait  des  voies  légales  ouvertes  pour  les  réclamer  ; 
que  les  antres  documents,  appartenaient  à  l'État  et  ne  pouvaient 
être  communiqués;  que  toute  cette  affaire  ne  touchait  en  rien 
les  Intérêts  publics. 

M.  Dupont  (de  Bussac)  insista  à  son  tour  pour  que  M.  de  Maie- 
ville  eipllquftt  sa  retraite  et  pourquoi  il  avait  refusé  à  M.  Louis 
Bonaparte  la  communication  des  pièces  de  Strasbourg  et  de  Bou- 
logne. M.  de  Maleville  donna  avec  délicatesse  une  explication  dif- 
ficile <  il  n'avait  refusé  aucune  communication,  mais  seulement 
un  déplacement  de  dossiers;  quant  à  sa  retraite,  elle  n'avait  été 
motivée,  après  les  témoignages  qui  avalent  désintéressé  sa  suscep- 
tibilité, que  par  la  crainte  qu'un  souvenir  de  froissement  n'attérÂt 
la  confiance  dont  11  avait  besoin  pour  demeurer  utilement. 

Ce  qu'il  y  avait  de  plus  remarquable  dans  cet  Incident,  c'était 
la  recherche  de  certains  scandales,  l'affectation  à  rappeler  cer- 
tains souvenirs,  la  prétention  à  établir  une  solidarité  ftcheuse 
entre  l'élu  de  la  nation  et  l'anarchie.  M.  Dupont  (de  Bussac)  dé* 
masqua  complètement  l'Intrigue  dont  il  se  faisait  l'instrument 
en  développant  une  doctrine  en  vertu  de  laquelle  la  responsabi- 
lité du  président  de  la  République,  absorbant  la  responsabilité 
des  ministres,  ceui-ci  devenaient  de  purs  commis.  La  France  était 


8  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

ainsi  placée,  à  ses  yeux,  sous  un  Gouvernement  personnel,  électif 
tous  les  quatre  ans. 

A  ces  flatteries,  adressées  par  la  Montagne  à  celui  qu'elle  pour- 
suivait naguère  de  ses  sarcasmes  et  de  ses  calomnies,  on  pot  de- 
viner l'intention  de  diviser  et  de  partager  le  pouvoir.  M.  de 
Maleville  fit  justice  en  quelques  mots  spirituels  des  flatteurs  in- 
attendus qui  se  pressaient  dans  les  antichambres  de  la  Présidence, 
M*  Faucher  caractérisa  avec  finesse  ceux  qui,  à  défaut  des  fonc- 
tions élevées  qu'ils  ne  possédaient  plus,  persistaient  à  maintenir 
et  à  introduire  tous  leurs  amis  dans  les  fonctions  secondaires» 
mais  politiques,  afin  d'avoir  les  bénéfices  du  Gouvernement  sans 
la  responsabilité  (6  janvier). 

Cependant,  l'organisation  du  pouvoir  nouveau  était  encore 
incomplète. 

Aux  termes  de  la  Constitution,  le  président  de  la  République 
devait,  dans  le  mois  qui  suivrait  son  élection,  présenter  une  liste 
de  trois  candidats  parmi  lesquels  l'Assemblée  choisirait  le  vice- 
président.  Le  vice-président,  disait  encore  la  Constitution,  prête 
le  même  serment  que  le  Président.  Il  ne  peut  être  choisi  parmi 
les  parents  et  alliés  du  président,  jusqu'au  sixième  degré  inclusi- 
vement. En  cas  d'empêchement  du  président,  le  vice-président 
le  remplace.  Si  la  Présidence  devient  vacante  par  décès,  démis- 
sion du  Président,  ou  autrement,  il  est  procédé  dans  le  mois 
à  l'élection  d'un  président.  Le  vice-président,  disait  encore  l'ar- 
ticle 71 ,  préside  le  Conseil  d'État. 

Conformément  à  ces  dispositions,  le  cabinet  présenta,  le  18 
janvier,  la  liste  des  trois  candidats  à  la  vice-présidence.  Ces  trois 
candidats  étaient  :  MM.  Boulay  (de  la  Meurthe),  le  général  Bara- 
guey  d'Hilliers  et  Vivien.  Ces  deux  premiers  noms  excitèrent  dans 
l'Assemblée  des  exclamations  inconvenantes  et  des  rires  indé- 
cents. M.  le  président  de  la  Chambre  dut  rappeler  aux  interrup- 
teurs le  respect  auquel  avait  droit  la  prérogative  présidentielle. 

En  même  temps,  M.  Etienne  déposa  une  proposition  tendante 
i  faire  déterminer  le  traitement  affecté  à  la  vice-présidence  avant 
la  nomination  du  vice-président.  11  demandait  aussi  que  les 
bâtiments  du  Petit-Luxembourg  lussent  affectés  au  logement  du 


LES  PREMIERS  JOURS  DE  LA  PRÉSIDENCE.    9 

vice-président.  M.  Etienne  avait  laissé  en  blanc  le  chiffre  do  liai* 
tement.  L'urgence  fut  décidée,  et  la  nomination  du  vice-prési- 
dent  remise  jusqu'après  le  vote  de  la  proposition. 

Le  projet  de  décret,  présenté,  le  19  janvier,  par  M.  Gouin,  au 
nom  du  comité  des  finances,  se  composait  de  deux  articles.  Le 
premier  fixait  le  traitement  du  vice-président  à  60,000  fr.  Trois 
amendements  produits  par  M.  Gent,  M.  Aniony  Thouret  et 
M.  Charassin  proposèrent  de  réduire  le  traitement,  l'un  à 
24,000  fr.,  l'autre  à  40,000  fr.,  et  le  troisième  à  48,000  fr.  Ce- 
dernier  chiffre  fut  adopté  dans  un  serutin  de  division,  i  la  majo- 
rité de  516  voix  contre  233.  Le  chiffre  de  60,000  fr.,  proposé 
par  le  comité  des  finances,  avait  d'abord  été  rejeté  par  372  voix 
contre  270.  Une  discussion  animée  précéda  ce  vote.  Les  uns  pen- 
saient qu'il  n'était  pas  nécessaire  que  le  régime  républicain  fût 
tnauguré  avec  cette  mesquinerie  qui  n'aurait  pour  résuîtat  que  de 
rendre  plus  brusque  la  transition  du  passé  au  présent.  Selon  eux, 
une  grande  nation  devrait  foire  à  ceux  qu'elle  met  à  sa  tête  une  situa- 
tion en  rapport  avec  sa  propre  grandeur.  Telle  était  l'opinion  de 
M.  Perrée  qui  s'étonnait  encore  qu'on  pût  pensera  mettre  le  second 
grand  fonctionnaire  de  l'État  sur  la  même  ligne  que  le*  ministres, 
c'est-à-dire  au-dessous  du  rang  qu'il  occupe  d'après  la  Constitu- 
tion. MM.  Babaud-Laribière,  Gent  et  Aniony  Thouret  comprirent 
d'une  autre  façon  la  dignité  de  la  République.  Le  premier  de  ces 
orateurs  définit  le  vice-président  de  la  République  un  surnumé- 
raire,  et  pensa  que 'lui  donner  une  liste  civile  élevée  serait  en 
faire  un  aristocrate. 

Le  second  article  du  projet  avait  pour  but  d'affecter  le  Petit- 
Luxembourg  au  logement  du  vice-président.  M.  Gent,  à  son  tour, 
irouva  eette  résidence  trop  arùtocraUqueret  proposa  de  loger  ce 
haut  dignitaire  dans  le  bâtiment  occupé  par  le  conseil  d'Élat.  Le 
ministre  des  Travaux  publics,  M.  Lacrosse,  trancha  la  question 
par  un  moyen  terme  qui  réduisait  l'article  du  projet  à  cette  simple 
disposition  :  «  Le  vice-président  de  la  République  sera  logé  aux 
frais  de  l'État.  »  Ainsi  le  Gouvernement  aurait  le  choix  de  la  ré- 
sidence qui  serait  assignée  au  vice-président. 

La  situation  du  vice-président  étant  déterminée ,  l'Assem- 
blée eut  à  choisir  entre  les  trois  candidats.  M.  Boulay  (de  la  Meur- 


10  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

Oie),  porté  le  premier  sur  la  liste,  fût  élu  à  la  majorité  de  447 
voix  contre  277  données  à  M.  Vivien.  M.  Boulay  (de  la  Meurthe), 
après  avoir  prêté  serment,  prononça  un  discours  modeste  et  con- 
venable, plein  de  respect  pour  les  institutions  républicaines,  de 
reconnaissance  pour  le  Président,  son  ancien  ami,  et  pour  lf As- 
semblée qui  l'bonorait  de  ses  suffrages  (10  janvier). 
Ainsi  était  complété  le  gouvernement  du  10  décembre. 


LA  POLITIQUE  DANS  LE8  FINANCES.         il 


CHAPITRE  II. 


LA  POLITIQUE  DANS  LIS  FINANCES. 


Lois  DE  FINANCES  (1).  —  Réforme  de  l'impôt  du  sel,  discussion,  caractère  po- 
litique du  vote,  précipitation  malheureuse,  l'épreuve  des  trois  leetnres  jugée 
nécessaire.  —  Jugement  dn  vote  par  le  paya.  —  Sels  étrangers,  dnoit  proht* 
m'tif,  enquête  parlementaire.  —  Projets  d'impôts  nouveaux,  revenu  mobilier, 
exemption  de  l'agricuHnre,  réclamations  du  commerce  et  de  l'industrie,  cham- 
bre de  commerce  de  Lille,  critique  du  projet,  M.  Passy  le  retire.  —  Projet 
d'impét  sur  les  successions  et  les  donations,  projet  primitif  de  M.  QoiioV 
chaux,  l'impôt  progressif  et  le  communisme,  la  propriété  personnelle  et  la 
propriété  héréditaire,  amendements  de  la  commission,  M.  Billault  et 
M.  Passy,  tactique  transparente,  faut-il  désarmer  la  France?  seconde  délibé- 
ration. —  Douanes,  révision  des  valeurs.  —  Projet  de  taxe  sur  les  biens 
de  maie-snorte.  —  Conséquences  financières  de  la  Révolution  de  Février, 
crédits  irréguliers,  liquidation  des  ateliers  nationaux.  —  Esquisse  dn  budget* 
—  Conspiration  financière,  propositions  dirigées  contre  le  cabinet,  examen 
du  budget  par  une  commission,  proposition  de  M.  Billanlt  pour  le  règlement 
dn  budget  des  recettes  avant  le  budget  des  dépenses,  vote  snr  l'urgence. 


On  se  rappelle  qu'au  moment  oh  la  monarchie  de  Juillet  avait 
disparu  sous  les  ruines  de  ia  vieille  société  française,  le  Gouverne* 
ment  allait  réaliser  progressivement  et  sans  efforts  une  des  réfor- 
mes matérielles  les  plus  désirables,  oelle  de  Pimpôt  sur  le  sel.  Le 
5.  janvier  1848,  M.  Dumon,  ministre  des  Finances,  avait  présenté 
un  projet  réduisant  le  prix  du  sel  à  50  centimes  par  kilogramme. 


(I)  Le  nombre  et  la  diversité  singulière  des  projets  de  loi,  propositions,  in- 
terpellations et  incidents  qni  ont  occupé  cette  année  la  législature,  nons  a,  plus' 
encore  qu'à  l'ordinaire,  imposé  l'obligation  d'un  ordre  artificiel  mais  inévitable. 
Une  Chambre  unique,  divisée  en  comités  nombreux,  en  sous-comités  et  en  com- 
missions, a  pu,  à  toutes  les  heures  de  son  existence,  diviser  ses  travaux  et  par- 
tager ses  efforts  sur  cent  objets  différents.  L'analyse  ne  peut,  sous  peine  de  con- 


12  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

Pendant  les  dix  moi*  d'agitation  profonde  qui  avaient  suivi  la  Ré* 
volution  de  Février,  aacun  des  gouvernements  qui  s'étaient  suc- 
cédé n'avait  jugé  opportune  la  réduction,  encore  moins  l'aboli- 
tion de  cet  impôt.  Si,  en  effet,  le  Gouvernement  provisoire  l'avait 
sérieusement  voulue,  s'il  y  avait  vu  autre  chose  qu'une  flatterie 
d'un  moment  adressée  aux  classes  pauvres,  il  eût  décrété  l'abo- 
lition de  l'impôt  à  partir  du  1er  juillet  1848.  Le  décret  qui  porta 
abolition  de  l'impôt  i  partir  du  1er  janvier  i  849,  et  cela  à  la  veille 
des  élections  du  mois  d'avril,  ne  fut  évidemment  qu'une  manœu- 
vre électorale.  Le  gouvernement  qui  se  retirait  devant  le  résultat 
du  scrutin  du  10  décembre,  n'avait  pas  voulu  cette  réforme  d'une 
manière  plus  sérieuse  :  autrement,  il  eût,  lui  aussi,  proposé  un 
terme  plus  rapproché,  et  non  pas  le  1er  avril  1850. 

L'Assemblée  nationale  fut  saisie ,  le  27  décembre,  de  la  dis- 
cussion des  différents  projets  relatifs  à  l'impôt  du  sel.  Un  premier 
projet,  présenté  le  28  août  par  M.  Goudchaux ,  rapportait  le  dé- 
cret du  Gouvernement  provisoire,  en  date  du  15  avril,  et  ordon- 
nait que  la  taie  actuelle  continuerait  à  être  perçue.  Un  second  pro- 
jet, présenté  par  M.  Trouvé-Chauvel,  le  23  novembre,  portait  qu'à 
partir  du  1  •  avril  1 850,  l'impôt  du  sel  serait  réd  uit  des  deux  tiers. 
Enfin,  M.  Lagarde,  rapporteur  d'une  commission  spéciale,  pré- 
sentait cette  disposition  principale  :  «  A  partir  du  i«r  juillet  1849, 
l'impôt  du  sel  est  réduit  à  10  centimes  par  kilogramme.  » 

Le  principal  argument  de  M.  Passy  contre  la  réduction  fut  tiré 
de  la  situation  financière.  Pouvait-on  porter  une  pareille  atteinte 
au  Trésor  dans  un  moment  où  la  fortune  publique  était  encore 
menacée  par  des  déficits  trop  réels?  Jamais,  même  aux  jours  de 
la  plus  grande  prospérité,  on  n'avait  vu  le  budget  des  recettes  at- 
teindre 1  milliard  400  millions  ;  dans  le  dernier  projet  de  budget 
présenté  par  le  gouvernement  de  Juillet,  il  ne  s'élevait  qu'à  un 
milliard  370  millions,  chiffre  auquel  on  n'était  jamais  parvenu. 


fusion,  reproduire  les  complications  de  ces  travani  divers  et  parallèles.  Oo  ne 
s'étonnera  donc  pas  si  des  discassions  de  natures  opposées  se  rencontrent  et  se 
commandent  quelquefois  dans  notre  résumé,  ou  si  des  projets  financiers,  ad  mi-  * 
nistratifs  ou  purement  politiques  se  dédoublent  dans  notre  récit,  bien  qu'ils 
aient  été  réunis  dans  les  émotions  et  dans  les  débats  de  l'Assemblée  consti- 
tuante. 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  PINANCES.        13 

Il  ne  serait  que  de  4  milliard  200  millions  en  4 848,  si  l'on  défal- 
quait le  produit  des  45  centimes.  Il  faudrait  s'estimer  heureux 
s'il  atteignait  un  milliard  500  millions  en  1849  »  en  supposant 
qu'on  n'imposât  pas  an  pays  la  charge  d'impôts  nouveaux.  Quel 
était,  au  contraire,  le  budget  des  dépenses?  Le  dernier»  celui  qui 
finissait  avec  l'année,  dépassait  1  milliard  800  millions.  Celui  qui 
avait  été  présenté  récemment  par  M.  Trouvé-Chauvel  allait  à  un 
milliard  660  millions.  Ainsi,  on  avait  d'un  côté  1  milliard  300 
millions  de  ressources  régulières  fournies  par  l'impôt  ;  de  l'autre, 
des  charges  obligées  pour  une  somme  de  4  milliard  600  ou  700 
millions.  Et  c'est  ce  moment  qu'on  choisissait  pour  diminuer  les 
ressources  !  On  allait  terminer  l'exercice  de  4848  avec  un  déficit 
de  250  millions,  et  commencer  celui  de  4849  avec  un  déficit  de 
£00.  Et  on  parlait  de  réduire  un  impôt  qui  fournissait  70  millions 
au  Trésor,  et  de  faire  de  galté  de  cœur  l'abandon  des  deux  tiers 
de  son  produit. 

La  Chambre  commença  par  repousser,  à  la  majorité  de  447 
voix  contre  556,  un  amendement  de  M.  Saint-Romme,  portant 
que  le  décret  du  15  avril  conserverait  sa  force  première,  c'est-à- 
dire  que  l'impôt  du  sel  serait  entièrement  aboK  à  partir  du  l0' jan- 
vier 4849.  Elle  adopta  ensuite  l'art.  1er  du  projet  de  la  commis- 
sion, qui  abrogeait  ce  décret  (11  décembre). 

Restait  le  projet  de  la  commission,  contenu  dans  l'article  S. 
M.  Àoglade  vînt  l'aggraver  encore  par  un  amendement  qui  fixait 
au  4«r  janvier  4849  la  réduction  des  deux  tiers*  Le  scrutin  de 
division  qui  eut  lieu  sur  cet  amendement  donna  une  majorité  de 
405  voix  contre  860.  Une  disposition  relative  au  droit  différentiel 
acquitté  par  les  sels  étrangers  ayant  été  votée  ensuite,  nonobstant 
l'opposition  des  représentants  de  l'Ouest,  un  nouveau  vote  sur 
l'ensemble  de  la  loi  modifia  le  résultat  définitif;  néanmoins  la 
réduction  fut  encore  votée  au  scrutin  secret  par  572  voix  con- 
tre 565. 

Ou  pensa  qu'il  fallait  attribuer  à  ce  vote  un  caractère  politique» 
et  que  la  majorité  avait  voulu  faire  ainsi  un  acte  d'hostilité  contre 
le  nouveau  Gouvernement.  Peut-être  quelques-uns  de  ceux  qui 
avaient  ainsi  porté  un  coup  terrible  aux  finances  du  pays  avaient* 
ils  été  conduite  par  la  pensée  secrète  de  se  donner  une  popula- 


14  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849) 

rite  toile  aux  dépens  du  Gouvernement,  ani  dépens  des  intérêts 
véritables  de  la  Frante.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  vole  imprudent 
n'étaitàl  pas  une  preuve  nouvelle  des  dangers  d'une  Chambre 
unique  et  des  erreurs  difficilement  réparables  d'un  pouvoir  lé* 
gislatif  sans  contrepoids?  (*8  décembre.)  Dans  l'état  actuel  des 
choses,  l'Assemblée  se  trouvait  engagée  par  un  premier  vote  et  ne 
pouvait  rien  changer  à  ses  propres  décisions.  Le  droit  de  veto  du 
Président  n'était  pas  applicable  à  l'Assemblée  constituante.  Il  y 
avait  là  un  péril  trop  grand  pour  que  l'Assemblée  ne  cherchât 
pas,  bien  qu'un  peu  tard,  à  prendre  des  précautions  contre  elle* 
même.  Le  lendemain  de  ce  vote  regrettable,  qui  enlevait  46  mil-» 
lions  au  Trésor  obéré,  un  rapport  fut  fait  sur  un  projet  qui  devait 
combler  la  lacune  et  mettre  en  garde  l'Assemblée  contre  la  pas» 
sion  et  la  précipitation  des  votes.  L'art.  44  de  la  Constitution, 
relatif  au  mode  de  délibération  des  Assemblées  législatives  futu- 
res, soumettait  chaque  décision  de  ces  Assemblées,  qui  ne  serait 
pae  prise  d'urgence,  à  l'épreuve  de  trois  lectures  successives.  La 
Commission  du  règlement  proposa,  le  2  janvier,  que  l'Assemblée 
actuelle,  qui  n'avait  plus  de  Constitution  à  faire,  mais  seulement 
des  lois,  s'appliquât  à  elle-même  les  règles  qu'elle  avait  tracées 
au*  Assemblées  à  venir,  et  n'adoptât  désormais  aucun  projet  de 
loi,  sauf  les  cas  d'urgence,  qu'après  trois  délibérations,  séparées 
par  des  intervalles  d'au  moins  cinq  jours.  La  discussion  de  cette 
proposition  rut  tumultueuse,  empreinte  de  passion.  Plusieurs 
membres  défendirent  la  réduction  de  l'impôt  du  sel  avec  aigreur. 
Toutefois,  la  proposition  Ait  adoptée. 

Le  vote  sur  l'impôt  du  sel  fut  considéré  par  toute  la  France 
comme  une  atteinte  portée  au  crédit,  comme  une  menace  d'ag- 
gravation pour  les  autres  impôts.  La  Chambre  avait  du  même 
coup  enlevé  au  pays  80  millions  et  la  confiance  ;  elle  avait  frappé 
les  finances  publiques  par  la  diminution  des  ressources  et  par  l'af- 
faiblissement du  crédit;  elle  avait  porté  un  grave  préjudice  à 
l'industrie,  en  faisant  renaître  le  doute  et  l'inquiétude  dans  les 
esprits,  au  moment  où  ils  s'ouvraient  à  l'espérance.  L'Assem- 
blée, qui  comptait  sur  cette  mesure  pour  rétablir  sa  popularité 
ébranlée,  s'était,  au  contraire,  aliéné  les  populations  par  ce  faux 
calcul.  On  vk  dans  ee  vote,  non-seulement  une  recherche  trop 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.         15 

ardent*  de  popularité  au*  dépens  du  budget,  maie  encore  une 
aorte  de  disposition  à  la  latte  contre  le  nouveau  Pouvoir. 

L'Assemblée  eut  à  revenir,  dans  les  premiers  jours  de  janvier, 
aur  la  loi  malencontreuse  votée  le  26  décembre.  Ce  n'était  plus 
de  l'impôt  du  sel  qu'il  s'agissait  cette  fois  ;  la  proposition  nou- 
velle avait  pour  but  de  relever  le  tarif  adopté  à  l'importation  des 
sela  étrange»  dans  les  ports  de  l'Océan  et  de  la  Manche.  Dans  la 
précipitation  apportée  au  vote  de  la  loi  sur  le  sel,  une  erreur 
grave  avait  été  commise.  On  avait  méconnu  ieê  dispositions  qui 
devaient  garantir  la  production  indigène  contre  la  production 
étrangère;  jusqu'ici  les  sels  étrangers  avaient  été  frappés  de 
prohibition.  La  commission  avait  proposé  de  remplacer  cette 
mesure  par  des  droits  qui  variaient  suivant  les  sones  d'importa- 
tion; ainsi  elle  avait  présenté  un  tarif  de  2  fr.  50  sous  pavillon 
français  et  de  3  fr,  sous  pavillon  étranger  par  le  littoral  de  la 
Manche  et  de  l'Océan  ;  mais  l'Assemblée,  qui  avait  adopté  le  droit 
de  2  fr.  à  l'entrée  par  terre  et  par  les  frontières  de  Belgique,  ré- 
duisit le  droit  sur  la  Méditerranée  et  l'Océan  à  50  centimes  et 
1  fr.  suivant  le  pavillon. 

Or,  ce  sont  les  sels  anglais  qui  doivent  également  venir  faire 
concurrence  aux  sela  indigènes,  soit  par  la  frontière  de  la  Belgi- 
que, soit  par  le  littoral  de  U  Manche  et  de  l'Océan.  Mais,  d'après 
le  système  de  tarifs  adopté  par  l'Assemblée,  ils  ne  pouvaient  en* 
trer  qu'au  droit  de  %  fr.  par  la  frontière  de  Belgique,  tandis  qu'ik 
pouvaient  être  importés  au  droit  de  50  c.  par  le  littoral  ;  quelle 
cause  assigner  à  l'excessive  inégalité  de  ces  droits  sur  les  mimas 
produits  ayant  la  même  origine?  U  n'y  en  avait  qu'une,  la  con- 
fusion qui  avait  présidé  i  la  discussion  et  aui  votes* 

Aussi,  à  peine  la  loi  était-elle  votée  que  cinq  représentants  dé- 
posèrent une  proposition  pour  rehausser  les  droits  i  l'importation 
par  nos  frontières  de  la  Manche  et  de  l'Océan  ;  le  comité  de  l'a* 
grieulture,  auquel  elle  fut  renvoyée,  reconnut  qu'en  effet  le  droit 
de  50  centimes  livrerait  notre  marché  intérieur  au*  sels  étrange** 
et  porterait  nn  coup  funeste  à  la  production  sur  nos  côtee  de 
l'Ouest  ;  il  résulta  des  recherches,  auxquelles  il  se  livra,  que  le 
prix  du  quintal  de  sel  de  l'Ouest,  rendu  à  Rouen,  pouvait  être  en 
moyenne  de  3  fir.  tfft  c*,  tendis  que  le  pria  du  eel  portugais, 


16  HISTOIRE  DE  FKANCE.  (1849.) 

rendu  à  la  même  destination,  serait  de  5  fr.  50,  et  celui  du  sel 
anglais  de  S  fr.  63  ;  de  telle  sorte  qu'il  y  avait  une  différence  de 
2  fr.  08  c.  au  profit  du  sel  portugais,  et  de  1  fr.  99  c.  au  profit  du 
sel  anglais  ;  la  commission  fut  ainsi  conduite  à  proposer  un  droit 
de  2  fr.  et  de  2  fr.  50,  suivant  le  pavillon  ;  ce  droit  de  î  fr.,  s'é- 
tevant  à  2  fr.  20  avec  le  décime,  laissait  à  nos  produits  un  avan- 
tage de  25  c.  sur  le  sel  anglais  et  de  42  c.  sur  le  sel  de  Por- 
tugal. 

Le  tarif  de  la  commission  fut  vivement  attaqué  et,  malgré  l'ap- 
pui que  lui  donna  M.  le  ministre  des  Finances,  le  chiffre  proposé 
fut  rejeté  au  scrutin  de  division  par  3S5  votans  contre  344.  C'est 
qu'il  était  difficile,  en  effet,  de  s'expliquer  le  décret  proposé,  si 
Ton  se  rappelait  que  le  principal  argument  des  partisans  de  la 
réduction  du  sel  avait  été  celui-ci  :  La  réforme  ne  coûtera  rien  au 
trésor;  l'augmentation  de  la  consommation  sera  considérable,  et 
le  fisc  retrouvera  sur  la  quantité  ce  qu'il  perdra  sur  la  quotité  de 
perceptions.  Mais  si  la  consommation  devait  augmenter,  il  fallait 
aussi  dès  lors  permettre  l'entrée  des  marchés  français  aux  sels 
étrangers.  Sans  cela,  il  était  évident  que  les  producteurs  fran- 
çais élèveraient  leur  prix  de  vente,  et  que  le  consommateur  ne 
profiterait  pas  de  la  réduction  dont  le  Trésor  public  paierait  tous 
les  frais.  Tels  furent  les  arguments  de  MM.  Dezeimeris  et  Frédé- 
ric Bastiat.  Ce  que  Ton  proposait  aujourd'hui,  selon  eux,  c'était, 
au  lieu  de  la  prohibition,  un  droit  prohibitif.  D'où  il  suivait  qu'en 
volant  la  réduction  des  deux  tiers  sur  l'impôt  du  sel,  l'Assemblée 
avait  travaillé  bien  moins  dans  l'intérêt  des  consommateurs  que 
dans  celui  des  propriétaires  de  marais  salants. 

On  avait,  il  est  vrai,  l'air  de  croire  que  le  droit  de  2  fr.,  pro- 
posé par  le  décret,  permettrait  l'entrée  des  sels  étrangers  et  con- 
cilierait tous  les  droits  engagés  dans  le  débat.  Mais  sur  quoi  se 
fondait  celte  opinion?  Il  résultait,  au  contraire,  des  documents 
et  des  chiffres  que  le  rapport  avait  réunis  i  l'appui  de  cette  thèse, 
que  ce  n'était  pas  à  2  fr.,  mais  à  4  fr.  ou  à  5  fr.  qu'il  faudrait 
fixer  le  droit  pour  établir  une  transaction  équitable  entre  les  sels 
français  de  l'Ouest  et  ceux  de  Liverpobl  ou  du  Portugal. 

Le  droit  de  2  fr.  une  fois  repoussé  par  la  Chambre,  M.  Passv 
insista  pour  qu'on  ne  compromît  pas,  toute  d'une  protection  suf- 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.        17 

Osante,  l'existence  d'une  industrie  qui,  selon  M.  le  ministre,  oc- 
cupait* plus  de  100,000  ouvriers,  et  qui  procurait  «un.  transport 
de  {dus  de  100,000  tonneaux  à  notre  marine  côtière.  Le  ministre 
n'établit  par  aucuns  documents  officiels  la  vérité  de  ces  chiffres 
évidemment  exagérés. 

Après  lui,  M.  Dufaure  s'attacha  à  montrer  les  conséquences 
funestes  qui  résulteraient  de  l'abandon  des  marais  salants,  dont 
les  exhalaisons  pestilentielles  porteraient  la  mort  dans  le  voisi- 
nage et  décimeraient  toute  la  population  du  littoral  de  l'Ouest. 

Ces  arguments,  plus  spécieux  que  solides,  parurent  remporter 
sur  la  majorité  qui,  faute  d'études  suffisantes  sur  la  question, 
semblait  surtout  préoccupée  de  la  crainte  de  se  déjuger.  L'Assem- 
blée adopta  un  amendement  de  M.  Sautayra,  qui  fixait  le  droit 
d'importation  dans  les  ports  de  la  Manche  et  de  l'Océan  à 
1  fr.  75  sous  pavillon  français,  et  %  fr.  25  sous  pavillon  étranger. 
C'était  une  diminution  de  25  centimes  sur  le  droit  proposé  par 
la  commission  (11  janvier). 

Sur  la  proposition  de  M.  Fould,  appuyée  par  M.  Demesmay, 
l'Assemblée,  reconnaissant  implicitement  son  ignorance  de  la 
question,  décida  qu'il  serait  fait,  en  1849,  une  enquête  parlemen- 
taire sur  la  production  et  le  commerce  du  sel  en  France.  Ce  se- 
rait peut-être  un  correctif  du  vote  imprudent  qui  avait  prononcé 
la  réduction  ;  cette  résolution  signifiait  que  la  question  restait 
encore  à  l'étude,  et  que  si  la  réduction  ne  tenait  pas  ce  qu'elle 
avait  promis,  l'Assemblée  prochaine  pourrait  corriger  Terreur  de 
sa  devancière  (15  janvier). 

La  réduction  des  deux  tiers  de  l'impôt  sur  le  sel  avait  naturel- 
lement ramené  l'attention  vers  les  projets  d'impôts  nouveaux  sou- 
mis à  l'Assemblée  nationale;  malheureusement  ces  nouveaux 
impôts  seraient  loin  de  pouvoir  combler  le  déficit  considérable 
de  l'année  qui  commençait;  ils  soulevaient  d'ailleurs,  soit  en  prin- 
cipe, soit  relativement  à  l'application,  des  difficultés  non  encore 
résolues. 

Parmi  ces  impôts  nouveaux,  celui  dont  on  espérait  tirer  le 
produit  le  plus  élevé  devait  atteindre  le  revenu  mobilier;  l'an- 
cien ministre  des  finances,  estimant  l'ensemble  des  revenus  mo- 
biliers de  la  France  à  3  milliards,  avait  proposé  de  fixer  l'impôt 

2 


/ 


16  HISTOIRE  DE  FttANC* 

rendu  i  la  même  destination,  serait  et 
anglais  de  3  fr.  63  ;  de  telle  sorte  qu'  K 
2  fr.  08  c.  au  profit  du  sel  portugais    ^ 

sel  anglais  ;  la  commission  fut  aim       ^ 
de  2  fr.  et  de  2  fr.  50,  suivant  le  ï  1 
levant  à  2  fr.  20  avec  le  décim*  [  \\ 
tage  de  25  c.  sur  le  sel  angi 
tugal. 

Le  tarif  de  la  commissi'  | 
pui  que  lui  donna  M.  le   f  \ 
fut  rejeté  au  scrutin  df    i  * 

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ire  ua 


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mais 
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Je 


reveïïi 


.e  la  contribua 

4  la  rente  du  sol 

jxploitation  agricole! 

.  l'agriculture  avaient  été 

yon  voulait  atteindre,  pour 

jpôt,  elle  proposait  de  porter  la 


qu'il  était  difficile,  f 
Ton  se  rappelait  cj 
réduction  du  sel  v  ? 
trésor;  l'itogme'  t  iCe  sur  lesquels  on  cherchait  à  retrou- 

le  fisc  retrouv  *  oduit  occasionnée  par  Pexemption  de  l'a- 

perceptions,  tendre,  à  leur  tour,  leurs  réclamations. 

aussi  dès  I'        iC  commerce  de  Lille,  entre  autres,  après  avoir 
étrangers        qu'il  y  aurait  de  danger  à  frapper  le  commerce  et 
çais  élr     ^  au  sortir  d'une  épreuve  aussi  douloureuse  que  celle 
P10*1*  ^afent  subie  depuis  quelques  mois,  s'attacha  à  démontrer 
,08  *  //création  de  l'impôt  proposé,  même  dans  les  temps  calmes, 
rf°  ait  itnpolitique,  parce  qu'il  atteint  l'activité  humaine  dans  ses 
?  %rts Pour a»gme3ter  le  capital  social,  et  qu'il  entrave  l'esprit 
j$  spéculation  sans  lequel  il  ne  peut  y  avoir  de  travail.  On  com- 
prend l'impôt  s'appliquant  à  des  capitaux  réalisés,  à  une  terre,  à 
une  maison  :  mais  comment  l'asseoir  par  avance  sur  des  bénéfi- 
ces d'une  réalisation  aussi  problématique  que  ceux  du  commerce 
et  de  l'industrie?  N'avait-on  pas  fait,  d'ailleurs,  tout  ce  qu'on 
pouvait  faire,  en  les  frappant  du  droit  de  patente  qui  pèse  sur 
l'habitation  du  commerçant  et  de  l'industriel?  On  disait  que  l'im- 
pôt sur  les  bénélîces  de  l'agriculture  ferait  double  emploi  avec 
l'impôt  foncier  :  mais  ne  pouvait-on  objecter  également  qu'il  y 
aurait  double  emploi  à  soumettre  à  un  impôt  nouveau  les  bénéfi- 
ces du  commerce  et  de  l'industrie,  qui,  outre  la  contribution  fon- 
cière ot  celle  des  portes  et  fenêtres,  supportaient  déjà  tout  le  poids 
delà  patente,  dont  l'agriculteur  est  exempt.  On  disait,  il  est  vrai, 


/ 


/ 


LA.  POUT1QUÏ  l*ES  FINANCES.        23 

•>*  bénéfice»  «eraierf  ^  I»  différence  dans  les 

-  compris  la  par  naeubles  est  très-consi- 

>  le  bénéfi^  ;  rapprocher  sur  plu» 

■»,  quart  a    *  ■ 

*,tar  1  \  ^  repoussée  par 

'  \  \«ae  catégorie 


tierce  et  deTn**^  i  gnatrième 

"^    -^  ^porteur, 

/  que  folhrit-îl  entendre  par  le  bénéfice  du  *^      V  doc- 
.«justrieî  II  n'est  pas  on  établissement  qui,  avant  n*w    fr*- 
ation,  paisse  fixer  l'importance  de  ses  bénéfices  :  les  btaftfo^  "*» 
en  effet,  dépendent  toujours  de  la  rentrée  des  créances  ou  foy* 
réalisation  des  marchandises,  et,  s'ils  ne  peuvent  être  déterminée 
par  le  commerçant  lui-même,  ils  pourraient  l'être  encore  bien 
moins  par  une  commission  administrative  étrangère  aux  affaires 
commerciales.  On  citait,  comme  preuve  de  la  difficulté  d'appré- 
ciations semblables,  l'estimation  même  donnée  par  le  ministre  des 
Finances,  qui  évaluait  la  production  manufacturière  à  5  milliards, 
tandis  que  M.  Cunin-Gridaine  ne  l'avait  évaluée  qu'à  2  milliards, 
et  qui  portait  ses  bénéfices  à  1  milliard  100,000  fr.,  c'est-à-dire 
un  peu  plus  haut  que  lés  bénéfices  de  la  production  agricole,  qui 
cependant  est  généralement  évaluée  à  7  milliards. 

Appellerait-on  le  commerçant  ou  le  manufacturier  à  déclarer 
le  chiffre  de  son  bénéfice?  Mais  comment  contrôler  ses  déclara- 
tions? Wétait-il  pas  à  craindre  qu'elles  n'occasionnassent  un  ren- 
versement total  des  situations  vraies  ;  que  les  maisons  prospères, 
par  exemple,  ne  dissimulassent  l'importance  de  leurs  bénéfices, 
tandis  que  les  négociants  gênés  seraient  conduits  à  accuser  des 
bénéfices  fictifs  pour  ne  pas  dévoiler  leur  position  et  compromet- 
tre leur  crédit. 

Et  puis,  que  de  difficultés  dans  l'application!  Quoi!  chacun 
serait  obligé  d'exposer  au  percepteur  l'état  de  ses  affaires?  Le  fisc 
aurait  le  droit  d'entrer  ainsi  de  gré  ou  de  force  dans  les  secrets 
de  chacun,  de  fouiller  dans  les  livres  du  négociant,  de  supputer  les 
bénéfices,  de  calculer  les  profits  du  médecin,  les  honoraires  de 
l'avocat  ou  du  notaire?  Mais,  disait-on,  cela  se  passe  en  Angle- 
terre, et  l'impôt  sur  le  revenu  s'y  perçoit  régulièrement.  Qui 
pouvait  affirmer  qu'il  en  serait  de  même  en  France 


20  HISTOIRE  DE  FRANCE.  {1849.) 

M.  Passy  6e  refusa  à  assumer  la  responsabilité  du  projet,  et  il 
le  retira  dans  la  séance  du  16  janvier.  M.  Goudchaux  déclara 
qu'il  le  reprenait  en  vertu  de  son  initiative  parlementaire. 

La  première  loi  de  finances  soumise  ensuite  aux  délibérations  de 
l'Assemblée  fut  un  projet  d'impôt  sur  les  successions  et  sur  les 
donations.  Ce  projet»  présenté  six  mois  auparavant  par  M.  Goud- 
chaux, avait  pour  but  d'appliquer  le  principe  progressif  à  l'impôt 
sur  les  successions  et  sur  les  donations,  et  d'introduire  en  outre, 
dans  l'assiette  de  cet  impôt,  différentes  innovations»  la  plupart 
inspirées  par  les  doctrines  plus  ou  moins  socialistes  avec  lesquels 
les  on  croyait  alors  devoir  pactiser.  Le  projet  de  M.  Goudchaux 
avait  une  telle  portée  économique  et  sociale,  que  l'Assemblée, 
malgré  toute  sa  confiance  dans  le  comité  spécialement  chargé 
des  questions  financières,  crut  devoir  en  renvoyer  l'examen  à  ses 
bureaux,  afin  qu'il  fût  étudié  par  une  commission  qui  résumât 
en  quelque  sorte  les  principes  de  l'Assemblée  tout  entière;  la 
commission  remplit  sa  mission  avec  zèle  ;  son  rapport,  rédigé  par 
M.  de  Parieu,  fut  déposé  dès  Je  1er  septembre,  et  il  était  permis 
de  croire  que,  si  la  discussion  n'en  était  pas  venue  plus  tôt  mal- 
gré Ja  situation  de  nos  finances,  c'est  que  le  gouvernement  de 
cette  époque  ne  se  souciah  pas  de  soulever  les  questions  d'impôts 
nouveaux  avant  la  grande  élection  du  10  décembre. 

Est-il  besoin  de  dire  que  le  projet  de  M.  Goudchaux  avait  été 
modifié  radicalement  et  de  fond  en  comble  par  la  commission  à 
laquelle  il  avait  été  renvoyé?  La  commission  avait  fait  justice  de 
ce  principe  progressif  qu'on  proposait  d'introduire  dans  l'impôt 
des  successions,  pour  en  faire  ensuite  la  base  de  tout  notre  sys- 
tème d'impôts.  La  théorie  de  la  progression  n'avait  pu  résister  à 
l'examen.  La  minorité  de  la  commission  avait  essayé  de la  défen- 
dre, sous  prétexte  que  certains  impôts  pesaient,  toute  proportion 
gardée,  d'une  manière  plus  lourde  sur  le  pauvre  que  sur  le  riche, 
de  telle  sorte  que,  suivant  elle,  l'impôt  progressif  devait  compen- 
ser ces  injustices  et  rétablir  la  proportionnalité.  Or,  n'était-ce 
pas,  suivant  la  remarque  de  M.  de  Parieu,  condamner  l'impôt  pro- 
gressif en  principe  ,  que  de  l'admettre  seulement  comme  un 
moyen  de  ramènera  la  loi  de  proportionnalité  notre  système  ac- 
tuel de  contributions?  Ajoutons  que,  si  l'impôt  proportionnel 
peut  entraîner  des  charges  et  des  privations  inégalement  senties, 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.        21 

cela  tient  à  l'inégalité  des  fortunes  mêmes.  D'où  il  suit  que,  si 
Fou  voulait  amener  l'impôt  à  se  faire  également  sentir  partout, 
il  faudrait  faire  disparaître  l'inégalité  des  richesses  et  passer  sur 
le  pays  le  nifeaa  da  communisme. 

Le  nivellement  des  fortonesfttel  est  en  effet  le  terme  naturel, 
la  conséquence  logique  de  l'impôt  progressif.  On  frappe  d'une  sorte 
de  pénalité  l'accumulation  du  capital.  On  attaqoela  propriété  dans 
sa  formation  et  dans  son  développement.  On  entre  dans  une  voie 
arbitraire  et  Ton  détruit  toute  espèce  de  garantie;  si  Ton  arrête 
la  progression,  on  n'atteint  pas  les  fortunes  les  plus  élevées»  et 
l'on  manque  au  principe,  précisément  lorsqu'en  vertu  delà  théo- 
rie l'application  en  semblerait  le  plus  joste;  si  on  n'arrête  pas  la 
progression,  on  arrive  alors  plus  ou  moins  promptement  à  l'ab- 
sorption du  capital  imposable,  c'est-à-dire  à  la  spoliation.  Ce 
n'est  pas  par  de  semblables  moyens  qu'on  opérera  un  morcelle- 
ment fécond  dans  les  fortunes,  c'est  par  l'action  naturelle  des 
lois  civiles  sur  les  successions  et  par  le  mouvement  du  travail. 

La  commission  avait  donc  rejeté,  à  une  majorité  considérable, 
le  principe  de  l'impôt  progressif,  comme  étant  contraire  à  la  jus- 
tice, dangereux  pour  la  société,  nuisible  i  l'activité  humaine, 
dont  il  tend  à  paralyser  les  développements* 

Est-il  vrai,  comme  le  prétendait  M.  Goudchaux  dans  son  exposé 
des  motifs,  quel1  impôt  progressif,  fût-il  vicieux  dans  son  applica- 
tion à  la  propriété  personnelle ,  s'adapterait  particulièrement  à 
la  matière  des  successions?  Distinguer  entre  la  propriété  person- 
nelle et  la  propriété  acquise  par  l1héré(|ité,  présenter  cette  der- 
nière comme  due  seulement  au  hasard  de  la  naissance  ou  au  ca- 
price des  affections  privées,  n'était-ce  point  donner  gain  de  cause 
à  ces  sophistes  qui  prêchaient  l'abolition  de  l'hérédité,  et,  par  là, 
la  destraction  de  fa  famille? 

D'ailleurs,  loin  que  l'impôt  suc  les  successions  se  prête  à  une 
application  exceptionnelle  du  principe  progressif,  il  s'y  refuse  au 
contraire  plus  que  toute  autre  nature  d'impôt.  D'une  part,  l'impôt 
sur  les  successions  est  calculé,  non  pas  sur  le  chiffre  de  la  fortune 
totale  de  celui  qui  hérite,  chiffre  qui,  étant  la  seule  mesure  de 
l'aisance,  pourrait  seul  former  la  base  de  la  progression,  mais 
sur  le  chiffre, de  la  succession  même  qui  peut  échoir  à  un  homme 


22  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1819.) 

plus  ou  moins  pauvre,  plus  ou  moins  riche;  D'autre  part,  il  est 
j>ereu,  par  suite  des  nécessités  fiscales  et  pour  éviter  les  fraudes, 
non  pas  sur  l'actif  net,  mais  sur  F  actif  brut,  sans  déduction  des 
dettes  et  des  charges,  de  telle  sorte  que  la  surtaxe  progressive  au- 
rait soutent  pour  base  une  non-valeur.  Aussi  la  minorité  même 
de  la  commission,  qui  s'était  attachée  à  défendre  le  principe  abs- 
trait de  la  progression,  avait-elle  reconnu  presque  tout  entière 
que  ce  principe  était  complètement  inapplicable  à  l'impAtsur  les 
successions  et  donations. 

Restaient  les  autres  innovations  que  le  projet  apportait  dans 
l'assiette  de  l'impôt  ;  la  première  était  relative  à  l'élévation  géné- 
rale des  droits  ;  la  commission  n'avait  pas  admis  pour  bases  de 
ses  tarifs  des  chiffres  qui  s'approchassent  des  maximum  de  pro- 
gression posés  dans  le  projet  ;  mais  elle  avait  consenti  cependant 
des  augmentations  notables  et  qui  modifiaient  sur  presque  tons 
les  points  l'échelle  des  droits  actuels;  elle  avait  pris,  pouf  maxi- 
mum des  droits,  le  chiffre  de  12  p.  0/0,  qui,  ainsi  que  le  faisait 
remarquer  le  rapporteur,  entamait  déjà  profondément  le  capital 
immobilier,  objet  de  la  mutation;  ce  maximum,  dans  le  projet, 
s'élevait  jusqu'à  20  0/0. 

Le  projet  accordait  une  immunité  complète  pour  toutes  les  suc- 
cessions d'une  valeur  moindre  de  500  ft\;  la  commission  objectait 
fort  sensément  que  cette  disposition  n'avait  qu'une  apparence 
démocratique,  car  un  legs,  une  quote-part  héréditaire  deBOOfr. 
de  valeur  peut  échoir  à  des  citoyens  déjà  fort  riches  ;  où  donc  se 
trouveraient,  en  pareil  cas,  la  moralité  et  la  justice  de  l'indemnité  1 
Si  l'on  considérait,  en  outre,  que  l'administration  est  dans  l'usage 
d'accorder  des  dispenses  aux  indigents,  on  reconnaîtrait  que  l'a- 
doption de  cette  mesure  causerait  une  perte  réelle  au  Trésor, 
sans  compensation  pour  la  population  pauvre,  et  l'on  compren- 
drait que  la  commission  en  proposât  le  rejet. 

La  commission  avait  également  repoussé  l'assimilation  absolue 
que  le  projet  établissait,  sous  le  rapport  des  droits,  entre  les  meu- 
bles et  les  immeubles  ;  les  valeurs  mobilières,  généralement  pé- 
rissables et  quelquefois  non  productives,  lui  avaient  semblé,  par 
cela  même,  devoir  être  taxées  moins  fortement  ;  d*ailleur3,  comme 
elles  sont  plus  faciles  à  dissimuler,  des  droits  élevés  ne  feraient 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.        23 

qu'encourager  la  fraude  ;  toutefois,  comme  la  différence  dans  lee 
tarifs  actuels  sur  les  meubles  et  sur  les  immeubles  est  très-consi- 
dérable, la  commission  avait  cru  devoir  les  rapprocher  sur  plu- 
sieurs points. 

Une  autre  disposition  du  projet  qui  était  encore  repoussée  par 
la  commission,  était  celle  qui  réunissait  dans  la  même  catégorie 
le  parent  au  quatrième  degré,  le  paretit  au  delà  du  quatrième 
degré  et  l'étranger  à  la  famille;  on  serait»  disait  le  rapporteur, 
tenté  de  voir  dans  cette  disposition  le  corollaire  fiscal  de  ces  doc* 
Urines,  qui,  ôtant  plus  à  la  famille  qu'elles  ne  doanept  à  la  fra- 
ternité civique,  réclament,  au  profit  de  l'État,  une  modification 
profonde  de  la  loi  sur  les  héritages  :  l'assimilation  de  parents  à 
divers  degrés  avec  les  étrangers  dépourvus  de  toute  vocation  hé- 
réditaire, semblerait  en  effet  une  mise  en  question  des  droits  lé- 
gaux des  premiers;  la  commission  proposait  donc  le  maintien  de 
la  classification  du  tarif  actuel,  déjà  ancienne  dans  nos  habitudes, 
et  qui  est  d'accord  avec  les  lois  ordinaires  de  l'affection  naturelle 
aussi  bien  qu'avec  le  droit  civil. 

Enfin,  la  commission  rejetait  aussi  la  proposition  de  soumettre 
aux  droits  de  mutation  par  décès  les  rentes  sur  l'État  et  lee  va- 
leurs mobilières  situées  à  l'étranger*  Le  droit  dont  on  frapperait 
les  rentes  retomberait  sur  le  crédit  de  l'État,  qu'il  importait,  au- 
jourd'hui surtout,  de  soutenir  avec  tant  de  sollicitude  ;  un  seul 
pas  dans  cette  voie  occasionnerait  une  alarme  dont  le  eeurs  des 
fonds  publics  ne  tarderait  paa  à  se  ressentir;  l'impôt  serait  d'ail- 
leurs fraudé  facilement  et  produirait  peu.  Quant  aux  valeurs  mo- 
bilières situées  en  pays  étranger,  il  ne  serait  pas  juste  de  les 
frapper  d'un  impôt  au  profit  de  l'Etat  qui  n'en  protège  qu'impar- 
faitement l'acquisition  et  la  jouissance. 

On  le  voit,  la  commission  avait  apporté  au  projet  des  modifi- 
cations fondamentales.  Le  principe  de  la  progression,  ainsi  que 
toutes  les  dispositions  inspirées  par  un  socialisme  plus  ou  moins 
avoué,  avaient  complètement  disparu.  La  commission  estimait 
que  le  rehaussement  des  droits  proposés  par  elle  produirait  une 
plus-value  d -environ  49  millions;  mais  il  paraissait  difficile  que, 
celte  année,  il  pût  en  sortir  pins  de  9  ou  40. 

La  discussion  fut  ouverte  le  15  janvier.  Bien  que  le  projet 


21  HISTOIRE  DE  FRANCE.   (t849.) 

émanât  d'un  représentant  de  l'opposition,  comme  il  se  trouvait 
aujourd'hui  présenté  par  le  Gouvernement,  l'opposition  crut  de- 
voir l'attaquer.  M.  Stourm  insista  pour  qu'on  opérât  des  écono- 
mies héroïques  dans  le  budget.  L'orateur  voulait  qu'on  réduisit 
la  marine,  l'administration,  qu'on  supprimât  l'armée.  C'est  aussi 
le  désarmement  de  la  France  qu'indiqua  M.  Billault  comme 
grande  ressource  économique.  Déjà,  dans  quelques  autres  circon- 
stances, M.  Billault  avait  paru  afficher  la  prétention  de  représen- 
ter l'opposition  dans  la  Chambre,  croyant  sans  doute  qu'aujour- 
d'hui, comme  avant  février  4848,  un  chef  d'opposition  n'était 
autre  chose  qu'un  chef  futur  de  cabinet.  La  gauche  encourageait 
secrètement  ces  doctrines  arriérées,  sauf  à  rejeter,  au  jour  du 
triomphe,  celui  qui  parlait  en  son  nom.  M.  Billault  laissa  voir 
avec  quelque  complaisance  ses  prétentions  nouvelles,  et  crut  les 
justifier  en  disant  que  le  niveau  du  Pouvoir  n'était  pas  tellement 
élevé  qu'il  né  fût  permis  d'y  atteindre.  Que  les  choses  fussent 
changées  aujourd'hui,  qu'il  n'y  eût  plus  de  place  pour  une  oppo* 
sition  constitutionnelle,  qu'il  n'y  eût  plus  que  deux  camps,  celui 
des  amis,  celui  des  ennemis  de  la  société,  c'est  ce  que  l'orateur, 
aveuglé  par  le  désir  du  Pouvoir,  ne  paraissait  pas  comprendre. 
Aussi,  sur  les  bancs  de  la  droite,  comme  sur  ceux  de  la  gauche, 
on  apprécia  facilement  ies.  déclamations  de  l'orateur  contre  un 
ministère  de  quinae  jours  qu'il  cherchait  à  rendre  responsable 
des  prodigalités  du  passé. 

M.  Passy  n'eut  pas  de  peine  à  répondre  à  des  attaques  inspi- 
rées par  une  tactique  si  transparente.  La  France  était-elle  seule 
dans  le  monde  ?  Le  Gouvernement  avait-il  à  maintenir  le  respect 
du  nom  français  au  milieu  des  agitations  de  l'Europe,  et  le  meil- 
leur moyen  di  prévenir  les  hostilités,  était-ce  de  déposer  les  ar- 
mes? Quand  viendrait  la  question  extérieure,  l'Assemblée  aurait 
à  examiner  si  elle  prétendait  continuer  à  suivre  la  ligne  politique 
qui  avait  été  suivie  jusqu'ici,  si  elle  entendait  maintenir  ou 
retirer  ses  paroles  engagées.  Ce  serait  seulement  alors  que  la  ques* 
tion  du  désarmement  pourrait  être  traitée  d'une  manière  utile. 
Quant  aiii  réformes  administratives,  disait  encore  M.  le  ministre, 
elles  ne  s'improvisent  pas;  il  y  en  a  de  mauvaises  :  ce  sont  celles 
qui  désorganisent  les  services.  Parmi  celles  qui  avaient  été  vo- 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.        25 

té>s  récemment,  M.  Passy  en  signalait  une  comme  particulière- 
ment malheureuse,  celle  qui  avait  atteint  l'administration  des 
forêts. 

M.  Billault  avait  espéré  entraîner  l'Assemblée  en  l'effrayant 
sur  l'impopularité  qu'elle  pourrait  exciter  contre  elle  par  le  vote 
de  nouveaux  impôts  :  on  connaît  les  arguments  d'usage  en  pa- 
reils cas.  M.  le  ministre  des  Finances  répondit  que,  sans  doute, 
ce  n'est  pas  sans  regrets  qu'un  Gouvernement  se  décide  à  récla- 
mer du  pays  de  nouveaux  sacrifices;  mais,  enfin,  le  véritable 
homme  d'État  accepte  courageusement  la  responsabilité  des  me- 
sures qui  lai-  paraissent  nécessaires* 

M.  Billault,  et,  après  lui,  M.  Servières,  ayant  paru  douter  des 
loyales  intentions  de  l'administration,  M.  Passy  termina  par  ces 
mots  significatifs  :  «  Ou  rendes-moi  ma  mission  possible,  ou  je 
la  résigne.  » 

La  Chambre  décida,  à  une  très-forte  majorité,  qu'elle  passerait 
à  une  seconde  délibération  (15  janvier). 

Un  projet  de  décret  sur  les  douanes,  soumise  l'Assemblée  na- 
tionale dans  les  derniers  joute  de  1848,  avait  été  la  consécration 
pare  et  simple  des  diverses  mesures  antérieurement  arrêtées  par 
le  Pouvoir  exécutif,  et  n'offrait  dès  lors  rien  de  véritablement 
important.  Les  dispositions  principales  de  ce  projet  concernaient, 
d'une  part,  quelques  marchandises  d'importation,  dont  le  tarif 
était  modifié,  de  l'autre,  les  exportations  sous  bénéfice  de  primes* 

La  prohibition  i  l'entrée  des  nankins  de  l'Inde,  importés  par 
navires  étrangers,  était  remplacée  par  un  droit  de  5  fr.  par  kil,, 
et  ce  même  droit  de  5fr.,  qui  frappait  les  nankins  venus  direc- 
tement de  l'Inde  sous  pavillon  français,  était  réduit  à  1  fr.  Les 
glaces  non  étamées  étaient  prohibées  à  l'entrée,  tandis  que  les 
glaces  étamées  ne  Tétaient  pas.  Le  décret  faisait  cesser  cette  sin- 
gulière anomalie  de  tarif  en  soumettant  les  premières  à  des 
droits  spécifiques  variant  de  10  à  50  fr.,  selon  la  superficie  des 
glaces» 

Le  sol  de  l'Algérie  est,  on  le  sait,  riche  en  minerais  donnant 
d'excellentes  fontes  aciéreuses,  propres  à  la  fabrication  des  outils 
et  des  lames  fines.  Déjà  des  compagnies  se  sont  formées  pour  les 
exploiter  ;  mais,  sans  débouchés  certain*,  ces  établissements  ne 


26  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

pourraient  prospérer.  Le  décret  ouïrait  aux  fontes  d'Algérie  le 
marché  métropolitain  en  toute  franchise  de  droit.  Des  facilités, 
es  outre,  étaient  accordées  à  l'introduction  des  fontes  de  Styrie 
et  de  Carinthie,  dont  la  qualité  est  également  estimée.  C'étaient 
là  des  mesures  réellement  prolectrices  de  l'industrie  du  fer»  de  la 
quincaillerie,  de  la  coutellerie,  etc. 

Enfin,  le  décret  proposait  la  ratification  d'une  mesure  appli- 
quée déjà  depuis  les  six  derniers  mois  de  4848  :  à  savoir  les  pri- 
mes à  l'exportation,  dont  un  arrêté  du  10  juin  1848  avait  doublé 
le  chiffre,  en  y  ajoutant  les  soieries  et  les  toiles.  Ce  secours  tem* 
poraire  accordé  à  l'industrie  française  lui  avait  été  iaeontesta* 
blement  favorable  ;  les  exportations  y  avaient  gagné  de  ne  pas 
succomber  tout  à  fait  sous  le  poids  du  discrédit  commercial. 

Déjà,  depuis  longtemps,  la  science  économique  réclamait  con- 
tre la  fixité  des  valeurs  que  la  douane,  dans  ses  tableaux  annuels 
du  commerce,  applique  aux  marchandises  importées  ou  expor- 
tées. De  ce  maintien,  en  effet,  d'une  quotité  officielle  immuable, 
résultait  nécessairement,  au  bout  de  quelques  années,  une  appré- 
ciation fort  inexacte  de  la  valeur  réelle  des  échanges;  et,  comme 
la  statistique,  si  bien  faite  qu'elle  soit,  ne  saurait  offrir  par  elle- 
même  une  complète  garantie  de  certitude,  il  n'en  était  que  (dus 
urgent  de  réviser  les  valeurs  qui,  depuis  plus  de  vingt  ans,  ser- 
vent de  base  à  celles  des  tableaux  du  commerce.  L'administra- 
tion, par  un  arrêté  du  13  décembre  1848,  était  enfin  entrée  dans 
cette  voie  qui  devait  rapprocher  les  chiffres  de  douane  de  la  vé- 
rité, et  montrer  plus  clairement  l'importance  des  achats  et  des 
ventes  à  l'étranger. 

Déjà  cette  révision  des  anciennes  valeurs  avait  été  opérée  dans 
le  tableau  public  de  1847,  qui  toutefois  les  avait  conservées  en 
regard  des  valeurs  nouvelles.  Il  est  curieux  de  voir  ce  que,  par 
suite  de  ce  rapprochement,  étaient  devenus  certains  chiffres  offi- 
ciels. En  coton  importé,  par  exemple,  la  France  achetait  officiel- 
lement à  l'étranger  pour  81  millions;  la  valeur  actuelle  abaissait 
ce  chiffre  à  67.  Les  tabacs,  de  2ft  millions  et  demi ,  tombaient 
àlO.  Les  bois,  au  contraire,  montaient!  de  43  millions  à  61 .  A 
l'exportation,  les  disparates  étaient  souvent  plus  marquées  en- 
core; officiellement,  on  livrait  à  l'étranger,  en  1847,  pour 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.        27 

1 &$  millions  de  cotonnades  sortant  des  fabriques  françaises  ;  la 
valeur  actuelle  n'était  plus,  que  55  millions*  environ  le  tiers.  Les 
tissas  de  laine  tombaient  de  101  à  70  millions;  les  toiles,  de  M 
à  SI  ;  les  soieries,  de  tô6  à  140.  En  somme,  la  valeur  totale  et 
otfeiolle  des  exportations  <eommerce  spécial)  se  réduisait  de 
&91  millions  i  une  taieur  réelle  de  710  millions  ;  et  encore  allait* 
il  remarquer  que  la  révision  n'avait  pas»  pour  1847,  porté  sur 
tontes  les  marchandises. 

H.  Tourret,  par  son  arrêté  du  15  décembre,  établit  une  corn* 
mission  permanente  des  valeurs. 

Un  antre  projet  proposait  une  taie  annuelle  snr  les  biens  de 
main-morte,  taie  représentative  des  droits  de  transmission  entre 
vife'Bt  par  décès;  Les  biens  dé  mainmorte,  on  le  sait,  appartien- 
nent à  un  être  moral  qui  ne  meurt  jamais  ;  Us  ne  changent  pas 
de  propriétaire,  comme  ceux  que  la  mort  fait  passer  de  l'un  à 
l'autre  par  héritage.  Ces  sortes  de  biens  n'acquittaient  pas,  jus- 
qu'à présent,  les  droits  de  mutation  qui  atteignent  les  autres 
biens  à  l'ouverture  de  chaque  succession.  Il  y  avait,  sans  doute, 
de  graves  inconvénients  à  laisser  jouir  d'une  semblable  immunité 
une  niasse  de  biens  qui  restent  dans  une  infériorité  de  produc- 
tion telle,  que,  représentant  près  de  5  millions  d'hectares,  ou  le 
dixième  des  propriétés  imposables  de  la  France,  ils  ne  donnent 
cependant  qu'un  revenu  de  64  millions,  c'est-à-dire  le  trente-et- 
nnième  du  revenu  général. 

Les  biens  qui  devaient  être  atteints  par  le  nouvel  impôt  étaient 
les  biens  immeubles  passibles  de  la  contribution  foncière,  appar- 
tenant aux  départements,  communes,  hospices,  séminaires,  fabri- 
ques, congrégations  religieuses,  consistoires,  établissements  de 
charité,  bureaux  de  bienfaisance,  sociétés  anonymes  et  tous  éta- 
blissements publics  légalement  autorisés. 

On  voit  que,  parmi  les  établissements  de  main-morte  qui  al- 
laient se  trouver  imposés,  il  y  en  avait  un  certain  nombre  qui  ne 
se  soutenaient  qu'à  l'aide  de  subventions  accordées  par  l'État  ; 
MM.  Grellet  et  Besnard  en  tirèrent  un  argument  contre  le  projet 
de  loi,  parce  qu'on  serait  obligé  d'augmenter  ces  subventions  en 
raison  du  nouvel  impôt,  c'est-à-dire  qu'on  prendrait  d'une  main 
pour  rendre  de  l'autre;  ils  objectèrent,  en  outre,  qu'il  était  im- 


38  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

politique  d'imposer  les  hospices  et  les  établissements  de  charité  ; 
mais  MM.  Passy,  Grévy  .et  Dupin  réfutèrent  ces  objections;  ils 
répondirent  que  l'impôt  était  juste  ;  qu'il  avait  pour  but  de  Caire 
disparaître  un  privilège  en  matière  d'immeubles;  qu'il  ne  porte- 
rait que  fort  peu  sur  les  fondations  charitables;  qu'il  n'y  avait, 
d'ailleurs,  rien  de  contradictoire  entre  la  subvention  et  l'impôt, 
et  que,  quant  aux  hospices  et  aux  établissements  de  charité, 
comme  ils  sont  a  la  charge  des  communes,  les  pauvres  ne  sau- 
raient en  souffrir. 

Le  projet  primitif  assujétissait  également  à  la  nouvelle  taxe  les 
droits  d'usage  en  bois  appartenant  à  des  communautés  d'habi- 
tants dans  les  forêts  des  particuliers  et  de  l'État;  mais  la  commis- 
sion avait  considéré  que  ces  droits  constituaient  une  servitude  et 
non  une  propriété,  que,  d'ailleurs,  ils  étaient  incessibles,  et  que, 
par  conséquent,  ils  ne  pouvaient  être  passibles  d'un  impôt  qui 
prend  sa  source  dans  la  transmission;  elle  proposait  donc  de  ne 
leur  rien  demander. 

La  taxe  annuelle  à  percevoir  sur  les  biens  de  main-morte  de- 
vait être  de  5  Ojô  du  revenu,  taxe  un  peu  moins  élevée  que  le 
montant  des  droits  de  mutation  qui  grèvent  les  biens  des  particu- 
liers; nous  avons  dit  que  le  revenu  des  biens  de  main-morte  était 
estimé  à  64  millions;  l'impôt  rendrait  donc  plus  de  3  millions; 
mais  il  faudrait  en  distraire  l'augmentation  de  secours  qu'il  serait 
nécessaire  d'accorder  aux  établissements  subventionnés. 

L'Assemblée  décida  qu'elle  passerait  à  une  seconde  délibéra- 
tion (16  janvier). 

Parmi  les  conséquences  financières  de  la  Révolution  de  Fé- 
vrier, il  fallut  placer  un  projet  de  loi  tendant  à  ouvrir  un  crédit 
de  584,000  fr.  au  ministère  de  l'Intérieur  pour  dépenses  diverses 
effectuées  sans  crédits  réguliers  à  la  suite  de  la  Révolution;. le 
rapport,  présenté  par  M.  Lempereur,  au  nom  du  comité  des  fi- 
nances, contenait  de  curieux  renseignements. 

Le  chapitre  qui  fixait  principalement  l'attention  contenait  une 
demande  de  180,000  fr.  pour  traitements  et  indemnités  aux  pré- 
fets. 11  résultait,  disait  le  rapport,  des  documents  fournis  au  co- 
mité des  finances,  qu'en  évaluant  à  une  période  moyenne  de  trois 
mois  la  durée  de  la  mission  des  commissaires  du  Gouvernement 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.        29 

provisoire,  leur  traitement  pendant  cetle  période  se  serait  életé 
à  455, 000  fr;,  tandis  qte  le  traitement  des  préfets  pendant  la  même 
période  n'aurait  coûté,  conformément  au  budget,  que  426,000  fr- 
Ainsi,  le  traitement  des  commissaires  du  Gouvernement  provi- 
soire avait  eicédé  de  29,000  fr.  celui  qui  avait  été  affecté  au  trai- 
tement des  préfets; 

Mais  ce  n'était  pas  tout.  On  réclamait,  en  outre,  pour  dépenses 
diverses  faites  par  les  commissaires,  sous  le  titre  d'indemnités 
extraordinaires,  une  somme  de  242,000  fr.  De  telle  sorte  que  le 
montant  total  des  dépenses  relatifes  aux  commissaires  du  Gou- 
vernement provisoire  en  traitements  et  indemnités  extraordi- 
naires, indépendamment  du.  traitement  alloué  aux  préfets,  était 
de  274,000  fr.  Et  encore,  ce  chiffre  n'était  pas  définitif,  et  il  ne 
serait  possible  de  le  connaître  exactement,  que  lorsque  le  minis- 
tère de  l'Intérieur  aurait  reçu  les  tableaux  qui  devaient  lui  être 
envoyés  par  les  différentes  préfectures  à  la  fin  de  chaque  année 
pour  l'exercice  terminé. 

On  retrouvait  encore  dans  le  projet  d'autres  traces  du  désordre 
linancier  de  cette  époque.  M.  Ledru-Rollin  n'avait  pas  fait  moins 
de  60,000  fr.  de  dépenses  extraordinaires  en  têtes  de  lettres,  en 
habillements  de  gens  de  service,  en  mobilier  de  bureau,  et  autres 
menus  frais.  L'impression  et  l'affichage  de  ces  fameux  Bulletins 
de  la  République,  qui  avaie.nl  eu  tant  de  retentissement,  figuraient 
pour  40,000  fr.  11  [y  avait,  en  outré,  près  de  9,000  fr.  pour  im- 
pressions et  publications  extraordinaires  faites  dans  les  départe- 
ments. 

Le  rapport  disait  encore  qu'à  la  suite  du  24  février,  551 ,000  fu- 
sils, 8,000  mousquetons,  456,000  sabres  avaient  été  pris  dans 
les  arsenaux  et  distribués  à  Paris  et  dans  les  départements.  Com- 
bien de  ces  fusils  étaient  entre  les  mains  des  insurgés  de  juin? 
Un  des  premiers  soins  du  Gouvernement,  à  la  suite  de  ces  dé- 
plorables journées,  avait  dû  être  de  retirer  la  plus  grande  partie 
des  armes,  et  de  les  réintégrer  dans  les  arsenaux. 

Enfin,  le  projet  de  loi  renfermait  un  chapitre  par  lequel  un 
crédit  de  60,000  fr.  était  demandé  pour  secours  de  route  à 
des  ouvriers  et  à  des  réfugiés  étrangers,-  a  L'emploi  de  cetle 
somme,  disait   le  rapport,   n'est  justilié  que  par  une  lettre 


30  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (18490 

du  citoyep  Flocon,  l'un  des  membres  de  Gouvernement, 
adressée  au  ministère  de  l'Intérieur.  Le  citoyen  Flocon  déclare 
que  la  somme  lui  a  été  versée  en  trois  paiements,  et  qu'elle  a  été 
employée  par  lui  à  faciliter  le  départ  des  réfugiés  et  ouvriers  po- 
lonais, allemands  et  italiens.  Cette  somme  de  60,000  fr.  a  été 
versée  au  citoyen  Flocon,  par  ordre  du  Gouvernement  provisoire, 
qui  lui  en  a  confié  la  distribution.  Le  comité  des  finances  croit 
que  Ton  doit  accepter  la  déclaration  du  citoyen  Flocon,  autorisé 
par  le  Gouvernement  provisoire  à  agir  comme  il  l'a  fait,  s 

Dans  la  séance  suivante  (18  janvier),  M.  Flocon  crut  devoir  se 
plaindre  de  ce  que  le  comité  des  finances  ne  l'eût  paa  fait  appeler 
pour  lui  demander  les  comptes  de  ces  60,000  fr.,  et  il  ajouta 
qu'il  était  prêt  à  les  rendre.  M.  Deslongrais  lui  fit  observer  que  le 
comité  des  finances  n'avait  pas  été  chargé  de  demander  la  justifi- 
cation des  dépenses,  mais  seulement  d'examiner  si  des  dépenses 
extraordinaires  avaient  eu  lieu  ;  M.  Gréton  de  son  côté  insista 
pour  qu'il  fût  bien  entendu  qu'il  s'agissait  d'une  loi  de  simples 
crédits,  et  non  d'une  loi  apprôbative  d'une  partie  quelconque 
de  la  gestion  du  Gouvernement  provisoire.  Les  comptes  généraux 
du  Gouvernement  provisoire  ne  seraient  discutés  que  lorsque 
l'Assemblée  serait  appelée  à  se  prononcer  sur  le  projet  de  crédit. 

Notons  encore  un  projet  portant  ouverture  d'un  crédit  de 
2  millions  720,000  fr.  pour  la  liquidation  des  ateliers  nationaux. 
Un  excellent  rapport  de  M.  Etienne,  contenait  des  renseigne- 
ments curieux  sur  cet  abtme  non  encore  comblé.  Déjà  M.  Gréton 
avait  déposé  un  amendement  à  ce  sujet.  On  se  souvient  qu'il  y 
avait  eu  42  millions  de  votés  pour  cet  objet;  avec  les  2  millions 
720,000  fr.  dont  il  s'agissait  aujourd'hui,  la  liquidation  allait  à 
15  millions,  et  rien  ne  prouvait  que  ce  dût  être  la  fin  des  crédits 
à  cette  destination.  L'Assemblée  indiqua  une  seconde  délibéra- 
tion (16  janvier). 

Voici,  d'après  les  documents  officiels  distribués,  le  22  janvier, 
à  l'Assemblée  nationale,  l'état  comparatif  du  budget  de  1849  avec 
celui  du  budget  rectifié  de  1848  : 

Les  recettes  de  1849,  comparées  à  celles  de  1848,  se 
trouvaient  diminuées,  d'une  part,  de  la  somme  importante 
de 437,718,732  fr. 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.        81 

provenant  de  la  suppression  de  la  contribution  extraordinaire 
des  45  centimes  additionnels  pour  191  millions  260,000  fr.,  de 
divers  produits  éventuels  pour  42  millions  480,000  fr.,  et  du 
retranchement  d'une  ressource  extraordinaire  de  232  millions 
60,000  fr.  procurée  par  l'emprunt  du  24  juillet  et  par  celui  qu'a- 
vaient souscrit  les  porteurs  d'actions  du  chemin  de  fer  de  Paris  à 
Lyon* 

D'une  antre  part,  les  recettes  s'étaient  augmentées  de  243  mil- 
lions 716,503  fr.,  résultant  d'un  produit  présumé  de  99  millions 
230,000  fr.  attendu  de  l'impôt  sur  les  revenus  mobiliers  et  des 
droits  additionnels  proposés  sur  les  donations  et  successions, 
d'une  amélioration  d'environ  83  millions  873,000  f.  sur  les  im- 
pôts et  revenus  indirects,  d'un  accroissement  de  35  millions 
44,000  fr.  sur  la  réserve  de  l'amortissement,  et  de  9  millions 
de  francs  sur  les  versements  de  la  Compagnie  du  chemin  de  fer 
du  Nord. 

La  diminution  des  recettes  de  1849  pouvait  donc  être  évaluée 
à  194,002,229  fr. 

Quant  aux  dépenses,  elles  étalent  d'une  part,  diminuées 
de  219,985,329  fr.,  laquelle  somme  représentait  toutes  les  ré- 
formes et  réductions  introduites  ou  projetées  dans  les  différents 
services  publics,  notamment  dans  les  ministères  îles  Travaux  pu- 
blics, de  la  Guerre  et  de  la  Marine. 

D'une  autre  part,  elles  étaient  augmentées,  par  suite  de  l'ac- 
croissement de  la  dette  publique,  d'une  somme  de  41,493,952  fr. 

Là  réduction  des  dépenses  était  ainsi,  en  résultat,  de  178 
millions  491,377  fr.,  et  le  découvert  du  budget  de  1849,  rap- 
proché de  celui  del848,  présentait  une  augmentation  finale  de 
15/510,852  fr. 

Le  budget  des  dépenses  présentait  des  réductions  notables 
dans  toutes  les  parties  des  services  publics,  à  l'exception  du  bud* 
get  de  l'instruction  publique  et  de  celui  des  cultes  qui  s'étaient 
accrus  de  près  de  3  millions,  et  de  la  dette  flottante  qui  avait 
augmenté  de  41  millions  493,952  fr.  les  charges  de  l'État, 

Le  budget  de  la  guerre  présentait  une  diminution  de  76  mil- 
lions 111,450  fr.  L'effectif  de  l'armée  qui,  au  1«  décembre  de 
l'année  précédente,  était  de  502,196  hommes  et  100,432  che- 


32  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

vaux,  se  trouverait  réduit  de  121,372  hommes  et  8,022  chevaux. 
Il  ne  serait  plus,  à  la  fin  de  cette  année,  que  de  580,824  hom- 
mes et  92,410  chevaux,  dont  78,000  hommes  et  15,490  chevaux 
seraient  employés  en  Algérie. 

Le  budget  de  la  marine  était  diminué  de  22  millions  73,029  fr. 
La  flotte  activé  se  composerait  de  10  vaisseaux,  dont  2  à  batteries 
flottantes;  de  8  frégates, 'de  18  corvettes,  de  24  bricks,  de  12 
transports  et  de  24  goélettes  et  cutters  montés  par  20,000  mate- 
lots environ.  11  y  aurait  en  outre  2  vaisseaux  et  5  frégates  en  dis- 
ponibilité de  rade  et  8  vaisseaux  et  10  frégates  en  commission  de 
port. 

Les  bâtiments  à  vapeur  appartenant  à  la  flotte  active  se  com- 
poseraient de  10  frégates,  12  corvettes  et  54  avisos.  Vingt  et  an 
bâtiments,  dont  9  frégates,  6  corvettes  et  6  avisos,  resteraient  en 
outre  en  commission  de  port. 

Il  y  avait  à  peine  trois  semaines  que  le  Cabinet  du  10  décem- 
bre était  en  possession  du  pouvoir,  et  déjà  ses  adversaires  dans 
la  Chambre,  le  sommaient  de  réduire  les  dépenses  et  d'apporter 
un  budget  en  équilibre*  Us  lui  demandaient  compte  .des  amélio- 
rations réalisées  dans  ce  court  espace  de  temps.  Cette  espèce  de 
conspiration  financière  se  manifesta  par  deux  propositions  dépo- 
sées le  22  janvier.  L'une,  signée  par  quatre-vingts  membres, 
avait  pour  but  de  renvoyer  l'examen  du  budget  à  une  commission 
de  trente  membres;  l'autre,  présentée  par  M.  Billault,  voulait 
que  l'Assemblée,  après  avoir  réglé  immédiatement  le  budget  des 
recettes  par  un  décret  spécial,  invitât  le  ministère  à  apporter  un 
budget  des  dépenses  mis  en  rapport  avec  le  chiffre  des  receltes, 
tel  qu'il  aurait  été  arrêté. 

La  première  de  ces  propositions  présentait,  à  ce  qu'il  parut 
plus  tard,  une  rédaction  plus  étrange.  Il  y  était  dit  que  la  com- 
mission serait  chargée,  non  pas  d'examiner,  mais  d'établir  le 
budget.  Or,  M.  le  président  de  l'Assemblée  prit  sur  lui  de  rem- 
placer le  dernier  de  ces  mots  par  le  premier,  et  c'est  dans  ces 
termes  que  la  question  fut  votée,  sur  la  déclaration  de  M.  le 
ministre  des  Finances  qu'il  n'y  avait  là  qu'une  question  de 
forme  intéressant  seulement  l'Assemblée  et  non  le  Cabinet.  C'é- 
tait, en  effet,  l'annulation  du  comité  des  Finances.  Maisqu'im- 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.  33 

portait  au  ministère?  Toutefois,  après  le  vote,  MM.  Deslongrais  et 
Larochejaquelein,  ayant  demandé  qu'on  s'entendît  bien  sur  les 
termes,  M.  Gent,  l'un  des  quatre-vingts  signataires,  dît  que  le 
mot  établir  avait  été  employé  à  dessein  dans  renoncé  de  la  pro- 
position. Le  mot  examiner,  ayant  seul  été  mis  aux  voix,  le  vote 
devait  être  considéré  comme  nul. 

Quant  à  la  proposition  de  M.  Billault,  M.  le  ministre  des  Fi- 
nances  déclara  que,  lorsqu'elle  viendrait  à  discussion,  il  aurait  de 
graves  objections  à  faire  valoir  contre  elle  ;  mais  il  ne  s'agissait 
aujoijrd'hiii  que  de  la  question  d'urgence,  et,  comme  le  Cabinet 
était  au  moins  aussi  intéressé  que  l'Assemblée  à  ce  qu'aucun  re- 
tard ne  fût  apporté  à  l'examen  du  budget  de  1849,  M.  Passy  ap- 
puya la  demande.  L'Assemblée  vota  donc  l'urgence,  et  une  com- 
mission dut  être  nommée. 

Toutefois,  à  y  regarder  de  plus  près,  la  proposition  collective 
qui  détruisait  le  comité  des  Finances,  donnait  une  singulière 
portée  à  la  proposition  de  M.  Billault.  Il  semblait  que  Tune  fût  le 
corollaire  de  l'autre,  et  que  toutes  deux  constituassent  une  seule 
et  unique  machine  de  guerre. 

Le  budget  de  4849  avait  été  présenté,  dans  le  courant  de  dé- 
cembre, par  M»  Trouvé-Chauvel  ;  l'Assemblée  en  avait  renvoyé 
l'examen  au  comité  des  finances,  qui  avait  commencé  ce  vaste  tra- 
vail à  l'aide  des  lumières  acquises  par  quatre  mois  d'études  sur 
le  budget  de  1848.  M.  Billault  et  ses  auxiliaires  voulaient  aujour- 
d'hui remplacer  à  la  fois  le  ministre  des  Finances  et  le  comité  par 
une  commission  extraordinaire  qui  établirait  un  nouveau  budget, 
6ans  s'arrêter  à  l'examen  de  l'ancien,  et  qui  présenterait  à  la  fois 
à  la  Chambre  et  le  projet  et  le  rapport.  La  commission  commen- 
cerait par  un  budget  des  recettes  très-réduit;  puis,  s'arrétant  au 
milieu  de  son  œuvre,  elle  laisserait  au  Gouvernement  la  tâche 
impossible  d'une  immédiate  réduction  des  dépenses  nécessaires 
aux  divers  services.  Telle  était  la  combinaison  inventée.  Le 
comité,  expression  de  la  majorité,  repoussait  la  proposition 
par  les  raisons  suivantes.  Premièrement,  pensait-il,  on  voulait 
recueillir  une  grande  popularité  des  réductions  ou  suppres- 
sions d'impôt  dont  on  se  proposait  de  prendre  l'initiative.  En 
second  lieu>  on  mettrait  le  Gouvernement  dans  la  fâcheuse  alter- 

S 


34  HISTOIRE  DE  FRANCE,  (t84fc) 

native  ou  de  combattre  énergiquement  ces  ruineuses  réformes,  ou 
de  désorganiser  les  services  et  de  se  heurter  contre  d'insurmon* 
tables  difficultés  par  des  réductions  de  dépenses  irréalisables* 
Enfin,  on  prolongerait  d'autant  l'existence  de  l'Assemblée.  Si  on 
ne  pouvait  dire  que  ce  plan  fût  loyal,  au  moins  était-il  habile. 
Mais  déjà,  peut-être,  le  pays  commençait  à  s'éclairer  sur  la  mora- 
lité de  ces  calculs. 

Et  d'ailleurs,  qui  attaquait-on  aujourd'hui  ?  Le  budget  ou  le 
ministère  ?  Le  budget  !  Mais  n'était-il  paa  l'œuvre  du  Cabinet  pré- 
cédent, dont  M.  Trouvé-Chauvel  était  ministre  des  Finances.  Ce 
qui  avait  paru  irréprochable,  proposé  par  l'administration  des 
républicains  de  la  veille,  devenait  inacceptable  depuis  que  l'ad- 
ministration nouvelle  en  avait  reçu  l'héritage.  Et  encore,  à  qui 
convenait-il  aujourd'hui  de  déclamer  contre  les  lourds  budgets? 
Les  charges  qui  pesaient  sur  la  France  n'étaient-eUes  pas  le  fruit 
de  dix  mois  de  désordres.  Diminuer  indéfiniment  les  recettes, 
accroître  démesurément  les  dépenses,  tel  avait  été  le  système 
financier  de  ces  mêmes  politiques  qui  parlaient  aujourd'hui  d'é- 
quilibre financier. 

Comment  se  faisait-il  qu'on  persistât  à  indiquer  comme  faciles 
des  économies  assez  larges  pour  équilibrer  le  budget,  tandis 
qu'on  ne  pouvait  en  formuler  aucune.  Pressait-on  les  réforma* 
teurs  de  sortir  du  vague,  et  de  préciser  quelque  réforme  pratique, 
il  devenait  impossible  d'en  tirer  une  réponse.  On  les  voyait  alors 
se  rejeter  sur  ces  expédient  si  chers  aux  utopistes,  la  réduction, 
par  exemple,  ou  même  la  suppression  de  l'effectif  militaire.  On 
citait,  à  ce  sujet,  ce  qui  se  passait  de  l'autre  côté  de  la  Manche* 
On  parlait  avec  éloge  de  31.  Cobden  et  de  ses  utopies  préchées 
dans  les  meetings.  M.  Cobden,  disait-on,  n'hésitait  pas  à  deman- 
der que  les  dépenses  militaires  et  navales  de  l'Angleterre  fussent 
ramenées  à  ce  qu'elles  étaient  en  1835,  ce  qui  procurerait  une 
économie  annuelle  de  250  millions.  On  se  gardait  bien  d'ajouter 
qu'au  moment  même  où  M.  Cobden  prêchait  ces  séduisantes  ré- 
formes, l'Angleterre  augmentait  ses  dépenses  navales.  Telles  fu- 
rent les  objections  présentées  contre  la  proposition  de  M.  BtUault 

Cependant  il  fallait  revenir  sur  le  vote  annulé  par  suite  de  la 
confusion  des  deux  mots  examiner  et  étabUn  M.  Gent,  an  nom 


LA  POLITIQUE  DANS  LES  FINANCES.        35 

de  ro  collègues,  vint,  le  14.  janvier,  déclarer  que  la  proposition. 
des  quatre-vingts  membres  n'avait  d'autre  but  que  de  faire  nom- 
mer une  commission  chargée  d'examiner  le  budget  de  1849. 
Réduit  à  ces  termes,  le  vote  de  la  veille  ne  portait  plus  que  sur  le 
comité  des  finances  ;  la  prérogative  du  Pouvoir  exécutif  demeu- 
rait intacte. 

Le  rapport  sur  la  proposition  de  M.  Billault  avait  à  décider  sur 
ia  question  d'urgence.  L'organe  de  la  commission»  M.  Dezeimeris, 
oubliant,  sans  doute,  k  question  à  résetdrc,  ceaeluL  à  l'adoption 
de  la  proposition.  C'était  démasquer  trop  clairement  le  but  de  la 
proposition,  et  montrer,  par  cette  précipitation  malheureuse, 
qa'vn  ne  pensait,  au  fond,  qu'à  renverser  un  ministère*  A  cet 
excès  de  sèle  de  la  commission  s'ajoutait  une  autre  imprudence, 
i  savoir,  une  accusation  éloquente  contre  les  dilapidations  du 
budget  monarchique.  Était-ce  bien  à  ceux-là  même  dont  l'admi- 
listration  avait  surchargé  d'un  déficit  immense  la  fortune  publi- 
que, de  calomnier  les  prospérités  de  temps  meilleurs?  L'Asêem- 
blée  vota  seulement  l'urgence,  et  cela  sur  la  demande  même  de 
M.  le  ministre  des  Finances.  Quant  au  fond,  la  proposition,  con- 
formément au  règlement^  fut  renvoyée  dans  les  bureaux  pour  un 
nouveau  rapport. 

C'çsl  là  qu'en  était  arrivé  le  conflit  dans  la  Chambre,  quand 
des  événements  d'une  gravité  singulière  en  amenèrent  la  se- 
lation. 


36  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 


CHAPITRE  III. 


TRAVAUX  StMICX.   ADMIHIBTEATION. 


Lots  AMHfUSTaÀTiVBS.  —  Loi  relative  au  travail  dans  les  prisons.  —  Sup- 
pression imprudente.  —  Les  droits  du  traçai)  libre.  —  Rapport  de  M.  Roaber. 
—  Système  da  Gouvernement  et  de  la  commission,  intervention  dn  ministère 
de  la  Guerre,  MM.  Ba/aguay-d'Hilliers  et  de  Lamoriàère,  adoption  da  projet, 
ses  imperfections.  -  Question  des  coalitions,  proposition  de  M.  Morin,  ten- 
tative de  conciliation  entre  les  patrons  et  les  ouvriers,  avortement  de  la 
proposition.'  —  L'enseignement  public  et  M.  Csrnot,  nouveau  plan  d'insti- 
tutions primaires,  commissions  uoinmées  par  M.  de  Falloux,  conflit  élevé  par 
MM.  Repellinet  Bartfaélemy-Saint-Hilaire,  M.  Dupont  (de  Bossac),  décret 
sur  les  lois  organiques,  ordre  du  jour  motivé,  I* Assemblée  refuse  d'infliger 
un  blâme  au  ministère.  Organisation  de  l'assistance  dans  la  ville  de  Paris, 
adoption  du  projet  du  Gouvernement. —  Modification  de  l'art.  1781  du  Code 
civil.  —  Mariage  civil,  publicité  du  contrat.  —  Projet  de  loi  sur  les  chambres 
consultatives  d'agriculture,  M.  Tourret.  —  Retrait  du  projet  de  loi  sur  l'école 
d'administration,  projet  nouveau,  l'ancien  projet  repris  par  M.  Bourbeau. 


L'Assemblée  s'occupa,  dans  les  premiers  jours  de  l'année, 
d'une  loL  relative  au  travail  dans  les  prisons,  si  imprudemment 
aboli  par  le  Gouvernement  provisoire.  L'immoralité  engendrée 
par  le  désœuvrement  ne  permettait  pas  de  laisser  subsister  plus 
longtemps  le  décret  dicté  par  le  Luxembourg.  La  disposition  es- 
sentielle de  la  loi  nouvelle  portait  que  les  produits  fabriqués  par 
les  détenus  des  maisons  centrales,  de  force  et  de  correction,  ne 
pourraient  pas  être  livrés  sur  le  marché  en  concurrence  avec  coup 
du  travail  libre.  La  conséquence  de  cette  innovation  serait  d'ap- 
pliquer désormais  les  détenus  à  la  confection  des  effets  d'habille- 
ment et  de  chaussure  à  leur  propre  usage,  à  celle  des  effets  de 
même  nature  destinés  à  la  troupe,  aui  hospices  et  aux  bureaux 


TRAVAUX  SÉRIEUX.  ADMINISTRATION.        37 

de  bienfaisance.  Les  produits  du  travail  des  prisonniers  seraient, 
autant  que  possible,  consommés  par  l'État.  Mais  l'application  de 
cette  nouvelle  législation  serait  graduelle  et  subordonnée  à  l'expi- 
ration des  contrats  qui,  pour  quelques  années  encore,  liaient 
l'administration  envers  un  certain  nombre  d'entrepreneurs. 

Tel  était  le  projet  sur  lequel  s'ouvrit,  le  4  janvier,  la  discussion 
générale.  Les  différents  points  de  vue  de  la  question  furent  ex- 
posés avec  une  remarquable  lucidité  par  le  rapporteur  de  la  com- 
mission, M.  Rouher. 

L'organisation  du  travail  dans  les  prisons  excitait,  depuis  long- 
temps, de  vives  réclamations  de  la  part  de  l'industrie  libre,  lors- 
q n'éclata  la  Révolution  de  Février  ;  le  Gouvernement  provisoire, 
voulant  venir  en  aide  aux  ateliers  qui  se  fermaient  de  tous  côtés, 
suspendit,  par  un  décret  du  24  mars  1848,  le  travail  des  détenus; 
le  ±8  août,  le  Gouvernement  proposa  un  décret  qui  tendait  à  ré- 
tablir le  travail,  en  laissant  aux  préfets  le  soin  de  déterminer  la 
nature  et  les  tarifs  des  fabrications  qui  pourraient  être  exécutées 
dans  les  prisons,  et  en  leur  donnant,  en  outre,  la  (acuité  d'inter- 
dire la  mise  en  vente,  dans  certaines  villes,  des  objets  manufac- 
turés. 

La  commission  à  laquelle  ce  projet  fut  renvoyé,  tout  en  recon- 
naissant la  nécessité  de  rétablir  le  travail  dans  les  prisons,  soit 
comme  moyen  de  discipline  et  de  moralisation,  soit  comme  moyen 
d'alléger  les  charges  de  l'État,  fut  cependant  d'avis  de  repousser 
l'expédient  proposé  par  le  Gouvernement,  parce  qu'il  lui  sem- 
blait impropre  à  combattre  le  mal  auquel  on  voulait  remédier  ; 
on  ne  ferait,  suivant  elle,  que  déplacer  la  difficulté  :  car  rentre- 
preneur,  ne  pouvant  exercer  une  industrie  acclimatée  dans  le 
pays,  organiserait  une  concurrence  à  celle  d'un  département 
plus  éloigné,  et,  en  réalité,  plus  digne  de  protection,  puisque  ce 
département  ne  profiterait  pas  des  débouchés  que  procure  le  voi- 
sinage d'une  maison  centrale. 

Mais  la  commission  ne  se  borna  pas  à  rejeter  la  solution  qui 
était  proposée;  elle  en  formula  une  autre  qui  lut  parut  de  nature 
i  concilier  des  élémebts  en  apparence  inconciliables  ;  le  moyen 
proposé  consistait  à  faire  consommer  par  l'État,  et  principalement 
par  les  armées  de  terre  et  de  mer,  les  produits  fabriqués  dans  les 


38  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

maisons  de  force  et  de  correction.  Sans  doute,  par  cette  combi- 
naison, la  lutte  cesserait  entre  le  travail  libre  et  le  travail  des  pri- 
sons, le  produit  confectionné  par  le  détenu  ne  pouvant  plus  être 
mis  en  vente  à  côté  d'un  article  similaire  confectionné  par  l'ou- 
vrier libre  et  venir  en  déprécier  la  valeur. 

La  point  important  était  de  savoir  si  ce  nouveau  système  pou- 
vait ^harmoniser  avec  notre  organisation  administrative.  La 
commission  s'entendit,  à  ce  sujet,  avec  les  ministres  de  la  Guerre 
et  de  la  Marine,  et  elle  se  convainquit  de  la  possibilité  de  réser- 
ver aux  condamnés  la  confection  des  vêtements  et  des  chaussures 
destinés  aux  armées.  Ce  système  présenterait,  en  outre,  l'avan- 
tage de  supprimer  les  compagnies  hors-rang,  chargées,  jus- 
qu'alors, de  confectionner  ces  différents  objets,  ce  qui  permet- 
trait, en  rendant  au  service  les  soldats  qui  les  composent,  de 
diminuer  l'effectif,  et,  pat  suite,  le  budget  militaire* 

Après  la  lecture  du  consciencieux  rapport  de  M.  Routier,  la  dis- 
cussion s'engagea  (5  janvier)  entre  M.  le  ministre  de  la  Guerre  et 
M.  la  général  Baraguay-d'Hilliers,  qui  soutint  la  nécessité  des 
compagnies  hors-rrfng  pour  la  confection  de  beaucoup  d'ob- 
jeU  autres  que  des  vêtements.  La  solution  proposée  par  la 
commission  présentait  donc  quelques  difficultés,  et  H.  de  Lamo- 
ricière  ne  parvint  pas  à  les  résoudre.  Aussi,  M,  le  ministre  de 
l'Intérieur,  tout  en  déclarant  que  la  pensée  de  faire  consommer 
par  l'État  les  produits  du  travail  des  détenus,  était  susceptible 
d'être  appliquée  dans  certaines  limites,  s'éleva  contre  ce  que  le 
projet  de  la  commission  présentait  d'impératif. 

En  résumé,  deux  systèmes  se  trouvaient  en  présence. 

Le  premier,  proposé  par  le  Gouvernement,  tendait  à  mettre 
entra  les. mains  des  préfets  des  pouvoirs  suffisants  pour  empêcher 
les  conflits  entre  le  travail  des  détenus  et  le  travail  libre.  Ainsi, 
on  ne  permettrait  pas,  dans  les  villes  où  il  existe  une  industrie 
qui  fait  vivre  une  partie  de  la  population,  d'introduire  cette  in- 
dustrie dans  la  maison  centrale.  On  fixerait  le  salaire  des  détenus 
de  telle  façon  qu'il  ne  fût  pas  assez  abaissé  pour  faire  une  concur- 
rence dangereuse  au  salaire  des  ouvriers  libres  ;  enfin,  on  interdi- 
rait la  vente ,  dans  certaines  villes ,  des  produits  qui  pourraient 
se  présenter  en  rivalité  avec  les  produits  de  l'industrie  locale, 


TRAVAUX  SÉRIEUX.  ADMINISTRATION.       39 

Le  second  système,  proposé  par  la  commission,  était  plus  ra- 
dical :  il  consistait  à  taire  consommer  par  l'État  les  produits  fa- 
briqués par  les  détenus  dans  les  maisons  centrales,  de  force  et  de 
correction  ;  de  telle  sorte  que  ces  produits  ne  pussent  plus  venir 
faire  concurrence  aux  produits  de  l'industrie  libre  sur  nos  mar- 
chés. 

Voici  maintenant  les  objections  que  soulevait  chacun  de  ces 
systèmes. 

Au  système  du  Gouvernement,  la  commission  reprochait  de 
déplacer  le  mal  au  lieu  d'y  remédier.  L'économie  du  projet  con- 
sistait surtout  à  pouvoir  interdire  la  vente  des  objets  confection- 
nés par  les  détenus,  dans  les  localités  mêmes,  après  avoir  consulté 
les  représentants  des  industries  locales.  On  dirait  à  l'entrepre- 
neur :  Ce  que  vous  fabriquerez  dans  la  maison  centrale,  vous  ne 
pourrez  le  vendre  qu'à  vingt  ou  trente  lieues.  Qu'en  résulte- 
rait-il? Que  l'entrepreneur  serait  grevé  de  frais  de  transport,  qui 
retomberaient  sur  nos  finances,  puisqu'il  devrait  les  faire  entrer 
dans  ses  calculs;  mais  qu'en  réalité  l'industrie  libre  n'y  gagnerait 
rien.  Ainsi,  par  exemple,  on  fabrique  de  I'ébénisterie  dans  la 
maison  de  Poissy;  les  articles  qui  en  sortent  sont  vendus  sur  le 
marché  delà  capitale  ;  que  Ton  consultât  les  industriels  de  Poissy, 
ils  ne  réclameraient  en  aucune  façon  contre  une  fabrication  qui 
ne  lèse  en  aucune  manière  leurs  intérêts,  et,  cependant,  l'indus- 
trie parisienne  continuerait  à  souffrir  de  cette  concurrence. 

An  système  de  la  commission,  le  Gouvernement  reprochait  de 
manquer  d'élasticité,  et  d'être  trop  impératif;  de  placer  l'admi- 
nistration dans  la  nécessité  de  suspendre  le  travail,  si  la  fabrica- 
tion des  objets,  que  l'on  peut  utilement  confectionner  dans  les 
maisons  centrales  pour  le  compte  de  l'État,  n'était  pas  reconnue 
suffisante  pour  occuper  partout  les  détenus  ;' enfin,  de  mettre  ob- 
stacle à  certaines  améliorations  qui  peuvent  être  tentées,  telles 
que  l'application  des  prisonniers  aux  travaux  agricoles,  qui  avait 
été  indiquée  plusieurs  fois,  et  qui  était  essayée,  en  ce  moment, 
à  la  maison  centrale  de  Fontevrault. 

Le  système  du  Gouvernement  fut  défendu  par  M.  Grellet;  celui 
de  la.  commission  fut  soutenu  avec  talent  par  M.  Rouher.  Un 
nouveau  système  proposé  par  M.  Charamaule,  et  consistant  à  faire 


40  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

porter  le  travail  des  détenus  sur  des  produits  destiné?  à  l'exporta- 
tion ou  non  encore  obtenus  en  France,  fut  rejeté  sur  l'observation 
faite  par  M.  Rouher  que  ce  système  n'irait  qu'à  déplacer  la  con- 
currence faite  à  l'industrie  libre  en  la  dirigeant  contre  les  fabri- 
ques qui  alimentent  l'exportation. 

Enfin,  le  système  de  la  commission  triompha;  il  fut  décidé 
que  les  produits  confectionnés  par  les  détenus  ne  pourraient  plus 
être  apportés  sur  le  marché  en  concurrence  avec  les  produits  de 
l'industrie  libre.  Toutefois,  l'Assemblée,  corrigeant  ce  que  ce  sys- 
tème avait  de  trop  exclusif,  ne  voulut  pas  statuer  que  les  produits 
du  travail  des  détenus  seraient  uniquement  consommés  par  l'État. 
Cette  règle,  d'après  les  amendements  adoptés  sur  la  proposition 
de  MM.  Deslongrais  et  Stourm,  devrait  être  suivie  autant  que 
possible  et  conformément  à  des  règlements  d'administration  publi- 
que; cet  expédient  mettait  sans  doute  l'administration  à  son  aise  : 
mais  comment  en  irait-il  dans  les  maisons  centrales?  Que  de- 
viendraient les  produits  de  la  prison,  entre  l'article  2,  portant 
qu'ils  ne  pourraient  jamais  être  conduits  sur  le  marché,  et  la 
restriction  improvisée  de  l'article  3,  qui  donnait  à  l'administration 
la  faculté  de  les  repousser?  Comment  ferait  le  règlement  d'ad- 
ministration publique,  d'ailleurs  ingénieusement  inventé'  par 
M.  Stourm,  pour  lever  la  contradiction  flagrante  qui  existait  entre 
les  deux  articles  de  la  loi? 

Les  autres  dispositions  du  projet  n'avaient  qu'un  intérêt  régle- 
mentaire. Elles  furent  successivement  adoptées  sans  contestation 
sérieuse. 

Malgré  les  imperfections  dé  la  loi,  adoptée,  enfin,  dans  son  en- 
semble, le  9  janvier,  ce  qu'on  pouvait  trouver  de  mieux  à  dire 
en  faveur  du  système  consacré,  c'est  qu'il  n'était  pas  une  théorie 
pure.  U  était  déjà,  en  effet,  appliqué  en  Hollande,  en  Belgique  et 
en  Bavière.  U  était  également  adopté  dans  certains  établissements 
charitables  de  l'Italie,  notamment  à  Gênes. 

L'Assemblée  nationale  aborda,  le  3  janvier,  mais  sans  la  ré- 
soudre, la  question  des  coalitions,  depuis  longtemps  soumise  à  ses 
délibérations  par  l'initiative  de  M.  Morin,  représentant  de  la 
Drorae.  M.  Morin,  qui  s'est  fait  connaître  dans  le  monde  savant 
par  un  remarquable  volume  sur  les  questions  du  travail,  avait 


TRAVAUX  SÉRIEUX.  ADMINISTRATION.       41 

pensé  que  la  justice  républicaine  devait  traiter  les  ouvriers  de  la 
même  manière  que  les  patrons,  et  il  avait  proposé  l'abrogation 
des  articles  414  et  415  du  Gode  pénal,  qui  ne  sont  ni  conformes 
à  F  égalité,  ni  efficaces  dans  la  pratique  ;  et  qui  sont  dans  nos  lois 
comme  une  provocation  permanente  à  la  haine  des  ouvriers  en- 
vers les  chefs  d'entreprise  et  aux  coalitions  soutenues  par  |a  vio- 
lence. 

Deux  comités  s'étaient  occupés  de  la  proposition  de  M.  Morin. 
Le  comité  du  travail  avait  voulu  maintenir  le  délit  de  coalition  ; 
seulement  il  avait  cherché  à  traiter  également  les  ouvriers  et  les 
maîtresse  coalisant,  comme  dit  Fart.  41 4,  pour  influer  injuste- 
ment^ et  abusivement  sur  le  taux  des  salaires. 

L'Assemblée  ayant  compris  que  les  tribunaux,  pour  appliquer 
une  pareille  loi,  seraient  obligés  de  décider  que  tel  ou  tel  salaire 
est  plus  juste  et  moins  abusif  que  tel  ou  tel  autre,  renvoya  le  pro- 
jet au  comité  de  législation. 

Celui-ci,  après  avoir  bien  cherché,  ne  vit  de  solution  que  dans 
la  liberté,  et  ne  modifia  la  proposition  de  M.  Morin,  que  pour  as- 
similer aux  cas  de  violence,  menaces,  ou  intimidation,  seuls  pu- 
nissables, le  fait  de  la  part  des  patrons,  d'avoir  renvoyé  les 
ouvriers,  et,  de  la  part  des  ouvriers,  d'avoir  abandonné  les  ate- 
liers, sans  observer  respectivement  les  délais  d'avertissement  et 
de  congé  qui  sont  établis,  soit  par  la  convention  des  parties,  soit 
par  les  règlements  et  usages.  Cet  essai  de  conciliation,  tenté  par 
le  comité  de  législation,  donnait,  dans  sa  pensée,  des  garanties 
i  la  sécurité  de  l'industrie  sans  constituer  les  magistrats  arbitres 
du  taux  des  salaires. 

Hais  le  comité  de  législation  effaçait  de  notre  législation  le  dé* 
lit  de  coalition,  en  sorte  que  toute  coalition  devenait  immédiate- 
ment licite.  M.  Léon  Faucher  n'eut  point  de  peine  à  montrer  tout 
le  danger  de  cette  innovation  ;  il  fut  soutenu  énergiquement  par 
MM.  Baroche  et  Rouher. 

M.  Corbon  insista  pour  défendre  la  proposition  du  comité  de 
législation.  M.  le  ministre  de  l'Intérieur  remonta  à  la  tribune,  et 
dans  une  rapide  argumentation,  il  établit  qu'il  y  avait  contradic- 
tion complète  entre  les  conclusions  du  comité  de  législation  et 
celles  do  comité  des  travailleurs  ;  que  l'Assemblée  était  en  réalité 


40 


HISTOIRE  MB  FRA?  -  gA.0) 


porterie  travail  des  détenus  sur  d'  ,  et ]  M^ 

tion  ou  non  encore  obtenus  en  F  tfMh\  A    *• 

faite  par  M.  Rooher  que  ce  sy?     ^  t,  qui  r  ° 

currence  faite  à  l'industrie  \Y  .      A  .  j^r 

ques  qui  alimentent  l'expor     y 

Enfin,  le  système  de  i     v  *      *"  y^kp 

que  les  produits  confect:    f,  »t  '  e*« 

être  apportés  sur  lem     'i 

l'industrie  libre.  Ton       "  ?»  1  A88emblé*  HafiûllAl 

terne  avait  de  trop       "  h.  ^<*;  ■*  ce  projeta 

du  travail  des  dét<  ^tl0*8-  «  <W»  â  htoij* 

Cette  règle,  d'à  ^  de  Vue  &n™ie*>  0  iêtmJt? 

de  MM.  Deslc  udu  Tré80r  '  »***  de  **  des  prin!!* 

possible  et  ce  *  arbitrairement  l'État  au  père  de  famille   f , 

que  ;  cet  ex        '  Purement  administrative  à  l'autorité  de  la  com 
mais  coït    A  *  de  Fa,loDX  crut-n  de¥oir  char^r  trois  commît 
viendra  #?«**  des  ,ois  re,atives  à  différentes  branches  de  l'en 
qu'ils  M#^  *»  méme  ^P8' le  mini8lre  retira  la  loi  présenté. 
rest^^0l(4Janvier)- 
la      &  cette  déclaration,  M.  Barthélémy-  SainNHilaire,  président 

r    Wi*/>P*rteur  de,,a  commi88ÎOD  chargée  d'examiner  le  projet  de 
jpttt  relatif  à  renseignement  primaire,  exprima  le  regret  qu'un 
ir^rail  de  quatre  mois,  accompli  par  la  commission  parlement 
tt;re  dont  il  était  membre,  se  trouvât  perdu  par  suite  du  retrait 
je  la  loi.  Et  pourtant,  ajoutait  M.  BarthéJemy-Saint-Hilaire  le 
projet  amendé  ne  laissait  rien  survivre  du  projet  primitif.  Mde 
Falloux  chercha  à  rassurer  l'orateur  en  répondant  que  le  travail 
de  la  commission  resterait  comme  document  précieux,  et  peut- 
être  comme  guide.  ' 

Mais  ici  s'éleva  un  conflit.  M.  Repellin,  s'appuyant  sur  le  dé- 
cret relatif  aux  lois  organiques,  lequel  comprenait  la  loi  sur  l'en- 
seignement,  conteste  au  Gouvernement  le  droit,  sinon  de  retirer 
la  loi  dont  l'Assemblée  était  saisie,  au  moins  de  nommer  des 
commissions  administratives  chargées  d'étudier  cette  matière.  Se- 
lon lui,  et  selon  M.  Dupont  (de  Bussac),  qui  vint  développer  k 
même  thèse,  le  décret  sur  les  lois  organiques  avait  fait  de  la  loi 
sur  l'enseignement  le  monopole  de  l'Assemblée,  Aussi,  M.  Re- 
pellin proposait-il,  pour  donner  une  leçon  au  ministère' de  voter 


\ 


TRAVAUX  8  DMIMS1KA1Î0N.       45 

•nise  à  l'ordre  du  *  uiance,  comme  le  propo- 

n  chargée  dr  je  d'un  conseil  d'admi- 

*  i.  L'ancien  et  le  nou- 
Bar  ^    J  ,  M.  Léon  Faucher, 

^  f  «  Boulatignier  pré- 

«  Assembla,  '  «  étions.  Ils  insig- 

.,  de  justice  et  de  conu.  *  ;  ms  les  incon- 

nu se  reproduire,  lorsqu'il  y  aura».  •  'nant  encore 

réviser  la  Constitution.  Mais  la  Constu*.  habilité  an 

prévu  cette  anomalie  inévitable,  et  elle  avait  eu  <mt  gain 

drir,  en  lui  assignant  des  limites  de  temps  très-étrc.  *é  :  la 
Ion  Barrot  demandait  par  là  à  la  Chambre  de  s'inspu  'elle 
propre  sagesse,  en  limitant  sa  propre  durée.  ^ts 

M.  de  Falloux  vint  prouver 'à  son  tour,  qu'en  exerçants*  ^ 
rogative,  il  n'avait  en  rien  empiété  sur  celle  du  parlement.  ^ 
d'abord,  l'Assemblée  voulait-elle  sérieusement,  irrévocablement 
faire  toutes  les  lois  organiques  portées  dans  le  décret?  Sur  la  seule 
expression  de  ce  doute,  une  effroyable  tempête  éclata  dans  l'As- 
semblée. On  demanda  le  rappel  à  l'ordre  du  ministre.  Lorsque 
le  silence  fut  enfin  rétabli  :  «  Ce  n'est  pas  moi  qu'il  faut  rappe- 
ler à  Tordre,  dit  spirituellement  M.  de  Falloux,  c'est  le  re- 
présentant qui  a  déposé  une  proposition  tendante  à  réduire  à 
cinq  les  lois  organiques  à  voter  par  l'Assemblée.  Celui-là  expri- 
mait plus  qu'un  doute  sur  l'exécution  irrévocable  du  décret  (1).  » 
M.  Dupont  (de  Bussac)  présenta  vainement  un  ordre  du  jour 
motivé  formulant  un  blâme  implicite  contre  le  ministère.  La 
Chambre  repoussa  le  blâme  par  442  voix  contre  50$.  Alors 
M.  Pascal  Duprat,  tout  en  protestant  avec  chaleur  de  son  dévoue- 
ment pour  le  président  de  la  République,  proposa  de  mettre 
à  Tordre  du  jour  suivant,  la  nomination  d'une  commission  pour 
la  loi  organique  de  l'enseignement.  L'Assemblée  ayant  reconnu 
par  Tordre  du  jour  pur  et  simple  le  droit  du  Gouvernement,  le 
Gouvernement  n'avait  plus  à  s'opposer  à  ce  que  TAssemblée 
exerçât  de  son  côté  sa  prérogative  (4  janvier). 
Le  10  janvier,  TAssemblée  eut  à  délibérer  sur  un  projet  de  loi 

(1)  Voye*  le  chapitre  V. 


42  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

placée  non  pas  en  face  d'un  projet  de  loi,  mais  en  présence  de 
deux  propositions  diamétralement  contraires.  Il  conclut  à  ce  que 
la  proposition  fût  renvoyée  à  l'examen  des  bureaux,  qui  nomme- 
raient une  commission  spéciale  chargée  défaire  un  rapport  et  de 
-  formuler  un  projet  de  loi. 

L'Assemblée  donna  gain  de  cause  à  M.  Léon  Faucher  en  votant 
le  renvoi  aux  bureaux. 

M.  Carnot  avait  saisi,  le  50  juin  1848,  l'Assemblée  nationale 
d'un  nouveau  plan  d'institutions  primaires  ;  mais  ce  projet  de 
loi  avait  soulevé  les  plus  graves  objections.  II  était  à  là  fois  trop 
vaste  et  trop  restreint  ;  au  point  de  vue  financier,  il  dépassait  de 
beaucoup  les  ressources  du  Trésor  ;  au  point  de  vue  des  principes 
sociaux,  il  substituait  arbitrairement  l'État  au  père  de  famille,  et 
la  centralisation  purement  administrative  &  l'autorité  de  la  com- 
mune. Aussi,  M.  de  Fallonx  crut-il  devoir  charger  trois  commis- 
sions de  préparer  des  lois  relatives  à  différentes  branches  de  l'en- 
seignement. Ep  même  temps,  le  ministre  retira  la  loi  présentée 
par  M.  Carnot  (4  janvier). 

Sur  cette  déclaration,  M.  Barthélémy- Saint-Hilaire,  président 
et  rapporteur  de  la  commission  chargée  d'examiner  le  projet  de 
décret  relatif  à  l'enseignemenc  primaire,  exprima  le  regret  qu'un 
travail  de  quatre  mois,  accompli  par  la  commission  parlemen- 
taire dont  il  était  membre,  se  trouvât  perdu  par  suite  du  retrait 
de  la  loi.  Et  pourtant,  ajoutait  M.  Barthéiemy-Saint-Hilaire,  le 
projet  amendé  ne  laissait  rien  survivre  du  projet  primitif.  H.  de 
Falloux  chercha  à  rassurer  l'orateur  en  répondant  que  le  travail 
de  la  commission  resterait  comme  document  précieux,  et  peut- 
être  comme  guide. 

Mais  ici  s'éleva  un  conflit.  H.  Repellin,  s'appuyant  sur  le  dé- 
cret relatif  aux  lois  organiques,  lequel  comprenait  la  loi  sur  ren- 
seignement, contesta  au  Gouvernement  le  droit,  sinon  de  retiter 
la  loi  dont  l'Assemblée  était  saisie,  au  moins  de  nommer  des 
commissions  administratives  chargées  d'étudier  cette  matière.  Se- 
lon lui,  et  selon  M.  Dupont  (de  Bussac),  qui  vint  développer  la 
même  thèse,  le  décret  sur  les  lois  organiques  avait  fait  de  la  loi 
sur  l'enseignement  le  monopole  de  l'Assemblée.  Aussi,  H.  Re- 
pellin proposait-il,  pour  donner  une  leçon  au  ministère,  de  voter 


TRAVAUX  SERIEUX.  ADMINISTRATION.       4'i 

la  mise  à  l'ordre  du  jour  suivant  de  la  nomination  d'une  com- 
mission chargée  de  préparer  la  loi  organique  sur  l'enseigne* 
ment. 

M.  Odilon  Barrot  exposa,  en  réponse  à  cette  déclaration  de 
guerre,  les  difficultés  de  la  situation  exceptionnelle  du  Pouvoir 
yis~à-yi8  de  l'Assemblée,  et  fit  appel,  pour  les  appléntr,  aux  sen- 
timents de  justice  et  de  concorde.  Une  situation  analogue  pour- 
rait se  reproduire,  lorsqu'il  y  aurait  des  assemblées  chargées  de 
réviser  la  Constitution.  Mais  la .  Constitution  elle-même  avait 
prévu  cette  anomalie  inévitable;  et  elle  avait  cherché  à  l'amoin- 
drir, en  lui  assignant  des  limites  de  temps  très-étroites.  M.  Odi- 
lon Barrot  demandait  par  là  à  la  Chambre  de  s'inspirer  de  sa 
propre  sagesse,  en  limitant  sa  propre  durée. 

M.  de  Palloux  vint  prouvera  son  tour,  qu'en  exerçant  sa  pré- 
rogative, il  n'avait  en  rien  empiété  sur  celle  du  parlement.  Et 
d'abord,  l'Assemblée  voulait-elle  sérieusement,  irrévocablement 
faire  toutes  les  lois  organiques  portées  dans  le  décret?  Sur  la  seule 
expression  de  ce  doute,  îine  effroyable  tempête  éclata  dans  l'As- 
semblée. On  demanda  le  rappel  i  Tordre  du  ministre.  Lorsque 
le  silence  fut  enfin  rétabli  :'  a  Ce  n'est  pas  moi  qu'il  faut  rappe- 
ler à  Tordre,  dit  spirituellement  M.  de  Palloux,  c'est  le  re- 
présentant qui  a  déposé  une  proposition  tendante  à  réduire  à 
cinq  les  lois  organiques  à  voter  par  l'Assemblée.  Celui-là  expri- 
mait plus  qu'un  doute  sur  l'exécution  irrévocable  du  décret  (1).  » 

M.  Dupont  (de  Bussac)  présenta  vainement  un  ordre  du  jour 
motivé  formulant  un  blâme  implicite  contre  le  ministère.  La 
Chambre  repoussa  le  blâme  par  442  voix  contre  502.  Alors 
M.  Pascal  Duprat,  tout  en  protestant  avec  chaleur  de  Bon  dévoue- 
ment pour  le  président  de  la  République,  proposa  de  mettre 
à  Tordre  du  jour  suivant,  la  nomination  d'une  commission  pour 
la  loi  organique  de  l'enseignement.  L'Assemblée  ayant  reconnu 
par  Tordre  du  jour  pur  et  simple  le  droit  du  Gouvernement,  le 
Gouvernement  n'avait  plus  à  s'opposer  à  ce  que  TAssemblée 
exerçât  de  son  côté  sa  prérogative  (4  janvier). 

Le  40  janvier,  TAssemblée  eut  à  délibérer  sur  un  projet  de  loi 

(1)  Voye*  le  chapitre  Y. 


44  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

ayant  pour  bat  de  réorganiser  l'administration  de  l'assistance 
dans  la  ville  de  Paris. 

L'administration  des  établissements  hospitaliers  et  des  secours 
à  domicile  dans  la  capitale,  embrasse  un  service  qui,  en  recettes 
et  en  dépenses,  ne  comporte  pas  moins  de  15  à  16  millions;  il  y 
a  i  Paris  quinze  hôpitaux  recevant  90,000  malades  par  an,  quatre 
grands  hospices  et  sept  maisons  de  retraite  pour  8,000  vieillards 
et  infirmes,  une  organisation  des  secours  à  domicile  qui  vient  en 
aide  à  plus  de  100,000  personnes  ;  on  comprend  tout  ce  qu'une 
pareille  administration  présente  de  difficultés;  confiée,  au  moment 
de  la  Révolution  de  Février,  à  un  conseil  général  qui  avait  la  di- 
rection des  hôpitaux  et  qui  en  réglait  le  service,  et  en  même 
temps  à  une  commission  administrative  chargée  de  l'exécution 
des  arrêtés  du  conseil  général,  il*  résultait  de  cette  organisation 
vicieuse  qu'il  n'y  avait  pas  d'unité  d'action  possible,  et  que,  par 
cela  même,  toute  responsabilité  devenait  illusoire. 

Un  des  premiers  actes  du  Gouvernement  provisoire  fut  de  sup- 
primer le  conseil  général  des  hôpitaux  ;  mais  ce  n'était  là  qu'un 
état  de  choses  provisoire,  qui  laissait  d'ailleurs  subsister  les  mê- 
mes inconvénients  ;  il  y  avait  donc  nécessité  de  procéder  sur  de 
nouvelles  bases  et  de  réorganiser  l'administration  ;  c'est  ce  que 
fit  M.  Dufaure  en  présentant  un  projet  de  loi  en  huit  articles,  qui 
plaçait  cette  administration  sous  l'autorité  du  préfet  de  la  Seine 
et  du  ministre  de  l'Intérieur,  et  qui  la  confiait  à  un  directeur 
responsable  sous  la  surveillance  d'un  conseil  dont  on  détermi- 
nait les  attributions. 

Ce  projet  fut  profondément  modifié  par  la  commission  à  la- 
quelle il  fut  renvoyé  ;  au  lieu  d'un  comité  de  surveillance  appelé 
à  contrôler  le  directeur,  elle  proposa  d'établir  près  de  lui  un  con- 
seil d'administration  ;  de  plus,  elle  s'engagea  dans  le  dédale  des 
dispositions  purement  réglementaires  ;  elle  entreprit  de  définir 
les  pouvoirs,  de  déterminer  les  attributions,  le  mode  d'élection 
et  la  composition  de  ce  conseil  ;  aussi,  le  projet  nouveau  qu'elle 
substitua  à  celui  du  Gouvernement  ne  renfermait  pas  moins  de 
trente-deux  articles. 

Le  débat  entre  les  deux  projets,  s'établit  dès  le  premier  arti- 
cle ;  il  s'agissait  de  savoir  si  le  directeur  responsable  serait  placé 


TRAVAUX  SÉRIEUX.  ADMINISTRATION.       45 

sous  le  contrôle  [d'an  comité  de  surveillance,  comme  le  propo- 
sait le  Gouvernement,  ou  s'il  serait  assisté  d'un  conseil  d'admi- 
nistration, comme  le  voulait  la  commission.  L'ancien  et  le  nou- 
veau ministre  de  l'Intérieur,  M.  Dufaure  et  M.  Léon  Faucher, 
défendirent  le  projet  du  Gouvernement.  M.  Boulatignier  pré- 
senta, dans  le  même  sens,  de  judicieuses  observations.  Ils  insis- 
tèrent notamment  sur  ce  qu'on  retomberait  dans  tous  les  incon- 
vénients du  système  qu'on  avait  détruit,  en  reconstituant  encore 
une  administration  collective  et  en  divisant  la  responsabilité  au 
lieu  de  la  concentrer  sur  le  directeur.  Ces  raisons  obtinrent  gain 
de  cause;  l'article  du  projet  de  la  commission  fut  rejeté  :  la 
commission  déclara  alors  qu'elle  renonçait  à  tout  le  projet  qu'elle 
avait  rédigé,  et  l'Assemblée  adopta  successivement,  sans  débats 
importants,  les  Irait  articles  qui  composaient  le  projet  primitif  do 
Gouvernement  (10  janvier). 

L'art.  1781  du  Code  civil  dispose  qu'en  cas  de  contestation  en- 
tre un  maître  et  son  domestique,  «  le  maître  est  cru  sur  son  affir- 
mation »  en  ce  qui  regarde  la  quotité  des  gages,  le  paiement  du 
salaire  de  Tannée  échue,  et  les  à-comptes  donnés  pour  l'année 
courante.  Un  projet,  présenté  par  M.  Lemonnier,  et  modifié  par 
le  comité  de  législation,  avait  pour  but  de  faire  disparaître  cette 
inégalité  ;  il  portait  qu'à  défaut  de  preuve  écrite,  toutes  contesta- 
tions entre  le  maître  et  les  domestiques  ou  les  ouvriers,  serait 
décidée  sur  l'affirmation  de  celle  des  parties  à  laquelle  le  juge 
aurait  cru  devoir  déférer  le  serment.  L'Assemblée  décida  qu'elle 
passerait  à  une  seconde  délibération  (16  janvier). 

Un  autre  projet  de  l'ordre  administratif  portait  qu'il  serait  fait 
mention  dans  l'acte  de  mariage,  passé  devant  l'officier  de  l'état 
civil,  du  contrat  contenant  les  conventions  matrimoniales  des 
époux  ;  il  s'agissait  par  là  de  mettre  les  tiers  à  iriéme  de  savoir, 
par  exemple,  si  le  mari  pourrait  aliéner  les  biens  de  sa  femme, 
si  Ja  femme  pourrait  disposer  de  sa  dot  en  totalité  ou  en  partie, 
et  c'est  ce  qu'on  proposait  de  faire  en  imposant  à  l'officier  civil, 
l'obligation  de  faire  connaître  la  date  du  contrat,  ainsi  que  le 
nom  et  la  résidence  du  notaire  qui  l'aurait  reçu. 

Une  seconde  délibération  fut  décidée  par  la  Chambre  (i  6  janvier) . 

Un  projet  de  loi  sur  les  chambres  consultatives!  présenté  par 


46  HISTOIRE  DE  FRANCK.  (1849.) 

M.  Tourret,  lorsqu'il  était  ministre,  et  renvoyé  au  comité  d'agri- 
culture où  il  avait  été  plusieurs  fois  l'objet  de  discussions  appro- 
fondies, sérieuses,  animées  même,  avait  été,  une  première  fois 
amendé  par  Ja  commission  présidée  par  M.  Dezeimeris.  Cette  com- 
mission en  avait  changé  la  disposition  principale,  celle  del'organi* 
sation  par  arrondissement,  qu'elle  avait  abandonnée  pour  la  porter 
an  département.  Mais  le  comité,  repoussant  ce  principe,  avait  de 
nouveau  renvoyé  la  loi  1  l'étude  de  la  commission,  en  la  priant  d'ap- 
porter un  travail  conforme  an  vœu  du  comité.  La  commission  vint 
soumettre  son  nouveau  travail  au  comité  qui  le  discuta  pendant 
deui  séances. 

Les  débats  furent  vifs,  car  on  revenait  d'une  manière  détournée 
au  principe  du  département,  en  disant  que  chaque  année  les 
chambres  consultatives  des  divers  arrondissements  se  réuniraient 
au  chef-lieu. 

Il  fut  difficile  aussi  de  bien  préciser  les  conditions  qu'il  fallait 
réunir  pour  être  électeur.  La  nomenclature  des  objets  à  traiter 
par  ces  chambres,  fut  également  discutée  soigneusement. 

Enfin  le  projet,  contenant  29  articles,  fut  définitivement  adopté 
et  déposé  sur  le  bureau  de  l'Assemblée. 

M.  le  ministre  de  l'Instruction  publique  vint,  le  12  janvier, 
retirer,  au  nom  du  Gouvernement,  le  projet  de  loi  sur  l'école 
d'administration.  A  la  place  de  ce  projet,  M.  de  Falloux  en  pré- 
senta un  autre  qui  pourvoirait  à  renseignement  du  droit  adminis- 
tratif dans  la  Faculté  de  Paris  et  dans  les  Facultés  des  départe* 
ments.  Mais  M.  le  ministre  demandait  que  ce  projet  fût  renvoyé 
au  comité  d'instruction  publique  et  au  comité  de  législation  : 
aussi  l'opposition  fit-elle  les  plus  grands  efforts  pour  faire  déci- 
der que  le  projet  serait  renvoyé  dans  les  bureaux  et  soumis  à  une 
commission  spéciale.  Voici  le  texte  du  nouveau  projet  : 

«  AH.  1*.  Il  est  fondé  dan*  toutes  \m  Facultés  de  dreitde  la  ReptbUqoe 
on  enseignement  de  droit  publie  et  administratif. 

»  Cet  enseignement  sera  complété  à  la  Faculté  de  droit  de  Paris,  et  organisé 
dans  le  pras  bref  délai  pris  les  facultés  de  droit  des  départements,  conformé-' 
ment  aux  articles  ci-après. 

i»  Art  3«  L'enseignement  de  droit  public  et  administratif  comprend  deux 
années. 


TRAVAUX  SÉRIEUX.  ADMINISTRATION.       47 

v  Art.  3.  Après  la  seconde  anuée  d'études,  les  élèves  inscrits  pourront  ob* 
ternir  le  grade  de  licencié  en  droit  pnblic  et  administratif. 

v  Art.  4.  Nnl  n'est  admis  à  s'inscrire  s'il  n'est  pourvu  du  diplôme  de  bâche 
lier  en  droit,  sauf  l'exception  spécifiée  pins  bas. 

»  Art*  5.  Des  règlements  d'administration  publique  détermineront  les  fonc- 
tions administratives  par  lesquelles  le  grade  de  licencié  en  droit  pablie  et  admi- 
nistratif sera  exigé. 

»  Art.  6.  Les  élèves  faisant  actuellement  partie  de  l'école  d'administration, 
annexée  as  Collège  de  France,  par  le  décret  du  Gouvernement  provisoire  da 
8  mars  1848,  seront  admis  à  se  Caire  inscrire  pour  les  cours  de  droit  public, 
sans  avoir  à  justifier  du  diplôme  de  bachelier  en  droit. 

»  lis  seront  également  admis  à  suivre  les  cours  ordinaires  des  Facultés  de  droit 
et  de  médecine,  annuel  cas  le  temps  qu'ils  ont  passé  à  l'école  d'administration 
sera  essspéé  ptsjr  quatre  inseriptiens  m»  élèves  de  In  première  promotion,  et 
peur  deux  ans  uns  élèves  de  la  seconde. 

»  Art.  7.  Il  est  ouvert  un  crédit  de  20,000  fr.  sur  le  budget  de  1848,  pour 
être  affecté  aux  dépenses  de  l'école  d'administration,  pendant  le  second  semestre 
de  1848. 

*  Art.  S*  H  est  ouvert,  sur  le  budget  de  1849,  un  crédit  de  A, 000  fr.  pour 
In  création  d'une  seconde  chaire  de  droit  administratif  à  la  Faculté  de  droit  de 
Paris,  a 


L'hostilité  qui  se  manifestait  dans  l'Assemblée  contre  le  mi- 
nistère se  signala  encore  dans  cette  occasion  par  une  proposition 
de  M.  Bourbeau,  qui  reprit  le  projet  primitif  retiré  par  H.  le  mi- 
nistre de  l'Instruction  publique.  La  majorité  des  commissaires 
nommés  pour  examiner  la  proposition  lui  fut  favorable* 


48  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 


CHAPITRE  IV. 


CONSEIL  D'ÉTAT. 


Décret  fur  les  lois  organiques,  loi  relative  mi  conseil  d'État,  erganisatMB  et  at- 
tributions du  conseil,  questions  diverses,  étude  du  projet,  discussion,  adop* 
tion  de  la  loi. 


On  se  Je  rappelle,  dans  les  derniers  jours  de.  l'année  qui  ve- 
nait de  finir,  l'Assemblée  constituante  avait  cru  devoir  détermi- 
ner le  nombre  et  la  nature  des  lois  qui  seraient  appelées  organi- 
ques et  qu'elle  aurait  à  discuter  et  i  voter  après  l'installation  du 
Président  de  la  République.  Il  y  avait  derrière  cette  décision  une 
grave  question  sous-entendue,  celle  de  la  durée  et  de  la  prolon- 
gation éventuelle  de  l'Assemblée  constituante.  Le  9  décembre, 
c'est-à-dire  la  veille  de  l'ouverture  de  ce  grand  scrutin  qui  devait 
donner  un  chef  à  la  République,  la  Chambre  de  i  848  s'était  créé 
une  longue  et  laborieuse  tâche*  Voici  la  nomenclature  des  lois 
dites  organiques  qu'elle  avait  résolu  de  discuter. 

1°  Loi  sur  la  responsabilité  des  dépositaires  de  l'autorité  pu- 
blique ; 

2°  Loi  sur  le  conseil  d'État  ; 

3°  Loi  électorale  ; 

4°  Loi  d'organisation  départementale  et  communale  ; 

5°  Loi  d'organisation  judiciaire; 

6°  Loi  sur  l'enseignement; 

7°  Loi  sur  l'organisation  de  la  force  publique  (Garde  natio- 
nale, armée)  ; 

8°  Loi  sur  la  presse  ; 

9°  Loi  sur  l'état  de  siège  ; 

iù°  Loi  sur  l'organisation 'de  l'assistance  publique. 


CONSEIL  D'ÉTAT.  4» 

Une  disposition  spéciale,  portant  que  des  commissions  seraient 
immédiatement  nommées  pour'  préparer  ces  lois,  avait  été  aussi 
adoQtée^et  l'ensemble  du  décret  avait  réuni,  le  11  décembre, 
une  majorité  de  405  Voix  contre  4ft8. 

La  discussion  des  lois  organiques  s'ouvrit,  le  15  janvier,  par 
la  loi  du  conseil  d'État.  Celte  loi  était-elle  la  plus  urgente,  celle 
dont  r ajournement  eût  été  le  plus  regrettable?  Non,  sans  doute; 
mais  le  rapport  de  M.  Vivien  s'était  trouvé  prêt  le  premier. 

Les  questions  soulevées  par  le  projet  étaient  de  deux  sortes, 
celles  qui  avaient  rapport  à  l'organisation  même  du  conseil  d'É- 
tat Vt  celles  qui  concernaient  ses  attributions.  Les  questions  fon- 
damentales de  ces  deux  catégories  avaient  été  presque  toutes  ré- 
solues par  la  Constitution . 

.  La  première  de  ces  questions  organiques  était  celle  qui  concer- 
nait le  mode  de  nomination  des  membres  du  conseil  d'État.  L'ar- 
ticle 72  de  la  Constitution  portait  qu'ils  seraient  nommés  pour 
six  ans  par  l'Assemblée  nationale.  L'art.  78  ajoutait  que  ceux  des 
membres  dn  conseil  d'État  qui  auraient  été  pris  dans  le  sein  de 
l'Assemblée  nationale  seraient  immédiatement  remplacés  comme 
représentants  du  peuple.  En  d'autres  termes,  les  fonctions  de 
conseiller  d'État  étaient  déclarées  incompatibles  avec  le  mandat 
de  représentant  du  peuple.  Cette  disposition  souleva  les  objec- 
tions les  plus  graves  et  les  mieux  fondées.  Il  était  évident  qu'avec 
un  pareil  système,  le  recrutement  du  conseil  d'État  se  ferait  dans 
les  conditions  les  plus  désavantageuses.  On  ne  pouvait  espérer 
que  ces  fonctions  importantes  seraient  recherchées  par  les  hom- 
mes qui  en  seraient  les  plus  dignes  quand  on  commençait  par 
fermer  devant  eux  la  carrière  législative.  Les  hommes  de  mérite 
et  de  talent  ne  sacrifieraient  pas  volontiers  les  chances  de  succès 
W  d'élévation  que  leur  offrait  la  tribune  parlementaire  à  l'hon- 
neur obscur  et  subalterne  du  eonseil  d'État.  Pour  tous  ceux  qui 
pourraient  opter,  l'option  ne  serait  jamais  douteuse.  La  pépi- 
nière du  conseil  d'ÉUHerait  donc  forcément  restreinte  aux  vain- 
cus des  collèges  électoraux. 

Par  une  contradiction  assez  choquante,  on  confiait  au  Pouvoir 
législatif  le  soin  de  nommer  les  membres  d'un  corps  qui,  mémn 
dans  son  organisation  nouvelle,  demeurait  à  certains  égards  l'a- 

4 


50  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849) 

gent  et  l'auxiliaire  du  Pouvoir  exécutif,  ce  qui  renversait  et  con- 
fondait tous  les  principes  admis  en  matière  de  responsabilité  mi- 
nistérielle (1).  .  " 

La  question  relative  à  Ja  composition  du  conseil  d'État,  c'est-- 
à-dire au  nombre  et  à  la  classification  de  ses  membres,  n'avait 
pus  été  tranchée  par  la  Constitution.  Elle  était  une  des  plus  im- 
portantes qui  fussent  à  décider  par  la  loi  organique.  La  solution 
proposée  dans  le  projet  de  loi  ne  paraissait  pas  à  l'abri  de  la  cri- 
tique. L'ancien  conseil  d'État  se  composait,  sous  le  dernier  ré- 
gime ,  de  cinquante  conseillers  d'État,  dont  trente  en  service 
ordinaire,  et  vingt  en  service  extraordinaire.  Après  la  Révolution 
de  Février,  le  service  ordinaire  avait  été  réduit  à  vingt-quatre  con- 
seillers d'État,  et  le  service  extraordinaire  avait  été  supprimé.  La 
commission  qui  avait  préparé  le  projet  de  loi  organique  avait 
considéré  ce  nombre  de  vingt-quatre  conseillers  d'État  comme 
rigoureusement  indispensable,  eu  égard  aux  seules  attributions 
dont  le  conseil  d'État  était  actuellement  investi.  Puis  elle  avait 
cru  nécessaire  de  doubler  ce  nombre,  pour  le  mettre  en  rapport 
avec  les  attributions  nouvelles  que  le  conseil  d'État  avait  reçues 
de  la  Constitution.  Il  faut  donc  voir  en  quoi  consistaient  ces  at- 
tributions nouvelles,  en  apprécier  le  caractère  et  l'importance, 
pour  décider  si  l'augmentation  proposée  dans  le  personnel  était 
justifiée. 

(1)  Un  Important  témoignage  sur  cette  matière  est  celui  de  M.  Dupin  aîné, 
l'un  des  membres  de  la  commission  de  Constitution,  qui,  dans  tine  remarquable 
étude  sur  la  Conttilution  dé  la  République  française,  juge  ainsi  le  cotseil 

d'État  s 

a  Quant  au  conseil  d'État,  j'attendrai  qu'il  soit  définitivement  organisé  potf 
comprendre  la  pensée  de  ceux  qui  ont  cru  voir  là  le  germe  d'une  fecontfo  Cham- 
bre, d'un  sénat,  l'espérance  d'un  contre-poids  efficace. 

»  Je  conçois  le  conseil  d'État  tel  qu'il  était  précédemment  organisé,  avec  ses 
attributions  administratives  et  le  travail  hiérarchique  de  ses  ooneelUerm,  de  sut 
maîtres  des  requêtes  et  de  ses  auditeurs.  Comme  IsJ,  c'est  un  instrument  etctl* 
lent. 

»  Je  ne  vois  pas  au  juste  ce  qu'il  sera  avec  les  trente  membres  que  l'Assemblée 
lui  a  donnés  au  scrutiu  de  liste,  et  les  attributions  purement  facultative»  et  «uses 
insignifiantes  qui  leur  sont  départies  quant  à  préseat. 

»  C'est  certainement  un  des  points  sur  lesquels  devra  porter  la  future  révision 
de  la  Constitution,  v 


CONSEIL  D'ÉTAT  '  51 

Le  conseil  d'État,  tel  qu'il  existait  encore,  réunissait  des  attri- 
butions très-complexes.    Cependant  ott  pouvait  le  considérer 
conitne*un  corps  essentiellement  administratif.  La  Constitution 
avait  voulu  changer  ce  caractère,  en  donnant  an  conseil  d'État  une 
partcasentielle  dans  le  pouToit*  législatif,  en  l'érigeant,  autant  qnlf 
avait  dépendu  d'elle,  au  rang  de  seconde  Chambre  législative*  À* 
ce  titre,  le  conseil  d'État  serait  nécessairement  consulté  sur  les 
projets  de  loi  du  Gouvernement  et  sur  les  projets  d'initiative 
parlementaire  qui  lui  seraient  renvoyés  paf  l'Assemblée.  De  pins, 
il  était  chargé  de  préparer  les  règlements  d'administration  pu* 
bfique,  espèce  de  lois  secondaires,  disait  le  rapport,  qal  ont  pont 
bat  d'assurer  l'exécution  des  lois  générales.  H  n'y  avilit  là  riefl  dé 
nouveau  ;  sous  la  monarchie,  le  conseil  d'État  jouissait  déjà  de 
ces  attributions.  Peut-être  n'étaient-elles  qu'une  sinécure.  Mais 
en  serait-il  autrement  sous  la  République  ?  Pensait-on  que  le 
conseil  d'État  interviendrait  plus  sérieusement  et  plus  activement 
dans  l'étude  et  la  préparation  des  lois?  On  pouvait  craindre, 
au  contraire ,  que  le  caractère  législatif  du  conseil  d'État  fût 
moins.sérieux  et  moins  respecté  sous  le  Gouvernement  républi- 
cain que  «ous  le  Gouvernement  monarchique.  Sans  doute  il  pour- 
rait arriver  jusqu'à  lui  quelques  rares  projets  de  loi  adressés  par 
le  Pouvoir  exécutif;  mais  espérait-on  que  l'Assemblée  nationale 
serait  souvent  disposée  à  lui  renvoyer  les  projets  émanés  de 
l'initiative  parlementaire?  L'Assemblée  n'avait-elle  donc  pas  ses 
bureaux,  ses  comités,  ses  commissions?  C'est  là  que  seraient  na- 
turellement  préparés,  élaborés  tous  les  projets  de  loi.  L'accrois- 
sement d'attributions  sur  lequel  on  se  fondait  pour  augmenter 
le  personnel  do  conseil  d'État  n'était  donc  pas  sérieux,  et  l'aug* 
ffleutation  du  personnel  n'était  pas  justifiée. 

Là  plus  importante  de  toutes  les  questions  que  la  Constitution 
avait  laissées  indécises  était  celle  qui  concernait  la  juridiction 
administrative  du  conseil  d'État,  lo  jugement  des  affaires  et  des 
contestations  connues  sous  le  nom  de  contentieux  administratif» 
Aujourd'hui  c'était  lé  conseil  d'État  qui  connaissait  de  ces  Sortes 
d'fllfeifes,  après  toutefois  que  ses  décisions  avaient  été  préparées 
par?  tin  cotaité  constitué  dans  son  sein,  sous  le  nom  de  comité  du 
ttmtefatteu*.  Mais  le  conseil  d'État  n'ayant  pas  de  juridiction 


52  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

propre,  indépendante,  et  ne  donnant  que  dès  avis,  il  y  avait 
longtemps  que  ce  régime  était  critiqué  comme  ne  donnant  pas 
aux  justiciables  toutes  les  garanties  d'un  véritable  tribanal  et 
d'une  justice  régulière.  C'est  pour  cela  que  le  projet  de  Consti- 
tution avait  enlevé  la  juridiction  du  contentieux  au  conseil  g'État 
«t  proposé  d'établir  un  tribunal  administratif  supérieur  entière- 
ment distinct  et  indépendant  du  conseil  d'État.  Ce  projet  avait 
l'inconvénient  de  dépouiller  te  conseil  d'État  de  l'une  de  ses 
attributions  essentielles,  et  il  n'avait  pu  soutenir  l'épreuve  de  la 
discussion.  Cette  grave  question  avait  donc  été  renvoyée  à  la  dé- 
cision de  la  loi  organique.  La  commission  chargée  de  préparer 
le  projet  de  loi  l'avait  résolue  d'une  manière  satisfaisante.  Elle 
attribuait  le  jugement  du  contentieux  administratif  à  une  juri- 
diction spéciale  qui  serait  créée  au  sein  du  conseil  d'État.  En 
même  temps  elle  proposait  deux  innovations  importantes  au  ré- 
gime actuel.  D'abord,  elle  donnait  au  conseil  d'État  une  juridic- 
tion propre,  indépendante,  c'est-à-dire  le  caractère  d'un  véritable 
tribunal  ;  ensuite  elle  confiait  à  une  section  distincte,  et  non 
à  l'assemblée  générale  do  conseil  d'État,  la  décision  des  af- 
faires. 

Les  autres  dispositions  du  projet  de  loi  n'avaient  guère  qu'un 
intérêt  réglementaire. 

Ce  projet  vint  à  l'ordre  du  jour  du  15  janvier.  C'était  la  pre- 
mière fois  que  la  Chambre  appliquait  la  disposition  du  règlement 
concernant  les  projets  de  loi  et  les  propositions.  Ancun  orateur 
ne  demanda  la  parole.  M.  Crémieui  et  M.  Vivien,  rapporteur, 
tirent  observer  que  l'Assemblée,  en  nommant  une  commission 
pour  préparer  un  projet  de  loi  sur  cette  matière,  avait  implicite- 
ment décidé  la  question  de  principe,  Va  seule  qui  dût  être  l'objet 
de  la  première  délibération  prescrite  par  le  règlement.  Une  se- 
conde délibération  fut  donc  purement  et  simplement  indiquée  et 
la  discussion  renvoyée  à  cinq  jours,  selon  les  termes  du  règle- 
ment. 

La  commission  de  Constitution,  on  se  le  rappelle,  s'était  forte- 
ment prononcée  en  faveur  d'une  Assemblée  unique  :  puis,  ef- 
frayée elle-même  des  inconvénients  d'une  trop  grande  précipita- 
tion dans   les  décisions,  «Ile  avait  présenté  le  conseil  d'État 


1 


CONSEIL  D'ÉTAT.  53 

comme  devant  être  le  rouage  modérateur  de  la  machine  législa- 
tive et  gouvôtnemeotale. 

«  A  cM6  de  l'Aaseablée  «nique  (disait  |e  rapporteur  de  le  Cettstitatioti)  la 
Coattituiitj»  pièce  «n  oonteil  d'État  choisi  par  elle,  émanation  de  ta  votante, 
délibèrent  à  part,  en  debore  des  mouvements  qui  peuvent  agiter  les  grandes 
réunions.  C'est  là  que  la  loi  se  prépare,  c'est  là  qu'on  renToie  pour  la  mûrir 
toute  proposition  d'initiative  parieaien take  qai  parait  trop  hâtive  au  Pouvoir 
législatif.  Ce  corps,  compote  d'boaunet  éuunent*,  et  pincé  entre  l'A  attablée 
qui  fait  la  loi  et  le  Pouvoir  qoi  l'exécute,  tenant  an  premier  par  ta  racine,  an 
second  par  son  contrôle  sur  l'administration,  aura  natareUement  une  autorité 
qoi  tempérera  ce  que  l'Assemblée  «nique  pourrait  avoir  de  trop  hardi,  ce  que 
le  Gouvernement  pourrait  avoir  d'arbitraire. 

.  L'Assemblée,  on  le  sait,  an  moment  de  la  crise  ministérielle 
qui  amena  M.  Dufanre  aa  pouvoir,  avait  voté,  malgré  de  sages 
observations  présentées  par  quelques  membres,  les  articles  71  et 
suivante  de  la  Constitution  qoi  consacraient  le  projet  de  la  com- 
mission (i). 

An  termes  de  ces  articles,  les  membres  do  conseil  d'État  sont 
nommés  pour  six  ans  par  l'Assemblée  nationale.  Ils  sont  renou- 
velés  par  moitié  dans  les  deux  premiers  mois  de  cbaque  législa> 
lure,  an  scrutin  secret  et  à  là  majorité  absolue  ;  ils  sont  indéfini- 
ment rééligibles.  Les  membres  do  conseil  d'État  ne  peuvent  être 
révoqué*  que  par  l'Assemblée  et  sur  la  proposition  du  président 
de  la  République; 

Le  conseil  d'État  est  consulté  sur  les  projets  de  loi  du  Gouver- 
nement, qui,  d'après  la  foi,  devront  être  soumis  à  son  examen 
préalable,  et  sur  les  projets  d'initiative  parlementaire  que  l'Aév 
semblée  loi  aura  renvoyés. 

Telles  sont  les  dispositions  générales  de  la  Constitution,  dont 
la  loi  sur  l'organisation  du]  conseil  d'État  avait  à  taire  l'applica- 
tion. 

Sans  comparer  la  situation  nouvelle  dite  au  conseil  d'État  avec 
ces  temps  glorieux  où  il  résumait  réellement  tous  les  pouvoirs, 
au  moins  Mait-il  reconnaître  que,  depuis  l'établissement  même 
du  régime  constitutionnel  en  France,  il  avait  eu  encore  un  grand 
rtle  dans  les  affaires  administratives  du  pays*  Sous  la  Restaura- 

(1)  Voyez  V Annuaire  précédent,  p.  325» 


M  HISTOIRE.  M  FRANCK.  (1849.) 

tien  et  soi»  la  monarchie  de  Juillet,  il  était  l'expression  la  plus 
élevée  de  l'administration.  Il  était  tout  à  la  fois  la  tradition 
intelligente,  la  pratique  éclairée  et  la  théorie  prévoyante  qui  se  te- 
nait toujours  au  niveau  de  la  fcienee,  quelquefois  même  la  devan- 
çait. Voilà  ce  que,  par  une  habile  combinaison  du  servi*  toatra-* 
ordinaire  {composé  des  chefs  de  l'administration  active)  et  du 
service  ordinaire  (où  se  trouvaient  nécessairement  d'anciens  ad* 
minfotrateurs,  des  jurisconsultes  consommés),  voilà  ce  que  la  loi 
de  1845,  en  sanctionnant  uniquement  les  dispositions  les  plus 
sages  des  décrets,  des  ordonnances  rendus  depuis  cinquante  ans, 
avait  fait  du  conseil  d'État. 

Pour  appeler  cette  institution  à  rendre  de  plus  importants  ser- 
vices» il  suffisait  peut-être  de  quelques  règlements,  de  quelques 
lois  qui  imposassent  aux  ministres  (car  toujours  les  bureaux  ont 
été  hostiles  i  ce  contrôle)  l'obligation  de  soumettre  certaines  af- 
faires, aux  délibérations  des  comités;  enfin,  il  fallait  lui  faire  une 
part  plus  grande  dans  l'administration  proprement  dite.  Peut- 
être,  après  la  révolution  qui  faisait  de  la  France  une  république, 
et  qui  doit  fatalement  avoir  pour  conséquence  de  relâcher  le  lien 
de  la  centralisation  administrative,  de  grandir  les  institutions  dé- 
partementales, dans  un  moment  où  il  serait  si  nécessaire  de  poser 
tt  de  maintenir  d'une  main  habile  et  ferme  la  limite  entre  l'au- 
torité centrale  et  l'autorité  locale,  de  faire  à  chacune  sa  grande  et 
légitime  part,  c'était  plus  que  jamais  le  cas  de  conserver  dans  son 
organisation,  et  comme  auxiliaire  du  Gouvernement,  un  corps 
asaes  haut  placé  pour  embrasser  et  mesurer  les  intérêts  nou- 
veaux de  la  société  qu'on  voulait  fonder,  asses  instruit  pour  y  ap- 
porter l'expérience  qui  seule  prévient  de  dangereuses  innova- 
tions» enfin,  aseet  permanent  pour  y  conserver  la  tradition  sans 
laquelle  il  ne  peut  y  avoir  de  fixité.  La  Constitution  en  avait  dé- 
cidé autrement  ;  et  elle  avait  peut-être,  sans  le  vouloir,  dépouillé 
cette  grande  institution  de  ses  attributions  les  plus  importantes. 
Corps  indépendant,  par  son  origine,  du  Pouvoir  exécutif,  ce 
Pouvoir  serait  obligé  de  le  consulter  pour  ses  actes  les  plus  gra- 
ves. Produit  électoral  pour  moitié  d'une  Assemblée  qui  bientôt 
aurait  disparu,  H  conserverait  peut*être  en  face  dune  Assemblée 
nouvelle  et  du  Gouvernement  lui-même  les  vues  hostiles  d'un  par- 


CONSEIL  D'ÉTAT.  55 

lement  remplacé.  Cet  antagonisme  était  non-seulement  possible» 
mais  probable,  puisqu'il  est  dans  le  jeu  ordinaire  de  nos  institu- 
tions que  les  renouvellements  des  Assemblées  produisent  des  ma- 
jorités nouvelles.  Quelle  serait  donc  la  position  des  ministres  ve- 
nant discuter  leurs  projets  de  loi  devant  un  conseil  d'État  ainsi 
organisé?  Ces  projets,  devrarent-ils  les  porter  à  l'Assemblée  tels 
qu'ils  seraient  sortis  du  conseil,  ou  bien  pourraient-ils  les  modi- 
fier? La  loi  se  taisait  à  ce  sujet*  Mais  n'était-il  pas  évident  que 
le  conseil  d'État  ne  serait  que  consulté  ?  Les  ministres  seraient 
donc  toujours  maîtres  d'adopter  ou  de  repousser  l'avis  qui  leur 
serait  donné  ;  autrement,  ils  ne  pourraient  être  responsables. 

La  loi  organique  pouvait,  peut-être,  tout  en  respectant  le  prin- 
cipe posé  par  la  Constitution,  en  amoindrir  les  dangers.  C'est  ce 
que  n'avait  jtos  fait,  le  travail  de  la  commission,  qui  n'avait  pas 
paru  apercevoir  les  inconvénients  de  l'organisation  nouvelle,  qui 
les  avait  peut-être  même  aggravés.  Ainsi,  pour  la  nomination  des 
conseillers  d'État,  l'art.  72  de  la  Constitution  se  bornait  à  dire  que 
les  membres  du  conseil  seraient  nommés  par  l'Assemblée;  évi- 
demment la  loi  organique  pouvait,  par  un  mode  de  présentation» 
donner  au  Pouvoir  exécutif  une  part  légitime  dans  les  choix  des 
hommes  qui  doivent,  en  définitive,  composer  son  conseil;  loin  de 
là,  le  projet  voulait  que  ce  fût  une  commission  de  trente  mem- 
bres, choisis  par- les  bureaux  de  l'Assemblée,  qui  lit  une  liste  de 
présentation,  liste  en  dehors  de  laquelle,  il  est  vrai,  l'Assemblée 
pourrait  choisir,  mais  que  cette  commission  aurait  bien  quelque 
peine  à  former  d'une  manière  convenable  en  présence  des  am- 
bitions et  des.  combinaisons  de  partis  de  toutes  sortes.  Ainsi, 
pour  les  présidents  de- sections,  dont  les  choix  sont  si  importants, 
la  Constitution  avait  gardé  le  silence;  le  projet  voulait  qu'ils 
fussent  élus  par  chaque  section.  N'était-ce  pas  enlever  encore  au 
Pouvoir  exécutif  une  part  légitime  d'influence  dans  la  direction 
des  travaux  du  conseil  d'État? 

Autre  exemple.  L'article  75  de  la  Constitution  avait  dit  :  «  Le 
conseil  d'État  est  consulté  sur  les  projets  de  loi  du  Gouverne* 
ment,  qui,  d'après  la  loi,  devront  être  soumis  à  son  examen,  » 
D  appartenait  donc  à  la  loi  organique  de  déterminer  la  nature 


56  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

des  lois  sur  lesquelles  le  conseil  d'État  devaUt  être  consulté.  Or 
l'article  1er  du  projet  était  aussi  général  que  possible  ;  il  portait  : 


u  Le  conseil  d'État  est  consulté  sur  tous  Ut  projeté  de  loi  du  Gouverne- 
ment. 

»  Néanmoins»  le  Gouvernement  pourra  se  dispenser  de  consulter  le  conseil 
d'État  sur  les  projets  de  loi  suivants: 

v  !»  Budget  des  receties.ei  dépenses  ; 

».  2o  Crédits  supplémentaires. et  extraordinaires; 

»  3<>  Règlement  définitif  du  budget  ; 

»  4o  Fixation  du  contingent  de  l'armée  ; 

s  5o  Ratification  des  traités  et  conventions  diplomatiques  ; 

»  6°  Les  projets  de  loi  d'urgence.  » 

Et  l'article  ajoutait  :  or  L'Assemblée  nationale  renverra  à  l'exa- 
men du  conseil  d'État  les  projets  qui  ne  rentreraient  pas  dans 
les  catégories  précédentes,  et  dont  elle  aurait  été  saisie  par  le 
Gouvernement,  sans  que  le  conseil  d'Élal  eût  été  consulté.  » 
De  telle  sorte  que,  excepté  quelques  lois,  le  conseil  d'État  devrait 
être  consulté  sar  tous  les  projets  du  Gouvernement,  et  les  procès- 
verbaux  transmis  à  l'Assemblée  nationale.  (Art.  60.)  Évidemment 
c'était  là  une  extension  considérable  donnée  au  principe  de  l'ar- 
ticle 75  de  la  Constitution.  Mais  ce  n'était  pas  tout.  La  section  de 
législation  que  le  projet  de  loi  organisait,  et  Hont  le  président 
serait  le  président  réel  et  sérieux  du  conseil  d'État,  absorbait  sin- 
gulièrement cette  attribution  quasi  législative  dévolue  au  conseil 
d'État.  Aux  termes  de  l'article  50,  en  effet,  le  conseil  d'État  ne 
délibère  nécessairement  en  assemblée  générale  que  sur  tous  les 
projets  de  lois  organiques  de  la  Constitution  et  sur  les  projets  de 
règlement  d'administration  publique  pour  lesquels  il  a  reçu  la 
délégation  spéciale  de  l'Assemblée  nationale.  C'est  donc  dans  la 
section  de  législation,  dans  laquelle  précisément  on  déclarait 
vouloir  faire  entrer  spécialement  les  hommes  politiques,  et  où 
pourraient,  dès  lors,  se  rencontrer  les  pensées  qui  lui  seraient 
le  moins  favorables,  que  le  Pouvoir  exécutif  devrait  porter  toutes 
ses  lois.  Mieux  vaudrait  pour  lui,  peut-être,  avoir  à  discuter  de- 
vant toutes  les  sections  réunies.  Là,  du  moins,  il  retrouverait  les 
magistrats  du  contentieux,  les  administrateurs  de  la  section  ad* 


CONSEIL  D'ÉTAT.  57 

ministrative,  et  il  ne  serait  pas  exposé  à  foir  ses  projeta  inces- 
samment modifiés  dans  un  esprit  s^stématkpe,  qui  aurait  pu 
prévaloir  dans  la  section  de  législation.  Au  contraire,  dans  cette 
section,  an  président  de  laquelle  on  réservait  des  pouvoirs  éten- 
dus, dans  cette  section,  la  situation  d'un  ministre,  obligé  de  dis- 
cuter ses  lois,  pouvait  devenir  des  plus  fausses,  des  moins  dignes, 
placé  qu'il  serait  devant  un  président  élu  par  la  section,  maître 
de  la  direction  des  travaux,  et  devant  une  majorité  qui  pourrait 
être  complètement  hostile  à  la  politique  ministérielle.  Si  Ton 
voulait  absolument  que  toutes  les  lois  fussent  discutées  dans  le 
conseil,  que  ne  déelarait-on  que  ce  serait  devant  tout  le  conseil 
d'État,  sections  réunies.  Ainsi,  du  moins,  le  Pouvoir  eût  échappé 
i  ces  combinaisons  de.  coterie,  à  ces  influences  personnelles  qui 
pourraient  lui  être  si  funestes. 

Au  point  de  vue  du  personnel,  le  projet  renfermait  une  impor- 
tante innovation.  De  très-larges  attributions  y  étaient  accordées  à 
un  nouveau  fonctionnaire,  le  commissaire  général  près  le  conseil 
d'État.  «  Le  commissaire  général,  disait  le  rapport,  est  nommé 
par  le  président  de  la  République  ;  il  peut  faire  partie  de  l'As- 
semblée. 0  (Art.  46.)  Peut-être  eût*il  été  naturel  que  les  conseil- 
lers d'État  qui  auraient  pris  part  à  la  discussion  d'un  projet  de 
loi  pussent  être  choisis  par  le  Pouvoir-  exécutif,  par  le  conseil 
d'État  lui-même,  pour  défendre  les  projets  dans  la  commission 
de  l'Assemblée,  sinon  dans  l'Assemblée  elle-même.  Or,  ce  rôle, 
le  projet  de  loi  semblait  le  réserver  uniquement  au  commissaire 
général.  Voici  seulement  ce  que  contenait  l'article  36  : 

«  Sut  la  demande  des  commissions  des  comités  de  P Assemblée  nationale,  la 
section  de.  législation,  désigne  des  conseillers  d'État  on  des  maîtres  des  requêtes 
pour  exposer  Paris  du  conseil  d'État  dont  les  comités  ou  commissions  de  l'As- 
semblée. » 

Ces  dernières  expressions  étaient  singulièrement  restrictives, 
surtout  en  présence  de  ce  passage  qui  décelait  la  pensée  du  rap- 
port (pag.  19  et  20)  : 


«  An  commissaire  général  de  la  République  est  accordée  nne  prérogative 
spéciale.  Il  peut  faire  partie  de  l'Assemblée  nationale.  Quand  il  réunira  ce  double 


58  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

caractère,  il  sera  an  besoin,  dans  le  sein  de  l'Assemblée,  l'organe  du  conseil 
d'État,  et,  dans  le  sein  dn  conseil  d'État»  f  organe  de  f  Assemblée.  Tenant  ai 
Pouvoir  exécutif  par  son  origine,  eu  pouvoir  législatif  par  ton  titre  paries*» 
taire,  a»  conseil  d'État  f>ar  «es  fonctions,  il  «en  comme  I'aomm  doitinâ  à  les 

rapprocher,  à  les  unir.  » 

Non,  le  commissaire  général  ne  serait  pas,  dans  le  sein  du  con- 
seil d'Étal,  l'organe  de  l'Assemblée,  qui  ne  l'aurait  pas  élu.  U  ne 
serait  pas  davantage,  dans  l'Assemblée,  l'organe  du  conseil  d'É- 
tat, dont  il  ne  partagerait  peut-être  pas  l'option,  et  qui  ue  l'au- 
rait pas  choisi  pour  son  interprète. 

Sur  le  personnel  encore,  le  projet  contenait  une  disposition 
contraire  aux  véritables  principes  constitutionnels,  celle  qui  ré- 
servait pour  les  auditeurs  un  quart  des  places  de  sous-préfets  qui 
viendraientà  vaquer.  Le  choix  de  ces  fonctionnaires  serait  donc  im- 
posé par  les  présidents  de  section  aux  ministres,  seuls  pourtant 
responsables.  Toute  la  partie  du  projet  qui  se  rapportait  au  con~ 
tentieux  désorganisait  un  admirable  service.  Ce  qu'il  y  avait 
d'excellent  dans  le  mode  de  procéder  du  conseil  d'État,  en  ma- 
tière contentieuse,  c'est  que  le  comité  du  contentieux,  faisant 
l'instruction,  offrait  aux  parties,  comme  au  conseil  lui-même, 
toutes  les  garanties  d'un  examen  préalable  approfondi  ;  c'était 
une .  sorte  de  rapporteur,  collectif  qui  donnait  à  l' instruction  des 
affaires  un  soin  justement  apprécié.  Tout  cela  disparaissait  dans 
le  projet.  Avec  l'organisation  nouvelle,  il  faudrait  des.  plaidoieries 
presque  pour  chaque,  acte  de  procédure  ;  les  procès  deviendraient 
plus  longs,  plus  dispendieux.  Enfin,  la  section  du  contentieux  se- 
rait, pour  certaines  causes,  dans  la  situation  difficile  des  tribunaux 
ordinaires,  qui  souvent  sont  obligés  de  renvoyer  devant  arbitres, 
précisément  parce  que  l'examen  préalable  n'est  pas  et  de  peut 
pas  être,  à  raison  de  l'organisation  même  de  ces  tribunaux,  con- 
fié à  un  comité  instructeur. 

En  résumé,  la  loi  et  le  rapport  aggravaient  encore  les  consé- 
quences d'un  mauvais  principe. 

La  discussion  générale,  ouverte  avec  la  seconde  délibération, 
ne  présenta  qu'un  médiocre  intérêt.  MM.  Sainte-Beuve  et  Déchard 
firent  une  critique  approfondie  du  projet  de  la  commission.  Les 
deux  orateurs  prouvèrent  surabondamment  qu'il  était  difficile  de 


«  #  CONSEIL  D'ÉTAT.  59 

concilier  la  nouvelle  organisation  du  conseil  d'État,  soit  avec  les 
attributions  anciennes  qui  lui  étaient  maintenues,  soit  avec  les 
attributions  nouvelles  qui  lui  étaient  conférées,  ces  attributions, 
très-complexes,  à  la  fois  législatives,  administratives  et  judi- 
ciaires Le  conseil  d'État  serait  consulté  sur  les  projets  de  loi  du 
Gouvernement  ;  il  exercerait  sur  l'administration  un  pouvoir  de 
contrôle  et  de  surveillance  ;  il  jugerait  en  dernier  ressort  les  af- 
faires connues  sous  le  nom  de  contentieux  administratif.  D'autre 
part,  on  sait  le  mode  adopté  pour  la  nomination  des  membres 
du  conseil  d'État  :  ils  seraient  élus  pour  six  ans  par  l'Assemblée 
nationale.  Comment  ces  attributions  diverses  pourraient-elles 
s'adapter  à  une  pareille  origine?  En  matière  législative,  quels  se- 
raient les  rapports  du  Pouvoir  exécutif  avec  ce  conseil  d'État 
électif,  et  par  conséquent  indépendant?  Quelle  garantie  aurait-on 
contre  les  conflits  qui  pourraient  s'élever  entre  les  deux  pouvoirs  ? 
On  n'en  apercevait  aucune.  En  matière  administrativlPftomment 
l'indépendance  du  Pouvoir  exécutif  pourrait-elle  s'accorder  avec 
l'indépendance  du  corps  qu'on  lui  donnait  à  la  fois  comme  auxi- 
liaire^ comme  surveillant?  Que  devenait  dans  ce  chaos  le  prin- 
cipe de  la  responsabilité  ministérielle?  En  matière  judiciaire, 
n'était-ce  pas  au  moins  une  anomalie  que  l'existence  de  ce  tri- 
bunal électif  à  côté  des  autres  tribunaux  institués  par  le  Pouvoir 
exécutif?  Toutes  ces  objections  avaient  leur  gravité.  Mais  elles 
étaient  intempestives;  elles  ne  s'adressaient  pas  tfrf  projet  de  loi, 
mais  à  la  Constitution  elle-même.  C'est  dans  la  discussion  sur  la 
Constitution  qu'elles  auraient  dû  se  produire. 

Il  y  avait  toutefois  une  question  importante  et  vraiment  consti- 
tutionnelle, que  la  Constitution  n'avait  pas  résolue,  et  dont,  par 
conséquent,  elle  avait  renvoyé  la  décision  à  la  loi  organique  : 
c'était  celle  qui  concernait  le  contentieux  administratif.  C'est  sur 
ce  point  capital  que  MM.  Bauchart  et  de  Parieu  concentrèrent 
habilement  la  discussion.  Attribuer  à  une.  section  particulière  le 
jugement  du  contentieux  qui,  jusqu'alors,  appartenait  à  l'assem- 
blée générale  du  conseil  d'État;  accorder  à  la  section  du  conten- 
tieux une  juridiction  propre  et  souveraine,  c'était,  en  d'autres 
termes,  en  faire  un  véritable  tribunal.  A  l'appui  de  cette  considé- 


60  HISTOIRE  DE  FRANCE.  Çfofy.) 

ration,  M.  de  Parieu  donna  les  seules  raisons  par  lesquelles  on 
pût  justifier  l'institution  nouvelle.  On  voulait  par  là,  dit  l'orateur, 
assurer  aux  intérêts  particuliers,  quand  ils  seraient  en  lutte  avec 
l'administration,  les  mêmes  garanties  qu'ils  trouvent  dans  la  jus- 
tice ordinaire.  ReBtait  à  savoir  si  l'intérêt  que  l'administration 
représente,  c'est-à-dire  l'intérêt  général,  serait  suffisamment  ga- 
ranti par  ce  système.  Sur  ce  point,  l'opinion  des  jurisconsultes 
les  plus  éminents  était  contraire  à  celle  de  la  commission*  M.  Bé- 
chard  s'en  fit  l'organe,  et  parut  réfuter  solidement  l'argumentation 
de  M.  de  Parieu. 

La  discussion  générale  fut  promptement  fermée,  et  le  débat 
s'ouvrit  immédiatement  sur  les  articles  du  projet. 

Les  divers  amendements  qui  avaient  pour  but  de  modifier  le 
système  de  la  commission  sur  les  attributions  législatives  et  ad- 
ministratives du  conseil  d'État  furent  successivement  repoussés. 
Ceux  (pétaient  relatifs  au  contentieux  administratif  eurent  le 
même  sort.  Les  neuf  premiers  articles  du  projet  furent  votés  tels 
qu'ils  étaient  proposés.  Mais  l'art.  40  fut  modifié  d'une  usinière 
importante.  Cet  article  disposait  que  le  conseil  d'État  se  compo- 
serait du  vice-président  de  la  République  et  de  quarante-huit 
conseillers  d'État.  Un  amendement  de  M.  Sauvaire-Barthélemy 
réduisait  le  nombre  des  conseillers  d'État  à  trente-deux.  L'amen- 
dement, conqjattu  par  M.  Vivien,  rapporteur,  fut  néanmoins 
adopté  (tt  janvier). 

Les  articles  14,  12  et  15  avaient  pour  objet  de  déterminer  le 
mode  d'élection  des  conseillers.  La  Constitution  se  bornait  à  dire 
que  les  nominations  seraient  faites  par  l'Assemblée  nationale 
sans  déterminer  aucune  des  conditions  d'éligibilité.  Ce  silence 
donnait  à  la  commission  le  moyen  de  faire  une  juste  part  à  l'ac- 
tion du  Gouvernement.  Tout  le  monde  était  unanime  à  redouter 
comme  un  danger  le  cas  où  la  majorité  du  conseil  d'État  serait 
systématiquement  hostile  au  Gouvernement.  Il  était  possible  de 
prévenir  ce  danger.  Rien  n'empêchait  d'attribuer  au  Gouverne- 
ment la  présentation  d'une  liste  de  candidats  double  ou  triple  du 
nombre  des  conseillers,  et  d'imposer  des  conditions  de  service 
ou  de  capacité,  qui,  en  assurant  un  bon  recrutement  du  conseil 
d'État,  laisseraient  au  Gouvernement  une  certaine  latitude  dan* 


CONSEIL  D'ÉTAT.  61 

ses  choix.  Les  ministres,  obligés  de  faire  subir  à  tout  ce  qui  émane 
de  leur  initiative  l'examen  du  conseil  d'État,  auraient  eu  la  ga- 
rantie de  ne  pas  rencontrer  dans  ce  corps  indépendant  de  leur 
action  une  hostilité  systématique.  L'opposition  du  conseil  d'État 
au  Gouvernement  serait  toujours  sans  effet  utile,  puisqu'elle  ne 
ferait  que  devancer  les  votes  d'une  Assemblée  hostile  et  qu'elle 
serait  détruite  par  les  votes  d'une  Assemblée  favorable,  et  elle 
pouvait  avoir  une  influence  désastreuse  sur  l'administration.  La 
commission  n'en  avait  pas  jugé  ainsi  :  elle  s'était  attachée  au  con-" 
traire  à  rendre  impossible  l'immixtion  du  Gouvernement  dans  la 
nomination  des  conseillers.  Le  champ  des  candidatures  était  illi- 
mité ;  aucune  condition  de  capacité  ni  de  service  n'était  exigée  ; 
seulement  une  commission  spéciale  présenterait  une  liste  ^can- 
didats que  l'Assemblée  serait  maîtresse  de  repousser.  11  était  évi- 
dent dès  lors  que  toutes  les  nominations  seraient  des  nominations 
de  parti  :  et  qu'H  serait  tenu  plus  de  compte  des  opinions  et  des 
relations  que  des  aptitudes.  L'Assemblée  adopta  cependant  les 
articles  du  projet  de  loi,  sur  le  refus  fait  par  la  commission  d'y 
rien  modifier  ;  mais  des  amendements  étaient  annoncés  pour  la 
troisième  discussion. 

L'Assemblée  fit  subir  une  modification  importante  au  projet  de 
loi  :  elle  supprima  le  commissaire  général  qu'on  proposait  d'ins- 
tituer près  le  conseil  d'État  tout  entier.  On  alléguait  avec  quelque 
apparence  de  raison  que  le  Gouvernement  ne  pouvait  se  passer 
d'un  représentant  spécial  et  officiel  devant  le  conseil  d'État  tel 
qu'il  était  organisé  selon  la  Constitution,  c'est-à-dire  devant  un 
conseil  d'État  électif»  et  par  conséquent  indépendant.  Ce  fut  le 
principal  argument  que  MM.  Vivien  et  Crémieux  firent  valoir  en 
faveur  du  projet.  Peut-être  cet  argument  n'était-il  pas  sans  ré- 
plique. On  répondit,  en  effet,  que  le  Pouvoir  exécutif  serait  repré- 
senté devant  le  conseil  d'État  par  les  maîtres  des  requêtes  nonimés 
par  lui,  et,  en  outre,  par  le  vice-président  de  la  République. 
Peut-être  encore  était-il  bon  qu'il  y  eût  près  de  la  section  du  con- 
tcntienx  un  commissaire  du  Gouvernement  remplissant  les  fonc- 
tions du  ministère  public;  mais  on  ne  voyait  aucune  raison 
d'être  au  commissaire  près  le  conseil  d'État  tout  entier.  La  com- 
mission prétendait  que  ce  fonctionnaire  devait  être  l'organe  du 


62  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

Gouvernement  dans  le  conseil  d'État,  devenu  indépendant  du 
Pouvoir  exécutif  ;  mais  il  fallait  alors  qu'il  fût  nommé  et  pût  être 
révoqué  par  le  ministre  de  la  justice.  Loin  de  là,  le  commissaire 
général  devait  être  nonyné  directement  par  le  président;  il  était 
indépendant  des  ministres  et  perpétuellement  tenté  de  s'égaler  à 
eui  :  rieiyie  l'empêchait  de  leur  devenir  hostile  et  de  tourner 
contre  eux  l'influence  qu'il  pouvait  avoir  dans  le  conseil  d'État, 
(pétait  donc  un  rouage  ou  inutile  ou  dangereux.  L'Assemblée  s'é- 
mut de  ces  inconvénients  vivement  signalés  par  MM.  Gaslonde 
et  Gombarel  de  Leyval,  et  elle  repotissa,  malgré  les  efforts  de  la 
commission,  la  création  du  commissaire  générai. 

L'article  19,  relatif  à  la  nomination  des  maîtres  des  requêtes, 
fut  rewroyé  à  la  commission  qui  se  proposait  de  le  remanier.  Le 
projet  de  loi  avait  déjà  reçu  de  rudes  atteintes  :  il  avait  été  conçu 
dans  une  pensée  qui  paraissait  aujourd'hui  difficilement  réalisa- 
ble. 11  devenait  chaque  jour  plus  difficile  de  concilier  le  système 
de  la  commission  avec  les  votes  de  l'Assemblée. 

Le  25  janvier,  toute  la  partie  du  projet  qui  concernait  les  maî- 
tres des  requêtes  et  les  auditeurs  fut  votée  sans  modification  im- 
portante. L'article  18  disposait  que  les  maîtres  des  requêtes 
seraient  nommés  par  le  président  de  la  République,  sur  une  liste 
de  présentation,  double  en  nombre,  dressée  par  le  président  et 
les  présidents  de  sectioh.  L'Assemblée  avait  à  choisir  entre  ce 
système  et  celui  que  voulait  lui  substituer  M.  Sauvaire-Rarthé- 
lemy,  en  proposant  d'attribuer  directement  la  nomination  des 
maîtres  des  requêtes  au  président  de  la  République  en  conseil  des 
ministres.  Dans  la  pensée  de  M.  Barthélémy,  ce  système  se  com- 
binait avec  le  vote  qui,  sq£  sa  proposition,  avait  supprimé  le 
commissaire  général  de  la  République.  LejPouvoir  exécutif  aurait 
trouvé  jusqu'à  un  certain  point,  dans  la  nomination  directe  des 
maîtres  des  requêtes,  la  garantie  que  le  projet  avait  voulu  lui 
donner  par  la  création  do  commissaire  général.  Mais  M.  Barthé- 
lémy ne  put  foire  accepter  ses  vues  par  l'Assemblée. 

L'article  19  donnait  au  président  de  la  République  le  droit  de 
révoquer  les  maîtres  des  requêtes,  mais  avec  certaines  restrictions 
qui  furent  longuement  débattues.  Cependant  cet  article  ftit  voté 
tel  qu'il  était  proposé.  L'article  20,  qui  réglait  les  attributions  des 


CONSEIL  D'ÉTAT.  63 

maîtres  des  requêtes,  et  l'article  suivant,  qui  disposait  que  les 
auditeurs  seraient  nommés  au  concours,  en  fixant  l'âge  auquel 
ils  pourraient  être  nommés  à  vingt  et  un  ans  au  moins  et  vingt- 
cinq  au  plus,  passèrent  sans  contestation  sérieuse.  Il  en  fut  de 
même  de  celui  qui  déterminait  les  attributions  des  auditeurs. 

If.  Bécbard  et  M.  de  Barthélémy  demandèrent  inutilement  que 
les  fonctions  d'auditeur  fussent  gratuites  ;  ils  s'appuyaient  sur  la 
raison  d'économie,  et  aussi  sur  des  arguments  d'une  valeur  peu 
contestable.  H.  Chàrlemagne  rappela  que  les  auditeurs,  après  avoir 
fait  des  études  complètes,  devaient  avoir  consacré  quatre  années 
à  acquérir  le  titre  de  docteur  en  droit,  et  que  s'il  leur  fallait  pas- 
ser encore  quatre  années  comme  auditeurs,  ils  arriveraient  à 
Tâge  de  trente  ans  avant  d'avoir  une  position.  Bien  peu  de  fa- 
milles pourraient  s'imposer  les  sacrifices  considérables  qu'exigent 
dés  études  aussi  suivies  et  l'entretien  d'un  jeune  hojçttie  jusqu'à 
l'âge  de  trente  ans.  La  gratuité  des  fonctions  d'auditeur  aurait 
pour  effet  d'en  réserver  exclusivement  l'accès  aux  jeunes  gens 
riches  qui,  par  cette  porte,  envahiraient  le  conseil  d'État  et  les 
fonctions  administratives.  Ces  raisons,  puisées  dans  un  sentiment 
d'égalité  un  peu  superficiel,  devaient-elles  prévoir  contre  les 
judicieuses  observations  de  M.  Sauvaire-Barihélemy?  La  position 
que  les  auditeurs  occupent  dans  le  conseil  d'État  est-elle  réelle- 
ment une  fonction  publique?  Assurément  non  ;  les  auditeurs  sont 
nommés  pour  quatre  ans  ;  le  temps  qu'ils  passent  au  confeil  est 
un  temps  d'épreuve  et  de  stage  ;  à  l'expiration  de  ce  terme,  ils  en 
sortent  de  plein  drpit.  En  d'autres  termes,  les  auditeurs  sont  des 
aspi^nts  k  certaines  fonctions  administratives  ;  ils  occupent  dans 
leur  sphère  la  position  que  les  surnuméraires  occupent  dans  tou- 
tes les  administrations  publiques  et  les  juges  suppléants  devaut 
les  tribunaux.  Si  on  voulait  rétribuer  les  auditeurs,  pourquoi  ne 
pas  rétribuer  également  les  juges  suppléants  et  les  surnuméraires 
de  toutes  les  administrations  publiques?  On  parlait  de  justice  et 
d'égalité  !  mais  qu'y  avait-il  de  plus  contraire  à  la  justice  et  à  lé- 
galité que  de  voir  un  auditeur  au  conseil  d'État,  un  jeune  homme 
dé  vingt  et  un  ans,  recevoir  un  traitement  de  2,000  fr.,  c'est-à- 
dire  nn  traitement  supérieur  à  celui  du  magistrat  qui  a  vieilli  sur 
SOU  siège?  Ces  raisons,  lotîtes  puissantes  qu'elles  parussent,  cédé- 


64  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

rent  devant  un  mot,  le  mot  mal  compris  d'égalité,  *  l'amende- 
ment de  M.  Sauvaire-Barthélemy  succomba. 

On  a  vu  que  le  projet  réservait  aux  auditeurs  le  quart  des 
places.  C'était  là  peut-être  consacrer  impérativement  un  usage 
suivi  jusqu'alors  en  toute  liberté.  Les  derniers  gouvernements 
avaient  souvent  cherché  parmi  les  auditeurs  du  conseil  d'État  des 
sous-préfets  et  des  préfets,  et  ces  fonctionnaires  qui  avaient  puisé 
k  une  si  excellente  école  la  connaissance  du  droit  administratif  el 
des  affaire» avaient  toujours  eu  sur  les  administrateurs  empruntés 
à  la  politique  une  incontestable  supériorité.  Mais  la  commission 
s'était  laissé  entraîner  à  accepter  un  amendement  de  M.  Dérodé, 
d'après  lequel  le  quart  des  emplois  de  sous-préfets  était  réservé 
aux  auditeurs,  dans  l'ordre  des  présentations  faites  par  le  prési- 
dent du  conseil  d'État  et  les  présidents  de  sections.  Il  en  serait 
résulte  qu'on  aurait  pu  devenir  sous-préfet  sans  l'intervention  et 
même  contre  la  volonté  du  ministre  de  l'Intérieur.  Les  chefs  du 
conseil  d'État  auraient  eu  le  pouvoir  d'imposer  des  sous-préfets 
au  ministre,  qui  n'aurait  eu  d'autre  ressource  que  de  les  destituer 
le  lendemain  de  leur  installation. 

M.  Odilon  Barrot  n'eut  pas  de  peine  à  montrer  qu'il  y  avait  là 
un  élément  de  désordre  et  de  désorganisation  pour  l'adminis- 
tration et  un  véritable  empiétement  de  la  part  des  chefs  du  con- 
seil d'État  sur  la  prérogative  ministérielle.  Les  observations  de 
M.  Baj rot  obtinrent  une  adhésion  unanime,  et  la  seconde  partie 
de  l'amendement  de  M.  Dérodé  fut  supprimée. 

La  série  des  articles  qui  réglaient  les  travaux  intérieurs  du  con- 
seil fut  votée  presque  sans  débats.  Seulement?  l'art.  29,  qui  fixait 
les  traitements  des  divers  membres  du  conseil  d'État,  fut*Vem- 
placé  par  une  disposition  plus  simple,  qui  renvoyait  la  fixation 
de  ces  traitements  à  la  loi  de  finances.  Un  seul  amendement  fut 
l'objet  d'un  assez  long  débat.  M.  Mortimer-Ternaux  proposait  de 
supprimer  toute  la  portion  du  projet  qui  concernait  la  procédure 
du  conseil  d'État,  et  de  renvoyer  à  un  règlement  d'administration 
publique  le  soin  de  statuer  sur  cet  ordre  de  questions  qui,  par 
leur  nature,  semblent  en  effet  plutôt  réglementaires  que  législa- 
tives. Si  cet  amendement  avait  prévalu,  la  suite  de  la  discussion 
en  eût  été  considérablement  abrégée.  Mais  les  objections  que 


CONSEIL  D'ÉTAT.  65 

M.  Bauchart  présenta  contre  ce  système,  éveillèrent  les  suscepti- 
bilités de  F  Assemblée  sur^a  prérogative;  et,  comme  pour  prouver 
qu'elle  ne  voulait  rien  céder  sur  ce  point  et  qu'elle  était  décidée 
à  remplir  sa  tâche  dans  les  plus  minces  détails,  elle  rejeta 
Famendement  de  M.  Ternaux  (26  janvier), 

La  commission  proposait  de  laisser  au  conseil  d'État,  réuni 
en  assemblée  générale,  la  décision  souveraine  de  toutes  les  ques- 
tions de  conflit  qui  s'élèveraient  entre  l'administration  et  la  sec- 
tion du  contentieux.  Le  conseil  d'État,  appelé  à  prononcer  entre 
une  de  ses  sections  et  le  Gouvernement,  aurait  cédé  tôt  ou  tard 
à  la  tendance  naturelle  à  tous  les  corps,  d'étendre  leur  influence 
et  leurs  attributions  :  il  aurait  toujours  décidé  contre  l'adminis- 
tration, et,  grâce  à  l'extension  abusive  de  la  juridiction  conten- 
lieuse,  il  aurait  insensiblement  usurpé  les  pouvoirs  du  Gouverne- 
ment, qui  n'aurait  conservé  que  la  responsabilité. 

M.  le  ministre  de  la  Justice  Gt  ressortir  tous  les  dangers  de 
cette  subordination  du  Gouvernement  au  conseil  d'État,  qui,  in- 
dépendant et  irresponsable,  ne  pourrait  être  arrêté  dans  ses  en- 
vahissements. II.. Barrai  demanda  que  la  décision  des  conflits  qui 
s'élèveraient  entre  l'administration  et  la  section  du  contentieux, 
fût  déférée,  comme  à  un  arbitre  naturel  et  indépendant,  au  tri- 
bunal des  conflits  établi  par  l'art.  89  de  la  Constitution.  Cette 
proposition  obtint  un  plein  succès,  et  Fart.  5*  fut  amendé  dans 
ce  sens. 

Tons  les  articles  suivants  furent  adoptés  sans  débats,  tl  n'en 
fat  pas  ainsi  de  l'art.  66  et  dernier  qui  réglait  la  nomination  des 
premiers  conseillers  d'État. 

Il  n'y  avait  rien  là  cependant  qui,  à  première  vue,  pût  faire 
soupçonner  une  difficulté.  La  Constitution  semblait  avoir  décidé 
la  question  en  remettant  la  nomination  des  conseillers  d'État  à 
l'Assemblée  législative,  dans  les  premiers  mois  de  sa  réunion.  Il 
était  donc  tout  simple  que  l'Assemblée  législative  nommât  tout 
le  conseil  qui  se  serait  renouvelé  par  moitié  tous  les  trois  ans, 
conformément  à  la  Constitution.  Le  conseil  d'État,  en  effet,  était 
destiné  i  fonctionner  concurremment  avec  le  Président  déjà 
nommé,  et  arec  l'Assemblée  qui  succéderait  à  la  Constituante  : 


66  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

tous  les  grands  pouvoirs  de  l'État  se  seraient  trouvés  ainsi  avoir  à 
peu  près  la  même  date,  et  sortir  du  même  mouvement  électoral. 
Hais  des  calculs  d'ambition  particulière  devaient  chercher  à 
troubler  cet  ordre  naturel  :  trop  de  représentants  s'attendaient 
à  n'être  pas  réélus  pour  qu'ils  ne  cherchassent  pas  à  se  ménager 
des  consolations  dans  le  repos  honorable  des  conseils  d'État. 
Aussi,  beaucoup  se  révoltèrent  à  l'idée  de  laisser  à  F  Assemblée 
législative  la  disposition  d'un  si  grand  nombre  de  situations  dé- 
sirables. 

La  commission  avait  dû  céder  à  ces  exigences  secrètes  et 
nombreuses,  et  elle  avait  proposé  que  l'Assemblée  constituante 
nommât  la  moitié  du  futur  conseil;  l'autre  moitié  aurait  été 
nommée  par  l'Assemblée  législative.  M.  Vivien,  dans  son  rapport, 
avait  défendu  cette  combinaison  par  des  arguments  qui  prou- 
vaient surtout  contre  la  prétention  de  faire  nommer  les  conseil- 
lers par  l'Assemblée  actuelle.  Mais  un  vote  récent  venait  de  ré- 
duire le  nombre  des  conseillers  d'État  de  quarante-huit  à 
trente-deux  :  un  tiers  des  places  disponibles  avait  ainsi  dispara 
et  les  combinaisons  se  trouvaient  dérangées.  Aussi ,  ne  dut- 
on  pas  s'étonner  de  voir  formuler  un  amendement  attribuant 
i  l'Assemblée  constituante  la  totalité  des  nominations*  Cepen- 
dant, comme  on  ne  pouvait  priver  l'Assemblée  législative  de  son 
droit  constitutionnel,  la  moitié  des  conseillers  nommés  serait 
soumise  à  la  réélection  avant  peut-être  d'entrer  en  fonc- 
tions. 

Une  moitié  de  l'Assemblée  protesta  contre  un  amendement 
destiné  à  faciliter  des  arrangements  scandaleusement  transparents. 
M.  Lherbette,  avec  une  franchise  gênante,  déclara  qu'il  ne  pou- 
vait voir  dans  cette  proposition  rien  de  sérieia,  et  qu'à  ses  yeux 
il  y  avait  une  contradiction  fâcheuse  entre  l'honorable  suscepti- 
bilité qui  avait  fait  proclamer  l'incompatibilité  du  mandat  de  re- 
présentant et  de  toute  fonction  publique,  et  cet  empressement  à 
pourvoir  aux  places  du  conseil  d'État  et  à  faire  du  titre  de  repré- 
sentant un  marchepied  pour  arriver  à  ces  places.  Néanmoins  une 
majorité  de  douze  voix  fit  prévaloir  l'amendement  proposé  par 
M.  Gautier  de  Rurailly  au  nom  de  la  majorité  de  la  commission, 


CONSEIL  D'ÉTAT.  «7 

et  soutenu  par  M.  Tranchand.  (Sur  792  Totants,  majorité  abso- 
lue 397»  409  pour  et  383  contre)  27  janvier. 

La  loi  tout  entière  était  votée  :  il  ne  lai  restait  plus  qu'à  subir 
l'épreuve  peu  sérieuse  d'une  troisième  délibération. 


H 


«8  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 


CHAPITRE  V. 


l'opinion  bt  l' assemblée,  proposition  1ATXAU. 


Questions  extérieures ,  bruits  (Tune  expédition  ©a  Italie,  projets  du  généra! 
Cavaignac,  interpellations  de  M.  Banne,  M.  de  Lamartine  et  H.  Ledru- 
Rollin,  excentricités  diplomatiques  et  géographiques,  réponse  du  cabinet,  si- 
tuation vraie  des  affaires  en  Italie.  —  Mouvement  dans  le  pays  en  faveur  d'une 
prompte  séparation  de  l'Assemblée,  pétitions  nombreuses,  attitude  des  con- 
seils généraux,  idées  de  décentralisation,  M.  Raudot.  —  Proposition  présen- 
tée par  M.  Râteau  pour  6xer  un  terme  à  l'Assemblée  constituante.  —  Rejet 
dans  les  comités,  rapport  de  M.  Grévy,  discussion,  M.  de  Montalembert,  déV 
claration  du  Gouvernement  par  la  bouche' de  M.  Odilon  Barrot,  prise  en  con- 
sidération. —  Nomination  d'une  commission  hostile  à  la  proposition,  nouveau 
rapport  de  M.  Grévy,  surcroît  de  pétitions,  M.  Clément  Thomas  et  l'opinion 
publique,  conclusion  du  rapport,  conflit.  —  Arrêt  de  mise  en  accusation  des 
accusés  du  15  mai,  haute-cour  de  justice,  cour  de  cassation,  question  de  ré- 
troactivité, M.  Baroche,  M.  Dupin,  M.  Eugène  Raspatl  ;  adoption  du  renvoi, 
composition  de  la  haute- cour. 


L'armement  d'un  certain  nombre  de  bateaux  à  vapeur  dans  le 
port  de  Toulon  et  plusieurs  dispositions  militaires  rappelèrent  les 
esprits  vers  les  difficultés  extérieures.  On  répétait  les  bruits  les 
plus  divers.  Selon  les  uns,  la  médiation  pour  les  affaires  d'Italie 
était  abandonnée;  le  Piémont  faisait  marcher  son  armée  :  le  ma- 
réchal Radetzki  s'avançait  sur  Turin  et  sur  Rome;  le  pape  se  ré- 
fugiait en  France  on  en  Espagne.  Ces  rumeurs  trouvèrent  un 
écho  dans  l'Assemblée  nationale. 

Des  interpellations  adressées  par  M.  Baune  au  ministère  sur  les 
affaires  d'Italie  et  d'Allemagne  eurent  pour  résultat  de  soulever 
un  débat  plus  sérieux.  Quelques  paroles  du  ministre  des  Affaires 
étrangères  appelèrent  à  la  tribune  M.  de  Lamartine  et  M.  Ledru- 


L'OPINION  ET  L'ASSEMBLÉE.  PROP.  RATEAU.  69 

Rollin.  M.  de  Lamartine  n'était  pas  en  cause  :  ma»  l'honorable 
représeqfant  voulut  saisir  cette  occasion  de  désavouer  de  nouveau 
tonte  participation  dans  les  fameuses  expéditions  de  Savoie  et  de 
Riaquous-Tout.  M.  de  Lamartine  rappela  en  vain  son  célèbre 
manifeste.  A  qui  pensait-il  faire  croire  que  ce  manifeste  fût  toute 
la  politique  du  Gouvernement  provisoire?  En  vain  protesta-t-il  de 
ses  bonnes  intentions  personnelles  dont  personne  n'avait  paru 
douter  :  il  ne  pouvait  faire  oublier  une  action  directement  op- 
posée à  la  sienne.  On  put  même  s'étonner  de  voir  l'illustre  ora- 
teur accepter  une  seconde  fois  la  solidarité  d'une  politique  dé- 
sormais jugée,  et  chercher  à  couvrir  M.  Ledru-Rollin  comme  d'un 
bouclier.  Quant  à  celui-ci,  il  trouva  bon  de  s'abriter  derrière 
le  manifeste  de  M.  de  Lamartine,  et  de  désavouer  certains  actes 
politiques  de  son  administration,  laissant  ainsi  sans  réponse  le 
retentissement  du  procès  d'Anvers,  les  accusations  catégoriques 
du  procureur-général  belge ,  M.  de  Bavay ,  les  déclarations 
des  avocats  des  accusés  d'Anvers,  la  conscience  même  de  la 
France. 

Quant  à  la  situation  générale  de  la  politique  européenne, 
M.  Ledru-Rollin  ne  la  jugeait  pas  d'une  façon  moins  singulière. 
Tout  lui  paraissait  rendre  la  guerre  inévitable  :  à  l'entendre,  elle 
était  presque  commencée,  et  la  France  était  cernée  de  toutes 
parts.  En  supposant  vraie  cette  position  de  la  France,  était-ce  au 
Cabinet  actuel  qu'il  fallait  demander  compte  des  difficultés? 
c  A  qui  la  faute?  a  s'écria  M.  de  Laroche jaquelein. 

Sur  les  autres  questions,  M.  Ledru-Rollin  ne  fut  pas  plus  heu- 
reux, et  l'Assemblée  put  entendre  avec  satisfaction  les  répliques 
énergiques  et  concises  de  M.  le  ministre  des  Affaires  étran- 
gères. 

M.  Ledru-Rollin  avait  dit  que  la  Prusse,  profitant  de  l'aveugle- 
ment du  ministère,  concentrait  sur  notre  frontière  du  Rhin 
des  forces  chaque  jour  croissantes.  H  n'en  était  rien  :  le  Gouver- 
nement avait  demandé  des  explications  à  la  Prusse,  et  il  avait  ac- 
quis la  preuve  que  les  forces  prussiennes,  loin  d'avoir  été  accrues, 
depuis  le  mois  d'avril,  avaient  été  diminuées. 

M.  Ledru-Rollin  savait  qu'une  intervention  armée  en  faveur  du 
pape  avait  été  proposée,  que  la  France,  Naples  et  l'Autriche  de* 


70  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

vaient  l'accomplir  à  frais  communs  ;  il  'savait  même  le  «oasetl  de 
Cabinet  où  cette  question  avait  été  débattue.  Jl  n'en  était  rien  : 
aucune  proposition  de  cette  nature  n'avait  été  faite  à  la  France, 
aucun  conseil  de  Cabinet  n'avait  été  tenu  à  ce  sujet. 

M.  Ledru-Rollin  avait  dit  que  les  négociations  entamées  à. ta- 
pies au  sujet  de  la  Sicile,  avaient  été  rompues.  11  n'en  était  rien  : 
les,  négociations  se  poursuivaient. 

M.  Ledru-Rollia  signalait  l'existence  d'une  flotte  russe  dans 
l'Adriatique,  et  informait  le  Gouvernement  qu'une  seconde  flotte, 
non  moins  formidable  que  la  première,  venait  de  la  Baltique,  et 
menaçait  la  liberté  dans  l'Europe  méridionale.  Il  n'en  était  rien, 
et  ici  Terreur  devenait  plaisante.  U  n'y  avait,  dans  l'Adriatique, 
qu'une  escadre  française  :  aucun  navire  de  guerre  russe  n'avait 
franchi  les  Dardanelles  ;  quant  à  la  seconde  flotte,  M.  Ledru- 
Aollin  oubliait  que  la  Baltique  est  fermée  par  les  glaces  pendant 
cinq  mois  de  l'année,  et  qu'aucune  flotte  russe  ne  peut  sortir  de 
Cronstadt  avant  le  mois  de  mars.  M.  de  Tracy,  ministre  de  la  Ma- 
rine, rassura  l'orateur  sur  ce  point. 

M.  Ledru-Rôllin  expliquait  la  supériorité  de  ces  étranges  in- 
formations par  ce  fait  que  le  Gouvernement  avait  annulé  toutes 
les  nominations  du  Gouvernement  provisoire,  et  ne  devait  plis 
avoir  en  Italie  que  des  diplomates  incapables.  Mais  il  se  trouvait 
que  rien  n'avait  été  changé  en  Italie,  en  ce  qui  concernait  le  per- 
sonnel diplomatique,  depuis  que  M.  Ledru-Rollin  avait  quitté  le 
pouvoir. 

Ces  diseussions  oiseuses,  tette  absence  regrettable  d'informa- 
tions sérieuses,  ces  erreurs  grossières  en  histoire,  en  géographie, 
en  diplomatie,  c'était  un  chef  de  parti,  un  homme  éminent,  placé 
un  moment  à  la  tête  de  la  France,  qui  en  donnait  le  triste  spec- 
tacle. Les  mœurs  parlementaires  de  ht  Grande-Bretagne  eu  de 
l'Amérique  du  Nord  ne  présentent  pas,  même  chea  les  orateurs 
de  second  ordre,  un  seul  exemple  de  légèretés  semblables  (ft  jan- 
vier). 

fin  résumé,  les  interpellâtes»  reprochaient  au  Gouvernement 
de  n'avoir  pas  prêté.inain-fbrte  à  l'utopie  de  l'unité  italienne» 

Cependant,  au-dessus  de  ces  discussions  parlementaires  planait 
une  difficulté  sérieuse.  L'Italie  renfermait  essai  de  causes  de  dés* 


L'OPINION  ET  L'ASSEMBLÉE.  PROP.  RATEAU.  71 

ordre  pour  troubler  la  paix  de  l'Europe.  On  pouvait  craindre  que 
l'enivrement  do  succès  ne  poussât  les  Autrichiens  contre  le  Pié- 
mont. D'un  autre  coté,  une  nouvelle  ardeur  guerrière  s'était  em- 
parée du  Piémont.  Un  ministère  passionné,  avait  succédé,  depuis 
on  mois,  à  un  ministère  plus  modéré.  Toutefois,  rien  n'autorisait 
à  penser  que  l'oeuvre  de  la  médiation  fût  abandonnée. 

Quant  à  Rome,  un  sentiment  d'indignation  avait  parcouru  la 
France  et  l'Europe  entière,  à  la  nouvelle  des  excès  dont  cette  ville 
avait  été  le  théâtre.  L'aveuglement  des  théories  démocratiques 
pouvait  seul  fermer  les  yeux  sur  les  destinées  d'une  république 
violemment  née  d'un  acte  d'ingratitude  et  d'un  lâche  assassinat. 
Le  promoteur  de  la  liberté  italienne,  contraint  de  fuir  devant  un 
drapeau  ensanglanté  par  des  sicaires,  c'était  là  un  événement  qui 
réclamait  l'active  sollicitude  de  l'Europe  catholique.  La  France, 
par  ses  sympathies  et  ses  intérêts,  était,  plus  que  tout  autre  pays, 
intéressée  dans  la  question.  Déjà  les  démarches  officielles  du  gé- 
néral Cavaignac  avaient  indiqué  les  tendances  naturelles  du  pays. 
Il  n'avait  pas  suffi  an  général  de  se  préparer  à  agir  en  cas  de  be- 
soin :  il  avait  proclamé  son  intention  d'agir  (1). 

Là  en  étaient  les  difficultés  du  Pouvoir  lorsqu'une  question  plus 
grave  vint  envenimer  la  lutte  entre  le  Gouvernement  et  l'As- 
semblée. 

Un  mouvement  prononcé  se  faisait  sentir  dans  les  départements 
en  faveur  d'une  prompte  séparation  de  l'Assemblée  constituante. 
Un  certain  nombre  de  conseils  généraux  avaient  émis  des  vœux 
de  même  nature,  et  des  pétitions  en  ce  sens  se  signaient  par 
tonte  la  France.  L'instinct  du  pays  l'avertissait  des  difficultés  qui 
naissent  invinciblement  de  deux  prérogatives  rivales,  et  l'opinion 
populaire  se  prétait  difficilement  à  cette  sorte  de  fiction  légale  par 
laquelle  l'Assemblée  demi-constituante,  demi-législative,  abdi- 
quait en  partie  la  plénitude  de  ses  pouvoirs,  sans  cesser  d'être 
elle-même. 

Une  question  de  convenance  s'ajoutait  à  la  question  de  légalité. 
Sans  doute,  on  pouvait  improuver  les  formes  sous  lesquelles  on 
engageait  généralement  l'Assemblée  à  mettre  elle-même  un  terme 

(1)  Voyez,  plus  loio,  Italie. 


72  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

à  son  existence;  sans  doute  on  pouvait  ne  pas  s'associer  aux  som- 
mations peu  respectueuses  qui  lui  étaient  adressées  de  presque 
tous  les  points  du  territoire.  Sans  doute,  enfin,  il  fallait  recon- 
naître que  l'Assemblée  était  dépositaire  légitime  du  principe  de 
souveraineté,  et  qu'il  n'appartenait  qu'à  elle  seule  de  décider  du 
moment  où  elle  croirait  avoir  achevé  son  œuvre. 

Les  conseils  généraux  s'associaient  à  ce  mouvement  de  l'opi- 
nion publique.  Malgré  la  loi  qui  leur  prescrit  de  se  renfermer  dans 
le  cercle  des  affaires  départementales,  ils  s'établissaient,  parla  né- 
cessité des  circonstances,  sur  le  terrain  de  la  politique.  Le  senti- 
ment national,  plus  fortement  excité  dans  les  provinces  que  dans 
la  capitale  elle-même,  ne  pouvait  manquer  de  se  faire  jour  dans 
les  conseils  généraux.  Le  même  élan  avec  lequel  on  avait  vu  les 
gardes  nationales  de  la  France  tout  entière  accourir  au  secours 
de  Paris,  s'y  manifestait  pour  faire  face  à  l'anarchie,  si  jamais  elle 
devait  relever  la  tête.  Ne  fallait-il  pas,  en  effet,  prévoir  le  cas  où 
les  factions  vaincues  en  juin  renouvelleraient  leurs  audacieux  at- 
tentats contre  la  société?  Le  cas,  encore  plus  grave,  où  l'insurrec- 
tion triompherait  à  Paris  ne  devait-il  pas  attirer  l'attention  du 
pays?  Cette  question,  les  conseils  mirent  un  empressement  patrio- 
tique à  la  soulever,  et  ils  la  résolurent  d'une  manière  uniforme. 
Les  uns  ne  reculèrent  pas  devant  une  résolution  définitive,  et  ils 
déclarèrent  que,  le  cas  échéant  d'un  renversement  des  pouvoirs 
constitutionnels,  le  conseil  général  se  réunirait  immédiatement 
sans  attendre  la  convocation  officielle,  pour  offrir  son  concours  à 
l'autorité  locale,  pour  la  suppléer  au  besoin  et  pour  aviser  à  toutes 
les  mesures  de  salut  public.  Les  autres,  plus  scrupuleux  obser- 
vateurs de  la  légalité,  se  bornèrent  à  l'expression  d'un  vœu  ten- 
dant à  provoquer  une  disposition  législative  qui  autoriserait,  dans 
de  pareilles  circonstances,  la  réunion  des  conseils  généraux  sans 
convocation  officielle. 

Quelques-uns  même,  et  en  assez  grand  nombre,  allèrent  plus 
loin.  Ils  se  saisirent  de  cette  question  :  si  l'Assemblée  nationale, 
après  avoir  voté  la  Constitution,  devrait  prolonger  ses  pouvoirs, 
et  ils  provoquèrent  formellement  la  dissolution  de  la  Constituante. 
C'était  là  une  première  et  sérieuse  atteinte  à  l'esprit  de  centrali- 
sation qui  paraissait  être,  sous  la  monarchie,  l'âme  même  de  la 


L'OPINION  ET  L'ASSEMBLÉE.  PROP.  RATEAU.  73 

France.  L'influence  de  l'opinion  parisienne,  la  domination  de 
cette  capitale  qoi  avait  laissé  renverser  on  gouvernement  sans  le 
vouloir  semblait  devenue  un  joug  insupportable.  À.  Rennes,  à 
Lille,  des  orateurs  s'écriaient  dans  le  sein  des  assemblées  dépar- 
tementales : 

«  Il  ne  faut  plus  que  de  Paria  on  non»  expédie  des  révolutions  par  la  malle- 
poste  ;  car  maintenant  ce  ne  serait  pins  nne  rév olotion  politique  qui  nous  ar- 
riverait, maïs  une 'révolution  sociale...  Les  départements,  en  Juin»  ont  bien 
montré  qu'ils  n'entendaient  pas  qu-'il  en  fût  ainsi...  Est-il  frai  que  nous  ayons 
passé  des  jours  qui  s'appellent  le  24  février,  le  15  mai,  le  23  juin?  Est-il  vrai 
que  nom  nous  couchons  chaque  soir  en  nous  demandant  ce  que  nous  serons  le 
lendemain?  » 

Et  un  autre  : 

«  n  est  boni  dans  l'histoire,  disait-il,  que  quelques  milliers  d'hommes  tur- 
bulents, aventuriers  politiques  prêts  à  tous  les  coups  de  main,  aient  pu,  à  di- 
verses reprises,  mettre  en  péril  les  destinées  d'un  peuple  comme  celui  de  France. 
Nous  offrons  à  l'Europe  l'étrange  spectacle  d'une  nation  de  35  millions  d'hom- 
mes exposés  à  recevoir  la  loi  de  20  à  30,000  faiseurs  de  révolutions,  qui 
descendent  sur  la  place  publique,  au  cri  de  quelques  ambitieux  turbulents, 
et  qui  traitent  la  France  en  pays  conquis,  il  y  a  quelques  mois  h  peine,  n'avons- 
nous  pas  va  nue  poignée  d'hommes  égarés,  profitant  de.  l'inertie  des  uns,  de  la 
tmtuT  des  autres,  de  la  connivence  de-  beaucoup,  et  surtout  de  l'impéritie  du 
Gtuvernemenl»v s'emparer  du  sanctuaire  de  la  représentation  nationale  et  chasser 
aérant  elle  le»  élus  do  pays  ?  Une  résistance  unanime  se  déclare  contre  la  ty- 
rannie parisienne  ;  an  violent  désir  de  se  soustraire  à  son  joug  éclate  aux  yeux 
■nmes  du  Gouvernement  central.  Ce  n'est  pas  nne  conspiration,  encore  moins 
■ne  pensée  de  fédéralisme  ;  c'est  on  dessein  ouvert  et  réfléchi  ;  les  provinces  "de 
France,  comme  les  anciennes  provinces  des  Gaules,  ne  veulent  plus  que  leurs 
intérêts  aillent  s'engloutir  dans  Rome.  • 

Do  conseil  général,  celui  de  la  Gironde,  rédigeait  un  pro- 
gramme complet  de  décentralisation  administrative.  La  pensée  fon- 
damentale de  ce  programme  était  résumée  dans  les  deux  points 
suivants  :  €  1°  rechercher  quelles  sont,  parmi  les  affaires  locales, 
celles  qui  peuvent  être  soustraites  sans  danger  à  tout  contrôle 
administratif,  et  les  en  affranchir;  2°  décider  que  tous  les  actes 
qui  resteront  soumis  à  des  formalités  en  trouveront  la  solution  et 
le  terme  au  siège  de  l'autorité  départementale.  » 

Ainsi ,  le  contrôle  de  l'autorité  supérieure  serait  remplacé, 
dans  tous  les  cas  où  cela  serait  reconnu  nécessaire,  par  celui  de 


74  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

l'autorité  départementale  ;  le  centre  serait  transféré  de  la  capi- 
tale au  chef-lieu  du  département.  La  centralisation  ne  serait  pas 
supprimée,  mais  le  cercle  serait  rétréci;  le  centre  se  trouverait 
rapproché  de  la  circonférence  (4). 

Cette  attitude  nouvelle  trouvait,  dans  l'Assemblée  elle-même, 
un  savant  interprète,  M.  Raudot.  L'honorable  représentant  de 
l'Yonne  voulait  que  les  affaires  de  la  commune  fussent  étudiées» 
discutées  et  décidées  dans  la  commune  ;  que  les  affaire^  du  dé- 
partement fussent  étudiées,  discutées  et  décidées  dans  le  dépar- 
tement; il  voulait,  en  conséquence,  que  les  communes  et  les  dé- 
partements, cessant  d'être  placés  sous  la  tutelle  de  l'État,  pussent 
s'administrer  librement,  acquérir,  vendre,  aliéner,  échanger, 
louer,  affermer,  concéder,  édifier,  démolir,  restaurer,  plaider, 
transiger,  hériter,  comme  toute  personne  civile,  sans  subir  les 
longs  retards,  les  tyranniques  entraves  qu'apporte  à  l'accomplis- 
sement de  ces  actes  l'obligation  qui  leur  est  imposée  d'obtenir, 
pour  les  uns,  l'autorisation  préalable,  et,  pour  les  autres,  l'ap- 
probation ultérieure  du  préfet  ou  du  ministre»  si  ce  n'est  même 
du  président  de  la  République. 

M.  Raudot  voulait  également  que  tous  les  maires,  sans  excep- 
tion, fussent  nommés  par  les  conseils  municipaux  et  choisis  dans 
leur  sein,  et  que  l'administration  des  intérêts  départementaux, 
assimilée  à  l'administration  des  intérêts  communaux,  passât  des 
mains  de  l'agent  du  pouvoir  central  aux  mains  d'un  membre  du 
conseil  général,  élu  par  ses  collègues.  Il  voulait,  enfin,  que  les 
attributions  de  l'agent  du  pouvoir  central  dans  chaque  départe- 
ment fussent  celles  d'un  simple  commissaire  du  gouvernement» 
chargé  de  veiller  à  l'exécution  des  lois  d'application  générale,  de 
sauvegarder  les  droits  de  l'État,  de  protéger  les  intérêts  des  tiers, 
de  réprimer  les  excès  de  pouvoir,  de  suppléer  à  la  néglige uce 
des  magistrats  et  d'ordonner  les  mesures  de  sûreté  publique. 

Ce  n'était  pas  un  sentiment  sans  importance  que  ce  désir 
d'émancipation  politique,  si  on  réfléchissait  qu'une  preuve  récente 
de  la  vitalité  départementale  avait  été  donnée  dans  l'élection  du 
président  de  la  République. 

(1)  Voyez  à  V Appendice  Vanar/se  de  la  session  des  conseils  généraux. 


L'OPINION  ET  L'ASSEMBLÉE.  PROP.  RATEAU.  75 

.  Le  29  décembre,  M.  Râteau  présenta  une  proposition  ayant 
pour  but  de  fixer  par  un  décret  Je  jour  de  la  dissolution  de  l'As- 
semtyée  constituante,  et  la  convocation  de  l'Assemblée  législative. 
En  voici  le  texte. 

«  Art.  1er.  L'Assemblée  législative  est  convoquée  pour  le  i9  mars  1S49. 
»  Les  pouvoirs  de  l'Assemblée  nationale  constituante  prendront  fin  le  même 

JOV. 

»  Art.  1\  Les  élections,  pour  la  nomination  des  sept  cent  cinquante  membres 
qui  devront  composer  l'Assemblée  législative,  auront  lien  le  4  mars  1 849. 

»  Chaque  département  élira  le  nombre  d  j  représentants  déterminé  par  le  ta- 
bleau annexé  au  présent  décret. 

»  Art.  3.  Jusqu'à  l'époque  fixée  pour  sa  dissolution,  l' Assemblée  nationale 
s'occupera  principalement  de  la  loi  électorale  et  de  la  loi  relative  au  Conseil 
d'État.  » 

Repoussée  par  le  comité  de  législation,  à  la  majorité  de  19  voix 
contre  18,  rejetée  dans  le  comité  de  la  justice  par  15  voix  contre 
15,  la  proposition  fut,  le  9  janvier,  l'objet  d'un  rapport  de 
M.  Grévy.  Une  partie  de  l'Assemblée,  celle  qui  se  trouvait  en 
communauté  d'opinions  avec  l'honorable  rapporteur,  paraissait 
désireuse  d'empêcher  la  lecture  du  rapport  et  demandait  Tordre 
du  jour  avec  instance. 

Il  fallut  que  M.  Deslongrais  rappelât  que  la  lecture  de  tout  rap- 
port était  de  droit,  dès  qu'elle  était  réclamée.  Malgré  cette  cons- 
piration du  silence,  M.  Grévy  dut  faire  connaître  son  rapport, 
dont  la  forme,  on  pouvoit  s'y  attendre,  était,  malgré  de  nom- 
breux adoucissements  obtenus  au  sein  de  la  commission,  i  la 
fois  âpre  et  provocante.  Les  conclusions* , étaient  impérieuses  et 
violentes,  et  allaient  directement  contre  le  vœu  du  paya.  Les  rai- 
sons sérieuses,  tirées  des  principes  de  tout  gouvernement  régu- 
lier, et  qui  faisaient  envisager  comme  indispensable  la  sépara- 
tion d'une  Assemblée  hostile  au  pouvoir  quadriennal,  n'avaient 
pas  été  discutées  sérieusement  par  M.  Grévy*  Selon  l'honorable 
rapporteur,  l'Assemblée  constituante  ne  pouvait  se  retirer  avant 
d'avoir  accompli  son  mandat,  et  ce  mandat  était  de  donner  au 
pays  une  constitution  républicaine  et  des  lois  organiques.  Une 
constitution,  ajoutaitril,  n'est  qu'un  recueil  de  dispoeitkxis  abe* 
traites,  et  une  Assemblée,  qui  ne  ferait  pas  les  lois  organiques, 


76  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

n'aurait  de  constituante  que  le  nom.  D'ailleurs,  l'Assemblée 
tuelle  ne  s'était-elle  pas  lié  la  main  ?  N'avait-elle  pas  écrit  <lans  la 
Constitution  qu'elle  ferait  les  lois  organiques?  Dès  lors,  elle  était 
obligée  de  les  faire.  A  cette  objection  qu'il  y  avait  impossibilité 
de  coexistence  entre  une  Assemblée  constituante  et  un  pouvoir 
exécutif  issu  de  la  Constitution,  M.  Grévy  s'écriait  :  «Il  fallait 
»  nous  le  dire  avant  le  10  décembre.»  Le  rapport  faisait  valoir, 
en  outre,  que  toutes  les  assemblées  de  révision  seraient  dans  la 
situation  où  se  trouvait  aujourd'hui  la  Constituante. 

Quelles  que  dussent  être  les  réponses  apportées  par  la  discus- 
sion à  ces  appréciations  diverses,  on  ne  pouvait  dès  lors  se  dis- 
simuler qu'un  sentiment  personnel  se  cachait  derrière  les  scru- 
pules du  rapport.  Il  fallait  donc  qu'on  fût  bien  sûr  à  l'avance  que 
le  suffrage  universel,  consulté  une  seconde  fois,  pourrait  modi- 
fier l'esprit  de  la  représentation  nationale ,  puisqu'on  prenait 
ainsi  ses  précautions.  Il  y  avait  donc  là,  disait-on,  une  défiance 
visible  de  l'opinion  publique,  une  affaire  de  parti  1 

La  discussion  sur  la  prise  en  considération  de  la  proposition 
Râteau,  fut  ouverte  le  12  janvier.  A  un  discours  solide  et  modéré 
de  M.  Desèze,  qui  chercha  à  (aire  comprendre  la  nécessité  d'une 
transaction  en  face  d'un  mouvement  incontestable  de  l'opinion 
publique,  M.  Pierre  Bonaparte  répondit  par  des  violences.  L'ora- 
teur traita  de  rebelles  et  de  sacrilèges  tous  ceux  qui  se  permet- 
traient de  penser  qu'il  serait  assez  convenable  de  consulter, 
pour  la  formation  d'une  chambre  nouvelle,  les  électeurs  qui  ve- 
naient de  nommer  un  président.  M.  Pierre  Bonaparte  annonçait 
l'intention  de  rester  inflexible  sur  sa  chaise  curule. 

Le  débat  s'éleva  avec  M.  de  Monlalembert.  L'éminent  orateur 
mit  en  présence  les  deux  fractions  principales  de  l'Assemblée, 
dont  l'une  voulait  s'en  aller  parce  qu'elle  était  sûre  de  revenir, 
dont  l'autre  voulait  rester  parce  qu'elle  était  certaine  de  ne  pas 
revenir.  Mêlant  l'ironie  aux  raisons,  M.  de  Montalembert  ne  pou- 
vait croire  à  l'incompatibilité  d'existence  entre  l'Assemblée  et  le 
président,  à  la  vue  de  tant  de  conversions  accomplies  parmi  ces 
mêmes  hommes  qui  s'étaient  élevés  contre  la  mobilité  des  opi- 
nions. Les  détracteurs  de  la  veille,  transformés  en  flatteurs  du 
lendemain,  ces  dévouements  inattendus  envers  celui  qu'on  avait 


L'OPINION  ET  L'ASSEMBLÉE.  PROP.  RATEAU.  77 

combattu,  ces  acharnement*  à  disputer  le  pouvoir  après  avoir 
prêché  l'abnégation,  lout  cela  sans  doute  formait  un  spectacle 
rassurant.  Hais  une  inquiétude  plus  grave  préoccupait  l'orateur. 
Cette  Assemblée,  sur  qui  la  France  s'était  reposée  de  ses  destinées, 
qui  était  arrivée  investie  de  la  conOance  publique,  qui,  soumise 
à  des  épreuves  difficiles  et  cruelles,  avait  justifié  l'attente  du  pays, 
qui  avait  achevé  une  œuvre  imparfaite,  mais  consciencieuse,  et 
qui  pouvait,  en  se  retirant  après  sa  tâehe  accomplie,  retourner 
dans  ses  foyers  avec  l'estime  et  la  reconnaissance  de  la  nation  : 
cette  Assemblée,  seul  vestige  de  pouvoir  et  d'autorité,  allait-elle 
céder  à  un  funeste  entraînement?  Allait-elle  à  son  tour  tomber 
dans  l'aveuglement  des  gouvernements  qui  l'avaient  précédée  ? 
Allait-elle  renier  son  origine  et  la  source  de  sa  force  ? 

On  criait  à  l'ingratitude  du  peuple!  mais  ce  peuple4 juste  ou 
injuste  qui  voulait  aujourd'hui  une  Assemblée  nouvelle,  qui  l'a- 
vait créé  tout-puissant?  11  voulait  un  changement  :  il  ne  le  disait 
encore  qu'i  demi-mot;  l'obligerait-on  à  le  dire  tout  haut? 

A  ces  paroles,  la  gauche  tout  entière  se  souleva,  lançant  contre 
l'orateur  les  cris  à  Vordre  et  jusqu'à  de  grossières  injures. 

«  Eh  quoi  !  Messieurs,  reprit  l'orateor,  vous  ne  pouvez  donc  rapporter  la  re- 
nte ?  Est-ce  que,  par  hasard,  l'atmosphère  d'une  Assemblée  républicaine  serait 
pins  étouffante  que  l'atmosphère  des  cours?  Est-ce  qu'ici,  pas  plus  que  là, 
on  ne  pourrait  introduire  le  flambeau  de  la  vérité  sans  qu'on  Tienne  souffler 
dessus  pour  l'éteindre  ?  » 

M.  de  Hontalembert  s'éleva,  en  terminant,  à  la  plus  haute  élo- 
quence, en  faisant  appel  à  la  dignité  même  de  l'Assemblée,  et  au 
soin  qu'elle  devait  prendre  de  son  honneur,  afin  de  ne  pas  affai- 
blir encore  aux  yeux  du  pays,  ce  qui  était  déjà  trop  faible  en 
France  :  Le  respect  de  l'autorité  et*  le  sincère  amour  de  la  li- 
berté. 

m  Si  j'ai,  dtt-tl,  mn  reproche  à  ma  faire  dans  mon  passé,  c'-est  de  n'avoir  pas 
asses  reconnu,  assez  respecté,  assez  aimé  le  principe  de  l'autorité.  C'était  plus, 
j'aime  à  le  croire,  la  faute  de  mou  temps,  de  mon  âge,  que  celle  de  mon  cœur. 
Eli  bien!  aujourd'hui,  trop  tard  peut-être,  f  ai  appris  à  connaître  toute  la  valeur 
de  rautorift,  j'ai  appris  qu'elle  ne  pouvait  subsister  et  se  maintenir  dans  le 
monde  que  par  le  respect  qu'on  lui  porte.  C'est  pour  cela  qne  je  vous  respecte, 
c'est  le  profond  respect  que  j'ai  pour  vous,  pour  votre  autorité,  qui  me  fait 
parler  comme  je  parle. 


78  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

»  Saves-Toua,  en  effet,  ce  qu'il  y  a  de  plu  triste  pour  an  véritable  ami  de 
son  pays  et  des  bonnes  doctrines  sociales,  ce  ne  sont  pas  les  renversanoais 
violents  de  l'autorité,  car,  si  tristes  qu'ils  soient,  l'autorité  leur  survit  et  se  re- 
trouve ;  ce  qu'il  y  a  de  plus  déplorable,  c'est  quand  l'autorité  s'alanguit  et 
•'éteint  entre  les  mains  de  ceux-là  mêmes  qui  l'ont  tenue  jeune  et  énergique. 
Eh  bien  l  je  voue  en  conjure,  ne  donnes  pas  ce  spectacle,  ne  permettes  pan  à 
cette  autorité,  qui  n'a  rien  au-dessus,  ni  même  à  côté  d'elle,  ne  permettez  pas  à 
cette  autorité  de  s'affaiblir  et  de  dépérir  dans  vos  mains.  Ne  donnez  pas  cette 
joie  aax  ennemis  de  la  France,  cette  douleur  aux  bons  citoyens.  » 


A  ce  magnifique  discours,  inspiré  par  les  grands  intérêts  du 
pays,  succéda  un  plaidoyer  derrière  lequel  rassemblée  put  deviner 
facilement  des  sentiments,  des  intérêts  personnels.  Un  homme 
politique  qui,  après  la  chute  du  gouvernement  de  juillet,  après  les 
menaceâjadressées  tous  les  jours  à  la  société,  croyait  encore  qu'un 
bon  citoyen  peut  faire  de  l'opposition  stratégique,  M*  Billault 
qui,  à  Tépoque  des  mariages  espagnols,  se  séparait  avec  éclat 
de  l'opposition  modérée  pour  se  rapprocher  du  pouvoir,  M*  Bil- 
lault cette  fois  encore  se  séparait  de  ses  anciens  amis,  mais  pour 
s'unir,  par  un  coup  d'habileté,  à  l'opposition  la  plus  avancée. 
Aussi  cette  situation  toute  particulière  donnait-elle  à  l'avance 
aax  déclarations  de  l'orateur  un  caractère  si  spécial  que  l'As- 
semblée resta  froide  quand  elle  entendit  M.  Billault  assimiler 
des  manifestations  assurément  constitutionnelles  à  un  15  mai 
moral. 

M.  le  président  du  conseil  fit,  à  son  tour,  connaître  la  pen- 
sée du  Gouvernement.  Rien  de  plus  net  que  la  déclaration  de 
M.  Odilon  Barrot.  A  son  sens,  l'Assemblée  constituante  avait  fini 
son  œuvre  principale,  et  l'opinion  publique,  légalement  constitu- 
tionnellement  exprimée,  appelait  une  prompte  dissolution.  Le 
ministre,  à  toutes  les  raisons  déjà  produites,  ajouta  une  raison 
qui  lui  était  propre  et  qui  prenait  une  grande  autorité  dans  sa 
bouche.  Il  signala,  dans  une  grande  partie  de  l'Assemblée,  un 
mauvais  vouloir  marqué  contre  le  pouvoir  exécutif,  tel  qu'il  était 
aujourd'hui  constitué.  Il  démontra  à  l'Assemblée  par  .ses  derniers 
actes,  par  l'imprudence  de  sa  conduite  dans  l'élection  présiden- 
tielle, par  le  vide  de  ses  séances,  par  l'obstination  de  ses  inter- 
pellations sans  but,  Timpossibilité  pour  le  Pouvoir  exécutif  de 


L'OPINION  ET  LASSEHBLÉE.  PROP.  RATEAU.  79 

litre  longtemps  avec  elle,  et  pour  elle-même,  de  prolonger  sa 
durée  an  deàk  d'un  terme  assez  rapproché. 

Les  clameurs,  les  interpellations  grossières,  les  apostrophes 
passionnées  qui  interrompirent  chacune  des  phrases  de  l'orateur, 
a'étaimt  qu'une  preuve  de  plus  de  cette  situation  impossible.  fl 
serait  «Tificile  de  qualifier  les  transports  aveugles  de  la  gauche 
pendant  cette  discussion.  Heureusement  la  majorité  de  l'Assemblée 
se  montra  plus  sage  que  la  fraction  qui  se  condamnait  ainsi  elle- 
nême  devant  le  pays.  La  prise  en  considération  fut  votée.  Sur 
7*G  votants,  majorité  absolue  399,  400  voix  rejetèrent  et  396 
adoptèrent  les  conclusions  du  rapport  (12  janvier).  Sans  doute, 
la  majorité  était  faible;  mais  un  certain  nombre  de  représentants 
avaient  repoussé  la  proposition  de  M.  Râteau,  parce  qu'ils  se  ré- 
servaient d'appuyer  celles  où  d'autres  dates  étaient  indiquées 
pour  la  séparation  de  l'Assemblée.  Ainsi,  MM.  Pagnerre  et  Bar- 
thélémy Saint-Hilaire,  proposèrent  de  fixer  les  élections  au 
43  avril,  et  de  réunir  la  nouvelle  Assemblée,  le  4  mai. 

Mais  enfin,  le  principe  de  la  dissolution  dans  un  court  délai 
semblait  avoir  décidément  triomphé.  Peut-être  même,  les  vio- 
lences extrêmes  d'une  partie  de  l'Assemblée ,  avaient-elles  réagi 
d'une  manière  heureuse  sur  les  esprits  calmes  :  peut-être  avaient- 
elles  utilement  indiqué  quels  étaient  surtout  les  antagonistes  de  la 
proposition.  La  discussion  avait  eu  d'ailleurs  un  résultat  presque 
aussi  important  que  le  vote  ;  c'étaient  les  aveux  des  orateurs  qui 
avaient  combattu  la  proposition. 

M.  Billault  n'avait  fait,  par  exemple,  aucune  difficulté  de  re- 
connaître que  l'Assemblée  n'avait  plus  évidemment  que  deux  ou 
trois  mois  à  vivre.  M.  Pierre  Bonaparte,  de  son  côté,  avait  dé- 
claré que  r Assemblée,  qui  avait  décidé  qu'elle  ferait  des  lois  or- 
ganiques, pouvait  seule  revenir  sur  sa  décision.  C'était  au  fond 
tout  ce  que  disait  l'opinion  modérée.  Il  y  avait  loin  de  là  à  la 
doctrine  extraordinaire  établie  dans  le  rapport  de  là  commission. 
■  y  était  dit,  que  l'Assemblée  ne  pourrait  revenir  sur  le  décret 
su»  violer  la  Constitution. 

Le  45  janvier,  F  Assemblée,  réunie  dans  ses  bureaux,  procéda 
4  la  nomination  d'une  Commission  chargée  d'examiner  la  propo- 


80  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

sition  prise  en  considération,  ainsi  que  quatre  autres  proposi- 
tions relatives,  soit  à  la  convocation  de  l'Assemblée  législative, 
soit  à  la  modification  du  décret  du  15  décembre  concernant  les 
lois  organiques.  Sur  quinze  commissaires  nommés,  quatorze  s'é- 
taient prononcés  d'une  manière  formelle  contre  toute  fixation  de 
date  pour  la  dissolution  de  l'Assemblée.  Un  seul,  M.  Çombere! 
de  Leyval,  voulait  que  l'Assemblée  s'occupât  uniquement  de  trois 
des  lois  organiques,  celle  sur  l'organisation  du  conseil  d'Etat, 
celle  relative  à  Ja  responsabilité  du  Président  de  la  République 
et  la  loi  électorale.  Après  la  rédaction  de  la  première  de  ces  lois, 
l'Assemblée  fixerait  le  jour  de  sa  dissolution. 

Ce  résultat  une  fois  connu,  quelques  membres  firent  signer  à 
leurs  collègues  une  demande  pour  obtenir  un  vote  public  par  di- 
vision sur  le  rapport  de  cette  commission»  afin  d'empêcher  le  vote 
au  scrutin  secret. 

La  commission  chargée  de  faire  un  rapport  sur  la  proposition 
de  M.  Râteau  termina  son  travail  le  19  janvier.  La  sous-commis- 
sion avait  déjà  rendu  compte  des  pétitions  qni  comprenaient  en 
tout  à  ce  moment  18,000  signatures. 

Trois  opinions  s'étaient  manifestées  :  la  première,  consistant  à 
passer  à  Tordre  du  jour  sur  toutes  les  propositions  ayant  pour 
effet  de  restreindre  la  durée  de  l'Assemblée.  MM.  Grévy,  Serrans, 
Jules  Favre  et  Saint-Gaudens  l'avaient  soutenue.  U*  l'avaient 
appuyée  sur  cette  considération  principale  que  c'étaient  les 
ennemis  de  la  République  qui  se  soulevaient  pour  imposer  a 
l'Assemblée  sa  propre  dissolution,  et  que  leur  céder  serait  vouloir 
la  perte  du  gouvernement  républicain. 

La  seconde  opinion,  exposée  par  M.  Marie,  avait  pour  objet 
la  révision  de  l'énumération  des  lois  organiques,  et  le  retranche- 
ment de  celles  de  ces  lois  qui,  comme  la  loi  sur  l'enseignement, 
pouvaient  n'être  pas  considérées  comme  réellement  organiques 
de  la  Constitution.  Il  serait  avantageux  d'y  substituer,  dit  l'ora- 
teur, la  discussion  du  budget,  qui  permettrait  à  l'Assemblée  de 
réaliser  les  améliorations  matérielles  que  la  révolution  a  promi- 
ses aux  populations,  et  que  l'Assemblée  doit  avoir  à  cœur  de  leur 
donner.  Ceux  qui  croient  qu'il  importe  au  salùt  de  la  République 


L  OPINION  ET  L  ASSEMBLÉE.  F*OP  RATEAU.  SI 

que  l' Assemblée  ponmuive  ses  travaux  obéiraient  aux  tomate 
d'une  «aine  politique  en  entrant  dans  cette  voie  a»  liée  de  s'atta- 
cher i  dee  principes  vrais  mais  absolus. 

La  troisième  opinion  foi  présentée  par  M.  Gombwel  de  Leyval. 
L'honorable  représentant  ne  croyait  pas  aux  coalition*  qui  préoc- 
cupaient les  partisans  du  rejet  absolu  de  toafss  les  propositions. 
Il  ne  niait  pas  le  travail  de  décomposition  et  de  recomposition 
qui  s'opérait  dans  les  anciens  partis;  il  croyait  l'infériorité  de 
F  Assemblée  vis-è-vixda  pearoir exécutif  fatale  pour  le  gouver- 
nement représentatif.  «  V Assemblée  est  fsiMe,  dit-il,  et  la  pro- 
longation de  sa  durée  ne  serait  que  le  progrès  dans  la  faiblesse. 
La  nation  a  fait  réfection  du  pouvoir  exécutif  dans  le  but  princi- 
pal de  mettre  un  terme  aux  souffrances  matérielles.  Plutèt  que 
de  croire  qu'elle  s'est  trompée,  elle  rend  ¥  Assemblée  responsa- 
ble du  bien  qui  ne  se  fait  pas,  des  vœux  inaccomplis  qu'elle  a 
formés  sans  trop  les  définir.  » 

M*  Gombarel  de  Leyval  repoussa,  comme  sans  application  à 
l'époque  actuelle,  les  analogies  tirées  des  réclamations  auxquelles 
avaient  été  en  butte  la  Constituante  et  la  Convention. 

«  Aujourd'hui,  ajoutait-il,  tout  est  soumis  à  Fempire  de  l'opi- 
nion ;  le  grand  intérêt  public,  c'est  la  pratique  régulière  de  la 
Constitution,  c'est  de  donner  au  pays  l'aspect  d'une  société  tran- 
quille. 11  faut  donc  marquer  avec  dignité  et  sans  faiblesse  le  terme 
des  travaux  de  l'Assemblée.  Leur  limite  naturelle  est  le  vote  des 
lois  sur  le  conseil  d'Etat,  "sur  la  responsabilité  du  président  et 
de  ses  ministres,  et  sur  les  élections.  La  Constitution,  munie  de 
ce  complément  indispensable,  devra  être  mise  en  pleine  vigueur, 
et  T Assemblée  législative  devra  être  convoquée  par  un  décret 
rends  après  la  confection  de  la  première  loi,  celle  sur  le  conseil 
d'État.» 

M.  Roux-Lavergne,  qui  se  rapprochait  le  plus  de  l'opinion  de 
M.  Combarel  de  Leyval,  pensait  que  l'établissement  républicain 
ne  peut  être  fondé  solidement  que  sur  le  sentiment  général 
d'ordre,  de  paix  et  de  conservation  qu'exploitaient  aujourd'hui  ses 


Far  ce  motif,  il  voulait  que  l'Assemblée  reconnût  sincèrement 
les  convenances  de  la  situation  et  y  fît  droit,  c  Au  nombre  et  on 

6 


a»  WST0U£  DE  FRÀKCE.  (M|*) 

lèla  de  ce*  contenances,  je  ptaot,  dit  M.  Roux-Lavergne,  Fauio- 
rite  et  k  dignité  de  l'Assemblée  national».  Je  crois  qu'on  f  sa- 
tisfera dans  une  juste  mesure  es  rejetant,  lee  prspeoitions  fui 
veulenten  prinripa  la  fteaiien  d'un  délai  p  las  ou  moine  prochain, 
et  en  adoptant  cette  qui  demande  la  réviaàenda  décret  do  «dé- 
cembre- J'ai  voté  toutes  tan  loi»  organiques*  j'ai  pensé  <qae  nous 
avions  le  dseit  de  les  (aire  toutes  ;  je  n'ai  pas  changé  d'arts. 
Mais  ici  la  question  de  droit  dett  fléchir  sans  la  question  poiiti- 
que.  Aussi  je  conclus  pour  que  les  tais  organiques  soient  réduites 
au  petit  nombre  de  celles  qui  seront  indispensables  pour  le  fonc- 
tionnement et  le  maintien  de  la  Constitution.  Un  délai  serait  ftté 
lorsqu'on  serait  assez  avancé  dans  la  rédaction  do  oes  lois  pour 
prévoir  raisonnablement  le  terne  de  nos  travaux.  Je  repousse 
donc  les  conclusions.de  M.  Grévy.  j> 

La  proposition  la  plus  absolue  présentée  par  M»  Gréty,  et  de- 
mandant l'ordre  du  jour  sur  toutes  les  propositions,  sauf  à  indi- 
quer dans  le  rapport  que  si  les  circonstances  le  permettaient, 
l'Assemblée  pourrait  se  retirer  en  mai  00  en  juin,  fût  adoptée  par 
huit  voix  contre  quatre  ;  un  membre  s'étant  abstenu,  M.  Grévy 
fut  nommé  rapporteur. 

Lorsque  la  proposition  de  M.  Râteau  était  venue  soulever,  pour 
la  première  fois,  au  sein  de  l'Assemblée  constituants,  la  ques- 
tion de  la  dissolution,  les  partisans  du  mandat  indéfini  s'étaient 
lait  un  argument  du  petit  nombre  de  pétitions  déjà  déposées.  Le 
nombre  des  signatures  n'atteignait  pas  huit  mille  ;  mais,  à  me- 
sure que  la  proposition  faisait  son  chemin  dans  les  comitée  et 
dans  les  rapports  de  commission,  le  sentiment  public  se  ment* 
feslait  d'une  manière  plus  énergique.  Huit  jours  sutfaent  pour 
que  les  pétillons  se  comptassent  par  centaines  et  les  signatures 
par  milliers.  Le  24  janvier,  le  maréchal  Bugeaud,  M.  Yietor 
Grand  in  et  quelques  autres  membres  se  succédèrent  à  la  tribune 
pour  déposer  des  pétitions  réunissant  ensemble  plus  de  cinquante 
mille  signatures.  Alors,  dans  le  parti  de  k  prolongation,  ta  rail- 
lerie fit  place  à  la  colère.  On  voulut  oouvrir  la  voix  des  reprise*» 
tants  porteurs  des  pétitions  ;  on  voulut  les  contraindre  àdépeeer 
ces  pièces  sans  en  indiquer  l'objet.  On  put  être  Burpris  de  voirie 
président  de  l'Assemblée  s'associer  à  cotte  prétention.  M.  do 


L'OPINION  ET  V  ASflnmAE.  fftj*.  RATEAU.  A 

Mornay  pMloU  chahnreiMaanM  «erti*  «lit  iateqpréliataai  4a 
rftglpw.nt  cMttrair*  à  ia  ptatifae  deJ'JmaaUée  netaalleet  arile 
de  tentes  les  AsseaUéae  anténienrea.  Le  aèflem*t  iaMrdàC  « 
en  effet,  de  dévelegper  >et  d'appujeff  Je*  p  Arilitns  Ajuaad  «a  àm 
dépose  et  aiapt  qu'elles  aient  isabi  l'<CKaaaaa<d'4iae  «iMiriii 
spéciale,  aak.il  a 'interdit  paed'eu  feiFe-CMaatoeJetiet,  JLCUé» 
mantTbaflnas  se  jeta  jnelhountuieaMuet  àla4iavea»e4e«e  débat 
pour  demander  qu'an  J*e  coatinaél  pas  ceMe  geenra  depétitiaaSt 
et  pour  eweencer  que  aeu  parti  était  peét  .à  Aire,  lai  «Mai,  Jt 
déMiahremant  de  «ou  juaée.  M.  Bérard  râtela  à  l^itnpmiant 
défenseur  d'un  puât?  qu'ea  ae  eaurait -ainsi  oaatastar  «n  «Ueit 
aux  citoyens  para  qu'ils  <eo  fieat  un  «sage phis  eu  aeing  Aie* 
agréable  à  une  fraction  du  paye.  •QtM*  m  déao«taeAeat.aa~ 
nonce,  l'^preuae  da  40  déoembeeietle  neaifarr  «d$à  ferm»dajble 
dea  sigaatuvee  .vaoneiljjes  far  le  ;parti>de  Ja  feregalioa  «nrfafc» 
saient  une  menace  peu  .sérieuse. 

Le  25  janvier!  l'iaseinblée  entendit  le  «appert  de  IL  Grérç* 
L'ahsafaitiaiae  dea  conclusions  était  «élevé  ananre  «par  le  tea  loin* 
càaat  de  ne  decsnaenL  La  iiappart  flBfStafraea  npuia— a*  la  pro- 
position de  M.  Ratera,  siak-asmae  loties  iea  prapoakione  4a 
lafane  genre.  La  comaMfaien  aa  tafcsait  ëgatanent  aeit  àéaer  m 
terme  quekanfae,  produis -ou  éieigaé,  à  regstaaea  4e iarhsan 
We  actuelle,  soit  aataee  à  apporter  la  waindte  nwiiicaÉwn  aâ 
décaetqni  aaaitdétaeaainéleaoaibeedeaJeii  aaganisjaas.  M.  Caévj 
s'élevait  surtout  contre  la  violence  aaetaèe  qae  l'oa  prétendait 
faire  à  la  fhamfcre  à.i'aate  de  eee  pétitions,  qui  m  portaseatan- 
cm*  qm  173^«riigiiitanii.  On  ooUiait  être  J'^siaaian,  biea 
auraient  ratante  éea  pétitions  -et  éea  àaaajaasa,  «tait 
vatté«ae  jaaaarcàaa,  et  «a  e'jadignait  aauainriun  d'nne 
featation  à  coup  sûr  plus  imposante  de  i'ofnan>a  pnttàfpe* 

Qaelloe  nonÉdeaftiara  asasent  pn  détÉruaàner  k  oonoois- 
tien  à  ommtûlm  ia  ûabraatiea  de  lentes  ans  àm%  m 

le  .démet,  fwad  on  niait  imnaaa,  et. 
•tes.  par*»  de  la  ehawboe ,  qn'i  était 
de  Méémm  ie  nombre  de  «ea  lais,  «t  qaud  on 
avait  démontré  l'impossibilité  de  les  faire  toutes,  à  amas  ajaa 
h  Quota*  «te  «oattt  cosapsaBuettre  ia  rédaction  par  «ne  Mte 


M  HISTOIRE  DE  FRANCE  (1849.) 

fâcheuse,  ou  qu'elle  prolongeât  son  existence  de  plusieurs  an- 
nées? M.  Gfév y  s'appuyait  sur  l'état  avancé  des  travaux  prépara- 
toires. Peut-être  se  faisait-il  quelque  illusion. à  cet  égard.  Et 
d'ailleurs,  des  travaux  préparatoires  ne  sont  pas  une  loi  volée 
après  les  longues  discussions  et  les  (rois  lectures.  Où  était  d'ail- 
leurs ce  Code  militaire?  Où  était  encore  ce  Gode  maritime,  dont 
la  loi  organique  sur  les  armées  de  terre  et  de  mer  réclamerait 
l'exécution?  Le  rapport  prétendait  que  la  Constitution  imposait  à 
l'Assemblée  le  devoir  de  faire  les  lois  organiques.  C'était  là  une 
pétition  de  principe,  car  c'était  la  question  elle-même;  Et  d'ail- 
leurs, le  rapport  ne  tardait  pas  à  revenir  sur  cette  affirmation 
sans  preuves,  puisque,  de  son  aveu,  l'Assemblée  avait  le  droit  de 
réviser  le  décret  qui  énumérait  ces  lois. 

Une  véritable  raison  politique  était  pourtant  donnée  par 
M*  Grévy.  Celle-là  pouvait  à  elle  seule  faire  juger  le  parti  qui  la 
donnait.  L'Assemblée»  disait  le  rapport,  doit  persister  dans  son 
décret,  parce  que  l'Assemblée  qui  a  fait  la  République  peut  seule 
la  défendre.  &'il  en  était  ainsi,  répondaient  les  adversaires  de 
la  prolongation,  pourquoi  la  Constituante  ne  déclarait-elle  pas  sa 
perpétuité,  et  quand  consentirait-on  à  livrer  la  République  à 
elle-même,  c'est-à-dire  à  la  nation?  On  reconnaissait  là  le  sys- 
tème d'isolement  et  de  défiance  des  républicains  de  la  veille. 
A  l'Assemblée,  disait-on  encore,  il  appartenait  de  veiller  sur  les 
premiers  pas  de  l'élu  du  peuple.  Défiance  injurieuse  et  pour  relu 
et  pour  la  nation  elle-même. 

A  ces  arguments  le  rapport  ajoutait  des  considérations  dont  il 
était  difficile  d'accepter  la  gravité.  Pouvait-on  croire,  en  effet,  que 
ce  fût  sérieusement  que  le  rapport  parlât  du  concours  des  repu- 
blicains.de  la  veille  refusé  par  le  ministère  et  de  l'ardeur  avec  la- 
quelle la  Chambre  aspirait  à  le  dissoudre? 

Le  rapport  de  M.  Grévy  avait  nettement  formulé  le  débat.  La 
question  était  une  question  de  vie  et  de  mort  entre  le  Gouverne- 
ment et  l'Assemblée.  La  Montagne  s'empara  habilement  de  la  si- 
tuation et  sut  compromettre  l'opposition  tout  entière.  La  mise  en 
accusation  des  factieux  du  15  mai  fut  l'occasion  de  ce  rapproche- 
ment inattendu. 

La  Chambre  des  mises  en  accusation  et  la  Chambre  des  apttels 


L'OPINION  ET  L'ASSEMBLÉE.  PROP.  RATEAU.  » 

de  police  correctionnelle,  réunies  sous  la  présidence  de  M.  le  pre- 
mier président,  rendirent,  le  46  janvier,  leur  arrêt  dans  l'affaire 
de  l'attentat  da  45  mai.  Tous  les  prévenus  qui  étaient  compris 
dans  l'ordonnance  de  prise  de  corps  avaient  été  mis  en  accusation. 

Les  sieurs  Blanqvi,  Flotte,  Martin  dit  Albert,  Barbés,  Sobrier, 
RaapaU,  Quentin,  Degrez,  Larger,  Borme,  Thomas,  Louis  Blanc, 
Seignèuret,  Houneau,  Huber;  Laviron  et  Napoléon  Ghancel 
étaient  accusés  d'avoir,  en  mai  4848,  commis  an  attentat  ayant 
pour  bot  de  détruire  on  de  changer  le  Gouvernement,  et  d'avoir, 
à  la  même  époque,  commis  un  attentat  ayant  pour  bat  d'exciter 
la  guerre  civile  en  portant  les  citoyens  à  s'armer  les  uns  contre  les 
autres. 

Les  sieurs  Gourtais,  Caussidîère  et  Yillain  étaient  accusés  dé 
s'être  rendus  complices  desdits  attentats,  en  aidant  et  assistant 
avec  connaissance  les  auteurs  dans  les  faits  qui  les  avaient  pré- 
parée ou  facilités,  et  dans  ceux  qui  les  avaient  consommés. 

Huit  de  ces  accusés  étaient  contumaces;  c'étaient  les  sieurs 
Louis  Blanc,  Seigneuret,  Houneau,  Huber,  Caussidière,  Laviron, 
Chancel  et  Yillain. 

Le  47  janvier,  le  Cabinet  saisit  l'Assemblée  d'un  projet  de  dé- 
oret  pour  que  Pafhire  fût  jugée  sans  délai  par  la  haute-cour  na- 
tionale, qui  se  réunirait  A  Bourges.  Le  décret  avait  pour  but  de 
convoquer  la  grande  Gourde  justice,  instituée  par  la  Constitution. 
La  cour  de  cassation  avait  déjà  désigné  les  cinq  membres  qui  de- 
vaient en  foire  partie.  Le  Pouvoir  veillerait  à  la  mise  k  exécution 
des  autres  dispositions,  et  notamment  à  la  constitution  du  jury. 

La  proposition  du  Gouvernement  établissait-elle  la  rétroactivité 
proscrite  par  la  Constitution  î  Quelques  représentants  le  pensaient. 
Deux  autorités  irrécusables  justifièrent  le  renvoi  devant  la  haute 
cour  de  justice.  M.  Baroche  démontra  que  là  rétroactivité  a  été 
toujours  et  nécessairement-  admise  par  les  diverses  législations, 
sous  le  rapport  criminel  et  de  compétence.  M.  Dupin  afné  traita 
à  fond  les  principales  questions  de  jurisprudence  qui  se  ratta- 
chaient à  la  proposition.  La  haute  cour,  dit  H.  Dupin,  est  com- 
pétente, quoique  le  fait  ait  été  commis  avant  la  rédaction  de  la 
Constitution.  Un  amendement  proposé  sur  l'art.  444,  en  vue  pré- 
cisément d'exclure  la  compétence  de  la  haute  cour,  a  été  rejeté 


1 


m  HSIQttE  m  HLASCE.  (Î8J*) 

à  una  trèagjande  aspérité*  La  question  n'est  dnnn 

Buste  à  sae/oitv  ajoutait  l'éaûneot  jutiseonauste,  a'ii  y  a 
njnaaà  renaofer  te  &U  donfciL  s'agit  dosant  la  haute  eour.  R  nfne> 
sitailnaaà  le  penser-  Eneflat»  disait-il,  L'attentat  dont  il  tfagitast 
le  glus  grand,  qpi  puisa*  ao  cesunairradaug  un.  pajtj  Kfcs».  &'est 
un  attentat  à  la.sauaaraineté  du  peuple  daae  k  penessae  < 
ntsjrtsuntwntsy  éluapac  le  safcage  unJueuBelv  et  intastifl^  à 
tWi  rirronalanff  s^,  da  tonales  panvoim  public*  par  la  délégation  la 
plaugiuésnle  et  la  plua  absolue.  M*.  Dnpia  sjoutaifi  essaie  qsj'ifc 
était  à  regrettai;  qualacas*  dacassatism,  dans  k  sein  de  hsjuoie 
oattwit  priai*  haute  «sur,  n/eàt  pas  encore  rep»  sod  institution 
définitive.  Il  y  avait,  en  effet,  lien  de  désirer  qu'on  pût  confiner 
par  u&  artklade-loi  à  part  Porgaaisfiiion  de  cette  cour,  qui  ne 
panait  Ataa  sénsusément  contestée,  et  sur  laquelle  la  légisJafteur 
asuit  toujours  statué  pat  des  kriaséparéee.  Celle  iaststutioo  misait 
pour  effet  d'établir  clsjantage  aux  yen*  dn  pablk  et  dus  asoasin 
rnjinion  de  parfaite  indépendante  qui  s'attachait  déjà  au  carac- 
tère, des  wafljstrata  désignée,  etqmeslsuatesjteiîgéedanalajsH 
gement  des  accusations  politiques. 

La  discussion  lot  euxarte  la  SO<janiier»  M*.  Eugène?  RaaptM  eun  - 
testa  4  VAssanMée  nationale  la  droit  da  saisir  la  eaus*  caur  du 
justice  dal'afliairada  15  mai  ;  les  préaenua,  ssalgré  lescarassin* 
psjftîsuUtja4e  VattantsAdes^UaésÂntaccnsAyna  hri  paraissaient 
justiciables  que  du  jtary  at  da  jury  parisien.  Le  jury  parisien,  par 
son  intalliganaa,  pus  sas»  isisnainnimeai  spédaWey  lui  sesnbsait  tant 
en  étal  d'appaésier  la  nature- et  la  portée  rériuMe  dus  faits,  at  la 
foawnsnarn^  ejiconfe  quant  la  haute  saur  4  Bauqttay  frisait  à  la 
foieprause  d'iainlrilipnoe,  de  sisnsjnt»  roussir  pour  las  anrusée^ 
etda  défiant»  pour  U  population  parieienaavM»  Baspail  sa  postait 
guinnt  de  la.  tranquillité  de  Pasis»  ai  aiee  «este  medésaties*  et  celte 
résem  qui  distinguent  pariai*  se*  parti,  il  sjeutait  que  Psais 
donnais  tous,  le*  jeune  la,  masure  da  sa  patience  en  tolérant  la  pisV 
senne  au  ponjpig  des  ainistrea  actuala»  - 

JsUBanjean.ua  réfondit  paaacee  fraideaiiulenaaa  et  se 
à  réfuter  lea  argutie*  juridiques  dent  la  précéda*  eenlnuF 
accompagné  ses  déclamations  ioealtonlan.  M.  ftenjasn  eus 
pejaa  à  démontras  qp*  le  prêtée  h»  ne  tislsifcaucnnidaapfisv 


L'OPINION  ET  L'ASSEMBLÉE.  F*OP.  tÀTEÀU.  91 


Ô06ft  du  dneit,  qu'il  était  l'application  de  la  Constitution*  et 
CQOÛMnoénieot  à  la  Conattation,  l'Assemblée*  uait  I»  dsort  M  le 
devoir  de  saisir  la  haute  eouc  de  justice  d'un  attentat  senti*  te 

* 

raprésontalioa  nationale* 

IL  Jtaajean  termina  son  discernes  pur  a»  argument  déoisif  ;  il 
Appela  que  tara  delà  discussion  de  laConelituuou,  on  desara- 
tnux&d&laJnoitagittavaJlpréeenAé  un  amendement  portant  que 
la  liante  cinir  de  justice  ne  pourrait  connai**  que  dce  faite  posté- 
rieurs à  lapromalgatioa  de  la  Constitution,  et  qu'a*  avait  appuyé 
cet  amendement snr  le  démr  de  ne  pas  enlevât  let  prévenuedu 
15  mai  à  la  juridiction  du  jury.  L'Assemblée  nationale,  en  repous- 
sant l'ainendemenl,  préjugeait  doue  déjà  la  question  qui  lai  était 
soumise  aujourd'aui*  el  aile  la  relevait  dans  le  même  sens  que  le 
projet  de  loi. 

M.  Ledru-Rollûi  reprit»  raaîa  avec  modération  et  conve- 
nance, les  sopbkunea  de  la  gauche.  C'est  alors  que,  malgré  les 
interruptions  et  ks  demeura  d'un  côté  de  la  Chambre,  II.  Do- 
pin  aîné,  dent  ces  violence*  ne  purent  troubler  l'ar§umen- 
talion  puissante,  vint  développer  les  raisons  si  solides  qu'il 
aaait  déjà  exposées  dosant  la.  commission»  On  peut  résumer  en 
ces  quelques  mots  la  savante  discussion  de  réminent  juriscon- 
sulte. 

La  question  se  résout  par  un  principe  de  jurisprudence  et  par 
un  principe  politique.  Lés  loi*  n'ont  point  d'effet  rétroactif,  non 
sana doute;  c'est-à-dire  que  je  ne  puir  être  reebei-ebé  ni  puni 
pour  un  fait  antérieur  à  la  lot  qui  a.  qnalifté  ce  bit  de  délit  o*  de 
crime»  La  loi  qui  frappe»  ne  réagitpaa  sur  le  passé  ;  elle  n'atteint 
que  ee-qui  a  lieu  souasea  empire,  et  son  empire  ne  commette 
qu'au  moment  oà  aUe  est  lendne  qt  promulguée*  Cela  est  mi 
pour  les  dispositions  pénales  ;  c'est  on  principe  d'éternelle  jus- 
tice; il  y  aucait  barbarie  et  immoralité^  me  punir  pont  un  fait 
qui  n'ttsak^pomt,.  aux.  feux, daU.iégialatÀeu^  le  tractera  de  délit 
ou  de  crime  quand  je  L'ai  commis*  Tout  le  monda  est  oMgé  de 
connaîtra  la  loi  qui  ajuste;  personne  n'est  obligé  de  prévoie  la 
toi  qui  n'exista  pas. 

Mai*  ces  principes  na suai  finale*  mêmes  quand  il  e'agil  des 
lois  de  procédure  et  de  compétence,  car  eea  laie  ne  evéeut  pus 


88  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

un»  pénalité  nouvelle  ;  elles  ont  seulement  pour  but  de  recher- 
cher si  je  suis  coupable  ou  non,  et  d'assurer  par  de  meilleures 
▼oies  de  procédure  l'application  de  la  pénalité  ancienne  à  des 
faits  que  la  loi  qualifiait  déjà  de  délits  ou  de  crimes.  On  sup- 
prime des  tribunaux,  on  en  établît  d'autres;  la  compétence 
change  ;  la  criminalité  ne  change  pas;  c'est  donc  une  règle  de 
jurisprudence  qu'il  n'y  a  point  de  rétroactivité  à  faire  juger  des 
toits  anciens  par  un  tribunal  de  nouvelle  création.  Ce  n'est  pas 
de  la  rétroactivité  qu'on  pourrait  se  plaindre,  ce  serait  de  l'ini- 
quité, si  le  nouveau  tribunal  n'offrait  point  aux  justiciables  les 
garanties  qu'ils  ont  droit  d'exiger. 

Il  y  a  en  outre  ici  un  principe  politique.  Cest  pour  la  sûreté 
de  l'État  qu'une  haute  cour  nationale  a  été  créée.  Cette  cour  n'a 
point  de  juridiction  propre  et  ordinaire.  II  n'appartient  qu'au 
pouvoir  politique  de  fa  faire  fonctionner.  Elle  ne  peut  être  saisie 
ni  par  un  réquisitoire  du  procureur-général,  ni  par  un  arrêt  de 
renvoi.  Elle  ne  se  constitue  qu'en  vertu  d'un  décret  rendu  sur  la 
demande  du  Gouvernement  par  le  Pouvoir  législatif.  Cest  un  acte 
de  souveraineté  qui  1a  met  en  mouvement.  Tout  est  donc,  dans 
ce  cas,  exceptionnel  et  extraordinaire  comme  le  crime  qui  solli- 
cite de  telles  mesures.  M.  Do  pin  Ht  remarquer,  du  reste,  que 
cette  juridiction  exceptionnelle,  sous  une  forme  ou  sous  une 
autre,  n'avait  pas  cessé,  depuis  cinquante  ans,  d'exister  dans  nos 
lois.  On  l'a  appelée  tantôt  cour  des  pairs,  tantôt  haute  eour  na- 
tionale; toujours  il  y  a  eu  un  tribunal  supérieur  pour  ces  crimes 
qui  menacent  en  quelque  sorte  l'État  au  cœur,  et  devant  lesquels 
la  justice  ordinaire  serait  exposée  à  faiblir  et  à  reculer.  L'impor- 
tant est  qu'en  assurant  la  répression  du  crime,  ces  juridictions 
ne  deviennent  pas  des  instruments  de  tyrannie  et  de  proscrip- 
tion. 

La  Montagne,  car  c'est  le  surnom  emprunté  à  de  mauvais  jours» 
que  se  donnait  l'extrême  gauche  dans  l'Assemblée,  la  Montagne 
montra  pendant  tout  ce  discours  qu'il  n'y  avait  rien  à  ré- 
pondre k  la  nerveuse  dialectique  de  l'orateur.  A  mesure  que 
les  raisons  abondaient  plus  fortes  «et  plus  décisives,  des  insultes 
indicibles,  les  clameurs  inconvenantes  descendaient  des  bancs 
de  l'extrême  gauche  (20  janvier). 


LOPHHOH  ET  L'ASSEMBLÉE.  PROP.  RATEAU.  89 

La  lotte  continua  le  Î2  janvier.  Elle  fut  plus  vive  que  fertile  en 
arguments  nouveaux.  MM.  Dupont  (de  Buseac),  Crémieai  et 
Joies  Favre  soutinrent  de  nouveau  que  le  projet  violait  le  prin- 
cipe qai  veut  que  les  lois  n'aient  pat  d'effet  rétroactif.  H  suffit  à 
M.  Routier  de  reprendre  et  de  résumer  avec  lucidité  l'arguiae*- 
tation  de  M.  Dupin  aîné.  Aui  raisons  de  droit,  M.  Odilon  Barrot 
ajouta  des  considérations  politiques  de  la  dernière  évidence. 
N'était-il  pas  étrange,  en  effet,  que  les  orateurs  qui  faisaient  tant 
d'efforts  pour  paralyser,  dès  son  début,  la  haute  cour  nationale, 
pour  jeter  de  l'odieux  sur  cette  juridiction  nouvelle,  eussent 
gardé  le  silence  quand  on  discutait  le  chapitre  de  la  Constitution 
qui  l'établissait?  Si  la  haute  cour  n'offrait  pas  aux  accusés  toutes 
les  garanties  désirables,  si  c'était  un  tribunal  exceptionnel,  une 
juridiction  arbitraire*  pourquoi  ne Tavait-»on  pas  démontré  alors? 
On  demandait  encore  quelles  règles  de  procédure  suivrait  la  haute 
cour.  M.  Barrot  répondit  :  la  procédure  du  Code  d'instruction 
criminelle.  La  haute  cour  nationale  n'était  autre  chose,  en  effet, 
qu'une  cour  d'assises  suprême.  En  fait  de  procédure,  elle  n'au- 
rait pas  d'autre  droit  à  suivre  que  le  droit  commun.  M.  Barrot 
n'établit  pas  avec  moins  de.  force  que  la  haute  cour,  étant  un 
grand  jury  national,  ne  pouvait  pas  être  chargée  soit  de  l'imv 
tructioo,  soit  de  l'accusation  ;  que  l'intérêt  des  accusés  eux-mê- 
mes demandait  que  l'instruction  fût  faite  par  les  voies  ordinaires 
et  conformément  au  droit  commun  ;  et  que  l'intervention  du  pou- 
voir législatif,  qui  seul  pouvait  saisir  la  haute  cour,  ne  devenait 
légale  et  possible  qu'après  la  clôture^  de  l'instruction ,  parce 
qu'alors  seulement  le  pouvoir  législatif  pouvait  porter  un  décret 
en  connaissance  de  cause.  S'armer,  comme  op  avait  essayé  de  le 
faire,  de  ce  que  l'instruction  avait  été  faite  suivant  le  droit  com- 
mun, et  non  pas  par  la  haute  cour  de  justice,  pour  contester  la 
compétence  de  celle-ci,  n'était-ce  pas,  en  réalité,  prétendre  que 
le  pouvoir  législatif  devait  forcément  saisir  la  cour  nationale  avant 
toute  instruction?  c'était  lui  contester  le  droit  de  faire  usage  de 
son  pouvoir  souverain. 

Ces  raisons  déterminèrent  la  conviction  de  l'Assemblée,  qui 
adopta,  à  la  majorité  de  466  voix  contre  288,  l'article  premier 
dn  projet.  L'adoption  de  cet  article  emportait  l'adoption  de  la  loi 
elle-même  (22  janvier). 


9»  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (184».) 

La  hante  cour  de  justice  était  ainsi  définitivement  ccmstitaée. 
Rappelons*»  en  quelques  moitiés  éléments  qui  devaient  la,  com- 
poser, d'après  la  Constitution. 

La  haute  cour  de  justice  est  composée  de  cinq  juges  et  de 
tiwatasii  jnrés.  Les  juges  sont  des  membres  de  la  oeur  de  cassa- 
tien,  que  cette  dernière  désigne  chaque  année  dans  les  cause 
premiers  jaurs  da  mois  de  novembre,  an  scrutin  secret  et  à  la  ma- 
jorité absolue.  Cea  cinq  juges  font  choix  de  leur  président.  Les 
Magistrats  renaissant  les  fonctions  da  ministère  public  «ont  dé- 
signés pat  le  président  de  la  République,  lorsqa'il  ne  s'agit  pas 
^accusation  portée  contre  lui  on  contre  ses  ministres;  ente  les 
jurés,  au  nombre  de  trente-sii  et  quatre  jurés  suppléants,  sont 
pris  parmi  les  membres  des  conseils  généraux  des  départements, 
an  moyen  d'un  tirage  an  sort  fait  pour  chaque  département,  en 
audience  publique,  par  le  président  de  la  cour  d'appel,  et,  i  dé- 
faut delà  cour  d'appel,  par  le  présideut  du  tribunal  de  première 
instance. 


méludbb  BÉveurrioniAncs.         91 

'!■  il!         i  '  ■  if  i        i.  ii  n    il        sesmap 


CHAPITRE   VI. 


PRÉLUDES   RÉVOLUTIOTOA1ILKS. 


Agitation  dans  Pari*,  lotte  entre  l'Assemblée  et  le  cabinet  dans  la  Chambre, 
anUt  enast  I»  dfaetgqgk  et  fe  président  dans  le»  journaux  et  dans  les  clubs. 
—  M.  Pwndaon  et  h  janrnal  I*,  Peupla.  -—  Insultes  adressées  an  prési- 
dent.—  La  Solidarité  républicaine.  —  Protestation  contre  l'arrêt  de  renvoi 
des  accusés  du  15  mai.  —  Réorganisation  des  sociétés  secrètes,  comités 
r.  —  xSfDNtore  cra  quelques  clans,  mesures  de  prudence.  — *•  Tj  ar- 
«fc  km  aanhinii  de  Paria.  —  Projet  interdisant  les  clubs,  consmission 
hostile  au  projet,  rapport  de  M.  Senard,  rej«t  da  projet,  mise  en  accusation 
du  ministère,  M.  Ledru-Rollin,  protestation  des  journaux  démagogiques.  — 
ÀgTtatbtt  dans  la  me.  —  Recherche  cTnn  prétexte  à  la  sédition.  —  Décret  sur 
In  Cf—di  iiwMe,  tentative  eWsseute  an  cours  de  M.  LermimVr,  M.  Cbangar- 
nier  et  la  Garde  mobile,  défense  de  Paris,  iininsnence  d'un  conflit. 


Si,  a  l'intérieur  de  l'Assemblée,  par  un  reste  de  respect  pour 
les  convenances  parlementaires,  la  lutte  semblait  être  entre  le 
parti  révolutionnaire  et  le  Cabinet,  au  dehors,  dans  les  journaux, 
dans  les  clubs,  c'était  surtout  contre  le  président  qu'on  dirigeait 
les  attaques.  Un  journal,  rédigé  par  un  de  ces  écrivains  qu'on 
pourrait  croire  décrues  à  engager  leur  propre  parti  jusqu'à  l'a- 
mener habilement  à  sa  perte,  le  Peuple  proclamait  les  intentions 
secrètes  de  l'extrême  gauche,  La  majorité,  disait-if,  pouvait,  en  un 
tour  de  ««rotin,  faire,  de  L'élu,  de  S  millions  et  demi  4e  s alliages 
le  bras  et  l'organe  obéissant  de  l'Assemblée.  Afore  le  président 
n^nrait  plus  qu'à  résigner  ses  pouvoirs  à  fa  grande  joie  de  la  dé- 
mocratie militante  pour  laquelle  le  président  c'était  la  corruption, 
la  monarchie.  C'était  ainsi  que  ce  parti,  qui  en  appelait  mi  cesse 
à  la  Constitution,  respectait  foi-même  son  œuvre.  On  lisait  dans 
ce  pamphlet  quotidien  ces  phrases  violentes  : 


de  naissanre,  ambition  de  bas.  étage*  personnifie» tien  de  tontes 
les  idées  réactionnaires...  L.  Bonaparte,  éln  sans  titres  à  J*  jpésideac* de  la 


92  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1840.) 

République,  conspire  avec  tontes  les  coterie*  mooarcbiqw...  Traître  revête  et 
la  plus  haute  fonction  de  l'État. ..  Il  organise  la  banqueroute  sociale  et  la  misère 
du  peuple  par  l'obstination  calculée  de  son  Gouvernement  à  résister  à  toute  ré- 
forme financière  et  économique...  Il  a  osé  défier  l' Assemblée,  en  signifiant  ans 
représentants  l'ordre  de  se  dissoudre.  Eh  bien  !  la  Révolution  a  relevé  le  gant 
Le  cartel  est  accepté  :  à  lundi  le  combat.  Que  l'Assemblée  ose  compter  sur  elle- 
même  ;  qu'elle  compte  sur  le  peuple  de  Paris,  et  la  victoire  ne  sera  pas  nn  ins- 
tant douteuse.  Louis  Bonaparte  a  posé  la  question  de  la  dissolution  de  1* Assem- 
blée. A  la  bon^e  heure  !  lundi  prochain  l'Assemblée  posera  à  non  tour  la  question 
de  la  démission  du  président.  » 

Le  Peuple,  26  janvier. 


Trahison  adroite  ou  imprudence  grossière,  on  dévoilait  ainsi  la 
conspiration  qui  s'ourdissait  secrètement  contre  la  société. 

Tandis  que  le  rapport  de  M.  Grévy  proclamait  l'Assemblée  ac- 
tuelle seule  capable  de  veiller  sur  la  République,  lés  démagogues 
se  donnaient  à  eux-mêmes  la  mission  de  veiller  sur  l'Assemblée. 
Une  société  secrète  s'organisait  sous  le  nom  de  Solidarité  répu- 
blicaine. Elle  avait  d'abord  étendu  ses  rameaux  dans  la  capitale, 
et  de  là  elle  se  propageait  dans  les  départements.  On  essayait  de 
fonder  un  État  dans  l'État. 

Ce  n'était  pas  tout.  D'autres  démagogues  protestaient  contre  un 
vote  de  l'Assemblée,  et  élevaient  la  prétention  de  déférer  par  voie 
d'appel  la  loi  votée  par  la  Chambre  sur  les  accusés  du  15  mai,  à 
cette  tourbe  révolutionnaire  décorée  du  nom  de  peuple  de  Paris. 
Ils  signaient  une  protestation  factieuse  dont  voici  le  texte  : 

PROTESTATION  DU  PEUPLE  DE  PARIS. 

«  Attendu  que  le  décret  voté  par  P Assemblée  le  22  janvier,  sur  la  propositiea 
du  président  et  du  ministère,  enlève  les  accusés  de  mai  à  leurs  juges  naturels  ; 

»  Quels  baute  cour  est  un  tribunal  politique  et  exceptionnel,  institué  (Tailleurt 
six  mois  après  les  faits  du  16  mal; 

»  Attendu  que  ce  décret  porte  atteinte  «  aux  droits  antérieurs  et  supérieurs  à 
la  loi  positive,  »  reconnus  dans  la  Constitution  elle-même  (art.  3  du  préam- 
bule), 

»  Le  Pboplb  »r  Paris 

»  Proteste  contre  le  renvoi  des  accusés  de  mai  devant  le  tribunal  exonptian» 
nel  de  Bourges. 

»  Il  engage  les  déteuus  de  Vincennes  à  récuser  cette  juridiction  politique  et 
rétroactive  et  à  s'abstenir  de  toute  défense  collective  ou  individuelle. 

v  II  engage  les  aeeusés  contumaces  à  ne  point  se  livrer  au  jugement  des  aune» 
mis  de  la  République.  » 


PRÉLUDES  RÉVOLUTIONNAIRES.  03 

Le  parti  vaincu  dans  le  scrutin  du  10  décembre  ne  laissait  pas- 
ser aucune  occasion  de  faire  sentir  sa  supériorité  de  nombre  dans 
Y  Assemblée.  S^agtssait-il  de  nommer  les  présidents  et  les  secré- 
taires de  bureau,  les  choix  étaient  pris  exclusivement  dans  l'opi- 
nion ennemie.  Il  en  élait  de  même  pour  les  commissions.  On 
créait,  par  cette  conduite,  des  embarras  continuels  au  Pouvoir  ; 
en  Taceablait  sous  des  interpellations  dont  le  but  évident  était 
d'arrêter  la  marche  des  affaires  publiques.  Puis,  empruntant  les 
traditions  d'un  autre  régime,  On  cherchait  à  faire  revivre  ties  rè- 
gles applicables  à  une  situation  différente,  en  faisaht  entendre 
au  Cabinet  qu'il  ne  se  trouvait  pas  dans  une  situation  parlemen- 
taire. 

Cependant  l'imminence  d'un  conflit  redoublait  l'agitation  dans 
les  bas-fonds  de  la  démagogie.  Les  sociétés  secrètes  qui  avaient 
survécu  à  la  Révolution  de  Février  s'étaient,  depuis  le  décret  du 
38  juillet  sur  les  clubs,  et  les  associations,  recrutées  et  organisées 
tant  à  Paris  que  dans  les  départements,  sous  forme  de  comités  élec- 
toraux. De  graves  conflits  avaient  éclaté  entre  quelques-unes  de 
ces  associations  à  l'occasion  de  l'élection  du  président;  mais,  vers 
la  fin  de  l'année  1848,  un  rapprochement  s'était  opéré,  et  des  as- 
sociations d'abord  hostiles,  s'étaient  réunies  pour  réchauffer,  à 
l'aide  de  publications,  de  discours,  d'adresses,  de  banquets,  l'ar- 
deur révolutionnaire.  La  fermeture  récente  de  quelques  clubs  avait 
violemment  surexcité  l'impatience  de  quelques  chefs,  et  leur  in- 
tention était  de  profiter  des  conflits  qui  pourraient  s'élever  à  l'oc- 
casion de  l'ouverture,  depuis  quelque  temps  annoncée,  d'un  nou- 
veau club,  pour  faire  descendre  dans  la  rue  les  corporations 
affiliées  et  un  certain  nombre  d'anciens  embrigadés  des  ateliers 
nationaux.  Sans  doute,  le  Gouvernement  veillait.  Les  troupes,  sous 
les  ordres  du  général  Ghangarnier,  étaient  animées  du  meilleur 
esprit,  et  prêtes  à  se  porter  sur  tons  les  points  au  premier  signal. 
L'autorité  s'occupait  de  la  réorganisation  des  gardiens  de  Paris. 
Un  nouveau  corps  de  police,  recruté  parmi  ceux  des  anciens  sol- 
dats ayant  les  meilleurs  états  de  service,  allait  être  prochainement 
constitué.  Mais  l'opinion  publique  n'en  était  pas  moins  vivement 
inquiétée  :  le  crédit  en  était  affecté,  et  c'était  là  déjà  une  victoire 
pour  la  démagogie. 


H  HISTOIRE  DE  FRANCS.  (I14S.J 

♦ 

En  présence  de  ©es  menaees  du  parti  révomtmmiaîre,  k  Gou- 
vernement ne  pouvait  bésiter  à  organiser  sa  défense.  Le  M  je»» 
vier,  M.  k  ministre  4e  l'intérieur  présenta 4  F Assemblée  nn  pot- 
jet  de  lai  qui  interdisait  formellement  les  dons  et  torts réunion 
publique  qui  se  tiendrait  périodiquement  ou  à  dm  intervalles  ré- 
gulière pour  Ja  discussion  de  questions  pemfiqnes.  Le  Gouverne» 
ment  de  la  République  avait  entn  reconnu  que  sou  aortes  de 
réunions,  dont  la  publicité  est  un  mensonge,  seul  fciéuu  de  tu  te* 
berté  et  l'élément  destructif  de  toute  société.  Les  cèobi  iknnuut, 
en  effet,  un  enseignement  sans  publicité,  sans  eontrndmnou  pou» 
sible,  sans  contrôle,  qui  a  la  ? iolence  pour  principal  élément  de 
succès,  et  le  recrutement  des  sociétés  secrètes  pour  seul  objet  et 
peur  seul  résultat  pratique.  Ss  ne  sont  jamais  isolés  ko  uns  des 
antres,  et,  le  jour  où  ils  correspondent  entre  eux,  ils  ferment  on 
Gouvernement  en  face  du  Gouvernement,  un  État  dans  l'État. 
L'existence  des  clubs  est  donc  inoompntiMe  avec  l'existence  d'un 
Gouvernement  régulier. 

Déjà,  lors  de  la  discussion  de  la  lot  du  26  juillet,  beaucoup 
avaient  pensé  que  cette  loi  ne  donnait  à  la  eoeiét!  que  des  garan- 
ties insuffisantes,  et  l'Assemblée,  qui  ee  montrait  tonte  disposée 
à  augmenter  ces  garanties,  ne  s'était  arrêtée  que  devant  les  déçu» 
rations  du  ministère  d'alors,  qui  préférait  tenter  l'épreuve  d^oue 
liberté  limitée  weoédant  à  la  licence  absolue.  Hais  i  peine  la  loi 
avait-elle  été  mise  en  vigueur  que  son  impuissance  avait  apparu  an 
grand  jour.  On  se  rappelle  que,  dans  les  dernier*  jours  qui  pmV 
cédèrent  sa  retraite,  M.  Dumnee,  partant  an  nom  du  Cabinet  di- 
rigé par  ie  général  Gavaignac,  avait  préro  lauéeessméq uo  IL  Léon 
Faucher  venait  courageusement  proclamer  aujourd'hui 

La  discussion  4 '.urgence  une  le  ininimre  réclama  sur  job  pro- 
jet n'était  que  trop  justifiée  par  l'agitation  croissante  et  par  les 
projets  menaçants  des  clubs.  Un  rapport  sur  l'urgence  lut  dote 
décidé  par  la  Chambre  à  une  forte  majorité,  «ans  autre  incident 
qu'une  viokn  te  sortie  de  M.  Cent,  l'on  des  membres  les  pioo  «usi- 
tés delà  Henligne. 

La  commisown,  immédiatement  nommée  dons  les  bureau», 
fut,  en  grande  majorité,  démvoraMo  an  projet  du  ministère,  «I 
par  conséquent  à  l'urgence.  Constituée  sous  k  présidente  do 


PRÉLUDES  «ÉVOLUTIONNAIRBS.  95 

M.  Lîe*htattb«nger,  la  eomMiRM,  pu*  l'organe  M  M .  SenWd, 
déposa  son  rapport  le  27  janvier.  Ce  lui  vm  singulier  specftatfe 
que  celai  du  président  de  la  Chambre  pendant  les  journées  de 
juin,  du  ministre  de  l'Intérieur  pendant  l'état  de  siège  et  sous  le 
régime  de  la  suppression  facultative  des  journaux,  de  M.  Senard, 
se  prononçant  pour  la  liberté  des  dufcs.  M.  Odflon  Barrot  te  con- 
tenta de  faire  appel  à  la  conscience  de  l'Assemblée.  Les  conclu- 
sions du  rapport  contre  l'urgence  furent  soutenues  par  IL  Ledcu- 
Bollin.  Sur  k  demande  de  quarante  membre*,  la  Chambre  pro- 
céda au  scrutin  «eeret  au  milieu  d'une  agitation  extrême.  L'ur- 
gence fut  rejetée  à  la  majorité  de  418  voix  contre  342» 

Aussitôt  après  le  vote,  une  demande  do  «use  on  aecosatieft 
contre  le  ministère  fût  déposée  par  M.  Ledru-Rollin  :  c'était  le 
commentaire  naturel  du  vole  de  la  Chambre.  Puisqu'il  n'y  avait 
pas  d'urgence  à  relever  les  affaires  et  le  crédit,  à  rassurer  la  so- 
ciété ,  le  ministère  était  en  effet  coupable  aux  yeux  4e  l'As- 
semblée. 

Voici  le  texte  de  la  proposition  déposée  par  M.  Ledru-Rollin 
sur  le.  bureau  de  l'Assemblée  : 

«  Attendu  que  U  politique  anti -républicaine  du  minute»  vient  de  se  mani- 
fester par  no  fait  attentatoire  ans  droits  des  citoyens  et  au  principe  fondamen- 
tal de  la  souveraineté  du  peuple  ; 

o  Attendu  que  le  droit  de  réunion  est  an  droit  naturel  et  un  M  politique 
écrit  et  consacré  dans  U.  Constitution  de  la  République  française  ; 

»  Attendu  que,  par  le  projet  de  loi  présenté,  hier  26  janvier,  ssnr  la  suppres- 
sion des  clnbs,  le  ministère  s'est  rendu  coupable  d'an  acte  qui  est  la  violation 
flagrante  des  articles  8  et  51  de  la  Constitution; 

»  Attendu  que  le  ministère  est  responsable  de  ses  actes,  suivant  Part.  68  de 
la  Constitution,  les  représentants  du  peuple  soussignés  demandent  la  mise  en 
accusation  immédiate  des  ministres  et  leur  renvoi  devant  la  haute  cour  natio- 
nale, pour  y  être  jugés  conformément  à  Fart.  91  de  U  Constitution. 

»  Paris,  le  27  janvier  1849. 

»  Ont  signé  :  MM.  Pierre  Leroux,  Astaix,  Martin-Bernard,  DésaoMhoaea 
Olivier,  Alphonse  Gent,  Félix  Pyat,  Clément,  Bmcs,  Mathieu  (de  lu  Drdne), 
Benoist,  -Greppo,  Ledru-Rollin,  Doulre,  Gambon,  Proudhon,  Pégot-Ogier,- 
Hulé  aîné,  Joigueaux,  Jory  fils,  Joly  père,  Cholat,  Bertholon,  Fargiu-Fayolle, 
Terrier,  JLefranc,  Buvignicr,  Deviile,  Amédée  Bruys,  Ménaud,  Félix  Maifae, 
Batioe,  Signard,  Robert  (de  i'YoDue),  Charles  Dain,  James  Demontry,  Pelle- 
tier, Y.  Schœlcher,  Détours,  Th.  Bac,  Toussai  nt-Bravard,  Eugène  Raspail, 
Vignette,  Germain* Surrut,  Lamennais,  Dobarry,  Méchaîn,  Perdigoier,  Madet.  » 


96  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

De  leur  côté,  les  journaux  montagnards  et  socialistes  publiaient 
la  protestation  suivante,  adressée  a  l'Assemblée  nationale  : 


«  Les  soussignés, 

* 

»  Considérant  que  le  droit  de  réunion  et  d'association  est  nn  droit  naturel, 
antérieur  et  supérieur  a  touU  loi  positive,  et  reconnu  d'ailleurs  par  la  Consti- 
totion; 

.*  Considérant  que  la  loi  proposée  par  le  ministère  dn  président  n'a  point 
pour  objet  de  réglementer  l'elercice  de  ce  droit,  ainsi  que  te  proscrit  la  Consti- 
tution, mais  qu'elle  le  supprime  d'une  manière  absolue,  et  dépouille  ainsi  le 
peuple  souverain  de  sa  plus  importante  prérogative  politique  ; 

»  Considérant  qnele  ministère,  par  le  seul  Tait  de  la  présentation  de  cette  loi, 
attaque  la  Constitution  et  les  droits  naturels  de  l'homme, 

»  Protestent  de  toute  leur  énergie  et  demandent  à  l'Assemblée  de  mettre  en 
accusation  les  ministres  qui  osent  tenter  ce  coup  d'État. 

«  Les  Rédacteur»  de  la  Révolution  démocratique  et  sociale  :  Ch.  Delbs» 
CLGZE,  rédacteur  en  chef;  Amable  Lemaitre,  Goumain-CôRNILLE, 
Désiré  Pilitti,  Cb.  Martin,  H.  Delescujzk,  H.  Castille, 
A.  CARâtf,  A.  DALICAN,  administrateur;  Henri  Bi«t,  correcteur* 

»  Les  rédacteurs  du  Peuple  :  DaRINON,  secrétaire  de  la  rédaction; 
Lanclois,  Faure,  Vasrenter,  Dcchéne,  Madier  de  Montjao 
aîné,  avocat  du  journal  le  Peuple. 

»  Les  rédacteurs  de  la  Réforme  :  Ribeyrolles,  rédacteur  en  chef; 
V.  LÉOUTBE,  directeur-gérant  ;  P.  COQ,  Alexis  LaGARRE,  Catla. 

*  Les  rédacteurs  de  la  République  s  Eugène  Bareste,  rédacteur  en  chef  ; 
Hervé,  Chatard. 

»  Le  rédacteur  du  Travail  affranchi  :  ToOSSENEL. 

»  Les  présidents  et  les  membres  des  clubs  :  TeissiÉ  RU  MOTET,  BER- 
NARD, Gamet,  £.  Madier  de  Montjao  jeune,  Bocqdet  aîné, 
A.  b'Alton-Shée.  » 


Il  y  avait  entre  cette  pièce,  sorte  de  parodie  de  la  célèbre  pro- 
testation des  journalistes  en  1830,  et  la  proposition  de  mise  en 
accusation  déposée  par  M.  Ledru-Rollin,  une  connexité  évidente. 
On  espérait  déterminer  un  conflit  matériel.  Déjà  même  le  pré- 
texte était  trouvé.  Depuis  quelques  jours,  des  agitateurs  mêlés  à 
quelques  étudiants  égarés  se  portaient  eu  nombre  au  cours  de 
M.  Lerminier,  au  Collège  de  France.  L'éminent  professeur  était 
accablé  d'injures  grossières,  et  ses  leçons  étaient  rendues  impos. 
sibles.  Le  27  janvier,  jour  de  l'apparition  simultanée  des  deux 
documents  qu'on  vient  de  lire,  les  perturbateurs  avaient  résolu 


PRÉLUDES  RÉVOLUTIONNAIRES.  9* 

d'essayer  au  Collège  de  France  le  commencement  (Tune  émeute. 
Mais  l'autorité  veillait.  Dès  le  matin,  douze  cents  hommes  de 
troupe  étaient  concentrés  dans  les  bâtiments  du  Collège  de  France 
et  de  l'hôtel  de  Cluny,  sous  les  ordres  du  général  Perrot.  De 
fortes  patrouilles  de  cavalerie  sillonnaient  la  place  Cambrai  et  la 
rue  Saint-Jacques.  Quelques  malveillants  tentèrent  d'interrompre 
la  leçon,  mais  ils  furent  expulsés,  et  le  public  sérieux  put  en- 
tendre continuer  la  leçon  jusqu'au  bout.  L'ordre  fut  garanti  sans 
collision,  et  la  liberté  du  professorat  fut  assurée,  sans  autres  sui- 
tes que  quelques  arrestations  des  plus  turbulents  meneurs. 

Les  perturbateurs  ne  pouvant  troubler  Tordre  public  sur  un 
point  si  bien  gardé,  se  dirigèrent  vers  la  Chambre.  Du  Collège 
de  France,  la  colonne,  grossie  dans  son  trajet  d'un  certain  nombre 
de  curieux  et  de  clubistes,  se  porta  vers  l'entrée  du  pont  de  la 
Concorde,  avec  le  projet  de  remettre  au  président  de  l'Assemblée 
une  protestation  contre  la  réintégration  de  M.  Lherminier.  Le  ras- 
semblement fut  arrêté  là  par  un  groupe  d'agents  placés  sous  les 
ordres  de  M.  Cauvin,  commandant  du  palais,  et  de  M.  Yon,  com- 
missaire de  police.  Trois  représentants,  MM.  Martin-Bernard, 
Brives  et  Gent,  intervinrent  alors,  et  offrirent  aux  agents  de  la 
force  publique  leur  médiation,  qui  fut  acceptée.  M.  Martin-Ber- 
nard adressa  à  la  colonne  une  allocution  pleine  de  modération. 
Après  avoir  reçu  de  la  main  des  délégués  la  protestation,  et  avoir 
promis  de  la  déposer  immédiatement  sur  le  bureau  de  la  Cham- 
bre, il  les  invita  à  se  séparer  sans  tumulte.  En  quittant  la  place 
de  la  Concorde,  le  rassemblement  se  rendit  aux  bureaux  de  la 
Démocratie  pacifique,  rue  de  Beaune,  pour  remettre  aux  rédac- 
teurs une  protestation  semblable  à  celle  qu'ils  avaient  adressée  à* 
l'Assemblée.  Dans  le  trajet,  et  dans  la  cour  même  du  journal,  des 
cris  séditieux  furent  poussés  ;  des  gardiens  de  Paris  ayant  voulu 
intervenir  furent  insultés,  et  f  un  d'eux  gravement  maltraité. 
Alors  arrivèrent  de  tous  les  points  des  troupes  qui  cernèrent  la 
rue  de  Beaune,  et  plusieurs  arrestations  purent  être  opérées  sans 
résistance. 

Ces  actes  de  vigueur  et  un  déploiement  intelligent  de  forces 
aux  abords  de  1* Assemblée,  suffirent  à  réprimer  l'émeute  nais- 
sante. 

7 


98  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

En  même  temps,  la  démagogie  essayait  d'entraîner  dans  son 
action  un  corps  armé  qu'illustraient  les  services  rendus  dans  la 
guerre  sociale  de  1848.  Un  arrêté  venait  d'être  pris  par  le  prési- 
dent de  la  République,  qui  réduisait  à  douze  les  vingt-cinq  ba- 
taillons de  la  garde  mobile.  Cet  arrêté  avait  été  pris  en  vue  de 
concilier  les  intérêts  de  l'armée  et  ceux  de  la  garde  mobile.  Il 
était  impossible  de  laisser  des  officiers  en  possession  de  grades 
supérieurs  à  ceux  de  leurs  confrères  de  l'armée.  Le  bon  ordre  et 
la  justice  exigeaient  impérieusement  qu'un  corps  ne  pût  pas 
jouir  d'une  solde  bien  supérieure  à  celle  des  troupes  de  ligne.  La 
démagogie,  qui,  jusqu'alors,  n'avait  eu  pour  la  garde  mobile  que 
de  baineuses  rancunes,  vit  dans  cet  arrêté  un  moyen  d'exploiter 
les  mécontentements  déjeunes  gens,  jusqu'alors  privilégiés,  que 
la  justice  faisait  rentrer  dans  le  droit  commun.  On  s'aboucha  avec 
quelques-uns  des  chefs  ;  les  passions  furent  habilement  exploi- 
tées, et  la  démagogie  put  croire  qu'elle  avait  son  armée. 

Informé  du  complot  qui  se  préparait,  M.  le  général  Changar- 
nier  donna  l'ordre  à  tous  les  chefs  de  bataillon  de  la  garde  mo- 
bile de  se  transporter  à  l'état-major  :  dès  que  ces  officiers  supé- 
rieurs furent  réunis,  le  général  en  chef  leur  déclara  qu'il  venait 
d'apprendre  avec  la  plus  grande  surprise  et  la  plus  profoqde  dou- 
leur, que  les  officiers  de  la  garde  mobile  cherchaient  à  entraîner 
leurs  soldats  dans  un  complot  contre  la  République  ;  que  des  per- 
missions en  grand  nombre  avaient  été  accordées  :  qu'on. devait  se 
réunir  au  carré  Marigny  pour  se  porter  de  là  sur  le  palais  de  l'É- 
lysée-National  et  à  l'Assemblée;  qu'il  fallait  que  force  restât  a  la 
loi,  et  que  quatre  officiers  supérieurs,  désignés  comme  les  me- 
neurs, allaient  se  rendre  à  l'Abbaye.  M.  Aladenize,  l'un  des  offi- 
ciers désignés,  mécontent  de  tous  les  régimes  et  autrefois  com- 
promis dans  l'affaire  de  Boulogne,  prit  alors  la  parole.  Perdant 
toute  mesure  et  oubliant  toute  convenance,  il  injuria  le  général, 
et  alla  jusqu'à  menacer  le  président  de  la  République  lui-même* 
Sans  se  troubler,  et  avec  le  plus  grand  en! me,  le  général  en  chef 
tira  un  cordon  de  sonnette  et  ordonna  que  l'officier  de  service  fût 
introduit.  Celui-ci  arriva  immédiatement)  suivi  de  vingt-cinq  gen- 
darmes, a  Faites  votre  devoir,  dit  le  général,  et  que  N.  Aladenize 
»  soit  immédiatement  conduit  à  l'Abbaye.  » 


PRÉLUDES  RÉVOLUTIONNAIRES.  90 

Les  trois  autres  officiers  demandèrent  alors  «  s'expliquer;  ils 
le  firent  en  termes  respectueux,  a  Je  me  fie  à  votre  paroje  et  à  vo» 
»  tre  honneur,  dit  alors  le  général,  et  je  lève,  en  ce  qui  vous 
9  concerne»  Tordre  donné  par  moi,  qui  n'était  qu'une  mesure 
»  disciplinaire;  retournez  à  vos  casernes  et  prêchez  Tordre  et  la 
»  soumission  aux  lois.  Rappelez-vous  surtout  que  je  suis  entouré 
»  de  troupes  dévouées,  et  que  ceux  qui  déplaceront  les  pavés  de 
»  la  capitale  ne  les  replaceront  pas.  a 

Ce  n'était  pas  seulement  contre  les  factions  de  la  place  publique 
que  le  Gouvernement  déployait  cette  salutaire  énergie.  Un  réqui- 
sitoire du  procureur-général  demandait  à  l'Assemblée  l'autorisa-* 
tion  de  poursuivre  M.  Proudhon,  représentant  du  peuple,  comme 
auteur  de  l'article  insultant  pour  le  président  de  la  République, 
qui  avait  démasqué  la  conspiration  démagogique.  M.  Proudhon 
monta  immédiatement  à  la  tribune,  et  déclara  qu'en  écrivant  Tar» 
ticle  incriminé ,  il  n'avait  voulu  que  soulever  dans  le  pays  la 
question  de  la  reponsabilité  du  président. 

Le  lendemain,  28  janvier,  le  conseil  des  ministres  se  réunissait 
à  TÉlysée-National,  et,  sur  le  compte  que  les  ministres  lai  ren- 
daient des  incidents  de  la  veille,  le  président  de  la  République 
déclarait  qu'il  n'y  voyait  aucun  motif  pour  modifier  sa  politique, 
et  que  le  Cabinet  pouvait  compter  sur  son  appui  ferme  et  persé- 
vérant» 

Enfin  était  arrivé  ce  jour  désigné  par  les  journaux  démagogi- 
ques comme  le.  jour  de  la  lutte  suprême  entre  l'Assemblée  et  le 
président.  Ce  n'était  pas  seulement  au  sein  de  la  Constituante  que 
le  Gouvernement  devait  être  attaqué.  H  le  savait  et  se  tenait  sur 
ses  gardes.  A  la  suite  de  la  scène  qui  s'était  terminée  par  l'arree- 
tatioo  du  chef  de  bataillon  Aladenize,  quatre  autres  commandants 
de  la  garde  mobile  avaient  été,  on  se  le  rappelle,  rendus  à  la  li- 
berté. Ces  officiers,  MM.  Duseigoeur,  Arrighi,  Bassac  etCamuset, 
au  lieu  de  donner,  comme  ils  venaient  de  le  promettre,  Texem- 
ple  de  l'obéissance  et  de  la  discipline,  s'étaient  rendus  dans  un 
établissement  publie,  et,  de  là,  ils  avaient  envoyé  des  ordres  aux 
officiers  subalternes  pour  faire  mettre  à  exécution  le  complot*  Mais 
ils  avaient  été  suivis,  et  la  gravité  de  leurs  nouvelle»  démarches 
motiva  un  ordre  immédiat  d'arrestation.  Ils  furent  conduits  i  Vkb+ 


100  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

baye.  A  cette  nouvelle,  cent  cinquante  gardes  mobiles,  qui  pre- 
naient, sans  titre,  la  dénomination  de  délégués,  se  rendirent  à 
l'Élysée-National,  et  demandèrent  à  voir  le  président  de  la  Répu- 
blique. Ils  élevaient  la  prétention  d'exiger  l'élargissement  de  leurs 
ofliciers.  Le  président  de  la  République  refusa  de  les  recevoir  : 
mais  te  général  Ghangarnier  descendit  pour  leur  parler.  Dans  une 
allocution  pleine  d'une  franchise  toute  cordiale,  le  général  en  chef 
leur  expliqua  qu'un  déplorable  malentendu  pouvait  seul  exciter 
ces  désordres  ;  qu'il  n'était  point  question  de  méconnaître  leurs 
services  et  de  les  licencier,  et  que  le  Gouvernement  n'avait  songé 
qu'à  fixer  la  position  légale,de  la  garde  mobile. 

En  effet,  l'arrêté  du  Gouvernement  n'avait  d'autre  but  que  de 
régulariser  la  position  de  la  garde  mobile.  Après  la  Révolution  de 
Février,  les  engagements  n'avaient  été  faits  que  pour  une  année. 
A  l'expiration  de  cette  année,  dans  les  termes  stricts  de  la  légalité, 
le  licenciement  pouvait  avoir  lieu.  Renvoyer  la  garde  mobile,  c'au- 
rait été  certainement  le  premier  acte  du  parti  qui  voulait,  en  ce 
moment,  soulever  l'irritation  dans  ses  rangs,  et  qui  ne  lui  avait 
jamais  pardonné  sa  conduite  en  juin.  Telle  ne  pouvait  être  l'inten- 
tion d'un  Gouvernement  issu  du  vote  du  10  décembre,  et  qui  de- 
vait se  rappeler  que  la  France  entière  s'était  associée  aux  éloges 
décernés  à  la  garde  mobile,  après  ces  fatales  et  glorieuses  jour* 
nées.  Aussi,  le  Gouvernement  n'avait-il  fait  que  réorganiser  la 
garde  mobile;  elle  ne  contenait  plus  que  treize  mille  hommes;  il 
avait  réduit  à  douze  le  nombre  des  bataillons,  au  lieu  de  vingt- 
quatre.  Mais  aucun  soldat  ne  serait  renvoyé,  tous  pourraient  pren- 
dre place  dans  les  nouveaux  cadres.  Quant  à  ceux  qui  ne  souscri- 
raient pas  un  nouvel  engagement,  ils  recevraient  leur  paie  comme 
un  dédommagement  jusqu'à  la  On  de  leur  engagement.  Le» Gou- 
vernement avait  anticipé  sur  l'époque  où  la  réorganisation  devait 
être  nécessairement  faite  pour  assurer  ce  pécule  aux  jeunes  sol- 
dats qui  sortiraient  volontairement  de  la  garde  mobile.  La  solde 
de  la  garde  mobile  restait  encore  supérieure  à  celle  que  recevait 
la  garde  impériale  sous  l'empereur  Napoléon.  Il  fallait  qu'elle  ces- 
sât d'être  trop  au-dessus  de  la  solde  des  troupes  de  ligne.  L'é- 
quité le  voulait,  et  la  raison  l'indiquait.  D'ailleurs,  le  sort  des 
sous-officiers  se  trouvait  amélioré  de  fait,  puisque,  comme  dans 


PRÉLUDES  RÉVOLUTIONNAIRES.  101 

l'armée,  leur  solde  devenait  supérieure  à  celle  des  simples  soldats. 
Pour  réorganiser  la  garde  mobile,  il  fallait  toucher  au  corps  d'of- 
ficiers. On  l'avait  fait  avec  tous  les  ménagements  que  commandait 
la  justice.  Les  uns  étaient  maintenus,  les  autres  rentraient  dans 
l'armée  dont  ils  faisaient  partie  avant  la  formation  de  la  garde 
mobile.  Quelques-uns,  sans  doute,  étaient  rendu?  à  la  vie  privée; 
mais  ils  ne  pouvaient  conserver  une  position  qui,  dans  l'ar- 
mée, ne  8* acquiert  qu'après  quinze,  vingt,  trente  années  de  ser- 
vice. 

Les  loyales  explications  du  général  en  chef  ne  purent  éclairer 
les  matins,  qui  se  retirèrent  en  poussant  des  clameurs  séditieuses. 
Quelques-uns  allèrent  recevoir  les  inspirations  directes  des  chefs 
de  la  Montagne  :  les  autres  rentrèrent  dans  leur  caserne  de  la  rue 
Saint-Thomas  du  Louvre,  en  criant  :  Vive  la  République  démo- 
cratique et  sociale  ! 

Pendant  la  nuit  du  28  au  29  janvier,. une  fermentation  in- 
quiétante se  manifestait  dans  plusieurs  casernes.  Les  sociétés 
secrètes  s'étaient  constituées  en  permanence. 

Mais  les  dangers  de  la  rue  n'avaient  rien  qui  pussent  trouver 
l'autorité  au  dépourvu.  Le  nœud  de  la  situation  était  dans  l'As- 
semblée nationale.  La  Chambre  adopterait-elle  les  conclusions  du 
rapport  de  M.  Grévyt  Donnerait-elle  suite  à  cet  acte  d'accusation 
destiné  à  exciter  les  factions  du  dehors?  S'associerait-elle  à  la  sé- 
dition de  la  place  publique?  Telle  était  la  question  terrible  posée 
le  lundi  29  jaivier. 


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100  HISTOIRE  DE  FB  (J049.J 

baye.  A  cette  nouvelle,  cent  cir 
liaient,  sans  titre,  la  dénomir^ 
l'Élysée-National,  etdemanf  f 
Nique.  Ils  élevaient  la  prêt'* 
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mais  le  général  Changa  *  | 
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leur  expliqua  qu'ur'  |  ? 
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qu'à  fixer  la  p" 

En  effet,  '  Appareil  militaire  autour  de  l'Assemblée.  —  La  garde 

régulariser  *°s"ie«  "~  M*  Dégoûtée  ct  M-  JuJes  Favre,  accusations  de 

„  »     >  _  Propositions   Râteau.  —  Discussion,  MM.  Jules  Favre 

.*  Victor  Hugo,  Combarel  de  Leyval.  —  Position  de  la  question,  le 

A  1  exp     .''ggcttt  et  la  montagne.  —  Rejet  des  conclusions  du  rapport.  —  Agi- 
le lie   ^U°$a  dehors,  la  garde  nationale,  la  garde  mobile  et  l'armée,  stratégie 
rai'     ^ative  do  général  Changarnier.  —  Proclamation  aux  habitants  de  Paris. 
^P*»flenftde  do  président  de  la  République.  —  Réalité  d'une  conspiration, 
**      ^foeiétés  secrètes  eu  permanence,  attitude  de  la  démagogie  dans  les  dé - 
^-jouent*,  insuccès  du  complot.  —  Arrestation  de  M.  Forestier»  —  Inter- 
Vjj]atJons  à  ce  sujet,  M.  Sarrans,  lettre  prétendue  du  général  Changarnier 
^président  de  l'Assemblée.  —  Réponses  de  MM.  Léon  Faucher  ct  Marrast. 
^  proposition  d'enquête.  —  La  Solidarité  républicaine.  M.  Martin-fier- 
pardet  M.  Ledru-Rollin,  réponse  de  M.  Odilon  Barrot.  —  Ce  que  défient 
la  mise  eu  accusation  du  ministère.  —  Le  calme  dans  la  rue,  l'agitation  dans 
P  Assemblée.  —  Proposition  de  M.  Boulie,  les  appointements  du   général 
Changarnier.  —  Rapport  de  la  commission  sur  la  proposition  d*enquéte,  dis- 
cussion. —  Incident  soulevé  par  M.  L.  Perrée,  les  journaux  de  province  et 
les  bulletins  des  préfets,  ordre  du  jour  motivé,  violences  anli  -parlementaires. 

—  Rejet  de  Tordre  du  jour  pur  et  simple,  encore  le  scrutin  secret,  question 
constitutionnelle,  l'Assemblée  et  le  président.  —  Déclaration  officielle  da 
président,  ordre  du  jour  conciliateur  du  général  Oudinot,  adoption.  —  Imper- 
fections évidentes  de  la  Constitution,  renouvellement  exclusif  du  bureau  au 
profit  de  la  majorité.  —Propositions  Râteau,  amendement  de  M.  Lanjuinais, 
retrait  des  autres  amendements.  —  M.  Félix  Pyat,  excentricités  littéraires. 

—  M.  Sarrans  et  M.  de  Lamartine.  —  Amendements  de  tactique,  MM.  Du- 
pont (de  Bussac),  Jules  Favre  et  Senard.  —  M.  Dufaure.  —  Adoption  des 
articles  de  la  proposition  Lanjuinais,  adoption  du  budget.  —  Vote  sur  l'en- 
semble. —  L'Assemblée  fixe  un  terme  à  ses  travaux. 

La  séance  si  vivement  attendue  du  29  janvier  s'ouvrit  sous  de 
tristes  auspices*  Le  matin,  le  rappel  avait  battu  dans  tout  Paris, 
.l'irmée  et  la  garde  nationale  occupaient  les  rues  et  les  places 


A 


L'ÀSSE7 


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RETIRERA 


105 


|  mblée  par  les  farces  exté- 

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bliques.  L'appareil 
'4e  annonçait  i| 
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.  du  conseil.  Br. 

.oiile  décision  à  laquelle  le  Go*. 
jet  de  la  garde  mobile  :  il  en  lit  cott* 
mais,  en  même  temps,  il  ne  dissimula  pas  le&K  'niques, 

tions  qui  avaient  failli  en  devenir  la  suite.  Les  éterne*  nie  fit 

Tordre  et  de  la  société,  ajouta-t-il,  ne  s'étaient  que  trop  b*.  "tfea 
qués  à  exploiter  en  faveur  de  leurs  passions  et  de  leurs  cotn^  m* 
les  mécontentements  que  produit  toujours  le  froissement  des\^ 
térêts  individuels.  Dans  ta  nuit  du  dimanche  au  lundi,  un  rapport 
motivé  par  les  informations  les  plus  précises  avait  fait  savoir  an 
Gouvernement  qu'il  se  tramait  de  coupables  machinations.  Le  de- 
voir de  l'autorité  publique  avait  été  de  prendre  sans  délai  toutes 
les  mesures  indiquées  par  la  prudence.  Elle  avait  d'autant  moins 
négligé  ce  devoir  qu'elle  aimait  mieux  avoir  à  prévenir  qu'à  ré- 
primer. Des  troupes  avaient  été  immédiatement  réparties  sur  tous 
les  points  qui  pouvaient  paraître  menacés.  En  même  temps,  dès 
qu'il  avait  été  possible  de  se  concerter  avec  le  président  de  l'As- 
semblée, le  Gouvernement  s'était  empressé  de  lui  remettre  la  di- 
rection des  forces  destinées  à  garantir  la  sécurité  de  l'enceinte 
législative.  On  n'avait  pas  cru  devoir  éteiller  le  président  de  l'As- 
semblée, au  milieu  de  la  nuit,  pour  le  prévenir  de  ces  mesures. 
De  là  un  malentendu  qui  se  dissipa  promptement  C'est  en  vain 
que  M.  Degousée,  emporté  par  une  impétuosité  qui  lui  fit  dépasser 
les  limites  des  convenances  parlementaires,  chercha  A  faire  pren- 
dre à  cet  incident  une  tournure  irritante  ;  c'est  eu  vain  que  M.  Ju* 
les  Pavre,  fidèle  à  sa  tactique  ordinaire,  essaya  d'envenimer  ce 
débat  :  les  loyales  déclarations  de  M.  Odilon  Barrot  portèrent  Ift 
conviction  dans  les  esprits. 

M.  Jules  Favre  parla  de  pression  exercée  sur  l'Assemblée.  As- 
surément, si  le  Gouvernement  avait  laissé  s'établir  une  lutte  vio- 
lente, on  n'eût  pns  manqué  de  dire  qu'il  avait  cherché  une  occ«- 


102  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 


CHAPITRE  VU. 

M  COKFLIT  DANS  LA  ftUl  ET  BARS  l'aSSRXBUB.  L'AlSUBifet 

SB  RBTIfcBRA. 


géanoc  du  29  janvier.  —  Appareil  militaire  autour  de  l'Afsemblée.  —  La  garde 
mobile  et  la  démagogie.  -*-  M.  Degousée  et  M.  Jules  Favre,  accusations  de 
provocation.  —  Propositions  Râteau.  — -  Discussion,  MM.  Jules  Favre, 
Fresneau,  Victor  Hugo,  Combarel  de  Leyval.  —  Position  de  la  question,  le 
scrutin  secret  et  la  montagne.  —  Rejet  des  conclusions  du  rapport.  —  Agi- 
tation au  dehors,  la  garde  nationale,  la  garde  mobile  et  l'armée,  stratégie 
préventive  du  général  Cbangarnier.  —  Proclamation  aux  habitants  de  Paris. 

—  Promenade  du  président  de  la  République.  —  Réalité  d'à  ne  conspiration, 
les  sociétés  secrètes  en  permanence,  attitude  de  la  démagogie  dans  les  dé- 
partements, insuccès  du  complot.  —  Arrestation  de  M.  Forestier.  —  Inter- 
pellations à  ce  sujet,  M.  Sarrans,  lettre  prétendue  du  général  Chaugarnier 
au  président  de  l'Assemblée.  —  Réponses  de  MM.  Léon  Faucher  et  Marrast. 

—  Proposition  d'enquête.  —  La  Solidarité  rcpuèlicaine.  M.  Martin-Ber- 
nard et  M.  Ledru-Rollin,  réponse  de  M.  Odilon  Barrot.  —  Ce  que  devient 
la  mise  eu  accusation  du  ministère.  —  Le  calme  dans  la  rue,  l'agitation  dans 
l'Assemblée.  —  Proposition  de  M.  Boulie,  les  appointements  du  général 
Cbangarnier.  —  Rapport  de  la  commission  sur  la  proposition  d'enquête,  dis- 
cussion. —  Incident  soulevé  par  M.  L.  Perrée,  les  journaux  de  province  et 
les  bulletins  des  préfets,  ordre  du  jour  motivé,  violences  anti -parlementaires. 

—  Rejet  de  Tordre  du  jour  pur  et  simple,  encore  le  scrutin  secret,  question 
constitutionnelle,  l'Assemblée  et  le  président.  —  Déclaration  officielle  da 
président,  ordre  du  jour  conciliateur  du  général  Oudinot,  adoption.  —  Imper- 
fections évidentes  de  la  Constitution,  renouvellement  exclusif  du  bureau  au 
profit  de  la  majorité.  —  Propositions  Râteau,  amendement  de  M.  Lanjuinais, 
retrait  des  autres  amendements.  —  M.  Félix  Pyat,  excentricités  littéraires. 

—  M.  Sarrans  et  M.  de  Lamartine.  —  Amendements  de  tactique,  MM.  Du- 
pont (de  Bussac),  Jules  Favre  et  Senard.  —  M.  Dufaure.  —  Adoption  des 
articles  de  la  proposition  Lanjuinais,  adoption  du  budget.  —  Vote  sur  l'en- 
semble. —  L'Assemblée  fixe  un  terme  à  ses  travaux. 

La  séance  si  vivement  attendue  du  29  janvier  s'ouvrit  sous  de 
tristes  auspices*  Le  matin,  le  rappel  avait  battu  dans  tout  Paris, 
l'armée  et  la  garde  nationale  occupaient  les  rues  et  les  places 


L'ASSEMBLÉE  SE  RETIRERA.  10â 

publiques.  L'appareil  militaire  qui,  de  toutes  parts,  entourait  l'As- 
semblée annonçait  une  de  ces  journées  où  les  agitations  du  dedans 
correspondent  aux  orages  du  dehors.  Jamais  l'Assemblée,  depuis 
les  premiers  jours  de  son  existence,  n'avait  été  aussi  nombreuse. 
Ces  précautions  stratégiques,  qui  indiquaient  les  dangers  de  la 
situation,  furent  d'abord  l'objet  d'explications  de  la  part  de  M.  le 
président  du  conseil.  M.  Odilon  Barrot  exposa  les  motifs  de  la 
récente  décision  à  laquelle  le  Gouvernement  s'était  arrêté  au  su- 
jet de  la  garde  mobile  :  il  en  lit  connaître  le  véritable  esprit , 
mais,  en  même  temps,  il  ne  dissimula  pas  les  fâcheuses  complica- 
tions qui  avaient  failli  en  devenir  la  suite.  Les  éternels  ennemis  de 
Tordre  et  de  la  société,  ajouta-l-il,  ne  s'étaient  que  trop  bien  appli- 
qués à  exploiter  en  faveur  de  leurs  passions  et  de  leurs  complots 
les  mécontentements  que  produit  toujours  le  froissement  des  in* 
térêts  individuels.  Dans  la  nuit  du  dimanche  au  lundi,  un  rapport 
motivé  par  les  informations  les  plus  précises  avait  fait  savoir  au 
Gouvernement  qu'il  se  tramait  de  coupables  machinations.  Le  de- 
voir dé  l'autorité  publique  avait  été  de  prendre  sans  délai  toutes 
les  mesures  indiquées  par  la  prudence.  Elle  avait  d'autant  moins 
négligé  ce  devoir  qu'elle  aimait  mieux  avoir  a  prévenir  qu'à  ré- 
primer. Des  troupes  avaient  été  immédiatement  réparties  sur  tous 
les  points  qui  pouvaient  paraître  menacés.  En  même  temps,  dès 
qu'il  avait  été  possible  de  se  concerter  avec  le  président  de  l'As- 
semblée, le  Gouvernement  s'était  empressé  de  lui  remettre  la  di- 
rection des  forces  destinées  à  garantir  la  sécurité  de  l'enceinte 
législative.  On  n'avait  pas  cru  devoir  éveiller  le  président  de  l'As- 
semblée, au  milieu  de  la  nuit,  pour  le  prévenir  de  ces  mesures. 
De  là  un  malentendu  qui  se  dissipa  promptement.  C'est  en  vain 
que  M.  Degousée,  emporté  par  une  impétuosité  qui  lui  fit  dépasser 
les  limites  des  convenances  parlementaires,  chercha  à  faire  pren- 
dre à  cet  incident  une  tournure  irritante  ;  c'est  en  vain  que  M.  Ju* 
les  Favre,  Adèle  à  sa  tactique  ordinaire,  essaya  d'envenimer  ce 
débat  :  les  loyales  déclarations  de  M.  Odilon  Barrot  portèrent  la 
conviction  dans  les  esprits. 

M.  Jules  Favre  parla  de  pression  exercée  sur  l'Assemblée.  As- 
surément, si  le  Gouvernement  avait  laissé  s'établir  une  lutte  vio- 
lente, on  n'eût  pns  manqué  de  dire  qu'il  avait  cherché  une  occ«i- 


104  HISTOIRE  D£  FRANGE.  (1840.) 

sion  de  guerre  et  de  victoire.  On  l'accusait  de  provocation  pour 
avoir  rendu  toute  collision  impossible  :  ne  l'en  eût-on  pas  accusé 
également,  s'il  avait  laissé  l'émeute  à  elle-même?  N'avait-on  pas 
accusé  aussi  le  général  Cavaignac  d'avoir  permis  à  l'insurrection 
de  juin  de  s'aggraver  par  un  misérable  calcul  d'ambition  person- 
nelle? 

Ces  explications  fournies,  le  débat  s'engagea  sur  la  proposition 
de  M.  Râteau,  ou  plutôt  sur  les  trois  propositions  de  MM.  Râteau, 
Pagnerre,  Bixio  etWolowski,  indiquant  des  époques  différentes 
pour  la  dissolution  de  l'Assemblée  constituante. 

M.  Jules  Favre,  seul  orateur  entendu  en  faveur  des  conclusions 
du  rapport  de  M.  Gr-évy,  ne  s'occupa,  à  vrai  dire,  que  de  la  ques- 
tion de  Cabinet.  Pour  lui,  il  n'y  avait,  dans  cette  lutte,  qui  mena- 
çait d'embraser  Paris  et  la  France,  qu'un  changement  de  minis- 
tère, qu'une  compétition  de  pouvoir.  Son  discours  ne  fut  point 
une  discussion,  mais  une  série  de  provocations  adressées  à  l'As- 
semblée et  i  la  place  publique,  en  vue  d'un  incident  possible. 

M.  Fresneau  combattit  avec  talent  les  conclusions  du  rapport  : 
M.  Victor  Hugo  s'attira,  par  les  mêmes  arguments,  les  murmures 
de  l'extrême  gauche  ;  il  rappela  que  le  jour  du  danger  pour  un 
Gouvernement  est  celui  où  il  doute  de  son  principe,  et  il  demanda 
à  l'Assemblée  si  ce  n'était  pas  la  défiance  du  suffrage  universel, 
la  mise  en  interdit  de  la  France  qui  étaient  au  fond  de  la  pensée 
des  adversaires  de  la  proposition.  Il  invita  l'Assemblée  à  prendre 
conseil  des  fautes  du  Gouvernement  provisoire,  à  ne  pas  ajourner 
la  venue  de  la  législative,  comme  sa  propre  réunion  avait  été 
ajournée,  de  crainte  que  la  sympathie  populaire  ne  se  retirât  d'elle, 
et  ne  lui  enlevât  sa  force.  M.  Combarel  de  Leyval,  animé  par  les 
interruptions  qui  venaient,  à  chaque  instant,  couvrir  sa  voix,  mit, 
dans  une  discussion  vigoureuse,  l'Assemblée  en  présence  du  pré- 
sident et  delà  situation.  Dans  quelques  mots  vifs  et  piquants, 
l'orateur  invita  la  Chambre  à  ne  pas  se  donner,  ne  fût-ce  qu'en 
apparence,  le  tort  de  vouloir  se  perpétuer  dans  son  mandat.  M.  le 
général  Cavaignac  prononça  aussi  quelques  paroles  de  concilia- 
tion et  de  désintéressement. 

Le  nombre  des  orateurs  inscrits  faisait  présager  une  longue  dis- 
cussion ;  mais  l'extrême  gauche,  bien  qu'elle  se  plaignit  haute- 


L'ASSEMBLÉE  SE  RETIRERA.  105 

ment  de  la  pression  exercée  sur  l'Assemblée  par  les  forces  exté- 
rieures, crut  utile  de  voter  sous  l'influence  des  émotions  du 
dehors.  Elle  voulut  (aire  clore  la  discussion.  L'épreuve  lui  fut  con- 
traire. Alors,  tons  les  orateurs  de  la  Montagne  renoncèrent  à  la 
parole,  et  le  débat  unit  de  lui-même. 

Mais  un  débat  nouveau  s'engagea  sur  la  position  de  la  question. 
Adopter  les  conclusions  du  rapport,  c'était  rejeter  du  même  coup 
les  trois  propositions,  dont  une  seule,  celle  de  M.  Râteau,  avait 
été  sérieusement  discutée,  et  dont  la  troisième,  celle  qui  se  bor- 
nait à  demander  la  réduction  du  nombre  des  lois  organiques, 
avait  peut-être  le  plus  de  chances  de  réussite.  M.  de  Lamartine  fit 
ressortir  l'embarras  qui  résultait  de  cette  confusion  de  trois  votes 
en  un  seul.  Toutefois,  la  Chambre  décida  qu'elle  voterait  en  bloc 
sur  les  conclusions  du  rapport.  Soixante-huit  membres  avaient  de- 
mandé le  scrutin  par  division  ;  quarante-un  membres  demandè- 
rent le  scrutin  secret.  Ceux-ci  durent  l'emporter,  aux  termes  du 
règlement.  On  voulait,  par  là,  assurer  aux  calculs  de  l'intérêt  privé 
le  voile  du  secret.  On  remarqua  que  ceux-là  même  qui  réclamaient 
aujourd'hui  les  bénéfices  du  scrutin  secret,  appartenaient  à  ce 
parti  qui,  à  toutes  les  époques,  l'avait  flétri,  non-seulement  comme 
une  atteinte  à  Ja  sincérité  du  Gouvernement  représentatif,  mais 
comme  une  violation  flagrante  delà  souveraineté  populaire.  Selon 
ce  parti,  le  mandataire  n'a  pas  te  droit  de  cacher  au  mandant  l'u- 
sage qu'il  fait  du  mandat  qu'il  a  reçu,  et  les  électeurs  doivent 
connaître  jour  par  jour  le  vote  de  ceux  qui  les  représentent.  Au 
débnt  même  de  la  session  actuelle,  n'avait-on  pas  vu  le  parti  dé- 
mocratique pur  se  lever  tout  entier  Jpour  l'abolition  absolue  du 
scrutin  secret?  Quoi  qu'il  en  fût,  cette  manœuvre  n'eut  pas  le 
succès  qu'on  en  espérait.  Sur  821  votants,  les  conclusions  du  rap- 
port, c'est-à-dire  le  rejet  pur  et  simple  des  trois  propositions, 
réunirent  405  voix;  416  rejetèrent  les  conclusions  du  rapport  par 
une  majorité  de  11. voix.  Sans  doute,  ce  résultat  n'impliquait  pas 
l'adoption  de  la  proposition  de  M.  Râteau.  Il  signifiait  seulement 
qu'une  seconde  délibération  s'ouvrirait  sur  les  trois  propositions 
et  sur  les  divers  amendements  auxquels  leB  différentes  propositions 
pourraient  donner  lieu.  La  Chambre  n'avait  rejeté  que  les  con- 
clusions absolues  de  M.  Grévy  :  elle  se  réservait  un  nouvel  exa- 


106  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (184») 

m  en.  Toutefois,  il  y  avait  là  uue  preuve  que  la  Chambre  n'entefr» 
dait  pas  se  lancer  dans  une  voie  de  dictature  indéfinie,  et  qu'elle 
était  disposée  \  mettre  elle-même  un  terme  à  son  mandât. 

Cependant ,  que  se  passait-il  au  dehors  ?  Des  troupes  nom- 
breuses avaient  pris  position  sur  les  quais,  sur  les  boulevards, 
dans  les  rues  principales,  sur  les  grandes  places.  La  garde  natio- 
nale s'était  réunie  avec  son  aèle  accoutumé,  chaque  bataillon, 
sur  le  terrain  de  sa  circonscription.  De  nombreuses  patrouilles, 
quelques-unes  suivies  de  canons,  circulaient  sur  les  points  les 
plus  importants.  Toutes  les  troupes  étaient  en  tenue  de  campa** 
gne.  Un  pareil  déploiement  de  forces  ne  peut  se  faire  sans  agir 
fortement  sur  les  esprits  ;  et,  bien  que  la  force  publique  ne  ren- 
contrât d'obstacle  nulle  part,  les  bruits  les  plus  alarmants  circu- 
laient. On  disait  que  plusieurs  bataillons  de  la  garde  mobile 
s'étaient  insurgés,  que  l'un  d'eux  s'était  barricadé  dans  le  fort  dé* 
taché  dont  la  garde  lui  était  confiée  ;  quatre  autres,  stationnés  à 
Coorbevoie,  étaient  en  révolte  ouverte  et  aux  prises  avec  des  régi- 
ments de  la  ligne  envoyés  pour  les  faire  rentrer  dans  le  devoir. 
Rien  de  tout  cela  n'était  vrai.  Deux  bataillons  de  la  garde  mobile 
étaient  présents  à  Paris,  dans  les  Champs-Elysées,  montrant  par 
leur  attitude  qu'ils  étaient  prêts  à  défendre  la  société,  comme  ils 
l'avaient  déjà  fait  au  mois  de  juin.  De  son  côté,  M.  le  ministre  de 
l'Intérieur  adressait  aux  habitants  de  Paris  une  proclamation  à  la 
fois  ferme  et  rassurante  (1).  La  garde  nationale,  y  disait  M.  Léon 
Faucher  avait  été  appelée  à  la  défense  de  l'ordre  social,  menacé 
encore  une  fois  par  les  mêmes  ennemis  qui  l'avaient  attaqué  en 
juin. 

Vers  une  heure,  M.  le  président  de  la  République  sortît  de 
l'Elysée,  à  cheval,  pour  parcourir  la  capitale.  Aocompagné  d'une 
escorte  peu  nombreuse,  il  traversa  la  place  de  la  Concorde,  la  rue 
de  Rivoli,  les  boulevards,  la  place  de  la  Bourse.  Partout,  les  cris 
de  :  Vive  le  président  !  se  firent  entendre  unis  aux  cris  de  :  Vive 
la  République  !  Quelques  groupes,  commandés  par  des  chefs  de 
clubs,  essayèrent  de  mêler  des  cris  improbateurs  à  ces  acclama- 
tions. Ils  ne  trouvèrent  aucun  écho  dans  la  population  tranquille 

fi)  Voyat  le  tette  «uy  Documtnti  kiiioriq*t$> 


L'ASSEMBLÉE  SE  RETIRERA.  107 

qui  applaudissait  à  la  tenue  ferme  et  calme  du  président,  et  lui 
savait  bon  gré  de  s'être  confié  à  elle. 

Le  soir,  tout  était  rentré  dans  le  calme.  Quelques  rassemble- 
ments qui  s'étaient  formés  dans  la  matinée  avaient  disparu,  et  la 
garde  nationale  put  rentrer  dans  ses  foyers. 

Le  général  Changarnier  avait  donné  de  telles  proportions  à  la 
résistance,  que  l'attaque  s'était  vue  découragée.  On  devait  lui  re- 
procher d'avoir  inventé  le  péril  qu'il  avait  déjoué.  Les  journaux 
du  parti  extrême  qui  parurent  le  soir  du  29  janvier,  et  le  matin 
du  30,  crièrent  à  la  provocation  déjouée.  C'est  là  l'éternelle  tac- 
tique des  factieux.  Qu'un  complot  avorte,  ils  en  rejettent  la  res- 
ponsabilité sur  le  pouvoir;  qu'il  réussisse,  tous  y  ont  participé. 
Le  Gouvernement,  n'eût-il  eu  à  craindre  que  la  possibilité  d'un 
conflit,  aurait  mérité  des  éloges  pour  l'avoir  prévenu.  Mais  com- 
ment eût-il  pu  douter  de  l'existence  d'une  conspiration?  Le  lan- 
gage des  journaux  extrêmes,  l'attitude  d'une  partie  de  la  garde 
mobile,  la  permanence  des  sociétés  secrètes  en  disaient  assez. 
Dans  plusieurs  départements,  entre  autres  dans  celui  de  la  Côte- 
d'Or,  les  sociétés  secrètes  réunies,  dans  la  nuit  du  29  au  30,  at- 
tendaient de  Paris  un  signal.  A  Marseille,  dans  la  nuit  du  27  au 
28,  l'autorité  ne  déconcertait  une  attaque  à  main  armée  qu'en 
doublant  tous  les  postes.  A  Lyon,  la  présence  d'une  garnison 
nombreuse  contenait  les  agitateurs,  dont  l'activité  inquiète  était 
cependant  signalée.  A  Mâcon  et  à  Ghâlons-sur-Saône  ,  les  habi- 
tués des  clubs  se  livraient  à  une  démonstration  tumultueuse.  Des 
discours  séditieux  étaient  prononcés»  et  les  démagogues  insul- 
taient un  commissaire  de  police.  A  Strasbourg,  des  meneurs, 
auxquels  se  joignaient  des  ouvriers  en  petit  nombre,  parcouraient 
la  ville  en  proférant  des  cris,  sous  prétexte  de  demander  du  tra- 
vail. A  Limoges,  l'attitude  des  ouvriers  semblait  d'abord  inquié- 
tante, mais  l'excellente  tenue  de  la  garde  nationale  et  la  fermeté 
de  la  garnison  rassuraient  bientôt  les  esprits.  A  Troyes,  on  sai- 
sissait treize  caisses  de  fusils  expédiées  sur  GhAlon.  Sur  la  fron- 
tière du  nord-est  et  celle  de  Test,  on  constatait  l'introduction 
clandestine  de  munitions  de  guerre.  Sur  toutes  les  routes,  aux 
abords  de  la  capitale,  on  observait  le  passage  de  bandes  nom- 
breuses qui  accouraient  des  départements  au  rendez-vous  de  Té- 


108  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (184».) 

meute,  pendant  que  des  émissaires,  partis  de  Paris>  allaient  or- 
ganiser l'agitation  dans  les  départements.  Le  bruit  d'une  insur- 
rection prochaine  était  partout  hautement  répandu.  Les  mauvais 
citoyens  ne  dissimulaient  plus  leurs  espérances.  Un  commence- 
ment d'exécution  avait  eu  lieu  à  Paris  :  car  on  avait  vu,  dans  la 
matinée  du  29,  des  groupes  nombreux,  conduits  par  des  clubis- 
tes  connus,  se  diriger  vers  la  place  de  la  Madeleine  et  la  place 
Lafayette.  L'action  ne  devait  plus  être  concentrée,  cette  fois, 
comme  au  mois  de  juin,  dans  les  quartiers  populeux,  mais  être 
portée  dans  les  1er,  2e,  3e  et  10e  arrondissements.  Mais  le  peu 
d'écho  trouvé  par  l'émeute  dans  les  rangs  de  la  garde  mobile,  et 
surtout  l'appareil  militaire  qui  ne  permettait  pas  même  la  pensée 
du  désordre,  avaient  paralysé  le  mouvement.  11  faut  dire  aussi 
que  la  population  ouvrière,  celle  qui  seule  mérite  ce  nom,  était 
restée  complètement  étrangère  à  ces  tentatives  anarchiques. 

Le  30  janvier,  il  ne  restait  aucun  signe  visible  de  l'émotion 
de  la  veille.  Quelques  arrestations  avaient  été  faites,  entre  autres 
celles  de  M.  d'Allon-Shée  et  du  colonel  de  la  6e  légion  de  la 
garde  nationale,  M.  Forestier.  Ce  fut  le  prétexte  choisi  pour  ré- 
veiller l'agitation  dans  le  sein  de  l'Assemblée.  M.  Sarrans  exposa 
d'une  façon  dramatique  que  M.  Forestier  avait  été  enlevé  à  la 
tête  de  sa  légion,  sans  autre  motif  que  d'avoir  écrit  au  président 
de  l'Assemblée  qu'il  mettait  la  6e  légion  i  sa  disposition.  A  ce 
fait  grave,  M,  Sarrans  en  ajoutait  un  autre,  une  prétendue  lettre 
du  général  Ghangarnier  au  président  de  l'Assemblée,  lettre  con- 
çue dans  des  termes  tels,  disait  l'orateur,  que  l'indulgence  du 
président  de  l'Assemblée  pouvait  être  qualifiée  de  faiblesse.  Le 
général  aurait  péremptoirement  refusé  de  se  rendre  auprès  de 
M.  Marrast.  Rapprochant  cette  inqualifiable  conduite  de  l'appa- 
reil militaire  déployé  la  veUle,  M.  Sarrans  faisait  toucher  du 
doigt  la  conspiration  du  Gouvernement,  le  coup  d'État  projeté,  et 
il  terminait  en  demandant  une  enquête.  Malheureusement  pour 
l'orateur,  il  résulta  clairement  des  explications  données  par 
M.  Léon  Faucher,  que  le  Gouvernement  n'avait  eu  aucune  con- 
naissance des  offres  de  services  faites  par  un  colonel  de  la  garde 
nationale  au  président  de  l'Assemblée;  que,  les  eût-il  connues, 
il  n'y  aurait  rien  vu  que  de  très-légitime;  que  le  colonel  Fores- 


i; ASSEMBLÉE  SE  RETIRERA.  109 

tier  n'avait  pas  été  arrêté  pour  des  motifs  aussi  ahsurdes,  mais 
pour  des  faits  de  provocation,  en  ce  moment  déférés  à  la  justice. 
Dans  la  position  actuelle  de  l'accusé,  M*  le  ministre  ne  pouvait 
en  dire  davantage»  ce  que  ne  comprirent  pas  MM.  GuinardetEdgard 
Quinet,  qui  se  répandirent  en  inutiles  éloges  de  leur  collègue  de 
la  6e  légion.  Quant  i  la  lettre  du  général  Changarnier,  lettre  dont 
M.  Sarrans  avait  fait  l'analyse,  dont  il  avait  cité  des  phrases,  ga- 
rantissant le  sens,  sinon  les  termes,  M.  Marrast  en  donna  lecture, 
et  il  se  trouva  que  rien,  ni  dans  le  fond,  ni  dans  les  expressions, 
n  avait  le  rapport  le  plus  lointain  avec  ce  qu'en  avait  dit  M.  Sar- 
rans. M.  Marrast  ne  se  borna  pas  à  répondre  par  des  faits.  Il 
donna  une  leçon  à  l'orateur,  et  qualifia  lp  légèreté  de  sa  con- 
duite, lui  rappelant  sévèrement  qu'accuser  le  général  d'avoir 
écrit  au  président  de  l'Assemblée  une  lettre  inconvenante,  ac- 
ceptée sans  mot  dire,  c'était  aussi  accuser  le  président  et  Je  bu- 
reau de  l'Assemblée  de  n'avoir  point  eu  le  sentiment  de  leur  di- 
gnité ,  et  d'avoir  toléré  une  insulte  à  la  représentation  natio- 
nale. 

Cette  leçon  devait  être  perdue  pour  MM.  Bac  et  Flocon,  qui 
reprirent  les  mêmes  accusations  malgré  leur  fausseté  démontrée 
pour  tous.  M.  Bac  donna  aussi  lecture  de  la  proclamation  de 
M.  Léon  Faucher,  et  insistant  sur  la  phrase  où  le  ministre  si- 
gnalait au  mépris  de  Paris  et  de  la  France  les  instigateurs  de  la 
révolte  qui  voulaient  renouveler  les  journées  de  juin,  il  eut  la 
naïveté  de  se  reconnaître  lui  et  ses  amis  dans  cette  phrase. 
M.  Flocon,  lui,  prit  l'offensive.  Il  signala  le  coup  d'État  tenté  la 
veille  :  Là  croyance  en  existait,  selon  l'orateur,  dans  l'opinion 
publique.  On  n'avait  reculé  que  par  crainte  de  l'insuccès.  Les 
deux  orateurs  appuyèrent  la  demande  d'enquête.  L'attitude  de  la 
Montagne  répondait  i  la  loyauté  de  ces  accusations.  De  tous  côtés 
partaient  des  provocations,  des  menaces,  d'iuconvenantes  apos- 
trophes. M.  Léon  Faucher  opposa  à  ces  manœuvres  violentes  le 
calme  le  plus  énergique.  Enfin,  après  deux  heures  d'un  tumulte 
indicible,  la  clôture  fut  prononcée.  La  proposition  d'enquête  sui- 
vrait le  cours  ordinaire  du  règlement.  On  sait  ce  que  ces  propo- 
sitions deviennent  d'ordinaire. 

On  l'a  vu,  plusieurs  arrestations  avaieut  été  faites.  Celle  de 


^ 


110  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

M.  Forestier,  dégagée  des  exagérations  de  l'esprit  de  parti,  avait 
été  une  mesure  de  précaution  plutôt  que  le  résultat  d'une  rébel- 
lion ouverte.  Comme  colonel  de  la  6e  légion,  M.  Forestier  avait 
reçu  Tordre  de  faire  battre  le  rappel,  de  rassembler  les  batail- 
lons et  de  prendre  position  au  lieu  indiqué  dans  le  plan  mili- 
taire adopté  par  le  général  Changarnier.  Le  colonel,  tout  en  exé- 
cutant ses  ordres,  écrivit  au  commandant  supérieur  de  la  force 
armée  une  lettre  blessante  dans  laquelle  il  mettait  en  doute  la 
sincérité  des  intentions  de  son  supérieur.  Une  telle  attitude  prisa 
par  un  homme  en  correspondance  active  et  en  communauté  de 
vues  avec  les  chefs  de  la  Montagne,  était  un  symptôme  à  ne  pas 
négliger.  M.  le  générai  Changarnier,  tant  pour  faire  respecter  son 
autorité  méconnue,  que  pour  prévenir  tout  acte  d'indiscipline, 
avait  dû  ordonner  l'arrestation  du  colonel.  Aux  officiera  chargés 
d'exécuter  le  mandat  délivré  contre  lui,  M.  Forestier  répondit: 
<v  J'ai  quinze  mille  hommes  avec  moi,  c'est  vous  qui  êtes  mes  pri- 
sonniers! d  Mais  le  colonel  de  la  6*  légion  s'était  étrangement  mé- 
pris sur  les  sentiments  de  ses  gardes  nationaux,  car  son  arresta- 
tion s'effectua  parle  concours  de  ceux  qui  étaient  au  poste.  Ainsi 
s'étaient  passés  les  faits.  Et  M.  Forestier,  bien  qu'il  fot  quelques 
jours  après  acquitté  par  la  justice,  n'en  avait  pas  moins  motivé, 
par  son  attitude,  une  arrestation  préventive. 

Vingt-sept  autres  arrestations  avaient  été  opérées  au  local  d'une 
société  dite  la  Solidarité  républicaine.  Ce  fut  là  un  nouveau  pré- 
texte à  interpellation.  Le  31  janvier,  M.  Martin  Bernard  demanda 
si  c'était  l'association,  en  tant  qu'association,  qu'on  avait  voulu  at- 
teindre, ou  si  Ton  avait  voulu  arrêter  les  complices  d'une  conspi- 
ration. Dans  le  premier  cas,  il  s'étonnait  qu'on  ne  poursuivit  pas 
les  trente-cinq  représentants  qui  faisaient  partie  de  l'association  ; 
dans  le second,  il  demandait  qu'on  permît  à  la  Solidarité  de  con- 
tinuer ce  que,  après  quelque  hésitation  ,  il  appela  ;  ses  opéra- 
tions. 

M.  Odilon  Barrot  répondit  que  la  justice  avait  agi  sous  sa  res- 
ponsabilité morale  et  en  dehors  des  ordres  du  ministère.  Le  mi- 
nistère n'avait  point  à  se  prononcer  sur  ce  qu'était  ou  n'était  pas 
la  Solidarité  républicaine,  et  il  ne  saurait  anticiper  sur  les  déci- 
sions de  la  justice.  Si  des  poursuites  téméraires  avaient  été  eom- 


RASSEMBLÉE  SE  RETIRERA.  111 

mencées,  il  y  avait  des  moyens  légaui  pour  réclamer  une  répara- 
tion, et  c'était  à  la  justice  elle-même  qu'il  fallait  demander  de 
rectifier  ses  actes.  Le  ministère  n'avait  pas  qualité  pour  arrêter 
ou  modifier  son  action,  M.  Barrot  ajouta,  aux  applaudissements 
de  l'Assemblée,  que  le  caractère  politique  d'aucun  des  membres 
d'une  association  coupable  n'arrêterait  et  n'effraierait  la  jus- 
tice. 

M.  Ledru-Rollin  reprit  alors  la  double  question  de  M.  Martin- 
Bernard,  et,  s  adressant  tour  à  tour  au  ministre  de  la  justice  et  i 
11.  Baroche,  il  voulut  contraindre  l'un  ou  l'autre  à  dire  si  les  vingt- 
sept  arrestations  opérées  au  local  de  la  Solidarité  républicain* 
avaient  eu  pour  motif  la  participation  à  une  société  secrète  ou  à 
un  complot.  Il  fallut  que  le  président  rappelât  à  l'orateur  qu'il  n'y 
avait,  dans  l'Assemblée,  que  des  représentants  et  point  de  procu- 
reur-général ;  que  toute  interpellation  devait  être  adressée  au  mi- 
nistre, et  que  le  ministre  ne  pouvait  rien  préjuger  et  rien  dire  sur 
des  faits  dont  la  justice  était  saisie.  M.  Ledru-Rollin  n'en  fit  pas 
moins  un  discours  sur  le  droit  d'association.  L'impatience  de  l'As- 
semblée et  un  mot  piquant  de  M.  Odilon  Barrot  firent  justice  de 
ces  récriminations  diffuses  :  «  Si  ce  discours,  dit  le  ministre,  est 
»  une  nouvelle  demande  d'accusation  contre  le  ministère,  qu'on 
0  le  renvoie  aux  bureaux.;  si  c'est  un  plaidoyer,  qu'on  le  renvoie 
9  à  la  justice.  » 

M.  Vezin  prit,  de  son  côté,  la  parole  pour  demander  des  nou- 
velles de  la  mise  eu.  accusation  du  ministère,  pour  laquelle  on 
n'avait  pas  encore  réclamé  la  mise  à  l'ordre  du  jour.  Cette  inter- 
rogation mit  M.  Ledru-Rollin  dans  la  nécessité  de  demander  le 
renvoi  de  la  proposition  aux  bureaux.  La  demande  fut  repoussée 
par  354  voix  contre  250. 

Un  autre  incident  fut  encore  soulevé  à  propos  de  la  demande 
d'enquête,  et  par  suite  de  l'inexpérience  de  M*  Billault,  qui  pré- 
sidait l'Assemblée  dans  la  séance  du  30  janvier.  D'après  le  règle- 
ment, la  demande  d'enquête,  comme  toute  proposition  émanée 
de  l'initiative  parlementaire,  devait  être  renvoyée  au  comité  com- 
pétent, l'Assemblée  n'ayant  pas  décidé  par  un  vote  qu'elle  serait 
renvoyée  aux  bureaux.  Les  bureaux,  cependant,  avaient  été  con- 
voqués pour  l'examiner.  En  outre,  il  aurait  fallu  la  nomination 


112  HISTOIRE  DE  FRANCE.   (1849.) 

d'une  commission  spéciale  et  un  vote  pour  accorder  l'urgence  i 
cette  demande  d'enquête;  et  les  auteurs  n'avaient  même  pas  de- 
mandé l'urgence  pour  cette  proposition  à  laquelle  M.  Billautt 
avait,  sans  le  savoir,  épargné  toutes  les  épreuves  préliminaires. 
11  en  était  résulté  qu'un  bureau,  en  présence  de, tant  d'irrégula- 
rités accumulées,  n'avait  point  voulu  nommer  de  commissaire. 
La  moiliédes  bureaux  avait  examiné  la  question  au  fond  comme 
si  l'urgence  eût  été  décidée,  l'autre  moitié  avait  examiné  seule- 
ment la  demande  d'urgence;  et  les  commissaires  avaient  été  nom- 
més en  conséquence  :  les  uns  pour  traiter  l'urgence,  les  autres 
pour  traiter  la  proposition  elle-même.  On  aurait  donc  dû  annuler 
les  élections  des  bureaux,  mais  il  fut  convenu  que  la  commission 
ne  ferait  son  rapport  que  sur  la  question  d'urgence  (31  janvier). 

Dire  au  milieu  de  quelles  rumeurs,  de  quelles  apostrophes 
menaçantes  se  déroulaient  ces  incidents  divers,  ce  serait  impos- 
sible. Le  calme  était  revenu  dans  la  rue,  grâce  à  l'énergie  du  pou- 
voir :  le  désordre  était  dans  l'Assemblée. 

L'insuccès  de  la  tentative  du  29  janvier  avait  été  dû  surtout 
aux  admirables  dispositions  militaires  du  général  Changarnier, 
à  son  système  énergiquement  et  rapidement  exécuté  de  concen- 
tration avant  la  lutte.  Aussi,  c'était  moins  encore  sur  le  ministère 
que  sur  le  général  que  se  déversait  à  flot  la  haine  des  factions. 
Calomnié  et  insulté  dans  les  journaux  démagogiques,  le  général 
fut  attaqué  dans  l'Assemblée  par  des  moyens  pins  misérables  en- 
core. M.  Boulie  demanda  la  suppression  du  traitement  accordé 
au  commandant  supérieur  de  la  garde  nationale  (1er  février). 

Deux  jours  après,  M.  Baze  déposa  le  rapport  du  comité  de  la 
justice  sur  la  demande  de  mise  en  accusation. du  ministère.  Ce 
rapport  concluait  au  rejet  pur  et  simple  de  la  proposition,  et 
payait  un  tribut  d'hommages  «  aux  hommes  courageux  et  loyaux 
»  qui  composent  le  Cabinet.  » 

£n  même  temps,  M.  Woirhaye  donnait  connaissance  à  l'As- 
semblée des  conclusions  de  la  commission  chargée  d'examiner  la 
proposition  d'enquête  sur  les  événements  du  29  janvier.  Le  rap- 
porteur y  déclarait  que  la  commission,  quoiqu'elle  ne  fût  appelée 
à  se  prononcer  que  sur  l'urgence,  avait  été  contrainte  à  examiner 
la  question  au  fond,  parce  qu'il  était  évident  que  l'Assemblée  ne 


L'ASSEMBLÉE  SE  RETIRERA.  113 

pouvait  accorder  on  refuser  l'urgence  que  par  des  raisons  tirées 
du  fond  même.  La  commission  s'était  trouvée  placée  entre  deux 
déclarations  contradictoires  :  d'une  part,  les  mêmes  membres  qui 
demandaient  te  mise  en  accusation  du  ministère,  prétendaient 
que  le  déploiement  de  forces  opéré  le  29  janvier  cachait  une  ar- 
rière-pensée; d'autre  part,  le*  ministres  affirmaient  avoir  voulu 
préserver  la  société  d'un  danger  sérieux.  La  commission  avait 
peneé  que  les  explications  du  ministère  portaient  le  caractère  de 
la  vérité;  elle  avait  pensé  que,  quand  mémo  les  dépositaires  du 
pouvoir  auraient  pris  plus  de  précautions  qu'il  n'était  rigoureuse- 
ment nécessaire,  il  n'y  aurait  pas  là  un  sujet  légitime  de  reproche. 
La  commission  repoussait  donc  l'urgence  pour  la  demande  d'en- 
quête, et,  dans  sa  pensée,  ce  refus  entraînait  le  refus  de  l'enquête 
eUe-mème.  Une  partie  du  rapport  de  M.  Woirhaye  provoqua  une 
vive  adhésion,  et  ne  pouvait  manquer  de  rencontrer  une  una- 
nime approbation.  L'orateur,  rappelant  que  l'effet  nécessaire  de 
tonte  révolution  est  d'affaiblir  le  respect  dû  aux  pouvoirs  publics, 
ajoota  que  c'était  un  devoir  pour  l'autorité  sortie  de  Ja  révolution 
de  relever  ce  sentiment  de  respect,  saos  lequel  le  ministère  de 
Tordre  n'est  pas  possible.  Il  faut,  dit  le  rapporteur,  que  le  pouvoir 
montre  sa  justice  ;  mais  il  faut  ensuite  qu'il  ne  dédaigne  pas  de 
montrer  son  énergie. 

La  question  était  donc  dégagée  de  toute  équivoque.  Aucune 
allégation  précise  n'étant  apportée  à  l'appui  de  la  proposition,  oif 
ne  pouvait  la  considérer  que  comme  la  mise  eu  suspicion  du  Gou- 
vernement :  c'était  une  autre  demande  de  mise  en  'accusation 
sous  la  forme  d'enquête,  c'esfeà-dire  sans  cette  part  de  responsa- 
bilité personnelle  qui  s'attache  à  toate  demande  d'accusation.  La 
commission,  ne  voyant  donc  là  qu'une  manœuvre  déloyale,  qu'un 
outrage  immérité,  repoussait  la  proposition. 

Le  rapport  ajoutait  une  autre  considération  qui  était  de  nature 
à  agir  vivement  sur  les  esprits  :  c'est  que  la  proposition  d'enquête 
allait  frapper  au-dessus  du  ministère  le  Pouvoir,  également  res- 
ponsable, par  qui  le  ministère  actuel  avait  été  nommé,  et  qui  ne  se 
séparait  pas  de  lui.  La  proposition  avait  donc  cette  conséquence 
nécessaire,  d'engager  solennellement  un  conflit  direct  entité  les 
deux  grands  .pouvoirs  de  l'Etat.  Ce  eotiftit  »  sans  aucune  utilité 

8 


114  HISTOIRE  DE  FRANCS.  (1849.) 

possible,  serait  «ne  causa  d'affaiblissement  pour  la  Pouvoir,  de 
danger  pour  te  société,  et  il  pourrait  avoir  ce  résultât  fâcneui  de 
compromettre  l'Assemblée,  si  les  (kits,  Tenant  donner  pleinement 
raison  en  Gouvernement,  démontraient  qu'en  effet,  il  avait  sauvé 
les  instituions  d'an  danger  réel  et  sérieux.  La  considération 
de  l'Assemblée  souffrirait  d'une  faasse  démarche  qni  serait,  en 
même  temps,  une  manifeste  injustice. 

M.  Ferrée,  tout  en  s'associent  aux  conclusions  de  la  commis- 
sion, prit  à  partie  directement  MM.  Léon  Faucher  et  Odilon  Bar. 
rot  Les  deux  ministres  paraissaient  à  l'orateur  coupables  de  la 
feoon  dont  certains  journaux  de  province,  entre  autres,  le  Jour* 
na&  de  Jfuine*e**LetV*,  commentaient  la  situation  actuelle.  Outre 
eu  grief,  M.  Ferrée  alléguait  l'existence  de  certains  bulletin*  di- 
rectement envoyés  aui  préfets,  et  dans  lesquels  la  dissolution  de 
rAmemblée  était  présentée  comme  désirable» 

M.  le  ministre  de  l'intérieur  déclara  nettement  que  le  ministère 
n'avait  de  rapport  d'aucune  nature  avec  aucun  journal  de  pro- 
vince. M.  de  Falloux  ajouta  qu'il  était  à  sa  connaissance  que  le 
journal  cité  par  M.  Ferrée  était,  en  ce  moment»  L'objet  de  pour- 
sotftte  judiciaires.  Quant  aux  bulletins,  l'administration  y  était  u> 
talement  étrangère.  Il  existait,  à  Paris,  une  entreprise  commer- 
ciale qui  se  chargeait  de  fournir  aux  journaux  do  province  une 
correspondance  qui  devançait  de  vingi-quatre  heures  les  jour- 
naux parisiens.  Les  ministres  qui  s'étaient  succédé  dopais  le 
14  février  avaient  cru  utile  que  les  préfets  reçussent  aussi  ces  ren- 
seignements expédiés  à  tous  les  journaux,  et  ils  avaient  prisa  cette 
entreprise,  purement  commerciale,  le  nombre  d'abonnements 
céssaire.  Le  ministre  actuel  de  l'Iatérieur  avait  trenvé  l'arran- 
gement conclu  pur  ses  prédécesseurs  en  «ours  d'exécution;  il 
n'avait  point  encore  examiné  s'il  convenait  de  renouveler  ou  de 
supprimer  ces  abonnements;  il  ignorait  que  l'entreprise  en  ques- 
tion expédiât  aux  préfets»  outre  les  renseignements  quotidiens, 
lue  rejetions  et  appréciations  politiques  qu'elle  envoyait  aux  jour- 
naux es  province;  il  déclarait  qu'à  l'avenir,  il  ferait  mettre  sens 
set  yeux  toute  cette  potrtique,  si  même  il  ne  ht  supprimait. 
M.  Faucher  repoussait  d'ailleurs  avec  énergie  l'idée  qu'on  voulût 
le  rendre  responsable  d'un  luit  auquel  il  n'avait  aucune  part  ni 


L'ASSEMBLÉE  SE  RETIRERA.  115 

dinde  ni  indirecte,  et  qui  n'était  même  pas  i  sa  connais- 
fanée. 

Malgré  ces  explications,  M.  Ferrée  proposa  un  ordre  du  jottr 
ainsi  conçu  :  a  L'Assemblée  déclare  que  les  tendances  du  mintt- 
»  tère  loi  paraissent  créer  des  dangers  à  la  république  ;  néanmoins 
>  die  passe  à  Tordre  du  jour,  a 

C'est  un  procès  de  tendance,  s'écria  M.  Léon  Faucher. 

On  s'était  étrangement  éloigné  de  l'enquête;  M.  de  Lamori- 
ridère,  qui  présidait  l'Assemblée,  ayant  voulu  mettre  au*  toit 
l'ordre  dn  jour  motivé,  en  réservant  le  vote  sur  le  rapport,  M.  Bar- 
rot  chercha  inutilement  à  faire  comprendre  que  cet  arrangement 
sabstitaaiuu  débat  véritable  un  débat  incidente!  ;  que  F  accessoire 
allait  emporter  le  fond,  et  qu'après  avoir  engagé  une  discossien 
prévue  et  acceptée  de  teut  le  monde,  on  ne  pouvait  appeler  l'As- 
semblée à  voter  sur  un  débat  improvisé*  Il  y  avait  là,  selon  le  mi- 
nistre, une  véritable  surprise,  sinon  une  tactique  qui  n'avait  point 
les  apparences  de  la  loyauté. 

M.  Barrai  ne  reculait  pas  devant  Kesamen  de  la  question  con- 
stitutionnelle de  l'accord  ou  du  désaccord  dn  ministère  et  de  F  As- 
semblée ;  mais  il  voulait  qu'on  la  posât  franchement,  ouvertement, 
dans  une  lutte  annoncée  d'avance,  et  solennellement  soutenue,  et 
non  eu  travers  d'une  discussion  déjà  engagée,  et  toute  différente, 
à  fimproviste,  d'une  façon  détournée,  par  une  sorte  de  guet- 
apene.  Lé  minière  voulait  donc  que  la  question  de  l'enquête  ftt 
d'abord  vidée  et  résolue.  Nais  M.  Barrot  avait  à  lutter  contre  des 
interruptions  systématiques  qui  étouffaient  sa  vois  et  épuisaient 
ses  forces.  Il  dot  céder  à  ces  violences  entraparletnentaire*. 

M.  Goraly  insista,  et,  malgré  quelques  fermes  paroles  de 
M.  CtMrtnbolle,  quoique  l'Assemblée  ne  parût  pouvoir  être  léga- 
lement consultée  que  sur  la  question  de  l'enquête  qui  était  seule 
à  Tordre  du  jour,  il  faHat,  de  gnerre  lasse,  aocepter  un  vête  sur 
fincident  soulevé  par  M.  Ferrée.  L'ordre  do  jour  pur  et  simple 
était  le  seul  moyen  de  couvrir  la  violation  du  règlement  et  de  cou- 
per court  à  un  débat  stérile  et  dangereux.  Il  fat  donc  nédatné, 
mais  repoussé  au  scrutin  secret,  à  la  majorité  de  *f7  voix  contre 
W7  (5  février). 

C'était  là  un  vote  grave,  moins  encore  par  les  dispositions  ft* 


116  HJSTOUtE  DE  FHAJSCE.  (1849.) 

cheuses  qu'il. signalait  dans  l'Assemblée,  que  par  la  question  con- 
stitutionnelle qu'il  posait  peut-êlre  imprudemment.  La  Chambre 
semblait,  par  là,  exiger  la  retraite  du  Cabinet.  Mais  ce  Cabinet 
avait  la  confiance  du  président,  élu  lui+méme  si  récemment  par 
une  majorité  immense.  Le  président  serait  donc  dans  l'alterna- 
tive ou  d'engager  ouvertement  avec  l'Assemblée  une  latte  déplo- 
rable, ou  d'accepter  les  ministres  qu'il  plairait  à  l'Assemblée  de 
lui  imposer.  So.ua  la  monarchie  constitutionnelle,  rien  de  plus 
simple  que  la  solution  d'une  difficulté  semblable.  Le  roi  n'étant 
pas  élu,  n'était  pas  responsable.  Une  lutte  s'eogageait-elle  entre 
le  ministère  et  la  Chambre,  le  roi  pouvait  se  rendre  au  vcau.de  la 
Chambre  en  congédiant  sou  ministère,  au  en  appeler  directement 
et  immédiatement  à  l'opinion  du  pays  par  la  dissolution  de  la 
Chambre.  Aujourd'hui  tout  était  changé.  Le  président  élu»  était 
responsable.  11  avait  donc  le  droit  d'avoir  une  opinion  person- 
nelle,, et  de  la  manifester  par  le  choix  d'un  Cabinet,  par  la  préfé- 
rence accordée  à  une  politique.  Toute  responsabilité  qui, n'est  pas 
un  vain  mot  entraîne  la  liberté  de  choix  et  d'action.  Or,  au- 
jourd'hui, la  majorité  parlementaire,  qui  semblait  prétendre  au 
droit  d'imposer  ses  volontés  au  président,  n'était  pas  elle-même 
responsable-  Le  président  ne  pouvait  la  dissoudre  et  en  appeler 
au  paya.  N'élait-il  pas  évident  que  le  président,  plus  encore  que 
son  ministère,  devait  céder  la  place,  si  le  droit  de  la  majorité 
parlementaire  reposait  sur  une  base  sérieuse?  Ainsi,  par  des  che- 
mins détournés,  l'Assemblée  en  revenait,  sans  le  savoir,  à  cet 
amendement  de  M.  Grévy,  qui  supprimait  le  président  de  la  Ré* 
publique,  et  qu'elle  avait  repoussé  à  une  majorité  immense.  Ceci 
seul  disait  d'où  partait  l'impulsion  qui  entraînait  la  Chambre  dans 
cette  voie  d'hostilité  inconstitutionnelle.  Cette  attitude  nouveUe 
n'allait  pas  à  moins  qu'à  la  suppression  du  pouvoir  exécutif,  et  i 
la  création  d'une  dictature  parlementaire. 

Toutefois,  la  question  n  était  pas  encore  tranchée*  L'ordre  du 
jour  motivé  qui  devait  manifester  le  conflit  n'était  pas  encore  voté, 
et  plusieurs  autres  ordres  du  jour  étaient  disposés,  qni  rendaient 
justice  à  la  conduite  du  ministère.  Le  3  février  était  un  samedi  : 
l'Assemblée  avait  donc  près  deux  jours  pour  réfléchir  a  la  gravité 
d'une  décision  suprême. 


L'ASSEMBLÉE  SE  RETWERA.  tl7 

Le  lendemain  matin,  4  février,  le  Moniteur  contenait' cette 
note:  • 

«  l4t  ainiiti**  te  «Mit  réoiûs  à  l'ây^NaiHXiftt,  à  l'ifeM»  de  U  tétai*)  il 
a  été  décidé  qu'Us  resteraient  à  leur  poste  et  persévéreraient  dans  la  aistiea  qui 
leur  *  .été  confiée,  y 


Le  président  s'appuya*  (amènent  aor  son  droit.  <}ue  levait 
l'Assemblée? 

Le  5  février»  démordre*  du  jour  Bè  trouvaient  en  présence  :  celai 
de  M-Perrée,  et  an  ordre  du  jourdngéiiéralOudJnetboflQu  dan&uu 
etprît  4e  conciliation.  En  voici  les  termes  :.  «  L'Assemblée  iMh>* 
»  nale,  adoptant  les  conclusions  de  rapport  de  lai  commission-, 
»  et  considérant  que  le  bulletin  offensant  poar  l' Assemblée  a  été 
»  formellement  désavoué  et  blâmé  par  le  ministère,  passe  à  l'or- 
a  dre  du  jour,  a  La  priorité  était  réclamée  pour  l'amendement 
da  général  Oudinot,  concerté  entre  Tauteor  et  la  majorilé  de  fa 
commission  nommée  pour  examiner  la  proposition  d'étiqueté. 
IL  Dupont  (de  Bussac)  eut  soin  d'avertir  l'Assemblée  que,  repous- 
ser l'amendement  da  oon-coaûaace  c'était  implicitement  accorder 
un  vote  de  .confiance  au  Cabinet.  Aussi,  k  Montagne  deman-» 
da-t-eHe  le  scrutin  secret  sur  la  question  de  priorité.  Dana  cette 
première  épreuve,  l'ordre  du  jour  du  général  Onéinot  l'emporta, 
à  la  majorité  de  4$5  voix  Contre  405.  Ce  premier  vote  assurait  te 
second»  En  effet,  Tordre  du  jour  conciliateur  fut  déftriitiveroevtf 
adopté  au  scrutin  do  division,  à  une  majorité  de  plus  de  iOQvcv* 
(461  contre  589).  Ainsi,  la  sagesse  de.  Y  Assemblée  détournait  une 
crise  imminente;  cette  heureuse  transaction  écartait  la  question 
ûOfisktpiioanôlle,  6t  rétablissait  l'harmonie  entre  la  Chambre  et 
le  Gouvernement, 

On  ne  pouvait  cependant  ne  pas  remarquer  l'énorme  diffé- 
rence qui  existait  entre  les  deux  votes,  Pun  du  scrutin  secret, 
l'autre  publie»  L'opposition  qui  se  manifestait  dans  l'Assemblée 
n'était  jamais  dangereuse  lorsqu'elle  cessait  d'être  anonyme.1 
L'hostilité  4u  scrutin  secret  se  reproduisait  encore  dans  les  étec- 
tiens  du  bureau  de  la  Chambre*  Ainsi,  ce  jour-të  même,  l'Àssenn 
Wée  *ja#t  eq,ià  renouveler  son  bureau,  une  majorité  d'environ 


IIS  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849) 

trente  ton  substitua  à  II.  Heeckeren,  secrétaire  sortant,  M.  Louis 
Perrée,  auteur  de  l'ordre  du  jour  qui  Tenait  de  succomber.  C'é- 
tait la  première  fois  qu'on  voyait  en  France  le  bureau  d'une  As- 
semblée composé  exclusivement  de  membres  appartenant  à  une 
seule  opinion.  La  Chambre  des  députés,  sous  le  régime  consti- 
tutionnel, avait  toujours  reculé  devant  un  pareil  système  d'ex- 
clusion, et  les  plus  intolérants  comprenaient  que,  le  bureau  étant 
appelé  i  prononcer  souvent  sur  te  résultai  des  épreuves,  la  pré- 
sence au  bureau  de  membres  de  toutes  les  opinions  est  i  la  fris 
une  garantie  de  sincérité  et  d'impartialité  dans  les  décisions,  ej 
la  plus  sûre  défense  de  la  majorité  contre  tonte  imputation  ou 
supposition  blessante.  L'ancienne  majorité  ministérielle  laissait 
donc  invariablement  à  l'opposition  la  désignation  d'un  secrétaire 
sur  quatre.  Aujourd'hui  on  lui  en  refusait  un  sur  six. 

Une  autre  conclusion  ressortait  du  débat  si  heureusement  tran- 
ché» C'était  l'imperfection  des  institutions  qui  pouvaient,  i  toute 
heure,  mettre  le  pays  en  présence  de  semblables  dangers.  La  ma* 
jorité  elle-même  se  préoccupa  de  ces  chances  sans  cesse  immi- 
nentes de  conflit.  A  l'issue  de  la  séance,  la  commission  de  Con- 
stitution fui  convoquée  par  son  président,  M.  Marrast.  Il  donna 
lecture  de  quelques  articles  de  la  Constitution  relatifs  aui  rap- 
ports du  pouvoir  exécutif  avec  l'Assemblée  ;  il  aurait  désiré  que 
la  commission  donnât  une  interprétation  plus  nette  et  plus  expli- 
cite du  sens  de  ces  articles.  Toutefois,  la  majorité  de  la  commis- 
sion décida  que  les  termes  de  la  Constitution  n'offraient  aucune 
ambiguïté  de  laquelle  un  conflit  pût  résulter  entre  le  président 
de  la  République  et  l'Assemblée.  Elle  déclara  que,  s'il  y  avait 
lien  i  interpréter  quelques  articles  concernant  le  pouvoir  exécu- 
tif, cette  interprétation  pourrait  se  faire  lors  de  la  discussion  sur 
la  loi  organique  relative  à  la  responsabilité  du  président  et  à  celle 
des)  ministres. 

Au-dessus  de  tous  ces  incidents  planait  toujours  cette  question 
qui  comprenait  toutes  les  autres.  L'Assemblée  tixerait-elle  le 
terme  prochain  de  sa  dissolution  ?  Le  jour  était  venu  d'une  se- 
conde lecture  pour  ces  propositions  diverses,  dont  M.  Râteau  avait 
pris  l'initiative*  Les  unes,  on  le  saH,  fixaient  une  date  à  la  dis-* 
solution  ;  les  antres  restreignaient  plus  ou  moins  le  nombre  det 


L'AqgENBLÉE  8E  *ETItKRA.  11» 

organiques  éntimérées  diot  te  décret  du  il  décembre»  Par 
laquelle  commencer  ?  Heureusement,  d*i»  l'intervalle  avait  surgi 
une  proposition  nouvelle,  présentée  par  M.  Lanjuinaia,  qui  avait 
l'avantage  de  comprendre  les  deux  questions,  colla  dos  lois  à 
faire,  et  implicitement  la  fixation dune  échéance  au  moins pro» 
babfte.  Voici  le  texte  de  cet  amendement  : 


«  Art.  I*.  H  sera  tatnédlatetteat  procédé  k  latmarfèfe  délibération  delà  lot 
élmtonn* 

»  La  deuxième  et  la  troisième  délibérations  auront  lien  à  l'expiration  dea  dé* 
lais  fixés  par  le  règlement. 

»  Art.  2.  Aussitôt  après  le  vote  de  cette  loi,  il  sera  procédé  a  la  formation 
des  listes  électorales. 

«  Les  élections  de  PAnesnMée  législative  auront  lies  lé  premier  dimanche 
qui  suivra  In  cfatturn  définitive  desdites  listes. 

»  L'Assemblée  législative  se  réunira  le  dixième  jour  après  celui  des  élections. 

»  Art.  3.  L'ordre  du  jour  de  l'Assemblée  sera  réglé  de  manière  qu'indépen- 
damment de  la  loi  électorale,  la  loi  sur  le  conseil  d'État  et  la  loi  de  responsabi- 
lité du  président  de  la  RépubKqoe  et  des  ministres  soient  votées  avant  In  disso- 
lution. 

»  Art.  4.  Le  décret  du  1 1  décembre  1 84 S  est  rapporté  dans  celles  de  ses  dis* 
positions  qui  sont  contraires  à  la  présente  loi.  » 


La  discussion  s'ouvrit  le  6  février.  M.  Lanjuinai9  développa  aa 
proposition  avee  clarté  et  sobriété.  11  montra  a  l'Assemblée  qu'en 
établissant  en  fait  trop  tôt  un  seul  des  trois  pouvoirs  créés  en 
droit  parla  Constitution,  elle  avait  fait  une  faute,  Ges  trois  pou* 
voira  sont  le  président,  la  législative,  le  eonseil  d'État.  On  aurait 
dû  suivre  ano  marebe  qui  permit  de  les  meure  tous  trois  simulla* 
nément  en  exercice.  Pour  atteindre  ce  but,  la  constituante  aurait 
été  conduite  à  prolonger  naturellement  son  mandat.  Elle  n'avait 
pas  procédé  de  cette  façon,  elle  n'en  avait  installé  qu'un  seul* 
D'où  il  suit,  qu'elle  se  trouvait  en  face  de  deux  devoirs  qui  pré- 
sentaient une  sorte  de  contradiction  :  premièrement,  celui  de 
filtre  fonctionner  dam  la  plus  bref  délai  la  Constitution,  c'est-à- 
dire  de  placer  à  côté  du  président,  la  législative  et  le  conseil 
d'État,  ce  qui  l'obligeait  à  prononcer  sa  dissolution  ;  seconde- 
ment, celui  de  faire  les  lois  organiques  nécessaires  à  la  mise  en 
exercice  de  ees  pouvoirs,  ce  qui  l'uMigeait  à  Ajourner  c* tte  dis?o» 


ftttf  HISTOUE  DE  PRMWE.  ÇW*9.) 

4 

lutioo.  Dans  cette  situation, -quel  principe  «litre?  Le  principe 
qoeootnniaodajeotà  la  fois  la  conscience  et  le  bon  sens,  c'est  que 
l'Assemblée  devait  se  bornera  faire  l'indispensable,  ee  que  le  jeu 
des  institutions  exigeait  impérieusement;  c'est-à-dire  la  loi 
sur  le  conseil  d'État,  et  elle  était  faite  ;  la  loi  sur  la  responsabi- 
lité des  agents  du  Gouvernement,  qui  limitait  les  droits;  et  enfin, 
la  loi  électorale  qui  devait  nécessairement  précéder  la  nomination 
de  l'Àweml&Lée  législative.  Tout  compte  fait,  le  maximum  des 
délais  que  ce  travail  devait  nécessiter,  c'était  environ  soixante-dix 
jours. 

L'Assemblée  accueillit  avec  faveur  cette  discussion  calme  et 
convenable»  Seul,  M.  Guicbard  conseilla  à  la  Chambre  de  s'impo- 
ser en  outre  l'obligation  de  voter  le  budget  MM.  Pagqerre  et 
Barthélémy  Saint-Hilaire,  au  milieu  des  interruptions  et  des  cla- 
meurs de  la  Montagne,  retirèrent  leur  amendement,  se  ratta- 
chant ainsi  à  la  proposition  Lanjuinais.  MM.- Wolowski  et  Râteau 
firent  de  même.  En  vain  M.  Félix Pyat  descendit-il  des  bancs  les 
les  plus  élevés  de  la  Chambre  pour  étouffer  la  proposition  sous 
le  poids  de  mille  subtilités.  Les  sommets  delà  Montagne  ap- 
plaudirent seuls  des  mots  pareils  à  ceux-ci  :  «  M.  Lanjuinais 
n'est  qu'un  Ratèau  modéré.  »  a  Le  président  fait  l'intérim,  c'est 
un  chapeau  en  attendant  une  couronne.  » 

M.  Sarrans,  à  son  tour,  adjura  l'Assemblée,  au  «nom  du  salut 
de  la  République,  de  rejeter  l'amendement.  Cet  effet  d'éloquence 
eut  le  mérite  d'appeler  4  la  tribune  M.  de  Lamartine  par  une  in- 
terpellation directe  et  prolongée  .dans  laquelle  l'orateur  repro- 
chait à  l'ancien  membre  du  gouvernement  provisoire  ses  ondula- 
t(ons>  ses  tergiversations.  M.  Sarrans  ajoutait  :  «  Quand  la  Répu- 
blique a  été  menacée,  grâce  à  la  réaction,  qu'a  fait  M.  de  Lamar- 
tine? Cette  République,  qu'il  avait  soignée  dans  son  berceau,  il 
l'a  saisie,  il  l'a  jetée  dans  l'espace  et  lui  a  dit  :  Va,  tome*,  où  tu 
pourra*!  » 

Accueillies  par  une  hilarité  générale  et  prolongée,  ces  étran- 
getés  forcèrent  l'illustre  orateur  à  prendre  part  au  débat  Au  mi- 
lieu dcmille  traits  brillants,  confus,  souvent  contradictoires,  M»  de 
Lamartine  parut  conclure  pour  la  dissolution  dans  un  bref  dé- 
lai. Dans  certains  passages,  plus  lumineux  que  le  fond  même  de 


LUSfcpMBLÉE  SE  RETIKBItA  121 

son  discoure,  il  fit  franchement  et  hardiment  appel  au  suffrage 
universel.  Peut-être  même  pouvait-on  penser  que  la  confiance' 
de  l'orateur  dans  les  hasards  du  scrutin  allait  jusqu'à  l'idole* 
the.  Aléa  jmcta  est.  Ce  mot  regrettable,  dont  M.  de  Lamartine* 
lui-même  avait  fait  la  Nouvelle  devise  de  la  FYanœ  lancée  à 
travers  l'inconnu,  il  le  prononçait  encore  aujourd'hui)  le  fiio* 
dffiaat  toutefois  par  cette  protestation  plus  poétique  que  politi- 
que :  a  le  suis  de  ceux-  qui  ne  araigpient  jamais  de  j*«er  avec  le 
sort  quand  c'est  la  France  qui  tient  le  dé,  et  quand  c'est  Dieo  qui 
tient  le  sort.  »  Ce  qu'il  y  eut  de  vraiment  sérieux  dans  les  paroles 
de  M.  de  Lamartine,  ce  fut  son  énergique  réprobation  de  ceux  qui 
reculaient  devant  un  jugement  de  la  nation.  Il  leur  adressa  cette? 
question  bfûlante  :  «  S'il  était  vrai  que  la  France  ne  fût  pas  ré- 
publicaine, avec  quoi  la  contraindrièz-vous  à  l'être?  Et  si  vous  ne 
vous  fies  pas  an  suffrage  universel,  c'est-à-dire  à  la  conscience  du 
pays,  à  quoi  donc  vous  fierea~vous  1 

L'opinion  de  la.  majorité  paraissait  désormais  fixée,  et  le  vote 
immédiat  était  désiré  par  le  plus  grand  nombre.  Mais  l'opposi- 
tion violente,  tumultueuse  d'une  fraction1  de  la  Montagne,  à  la- 
quelle M.  Marrast  céda  trop  facilement  peut-être,  fit  renvoyer  le 
vote  au  lendemain  (6  février). 

il  était  permis  de  penser  que  la  priorité  acfcordée  à  l'amende- 
ment  de  M.  Lanjuinais  en  entraînerait  l'adoption  oomplèto.  fin 
vain,  quelques  membres  cherchèrent-ils  par  tous  les  moyens  pos- 
sibles à  prolonger  la  vie  de  l' Assemblée.  On  vU  MM.  Dupont  (de 
Busaac),  Jules  Favre,  Sénard,  proposer  des  amendements  ayant 
pour  but  d'ajourner  une  solution  impatiemment  attendue.  On 
prétendait  que  l'Assemblée,  en  fixant  le  moment  de  sa  dissolu- 
tion, détruirait  sa. propre  autorité  morale;  M.  Dufaure  fit  justice 
de  ce  sophisme  en  rappelant  que  la  durée  des  Assemblées  légis- 
latives était  elle-même  rigoureusement  limitée  par  la  Constitua 
tion.  Ce  fut  surtout  dans  l'intérêt  de  la  République  et  de  la  Con- 
stitution que  M.! Dufaure  demanda  à  l'Assemblée  de  se  séparer» 
L'orateur  distingua  habilement  ce  qu'il  y  avait  de  révolution* 
naire  et  ce  qu'il  y  avait  de  légitime  dans  les  manifestations  de- 
mandant à  l'Assemblée  de  se  dissoudre.  Il  recopnut  dans  bequ* 


193  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (|*49.) 

coup  de  pétitions  un  vœu  nature),  un  désir  logique  de  voir  la 
Constitution,  qui  n'était  mise  eh  pratique  qu'à  moitié,  fonction- 
ner d'une  manière  complète  et  définitive.  On  craignait  la  réac- 
tion, dit*il  en  terminant  ;  mais  plus  on  attendrait,  plus  il  y  aurait 
à  craindre  que  l'Assemblée  a  Tenir  ne  différât  d'opinions  et  de 
sentiments  avec  l'Assemblée  actuelle. 

11  fallut  écarter  encore  vingt  propositions  ou  amendements  de 
pure  tactique,  Enfin,  la  proposition  de  M.  Lanjuinais  Ait  votée 
dans  tous  ses  articles.  Dans  le  dernier  article  seulement  il  fût  in- 
troduit un  amendement  dont  on  ne  pouvait  se  dissimuler  la  gra- 
vité; l'Assemblée  décida  qu'elle  voterait  le  budget  de  4  £49. 
Était-ce  là,  comme  quelques-uns  le  pensèrent,  une  autre  manière' 
de  se  perpétuer  ?  Non,  sans  doute  ;  ce  ne  serait  qu'un  travail  de 
plus  compris  dans  un  ordre  du  jour  dont  le  cadre  était  filé  à  l'a- 
vance. Seulement  on  pouvait  se  demander  si  ce  travail  serait  sé- 
rieusement accompli.  Outre  trois  lois  organiques  et  le  bagage 
courant  d'interpellations  et  de  propositions  émanées  de  l'initia- 
tive parlementaire,  il  faudrait  encore  examiner,  discuter,  voter 
le  budget.  Il  y  avait  tout  lieu  de  craindre  que  ce  ne  fût  là  un  bud- 
get provisoire.  Et  encore,  dans  cet  examen  si  hâté,  on  pouvait  re- 
douter que  des  représentants,  dont  les  réélections  se  trouveraient 
compromises,  ne  cherchassent  à  se  sauver  du  naufrage  électoral 
par  la  fausse  popularité  qui  suit  trop  souvent  des  économies  im- 
prudentes. 

M.  de  Lamoricière  appuyait  en  outre  un  amendement  de  M.  de 
Ludre,  proposant  d'ajouter  la  loi  sur  la  force  publique;  M.  Jules 
Simon  voulait  qu'on  fît  la  loi  de  l'enseignement;  M.  Senard,  la 
loi  d'organisation  judiciaire  ;  M.  Geyras,  celle  de  l'assistance  pu- 
blique. 

Heureusement  pour  l'autorité  des  travaux  de  la  Chambre, 
tous  ces  amendements  furent  repousses.  L'Assemblée  ne  voulut 
pas  se  déjuger;  elle  résista  sagement  à  tous  les  efforts  faits  pour 
lui  surprendre  un  vote  qui  aurait  implicitement  annulé  le  vote 
sur  les  articles  de  la  proposition  Lanjuinais. 

Restait  à  voter  sur  l'ensemble  de  la  proposition.  Dans  les  nou- 
velles habitudes  parlementaires,  ce  vote  décidait  qu'il  y  avait  lieu 


L'ASSEMBLÉE  SE  RETIRERA.  1S3 

a  «se  troisième  délibération.  Le  scrutin  de  division  donna  une 
majorité  de  494  voix  contre  307. 

Ainsi,  par  la  sagesse  de  l'Assemblée  constituante,  était  enfin 
écartée  la  possibilité  toujours  imminente  d'un  dangereux  conflit. 


124  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (18*9;) 


CHAPITRE  VIII. 


AGITATIONS  SOURDES,    UTOPIES,   RÉPRESSION 


Influence  fâcheuse  de  l'agitation  sur  le  crédit  ;  fonds  publics,  banque,  affairée 
industrielles  et  commerciales.  —  La  Montagne  dans  l'Assemblée.  —  Audace 
croissante  des  journaux  et  des  clubs.  —  Sagesse  de  l'Assemblée,  vote  définitif 
de  la  proposition  Lanjuinais.  —  Commission  du  projet  de  loi  sur  les  clubs, 
projet  nouveau  de  MM.  Crémieux  et  Senard,  révélations  de  M.  Léon  Faucher, 
apologie  des  clubs  par  M.  Crémieux.  —  M.  Lagrange  et  les  insurgés.  — 
Assassins  du  général  de  Bréa,  jugement  du  conseil  de  guerre,  le  socialisme  et 
l'assassinat. —  Désordres  à  Celte  et  à  Niort,  connivence  des  autorités,  répres- 
sion énergique;  rixes  à  Lyon,  la  statue  de  Y  Homme  du  Peuple,  mort  d'un 
anarchiste.  —  Croisade  contre  la  révolte,  dissolution  de  gardes  nationales, 
révocation  de  sous-préfets  et  de  maires,  enlèvement  d'emblèmes  révolution- 
naires. —  Le  maréchal  Bugeaud  à  Bourges  et  à  Lyon,  discours  énergiques, 
interpellations  de  MM.  Coralii,  Arago  et  Saint-Gaudens,  réponse  de  M.  Odi- 
lon  Barrot,  ordre  du  jour.  —  Utopies,  M.  Cabet  et  l'Icane,  déceptions  tt 
misères  ;  M.  Proudhon  arrive  à  l'application,  Banque  du  Peuple,  déclaration 
solennelle,  statuts  de  la  Banque  nouvelle  ;  rivalités  de  boutique,  M.  Considé- 
rant et  M.  Proudhon,  injures  mutuelles  ;  la  Révolution  démocratique  et  so- 
ciale ou  les  utopistes  sans  utopie.  —  Anniversaire  du  24  février,  service  fu- 
nèbre, manifestation  contremandée  ;  banquets,  fusion  du  socialisme  et  de  In 
Montagne  historique,  conversion  subite  de  M.  Ledru-Rollin  ;  désordres  dans 
les  départements,  troubles  h  Clamecy,  à  Toulouse,  à  Aucn,  à  Dijon,  à  la 
Ouillotière,  à  Carcassonne,  à  Narbonne,  complicité  des  autorités. 


Au  milieu  de  ces  agitations  parlementaires  et  de  ces  menées 
anarchiques  le  mouvement  de  reprise,  qui  s'était  manifesté  dans 
les  affaires  industrielles  et  commerciales  à  la  suite  de  la  nomina- 
tion du  président  de  la  République,  s'était  presque  complète- 
ment arrêté  ;  la  confiance,  qui  commençait  à  reparaître,  s'était 
retirée  de  nouveau  ;  les  fonds  publics  avaient  perdu  une  partie 


UTOPIES.  RÉPBESSlOfiL  125 

du  terrai*  qu'ils  avaient  regagné.;  la  décroissance  du  porte- 
feuille de  le  Banque  montrait  que  le  crédit  privé  n'était  pas  dans 
une  situation  meilleure  que  le  crédit  public;  les  boutiques  se 
fermaient  ;  le  nombre  des  faillites  augmentait  ;  enfin;  dans  les 
grands  centres  manufacturiers,  on  ne  recevait  plus  de  comman- 
des, ou  ne  voyait  plus  d'acheteurs..  C'étaient  là  les  suites  natu- 
relles du  conflit  élevé  entre  les  deux  pouvoirs.  A  tort  ou  à  raison, 
on  croyait  voir  l'Assemblée  se  livrant  tous  les  jours  davantage  à  un 
parti  qu'elle  avait  su  jusque-là  contenir.  Dans  les  commissions, 
dans  les  bureaux,  dan*  les  votes  de  ta  Chambre,  il  semblait  que 
la  msyorité  fût  déplacée. 

Il  (allait  ajouter  à  ces  causes  d'anxiété  l'audace  croissante  qu'on 
remarquait  dans  le  langage  des  journaux  révolutionnaires  et  des 
réunions  démagogiques»  des  appels  aux  plus  détestables  passions, 
des  apologies  de  la  guerre  civile,  des  justifications  de  l'assassi- 
nat Si,  en  préseuce  de  pareils  excès,  on  plaçait  le  vote  par  le- 
quel l'Assemblée  venait  de  repousser  l'urgence  de  la  loi  contre 
les  clubs,  on  ne  pouvait  s'étonner  que  la  confiance  et  le  travail 
fussent,  une  fois  encore,  paralysés. 

A  ces  motifs  d'inquiétude  s'ajoutait  encore  le  bon  accueil  (ait 
par  la  Constituante  à  des  projets  qui  devaient  apporter  une  per- 
turbation nouvelle  dans  les'finances.  On  avait  réduit  l'impôt  du 
sel  des  deux  tiers;  l'impôt  des  boissons  était  menacé  à  son  tour, 
et  la  commission,  appelée  à  prononcer  sur  son  sort,  nommait 
pour  président  celui-là  même  qui  proposait  de  l'abolir. 

Il  faut  pourtant  se  bâter  de  le  dire,  les  menaces  renouvelées 
contre  la  société  à  la  faveur  des  discussions  entre  le  pouvoir  lé- 
gislatif et  le  pouvoir  exéestif  semblaient  enfin  avoir  éclairé  la 
Chambre.  Le  14  février,  malgré  les  efforts  de  M.  Emile  Péan, 
malgré  deux  amendements  contradictoires  de  M.  Senard,  r As- 
semblée persista  dans  une  sage  résolution,  en  adoptant  définiti- 
vement la  proposition  de  M.  Lanjuinais  à  la  majorité  de  37  voix 
(  424  contre  387).  Les  votes  antérieurs  faisaient  prévoir  ce  résul- 
tai :  on  n'en  devait  pas  moins  savoir  gré  à  l'Assemblée  d'une 
persistance  qui  l'honorait  et  qui  ramènerait  le  calme  dans  le 

pays. 

La  haute  prudence  fui  caractérisait  cette  détermination  ne 


126  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

pouvait  toutefois  faire  oublier  les  encouragements  que  l'esprit 
d'anarchie  a? ait  reçus  de  la  Chambre  elle»méme.  Ainsi,  la  com- 
mission chargée  d'examiner  le  projet  de  loi  sur  les  clubs  l'avait, 
à  la  majorité  de  9  voix  contre  6,  déclaré  inconstitutionnel.  Néan- 
moins, deux  membres  de  la  majorité,  MM.  Crémieos  et  Senard, 
s'étaient  rénnis  k  la  minorité  pour  présenter  on  antre  projet 
ayant  pour  but  principal  de  modifier  le  décret  primitif  rendu 
dans  le  mois  de  juillet  1848*  En  vain,  le  5  février,  peur  justifier 
la  loi  sur  les  clubs  et  la  demande  d'urgence,  M.  Léon  Faucher 
avait-Il  apporté  à  la  tribune  un  extrait  des  precèe-f erhaitx  où 
étaient  recueillis  par  les  commissaires  les  discours  tenus  dans 
ces  foyers  d'anarchie,  tl  avait  exposé  duos  leur  nudité  les  abo- 
minables principes  prêches  journellement  dans  ces  antres  de 
désordre.  Ici,  no  orateur  évoquait  ce  paradoxe  déjà  vieilli  i  La 
propriété  est  un  vol  ;  làt  un  énergumène  en  appelait  au  droit  du 
plus  fort,  à  la  raison  dernière  du  fusil  ;  un  antre  voulait  paner  le 
niveau  sur  les  têtes  des  riches  ;  celui-ci  décernait  un  brevet  d'hé- 
roïsme aux  insurgés  de  juin,  et  disait  :  s  Le  peuple  a  été  battu, 
mais  non  vaincu;  »  celui-là  justifiait  le  meurtre  de  M.  Rossi,  et 
applaudissait  aux  vertus  de  son  lâche  assassin* 

Tout  cela  n'empêcha  pas  le  rapporteur  de  la  commission , 
M.  Crémreux,  de  considérer  les  clubs  comme  des  réunions  paci- 
fiques et  nullement  dangereuses.  Il  en  donnait  cette  raison  étrange 
que  leur  nombre  augmente  dans  les  temps  de  troubles  et  d'anar- 
chie. A  cet  argument  si  logique  venait  s'en  ajouter  un  autre  aussi 
sérieux.  Le  rapporteur  énumérait  les  condamnations  infligées 
depuis  le  mois  d'avril  aux  dubistes  et  aux  clubs  :  devant  les  tri- 
bunaux de  police  correctionnelle,  54  contraventions  imputées  à 
42  individus,  amenant  30  condamnations;  sans  compter  lu  châ- 
timent d'un  outrage  public  envers  un  commissaire  de  police,  et  la 
fermeture  de  deux  clubs  pour  avoir  restreint  la  publicité  et  aviuir 
admis  des  mineurs  et  des  femmes.  En  cour  d'assises  :  1 4  attures 
provoquées  par  4t  clubs,  8  clubs  condamnés  dans  la  personne  de 
tl  accusés,  dont  8  avaient  attaqué  la  propriété,  fi  outragé  la  mo- 
rale publique,  i  provoqué  à  la  guerre  civile,  3  attaqué  l'autorité 
de  l'Assemblée,  1  attaqué  la  Constitution.  Le  rapporteur,  ne  pou- 
vant tirer  de  ees  nombreuses  condamnations  la  preuve  es  l'iano- 


UTOPIES.  RÉPRESSION.  1*7 

cence  des  clubs,  voulait  du  moins  établir  l'efficacité  delà  répres- 
sion, liais  qui  ne  savait  que,  par  l'impuissance  Même  de  la  lot» 
Isa  clubs  avaient  joui  en  fait  d'une  véritable  impunité?  Cela  était 
si  vrai,  que  il*  Grémieux  lui-même  était  chargé  par  la  commis- 
sion de  proposer  de  nouvelles  mesures  répressives.  L'énumére- 
lion  des  condamnations  infligées  sous  l'empire  d'une  loi  inefH- 
cace  suffisait  pour  démontrer  que  l'état  permanent  des  clubs  est 
la  provocation  an  désordre  et  la  violation  de  toutes  les  lois. 

Suivait,  dans  le  rapport,  la  glorification  des  clubs  de  la  pre- 
mière révolution*  et  en  particulier,  du  club  des  Jacobins,  l'iden- 
tification peu  flatteuse  de  leur  cause  à  celle  de  la  République 
elle-même,  et  la  personnification  du  people  dans  ces  assemblées 
violentes  qni  se  substituaient  à  lui,  et  réalisaient  le  pins  san- 
glant des  despotismes. 

Et  cependant,  les  prisons  étaient  encore  pleines  de  malheu- 
reux poussés  à  la  pis*  sauvage  des  guerres  civiles  par  les  ex* 
citations  des  clubs.  Malgré  les  propositions  nombreuses  de 
M.  Lagrsnge,  soutenues  par  des  formes  étranges  de  langage , 
l'Assemblée  se  refusait  à  justifier  par  une  amnistie,  qu'on  sem- 
blait plutôt  exiger  qu'implorer,  les  ennemis  de  la  société.  Quel- 
ques jours  auparavant  (S  février)  le  conseil  de  guerre  pronon- 
çait son  jugement  dans  le  procès  relatif  au  meurtre  odieux  du 
général  de  Bréa.  C'était  encore  là  un  des  fruits  de  l'excitation  po- 
litique appliquée  à  des  instruments  grossiers  et  farouches.  On  se 
rappelle  ce  géuéral  qui,  sous  l'égide  du  parlementaire,  caractère 
respecté  même  parmi  des  sauvages,  avait,  comme  l'archevêque 
de  Paris,  trouvé  la  mort  parmi  ceux  auxquels  il  apportait  èes  pa- 
roles de  concorde  et  de  paix.  Après  un-supplice  de  six  heures, 
lui  et  son  aide-de~camp  avaient  été,  non-seulement  égorgés,  mais 
mutilés,  comme*  par  des  cannibales.  C'est  au  nom  des  doctrines 
qui  prétendent  régénérer  l'ordre  social,  c'est  au  cri  de  :  Vive  la 
République  démocratique  et  sociale  !  que  cet  attentat  inouï  avait 
été  consommé.  La  plupart  de  ces  individus  fréquentaient  assidue- 
ment  les  clubs.  Parmi  eux,  deux  enfants,  l'un  de  dix-neuf  ans, 
l'autre  de  dix-huit,  avaient  agi,  cela  ressortait  de  tous  leurs  anté- 
cédents, sous  l'inspiration  des  doctrines  socialistes.  Cinq  d'entre 
eux,  Daii,  Lafcr,  Nourvy,  Vappreaux  jeune  et  Choppart  furent 


^ 


128  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

condamnés  à  la  peine  capitale;  cinq  autres  furent  condamnés 
aux  travaux  forcés  ou  à  la  détention  plus  on  moine  prolongée. 
Quelques-uns  persistèrent,  en  entendant  leur^arrèt,  à  confondre 
leur  lâche  assassinat  avec  la  cause  de  la  République  sociale.  Le 
moment  n'était  pas  loin  où  ie* chefs  de  la  démagogie  accepte-, 
raient  comme  leurs  ces  honteux  séides  et  les  travestiraient  en 
martyrs. 

En  attendant  des  occasions  plus  sérieuses,  l'anarchie  ne  dés- 
armait pas.  De  jour  à  autre,  quelques  désordres  isolés  entre- 
tenaient l'inquiétude  publique.  À  Cette,  le  7  février,  une  foule 
ameutée  pénétrait  violemment  dans  la  salie  des  délibérations  du 
conseil  municipal  ;  elle  saccageait  plusieurs  maisons  dont  le  mo- 
bilier était  livré  aux  flammes.  Cette  scène  de  dévastation  et  de  vio- 
lence se  prolongeait  pendant  quatre  heures,  au  milieu  d'une  ville 
possédant  une  garnison,  une  garde  nationale,  des  autorités  muni- 
cipales, et  cela  sans  qu'aucun  effort  fût  fait  pour  mettre  un  terme 
à  cea>  excès.  La  garde  nationale  restait  indifférente  ou  pactisait 
avec  l'émeute.  Le  maire  oubliait'  ses  devoirs  et  ne  réclamait  pas 
l'appui  de  la  force  publique.  Il  avait,  il  est  vrai,  provoqué  loi- 
même  ce  regrettable  mouvement  en  se  refusant  à  exécuter  les  or- 
dres du  préfet  pour  l'enlèvement  d'un  arbre  de  liberté  surmonté 
d'un  bonnet  rouge. 

A  Niort,  le  18  février,  une  bande  de  perturbateurs  chercha  à 
s'opposer,  par  la  violence,  au  départ  d'un  escadron  jlu  2e  chas- 
seurs, ici,  encore»  l'autorité  fut  complice  du  désordre.  Un  com- 
missaire de  police  tentait  d'arrêter,  au  nom  du  peuple,  le  colonel 
de  l'escadron,  insulté  à  la  tête  de  ses  hommes,  parce  qu'il  avait 
cru  devoir  repousser  la  violence  par  la  violence.  Un  représentant 
du  peuple,  M.  Maichain,  se  faisait  remarquer  au  milieu  des  grou- 
pes criant  :  «  Vive  la  République  démocratique  et  sociale  !  » 
Le  préfet  des  Deux-Sèvres  lui-même,  M.  Dègouve~Denuncques, 
chercha  à  persuader  au  colonel  qu'il  devait  se  rendre  prisonnier, 
parce  que  tel  était  le  bon  plaisir  du  peuple*  Le  colonel  et  le  régi* 
ment  tout  entier  surent,  mieux  que  les  représentants  du  Gouverne- 
ment central,  garder  l'attitude  nécessaire  devant  l'émeute. 

A  Niort,  le  colonel  de  Cotte  avait  châtié  d'un  coup  de  plut  de 
sabre  le  démagogue  qui  le  menaçait  grossièrement,  et  l'esprit  de 


UTOPIES.  BÉPftESSKffl.  tSt 

désordre  avait  pris  parti  contre  l'autorité  militaire.  Oa  comprend 
quelles  durent  être  les  récriminations  des  partis  eitrémes  lorsque, 
le  lendemain  19  février,  une  autre  émeute  tentée  à  Lyop  eul 
pour  résultat  là  mort  d'un  anarchiste.  Une  statue  grossière,  repré- 
sentant le  peuple  souverain  sous  le  costume  d'un  ouvrier,  avait 
été  élevée  sur  une  des  places  de  Lyon  dans  les  phis  mauvais  jours 
qui  suivirent  la  révolution  de  février.  Depuis  ce  temps,  une  sen- 
tinelle avait  été  accordée  à  ce  monument  d'un  nouveau  genre. 
L'autorité  ayant  cru  devoir  la  retirer,  de  nombreux  attroupe- 
ments se  réunirent  pendant  plusieurs  jours  auprès  de  lin- 
forme  statue,  sous  prétexte  de  la  défendre.  Plusieurs  £»is  de*  mi- 
litaires furent  insultés,  un,  entre  autres,  violemment  maltraité^ 
par  la  populace.  Dans  la  rixe  qui  s'en  suivit,  un  chef  de  club, 
déjà  arrêté  la  veille  pour  un  fait  semblable,  fut  tué  au  moment  où 
il  lançait  des  projectiles  sur  la  troupe» 

En  présence  de  ces  faits  déplorables,  le  Gouvernement  sut  main- 
tenir avec  énergie  les  droits  de  la  loi,  et  fortifier  le  principe  d'au- 
torité :  le  ministre  de  l'Intérieur,  M.  Léon  Faucher,  se  distingua 
dans  celte  croisade  vigoureuse  contre  la  révolte.  Partout  où  un 
désordre  éclata,  où  l'autorité  locale  faiblit,  le  pouvoir  central  ne  fit 
pas  attendre  la  réparation.  La  garde  nationale  de  Cette  fut  dis- 
soute :  le  maire  fut  révoqué.  Le  commissaire  de  police  de  Niort 
eut  le  même  sort.  Partout  où  les  emblèmes  sinistres  de  la  (erreur 
cherchèrent  à  se  montrer  de  nouveau,  ils  furent  abattus. 

Il  faut  le  dire,  le  Gouvernement  nouveau  était  admirablement 
secondé  dans  ses  efforts  par  les  chefs  militaires  auxquels  il  avait 
confié  les  postes  les  plus  importants  à  défendre.  On  a  vu  quel  con- 
cours l'autorité  avait  trouvé  dans  l'intelligente  énergie  du  général 
Changarnier.  Le  maréchal  Bugeaud,  lui,  apportait  dans  l'Est  sa 
vieille  expérience  et  sa  vigueur  indomptable.  Arrivé  à  Lyon  pour 
prendre  possession  du  commandement  de  l'armée  des  Alpes,  le 
duc  d'Isly  encouragea,  par  son  attitude  et  par  ses  paroles,  le  parti 
de  Tordre  et  les  représentants  de  la  loi  si  longtemps  méconnue 
dans  cette  ville.  A  Bourges,  le  maréchal  avait  rendu  le  même-ser- 
vice en  patronant  hautement  les  idées  de  calme  et  de  prospérité 
publique.  Les  agitateurs  s'emparèrent  des  paroles  prononcées. par 
l'illustre  guerrier,  et  en  firent  le  texte.d'aecusatious  calomnieuse*, 

9 


m  HISTOUtE  BE  fftAMCE.  (1849.) 

qtri  tefetireal  joeque  dans  ht  tribune  4e  l'Assemblée  nalioQéJe. 
Toto,  à  peu  prie,  quel  amie  été  le  fond,  sinon  le tette  précis 
des  atfoeatfoB»  da  mréctal  : 


«  Non*  m  devons  pat  nous  dissimulcT,  Messieurs,  que  1*  skuefien  est  grave  ; 
tarif»  esunems  enferts,  €t  «mm  devons  sens  nous  unk  *»er  eombettre  les 


»  Le  France  a  une  mag  nifique  armée,  et  cependant  eUe  ne  peut  pus  IV 
ta  dehors.  Il  est  impossible  aa  Gouvernement  de  songer  à  passer  les  Alpes»  aiflra 
que  rarmée  laisserait  derrière  elle  une  guerre  ci? Ue  considérable. 

*  11  ne  faat  pu,  Messieurs,  nous  abaser  sur  les  choses  ;  il  est  possible  qu'une 
liisnnstnaiMi  sepilwwnts  rfiminUsrnm  jjiii  iiflm  m  ifiiuau  psi  if j'en  si  w  ninmnnf 
peut  arriver,  et  «ai,  ea  arrivant,  exigerait  que  nous  pesaient  à  oomhsÉsro  les 
perturbateurs  les  armes  à  la  main. 

»  Je  ne  donte  pas,  Messieurs,  que,  parmi  tous,  il  n'y  ea  eût  beaucoup  fui 
viendraient  se  joindre  a  nous.  Mais  ce  n'est  pas  là  seulement  qui!  faut  déployer 
du  courage,  il  faut  que  partout  et  an  toute  ooeasioo  noaa  ayons  «le  conengo  est 
nota»  opinion,  et  nous  dotons  en  toute  «eeesiou  la  manifester  et  la  défendre» 

»  Et  vous,  messieurs  les  magistrats,  vous  *ven  à  combattes,  à  dépètyerels  Jn 
fermeté  dans  l'exercice  de  vos  fondions.  C'est  à  vous  de  prémunir  MM.  les 
jurés,  a  vous  prémunir  vous-mêmes  contre  l'abus  des  circonstances  atténuantes» 
abus  nui  énerve  faction  de  la  justice,  et  n'épargne  les  mfraeteure  de  Intel  qu'au 
détriment  des  bons  «toréas  et  de  la  société  toit  entière. 

Oaaen  Fronce  In  mrihaawmas  habitude  <tc  ne  pmnteemsidéngr  un  crime  po- 
litique  autrement,  passez-moi  le  mot,  que  comme  une  plaisanterie. 

»  Le  criminel  politique  triomphe,  c'est  un  héros  ;  il  échoue,  c'est  un  inno- 
cent, un  martyr. 

»  Et  cependant,  on  crime  particulier  ne  nuit  qu'à  un  individu ,  tandis  que  le 


»  lé  ne  saia,|feBSienrst  si  nous  serons  appelés  à  combattre  ensemble  au  delà 
de  mas  treetieras;  je  nuis  fermement  nssoré  que,  dans  ce  cas,  vous  «aunes  ré- 
pondre aux  espérances  du  pava  et  rajeunir  la  gloire  de  son  drapeau, 

•  Mais  cette  perspective  n'est  pas  la  seule  que  doive  envisager  l'armée  dan 
Alpes.  La  situation  du  pays  lui  impose  à  l'intérieur  des  devoirs  impérieux,  sa- 
crés, qu'en*  n  déjà  su  et  qu'elle  saura  remplir  encore.  Cette  tâche  «'est  pus 
marne  jtomenei  que  l'an**.  Assurer  le  umùntien  de  àt  loi,  détendes  m  société 
centre  les  mauvaises  passions  qui  la  menacent,  opposer  une  résistance  invincible 
eux  tentatives  coupables  qui  amèneraient  la  désorganisation  et  la  décadence  de 
pays  ;  c'est  par  t*  qu'il  faut  commencer,  c'est  seulement  ainsi  qae  nous  esapé- 
ce*rea*»f*as^*dsehitt  lui  appartient  vive**»  de  réttnauur. 

»  lus  grands»  «renias  nambsent  uunir  aujourd'hui  cette  snisiisn  en  hWencu 
Si  l'empire  d'Autriche  échappe  a  une  dévolution  qui  paraissait  inévitable,  c'est 
à  son  armée  qu'il  le  doit.  Oui,  In  forte  organisation,  la  discipline  exacte.  Cas- 
noit  njSIAnnm  ne  r  Mnsee  airtricnseone  en  ont  seuls  arrêté  In  raine* 


UTOPIES.  RÉPRESSION.  *3t 

*»c  TminH  fttepfcé  *ri,  «lit,  »«rcfce  «a  «««««até  de  m~ 
tomate  arac  U  uaffc*  toi  «lient,  fcilUnfeelIa  »  «  *m>ir  énmMU  a** 
triotiqne?»  *7* 

• 

Ces  parole* «  sensées*  mais  qui navrôt  «TaMleai*  «oemi  ca- 
raclère  officiel,  servirent  de  texte  à  des  inierpellations  adressées 
par  M.  CeraHi  an  ministère  <lâ  février).  MM.  Coralli,  E.  Arago  et 
SaiiifcGftiidefls  avaient  vu  dans  le  discouru  de  M.  le  maréchal  la 
déclaration  femelle  flûte  par  le  commandant  de  l'armée  des  Al- 
pcs  que  cette  année  ne  passerait  jamais  la  frontière.  C'était  là, 
aux  yeux  des  interpeUateurs,  alarmer  la  France,  «ter  anx  étran- 
gers i'appréheaeion  de  nos  armes,  détraire  la  sécnrité  à  l'intérieur 
et  paralyser  l'influence  française  an  dehors.  M.  Rarrot  n'eut  pas 
de  peme  à  démotiver  qu'il  n'y  avait  rien  de  tout  cela  dans  le  dis- 
cours  du  maréchal,  et  que  M.  le  duc  d'Isly  n'avait  fait  que  consta- 
ter celte  incontestable  vérité,  que  si  l'ordre  était  assuré  en 
France,  la  libre  disposition  de  nos  ressources  nous  donnerait,  en 
Europe,  «ne  situation  plus  forte  et  plus  grande,  a  Ce  n'etf  pat 
»  pour  afuMïr  l'armée  des  Alpes  aux  yeux  de  l'étranger,  dit  le 
m  préaident  du  conseil,  que  nous  en  avons  confié  le  commande- 
»  ment  au  maréchal  Bugèaad  ».  Le  général  Bedeau  s'associa, 
par  quelques  paroles  énergiques,  i  la  pensée  du  ministre. 

^  L'Assemblée  nationale  vota  l'ordre  du  jour  i  une  grande  ma- 
jante. 

Aux  agitations  vigoureusement  réprimées  correspondaient, 
comme  toujours,  les  tentatives  théoriques  d'anarchie  dans  le  jour- 
nalisme socialiste  et  dans  les  paraphiez  révolutionnaires.  Seule- 
ment, les  philosophes  de  la  République  sociale  s'abandonnaient 
imprudemment  k  la  tentation  de  réaliser  leurs  chimères.  Le  grand 
prêtre  de  la  république  icarienne,  M.  Cabet,  avait  choisi  le  Texas 
pour  théâtre  d'épreuve.  Il  avait  obtenu  gratuitement  la  concession 
de  terrains  dans  la  partie  nord-ouest,  le  long  de  la  rivière  Rouge. 
La  première  avant-garde  de  travailleurs  communistes,  mal  ren- 
seignée, trompée  par  les  agents  de  M,  Cabet  sur  les  ressources  qui 
l'attendaient,  avait  été  décimée  par  les  fièvres,  les  fatigues  et  la 
misère.  La  seconde  avait  eu  le  même  sort,  et  bientôt  les  hôpitaux 
de  la  Nouvelle-Orléans  recevaient  les  débris  delà  colonie  ica- 


139  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

rienne.  Des  plaintes  nombreuses  s'élevaient  contre  l'imprévoyance 
et  même  eontre  la  loyauté  des  chefs  de  l'entreprise.  Le  commu- 
nisme pratique  allait  bientôt  descendre  jusqu'à  la  police  correc- 
tionnelle. Ainsi  étaient  renouvelées,  mais  avec  des  victimes  plus 
nombreuses,  les  folies  phalanstériennes  de  Clairvaux  et  de  Ram* 

bouitlet. 

'  Un  antre  chef  de  secte,  jusqu'alors  triomphant*  parce  qu'il  s'é- 
tait prudemment  retranché  dans  la  critique,  toujours  [si  facile, 
M.  Proudhon,  allait  échouer  contre  recueil  de  tons  les  réforma- 
teurs socialistes,  la  mise  en  pratique  de  leurs  projets  de  régé- 
nération. Le  philosophe  de  la  négation  et  de  la  contradiction  ar- 
rivait à  son  tour  à  l'affirmation,  et  réalisait  la  Banque  dn  peuple 
(41  février).  Une  déclaration  emphatique  placée  par  M.  Proudhon 
à  la  tête  des  statuts  de  la  société  nouvelle,  semblait,  au  premier 
coup  d'œil,  porter  l'empreinte  d'une  conviction  sérieuse.  Le  so- 
phiste hégélien,  tour  à  tour  protestant,  papiste,  panthéiste,  mo- 
narchique, aristocrate,  babouviste,  communiste,  abandonnait, 
cette  fois,  les  divers  projets  économiques  et  financiers  qui  l'a- 
vaient fait  si  célèbre,  l'organisation  du  crédit  et  de  la  circulation, 
la  banqueroute  partielle  autorisée  par  l'État,  l'emprunt  national 
forcé.  C'était  une  dernière  épreuve,  à  l'entendre,  une  épreuve 
solennelle,  définitive  que  cette  Banque  du  peuple.  C'était  même 
le  socialisme  tout  entier,  et  le  succès  de  Tune  ferait  juger  l'autre. 
L'écrivain  athée  invoquait  hautement  la  Divinité,  l'Évangile  et  la 
Constitution. 

«  Je  fais  serment  devant  Dieu  et  devant  les  hommes,  sur  l'Évangile  et  sur  la 
Constitution,  que  je  n'ai  jamais  eu  ni  professé  d'autres  principes  de  réforme 
sociale  que  ceux  relatés  dans  le  présent  acte,  —  et  que  je  ne  demande  rien  de 
plus,  rien  de  moins  que  la  libre  et  pacifique  application  dit  ces  principes  et  de 
leurs  conséquences  logiques,  légales  et  légitimes. 

»  Je  déclare  que,  dans  ma  pensée  la  plus  intime,  ces  principes ,  avec  les 
conséquences  qui  en  découlent,  sont  tout  le  socialisme,  et  que,  hors  de  là,  il 
n'est  qu'utopie  et  chimère. 

»  Je  jure  que,  dans  ces  principes,  et  dans  toute  la  doctrine  à  laquelle  ils 
servent  de  hase,  il  ne  se  rencontre  rien,  absolument  rien  do  contraire  à  la  fa* 
mille,  à  la  liberté,  h  Tordre  public. 

•  '  »  ta  Banque  do  Peuple  n'est  que  la  formule  financière,  la  traduction  en  lan- 
gage économique,  du  principe  de  la  démocratie  moderne,  la  souveraineté  du  peu* 
pie,  et  -à  la  devise  républicaine  :  Liberté,  Égalité,  Fraternité,  » 


UTOPIES.  RÉPRESSION.  133 

Si  1e  erétteor  de  la  Banque  du  peuple  reconnaissait,  par  l'in- 
succès de  sa  tentative,  qu'il  s'était  trompé,  il  se  retirerait  de  IV 
rèee  révolutionnaire,  au  risque  de  mériter  le  mépris  des  hon- 
nêtes gens,  s'il  continuait  à  agiter  les  esprits  par  de  fausses 
espérances. 

a  Ceci  est  mon  testament  dévié  et  de  mort."  A  celui-là  seul  qui  pourrait  men- 
tir ea  nmrant,  je  permets  d'en  soupçonner  la  tineérité. 

r  Si  je  me  sais  trompé,  la  saison  puMiqneafrahfentot  fait  jastioe  de  met  tfaée- 
ries,  il  ne  dm)  restera  qu'à  disparaître  de  l'arène  révolutionnaire,  après  avoir  de- 
mandé pardon  à  la  société  et  à  mes  frères  du  trouble  que  j'aurai  jeté  dans  leurs 
âme*,  et  dont  je  suis,  après  tout,  la  première  victime. 

«.Qve  si;  après  ce  démenti  de  la  raison  générale  et  de  l'expérience t  je  devais 
chercaer  an  jeor,  par  d'autres  moyens,  par  des  suggestions  nouvelles,  à  agiter 
encore  les  esprits  et  entretenir  de  laasses  espérances,  j'appellerais  sur  moi,  dès 
maintenant,  le  mépris  des  honnêtes  gens  et  la  malédiction  du  genre  humain.   » 


Ainsi,  M.  Proudhon  se  jugeait  lui-même  i  l'avance.  Malgré  ces 
déclarations,  si  sincères  en  apparence,  la  Banque  du  peuple  de- 
vait tomber  bientôt  sons  l'indifférence  et  sous  la  risée  publique, 
et,  cependant,  le  sectaire  continuerait  à  détruire. 

Nw»  avons  dit  ailleurs  sur  quelles  bases  reposait  cette  concep- 
tion si  peu  viable  de  la  Banque  du  peuple  :  gratuité  essentielle  du 
crédit  et  de  l'échange,  ayant  pour  objet  ^circulation  des  valeurs; 
pour  moyen  le  consentement  réciproque  des  producteurs  et  des 
consommateurs;  pas  de  capital,  si  ce  n'est  et  jusqu'au  moment  où 
la  France  aurait  adhéré  tout  entière,  un  capital  provisoire  de  cinq 
millions  de  francs.  Car -il  fallait,  peur  le  moment,  se  conformer 
an  usages  établis  et  aux  prêfecripttons'de  la  loi,  et  solliciter  plue 
efficacement  l'adhésion  des  citoyens.  On  stipulait  que  ce  capital 
serait  remboursé,  si  la  société  pouvait  fonctionner  avec  un  avoir 
social  dégagé  du- capital  de  fondation;  mais  en  ajoutait  aussi  qu'il 
pouvait  être  augmenté  par  une  nouvelle  émission  d'actions,  ce 
qni  ne  prouvait  pas  une  grande  confiance  dans  la  possibilité  <Fa- 
BMjrfisseiisent.  Ainsi,  l'adversaire  héroïque  du  capital  commen- 
çait, en  pratique,  par  en  reconnaître  la  nécessité.  Mais  M.  Prou* 
dfcen  ne  s'adressait  pas  à  ce  capital  égoïste  qui  prétend  à  l'inté- 
rêt Il  divisait  son  capital. d'émnmoo  en  actiéns^doq  frênes, 


là*  HISTOIRE  flE  FRAHC2L  (1S49.) 

<tart  à  suMpaiL  de  veiner  on  dixième  tu  mosnent  de  k  souscrip- 
tion. La  souscription  de  dit  mille  action*  par  versements  de 
diiièmM»  c'eafrî-dire  l'encasssemeiit  de  5,000  famés  sÉfannl 
pour  le  constitution  définitive  de  la  société  et  pour  le  easnsnen* 
cernent  des  opérations. 

Délivrance  des  billets  contre  espèces,  escompte  du  papier  de 
commerce  à  deui  signaleras,  l'escompte  des  commandes  et 
factures  acceptées,  les  avances  sur  consignations,  les  crédits  i 
découvert  sur  caution,  tes  avances  sur  emuilée  et  fejpethèques, 
les  paiements  et  recouvrements,  telles  seraient  les  opérations  de 
la  Banque  du  peuple.  Jusque-là,  rien  de  nouveau»  ni  qui  ne  se  fit 
dans  toutes  les  maisons  de  banque  particulières*  Seulement»  la 
banque  nouvelle  ferait  des  avarices  svr  marchandises.  8efon  le 
créateur,  ce  ne  serait  pas  là  un  prêt  sur  consignation,  attendu 
que  la  Banque  achèterait  à  terme.  Mais,  comme  elle  ne  paierait 
qu'une  partie  de  la  valeur,  comme  elle  laisserait  au  cédant  la  fa- 
culté de  racheter  ses  marchandises  avant  l'expiration  du  centrât; 
comme,  en  se  réservent  le  droit  de  vendre,  passé  ce  temps,  la 
marchandise  aux  enchères,  elle  s'engageait  à  rambeufser  tftneé*- 
dant  du  prix  obtenu  par  la  vente  sur  le  prix  ixé  par  le  dépèt,  H 
«'ensuivrait  qu'il  n'y  aurait,  dans  cette  partie  des  opérations,  au- 
tre chose  que  te  prêt  sur  consignation* 

Biais  une  opération  caractéristique,  selon  les  statuts»  ne  setaèi 
la  commande.  Aux  opérations  de  crédit  ftfsJ»  disait-on,  ta  Banque 
jeindrait  des  opérations  de  crédit  p*t*a»*M*;  c'est  à  dite  qn'dto 
ferait  des  avance*  à  toute  entreprise  qui  Wi^eiuîtraétcoimnaMe. 
Ce  ne  serait  pas  là,  ajoutait-on,  une  cs**sns*dU*;car  kg  avsncss 
ainsi  faites  demeureraient  comme  Isa  avenant  as*  eonrisjnatiasi 
de  marchandises*  de  simples  opérations  d'sceesnpts.  tt  eetjualn 
de  dire  que  ces  opérations  nouvelle*  ne  serment  mises  enpranfne 
qu'à  l'époque  e4  la  Banque  agirait  dans*  tant*  fcvésii&deean  prin- 
cipe* 

La  grande,  la  seule  invention,  pgnjrk  nmnint,  contenue  dans 
les  statuts,  c'était  le  panier  dé  crédit*  Pesa  aamar  tin  inpnrrs 
sien  du  numéraire,  en  imagMit  nn papier  appelé  fende  «nn- 
Jatios,  nom  remhouvsatte  en  espècsa,  sorte  d'osé»  de  li 
panehle  à  vue  par  lent  aesi  taies  et  adhérant  en  p nains*  on 


UTOPIES.  ft$PttÇS$|0*      >  m 

râteau»  jjrtoslrieo^ 

pu  l'eteaitt»  de  il  société,  peraoo  pei1eJ**«nW,  el  uurfceut;parla 
ywwii'  d'acceptatioft  mutaeUe  4»  toi»  tel  associé*  et  adJeé» 
WH.  Oaseeait  deoeforcé  de  se  pouvoir  cfees  un  pjpdtttlejur 
•ibéreitt*  dont  les.  produite  pourraient  è*e  défeciaeta  m  d'à* 
prix  trop  élevée  La  dépréciation  d'un  saraejsbie  pépies  ne  se  te* 
rmit  pas  longtemps  attendre. 

Voilà,  en  réeamé,  le  «oomoêJU  annuel  H»  PreadbûA  aUtckait 
li  nrf  irnliflBi  liortiflufi  életé  dans  cas  narrdsi  i 


•  Je  fierant  mm  «rreyriee  pm  »W  jeves*  e*«f«Jf>  9*******  atyadb* 


■  Je  Yen x  changer  la  base  de  la  société,  déplacer  Taxe  de  la.cîvilitatfenA  faire 
aae  le  monde  qui,  sous  l'impulsion  de  la  votante  divine,  a  tourné  jusqu'à  ce  jour 
dte&fcmt  e*  orient,  snr  désormais  par  In  volonté  dé  ffcoanw,  iotrM  foriert 


■  11  ae  e*af»i  peut  cela  que  de  renverser  las  rapports  da  traxail  ai  da  capital 
de  telle  sorte  que  Je  premier,  qui  a  toujours  obéi,  commaude,  et  que  le  second, 
qui  a  toujours  commandé,  obéisse 

•  Et  le»  ebataetx  sont  grande,  mes  moyens  soai  près  wnnisaani  encore.  Qa»  me 
pawaat,*  u*eanyeiu*i«i  des  intérêts,  et  le  soaioi  amant  dam  préjugé»?  N'aida 
donc  pas,  pour  contraindre  le  siècle,  fait  un  pacte  avec  la  nécessité?  Et,  pour 
dompter  le  capital,  n'ai-je  point  traité  avec  la  misère  ?  J'ai  pris  mon  point  <Tap- 
pnvser  feaéant,  et  j'ai  pour  levier  une  Met!  CVut  aneeeht  que  le  TravaifcWr 
divû  créa  le  monde  de  la  nature»  que  fat  faite  k  presaâa^  jéaéttitkaaVeieljat 
de  la  terre.  Cent  avec  cela  que  l'homme,  L'éternel  rival  de  Dieu,  doit  créer  le 
de  rindustrie  et  de  l'art,  la  deuxième  génération  de  l'Univers  !...  » 


£a  attestant  le  triste  avortes**»*  de  ose  pojapôuses  prônasses, 

M»Praesds*oaeavUceJn^ 

indifférent  aux  éiucubratieos  de  soo  génie  financier  9  naiecojtaj* 
des  rimaJîién  de  boutique.  La  fcwriériseaee'ajersse  des  gwfrdetir* 
subites  de  sep  concurresU  en  seâaiaMste  et,  snrtonfc,  de  velléités 
pratiqnea  attCnMapnyiéo*  du  cortège  onUnjirf d'U^eie*  sAreeséej 
eux  théorie*  rivales.  M.  Gonaidéraat,  écartaatf  peur  no  moueut, 
en  U§Uèm  dégoUt  «se  lai  inspirât  son  adtersaira  eu  serisJtpipe,, 
lança  centre  M.  Proudfcett  ue mapitato  iaiMule  ;  *  P<w  eo.fiiur 
e  avaeM.  ProedàûB.  *  Il  y  8i§oaJaJt  entte  o^fur  d**ejee\et  **** 
mmkm  fm**  qpi  cfMrtfeiswrat  tons  les. écrit»  de  l'auteur  de  la 
Asafnc  du  Pm+i*.  Il  y  voyait  nm/aji*  t'natratye,  la  d^orsMe 


1 36  HISTOIRE  DE  FRANGE,  (1849.) 

habitude  6u  dénigrement  et  de  la  morsure,  le  vide  dans  la  détrac* 
lion.  M.  Considérant  rendait  aui  Allemands,  à  Rousseau,  à  Saint» 
Simon,  à  Fourrier  tons  les  emprunts  qui  constituaient  le  bagage 
philosophique  de  M.  Proudhon,  et,  ces  restitutions  (faites,  il  ne 
voyait  pins  dans  le  prétendu  philosophe  qu'un  zéro  boursouflé  : 
Erostraie  du  socialisme,  qui  n'avait  allumé  finsurrection  intel- 
lectuelle que  pour  fonder  une  banque  en  commandite! 

À  ces  aménités,  M.  Proudhon  répondait  en  homme  qui  sait 
manier  l'injure.  Esprit  hébété  par  les  vapeurs  méphitiques  du  pha- 
lanstère, fondateur  de  journaux  devenus  le  déversoir  de  toutes  les 
folies  et  impuretés  ;  élève  du  grand  mystifioateur  des  temps  mo- 
dernes, Fourrier;  chef  d'un  commerce  de  rogatons,  tel  était, 
pour  H.  Proudhon,  le  socialiste  phalaostérien.  A  ses  yeux, 
II.  Victor  Considérant  était  mort  au  socialisme,  et  ce  qui  jargon- 
nait  aujourd'hui  n'était  plus  qu'une  ombre,  une  âme  de  trépassé, 
qui  n'avait  plus  besoin  que  d'un  De  profundis  et  d'une  messe  de 
quinze  sous. 

Enfin,  un  journal  représentant  le  parti  montagnard  socialiste, 
ht  Révolution  démocratique  et  sociale,  tançait  les  deux  sectaires, 
et  prétendait,  sans  s'aventurer  à  formuler  un  système,  qu'il  pou- 
vait y  avoir  autre  chose  dans  le  socialisme  que  le  phalapetère  ou 
la  Banque  du  peuple. 

Tel  était  l'accord  qui  régnait  entre  ces  ennemis  divers  de  la 
société,  réunis  seulement  pour  détruire,  incapables  de  fonder. 
Jaloux  les  uns  des  autres  lorsqu'il  ne-  s'agissait  que  d'achalandage 
et  de  commerce,  ils  savaient  oublier  un  moment  leurs  querelles 
dans  toutes  les  occasions  où  leurs  efforts  communs  pouvaient  me- 
nacer et  atteindre  la  prospérité  sociale. 
L'anniversaire  du  24  février  1848  fut  une  de  ces  occasions. 
L'Assemblée  nationale  eut  le  bon  goût  de  célébrer  cette  com- 
mémoration par  un  service  funèbre.  «C'est  un  enterrement  que 
'vous  faites  à  la  République,  »  s'était  écrié  nn  représentant  quand 
FAssemblée  avait  été  saisie  d'une  loi  relative  à  la  -solennité,  il 
était  plus  juste  de  dire  qu'une  guerre  civile,  quel  qu'en  ait  été  le 
résultat  politique,  ne  peut  être  considérée  comme  on  souvenir 
Joyeux.  La  population  parisienne  s'associa  à  cette  pensée.  Vaine- 
ment plusieurs  organes  de  la  République  sociale  l'avaient~Mt  ton- 


UTOPIES.  RÉPRESSION.  137 

fiée  à  suppléer  aurillufmnatt'ons  publiques  par  des  illuminations 
spontanées  :  personne  ne  répondit  à  cet  appel.  L'anniversaire 
fut  grave  et  calme.  On  avait  pu  craindre  un  instant  qu'on  n'en 
fit  nn  prétexte  à  une  prétendue  manifestation  populaire.  Mais  les 
journaux  qui  affichaient  la  prétention  de  conseiller  et  de  mener 
te  peuple,  contremandèrent  ce  mouvement,  qui  n'avait  aucune 
chance  de  succès.  L'agitation  de  la  rue  fut  remplacée  par  l'agita- 
tion des  banquets  :  tradition  heureusement  empruntée  à  l'an- 
cienne opposition  constitutionnelle. 

Dans  ces  réunions  commémoratives,  les  diverses  fractions  de 
la  démagogie  se  montrèrent  avec  leurs  caractères  différents.  Ici» 
les  uns,  avec  MM.  Bûches  et  Ducdui,  se  contentaient  de  porter  nn 
toast  à  la  République  démocratique  une  et  indivisible;  là,  M.Félix 
Pyat  prêchait  l'insurrection  bux  ports-blouses,  canailles  et  manants. 
Mais  Ces  solennités  devaient  fournir  un  nouvel  épisode  à  l'histoire 
des  factions  en  France.  Un  traité  d'alliance  y  Tut  signé  entre  les 
chefs  de  partis,  jusque-là  profondément  séparés  par  leurs  doc- 
trines. Timides  et  hardis,  républicains  dti  passé  et  de  l'avenir, 
montagnards  et  socialistes  s'unirent  définitivement  dans  un  ban- 
quet où  M.  Ledru  Rollin  fit  les  premières  avances  sérieuses  au  so- 
cialisme. Avec  l'ardeur  particulière  aux  néophytes,  M.  Ledru 
Rollin  confessa  hautement  le  dogme  nouveau  pour  lui  de  Y  orga- 
nisation du  travail.  Le  premier  pa*  une  fois  fait  dans  cette  voie, 
le  montagnard  converti  donna  les  gages  les  plus  complets  à  Pa- 
narchie.  Les  insurgés  de  juin  transportés  devinrent,  dans  le  dis- 
cours qui  scella  la  fusion  des  deux  partis  «  des  victimes  saintes 
souffrant  pour  la  cause  de  la  France  et  de  l'humanité.  * 

Tel  fut  à  Paris  l'anniversaire  d'une  révolution.  Dans  les  dé- 
partements quelques  désordres  se  manifestèrent.  A  Clamecy,  cinq 
ou  six  cents  hommes  parcoururent  la  ville,  tambours  en  tête  et 
drapeaux  déployés,  aux  cris  de  :  Vive  Raspail  !  vive  la  Montagne  ! 
vive  la  guillotiné!  L'autorité  du  sous-préfet,  du  maire,  du  procu- 
reur de  la  République  fut  méconnue  et  la  force  publique  insultée. 
A  Toulouse,  le  préfet  dut  suspendre  deux  compagnies  de  la  garde 
nationale  qui  avaient  défendu  le  bonnet  rouge.  A  Auch,  un  cer- 
tain nombre  de  gardes  nationaux,  offîeiers  en  tête,  parcoururent 
la  ville  en  poussant  des  cris  séditieux  :  la  garde  nationale  dut 


1 


13q  HISTOIRE  Q£  FfiAHCE.  (1849.) 

être  suspendue  par  le  préfet.  A  Dijon,  on  saisit  des  dépôts  de 
munitions.  A  kt  Guiilolière  (Rhône),  des  factieux  ayant  arboré  le 
bonnet  rompe,  le  préfet  mit  les  autorités  municipale*  en  demeure 
de  le  faire  enlever.  Dans  le  département  de  la  Dréme,  plusieurs 
maires  ayant  refusé  leur  concours  pour  faire  disparaître  cet  em- 
blème de  désordre,  le  préfet  dut  conduire  cette  opération  en  per- 
sonne, assisté  de  plusieurs  détachement»  de  l'armée  des  Alpes. 
Il  en  fut  de  même  à  Carcassonne,  où»  malgré  les  menacée  des 
anarchistes,  cette  mesure  rassura  les  honnêtes  gens.  A  Uiàs»  à 
Narbonne,  des  mascarades  indécentes  furent  l'occasion  d'outra- 
gea  contre  le  président  de  la  République  et  de  rixes  déplorables* 
1,4*  autorités,  complices  de  ces  désordres,  par  leur  indifférence» 
furent  immédiatement  révoquées. 

Ainsi  partout  fermentait  le  levain  insurrectionnel*  En  vain  la 
révolution  de  février  avait  inauguré  l'ère  du  suffrage  universel* 
Les  démagogues  ne  devaient  pas  plus  se  soumettre  au  vœu  de  la 
nation  tout  entière  qu'ils  ne  s'étaient  soumis  à  tous  lea  pouvoirs 
élevés  depuis  cinquante  ans.  C'est  que  ce  n'était  pas  nne  ferme  da 
gouvernement  qu'ils  avaient  attaqué  jusqu'alors;  c'était  le  gou- 
vernement quel  qu'il  pût  être,  c'était  la  société  elle-même. 


LOI  ÉLECT08ALE.  13» 

i  m.       .  .         .       il11         » 


CHAPITRE  IX. 


1*1  feLBCTOfttUC 


«V  mammsisawa.  -±  Ptemiera  MMutim,  S 
délibération,  15  février.  —  Amendera»!  Chaftoa,  capacité  élecsaisJsj;  le* 
faillis,  les  condamnés  civils,  tes  condamnés  politiques;  circonscriptions  élec- 
tjrafés;  ^eée  s*  ehef-Iieu  de  canton,  vote  a  la  commune,  tote  à  domicile, 
^aav  m  JrVnn{  âa*  anammlnMacr«  es  sa*  JysUsasM  ;.  sMsmtint  eïe*  vef&  necemlSJÉrn? 
à  réJeotioa;  incapacités,  l'adultère  et  M.  Pksre  Lorow,  lUeti*  de  !«•**» 
Terainelé  absolue;  incapacités  territoriales,  cumul,  fonctionnaires,  ostracisme 
léaéisl,  — n,issi<lai  < m  exception  pour  les  fonctionnaires  militaires,  M.  Cavai- 
sjnc.  tmmil**  atitsicifiiojfte  ds  la  loi;  taMeao  fêterai  <f  attrftmtW»  ;  fa* 
désunie  des  refrésentaais.  —  Troisième  délibération,  •  mars.—  Yeéads» 
ées  en  campagne,  sollicitude  de  la  Montagne  pour  les  droits  de  Par* 
;  eneoae  les  iacompafibflFtés,  les  ministres,  maintien  des  exclusions  ;  les 


M.  'iVr-Wfr  —  VoU  d'easapy* 


La  plus  importante  «Je*  Mt  efgannjues  était  sans  doute  ta  M 
électorale  qui  deuil  organiser  l'instrnfueiftt  par  eiceUenee  de  11 
RéToIution  :  le  suffrage  universel.  Le  rapport  de  la  combMm 
(ni  ptéeenté  par  IL  BiVauh  le  %  février.  La  eominission  s'était 
oenteniée  en  fédéral  de  bao&farmer  en  lai  définitive  Je  toi  pro- 
visoire qui  avait  sera  am  élections  du  23  avril  134*  et  à  l'dlen- 
tion  du  1 0  décanta.  Elle  y  avait  tait  entrer  en  ouvre  les  tKsposi- 
lia»  pénales  qui  régissaient  autrefois  la  matière.  La  Constitution 
adasetlant  fne  lee  eantona  penrtaient  être  divisée  en  cmoneerip~ 
tiens  électorales,  la  cemaMtsron  avait  les  nains  liées  ;  mai*  elle 
avait  rédntt  de  quatre  «  très»  le  nombre  des  mmuseriptiemi 


140  HISTOIRE  DE  FRANCK.  (1849.) 

qu'on  pourrait  établir.  Elle  avait  conseryé  l'élection  par  dépar- 
tement malgré  les  inconvénients  de  ce  mode,  inconvénients  qui 
ne  seraient  qu'atténués  par  la  réduction  du  nombre  des  députés 
de  900  à  750.  Elle  établissait  l'incompatibilité  la  plus  rigoureuse 
entre  les  fonctions  publiques  et  la  députa  lion,  rendant  par  là  im- 
possible un  recrutement  sérieux  de  la  représentation  nationale. 

La  première  délibération  s'ouvrit  le  8  février. 

De  toutes  les  lois  organiques,  la  loi  électorale  était  peut-être 
celle  dont  la  Constitution  avait  le  plus  abrégé  la  tâcbe.  Presque 
toutes  les  qnestions  importantes,  les  questions  de  principe  étaient 
résolues  à  l'avance.  Parmi  celles  qui  avaient  été  résecvées  à  la  loi 
organique,  il  n'y  en  avait  vraiment  que  deux  qui  offrissent  un  in- 
térêt politique,  un  intérêt  législatif.  La  première  était  celle  qui 
avait  pour  but  de  fixer  les  exceptions  au  principe  déjà  consacré 
des  incompatibilités  parlementaires;  la  seconde  était  relative  an 
nombre  des  circonscriptions  électorales  à  établir  dans  chaque 
canton.  C'est  à  ces  deux  points  que  s'attachèrent  principalement 
ta  divers  orateurs  qui  prirent  part  à  la  discussion  générale, 

MM.  de  Champvans  et  Jobez  firent  subir  au  projet  de  la  com- 
mission des  critiques  sérieuses  ayant  pour  but  de  défendre  le 
vote  à  la  commune.  Ils  n'eurent  pas  de  peine  à  démontrer  que, 
dans  beaucoup  de  cas,  le  vote  au  chef-lieu  de  canton  équivaut  à  la 
suppression  du  droit  électoral  pour  la  majorité  des  habitants  des 
campagnes.  Mais  la  division  du  canton  en  circonscriptions  pour- 
rait atténuer  les  défauts  de  ce  mode  de  voter,  et  obvierait  aux  in- 
convénient* incontestables  qu'aurait,  dans  certaines  parties  de  la 
France,  le  vole  à  la  commune,  par  ia  difficulté  de  composer  con- 
venablement les  bureaux,  et  d'assurer  aux  opérations  «ne  régula- 
rité et  une  surveillance  suffisantes. 

Après  avoir  entendu  la  réponse  en  ce  sens  de  M.  Victor  Le- 
franc,  membre  de  la  commission,  l'Assemblée  vota  la  première 
lecture  de  la  loi  (8  février). 

La  seconde  délibération  commença  le  15  février. 

M»  Charton  proposait  de  déclarer  qu'à  partir  de  l'année  JfNHl, 
les  citoyens  qui  auraient  atteint  dans  cette  année  l'âge  de  vtagt 
«t  un  ans,  ne  seraient  inscrits  snr  les  listes  électorales  qu'en 
prouvant  leur  aptitude  à  Mrs  et  à  écrire*  En  vain  M.  Charton  re- 


LOI  ÉLECTORALE.  141 

culft-t-il  le  terme  de  l'épreuve  jusqu'à  Tannée  4  859,  cette  conces- 
sion ne  fit  que  précipiter  la  chute  de  l'ameftdement.  Malgré  un 
sage  discours  de  If.  Ferdinand  de  Lasteyrie,  la  proposition  Ait 
repoussée  par  l'Assemblée ,  qui  parut  craindre  de  restreindre  en 
quoi  que  ce  fût  l'exercice  du  droit  de  suffrage  consacré  par  la  Con- 
stitution. Les  cinq  premiers  articles  furent  adoptés  sans  débat  ou 
renvoyés  à  la  commission  (15  février). 

Le  lendemain,  au  milieu  de  l'indifférence  générale,  vingt  et  un 
articles  furent  adoptés  presque  sans  discussion.  Il  n'y  eut  qu'un 
seul  scrutin  pour  un  amendement  de  M.  Emile  Leroux,  relatif 
aux  droits  électoraux  des  faillis.  Toutefois,  une  question  grave 
s'éleva  tout  à  coup,  et  réveilla  non  l'attention  sérieuse  mais  les 
passions  politiques*  Y  a-t-il  de  véritables  crimes  en  matière  poli- 
tibue?  Tout  un  côté  de  la  Chambre  eut  le  courage  de  le  contester. 
Les  condamnations  pour  crimes  entraînent  la  perte  des  droits 
politiques,  et  au  premier  rang  de  ces  droits  figure  naturellement 
le  droit  électoral.  La  Chambre,  par  l'adoption^d'un  amendement, 
venait  d'étendre  cette  incapacité  aux  condamnés  pour  crimes  qui, 
par  l'application  des  circonstances  atténuantes  et  de  l'article  463 
du  Code  pénal,  n'auraient  encouru  que  la  simple  peine  de  l'empri- 
sonnement. L'amendement  de  M.  Vezin  donna  lieu  à  M.  Gent  de 
demander  si  l'on  entendait  appliquer  la  privation  du  droit  électo- 
ral à  ceux  qui  auraient  été  condamnés  correctionnellçment  pour 
crimes  politiques.  MM.  Degousée  et  Lagrange  rappelèrent. qu'ils 
étaient  d'anciens  condamnés  politiques  ;  ils  déclarèrent  s'hono- 
rer de  ce  litre,  et  firent  observer  qu'un  certain  nombre  de  mem- 
bres de  l'Assemblée,  à  commencer  par  son  président,  se  trouvaient 
dans  la  même  situation  qu'eux.  M*  Vezin  répondit  que  l'observa- 
tion n'était  pas  fondée.  Un  décret  du  gouvernement  provisoire 
n'avait-il  pas,  en  effet,  effacé  toutes  les  peines  prononcées 
en  matière  .politique  sous  la  monarchie?  Et,  ajouta  l'orateur, 
quand  même  ce  décret  n'existerait  pas,  n'était-il  pas  évident 
que  la  proclamation  de  la  République  et  le  .changement  corn* 
plet  des  principes  du  gouvernement  entartraient  le  même  ré- 
sultat? Il  ne  s'agissait  donc  que  de  l'avenir,  et  les  condamnés 
delà  monarchie  de  juillet  n'avaient  pas  à  craindre  qu'on  les  pri- 
vât, pour  des  faits  périmés,  de  leur  droit  électoral.  Mais  la  suscep- 


142  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

t&dfté  des conspirateurs  républicains  allait  pins  loin  qu'an  ouWfi. 
M*  Lagrange  fat  plus  conséquent  en  démandant  qu'on  substituât 
aux  UMts  de  oondatnnés  pour  crimes  politiques,  ceux  de  condam- 
nés pour  faite  politiques.  €'éfarit  déclarer  nettement  qu'en  politi- 
que il  n'y  a  pas  de  crime  ;  c'était  justifier  à  l'avance  toute  insur- 
rection, quel  qu'en  fût  le  principe.  N'est-ce  pas  là  la  théorie  révo- 
lutionnaire par  excellence,  qui  reirverse  tontes  les  idées  de  droit 
et  de  moralité  publique,  et  leur  substitue  la  violence  victorieuse 
ou  vaincue.  Apre» une  discussion  aussi  vive  que  confuse,  l'amen- 
dement fat  renvoyé  à  la  commission  (  16  février) . 

La  question  fut  vidée  le  lendemain.  Une  disposition  proposée 
par  la  commission,  et  votée  immédiatement,  porta  que  Tinter- 
diction  du  droit  électoral  ne  serait  pas  applicable  aux  condamnés 
mi  matière  politique,  si  cette  interdiction  n'avait  pas  été  pronon- 
cée par  l'arrêt  de  condamnation. 

Un  amendement  de  M.  Dufournel  appela  ensuite  l'attention 
«ur  une  disposition  fondamentale.  La  commission,  on  Ta  vu, 
avait  réduit  de  quatre  à  trois  le  nombre  des  circonscriptions 
électorales  à  établir  dans  un  seul  canton,  changeant  ainsi  ce  qui 
avait  été  adopté  pour  l'élection  du  président.  Était-ce  un  pas 
vers  la  suppression  ultérieure  de  toute  division,  vers  f  obligation 
de  voter  au  chef-lieu  de  canton? 

La  oonnnisoîon  avait  décidé,  à  la  majorité  <Tone  aenie  voix, 
une  antre  innovation  :  c'était  de  transférer  des  conseils  généraux 
an  conseil  d'État  la  distribution  du  canton  en  circonscriptions. 
Pour  l'élection  du  40  décembre,  les  préfets  avaient  présenté  un 
travail  préparatoire,  et  les  conseils  généraux  avaient  décidé.  La 
commission  enlevait  la  décision  au  corps  le  plus  compétent  pour 
la  remettre  au  conseil  d'État,  à  qui  préfets  et  conseils  générant 
devraient  simultanément  flaire  connaître  leur  avis.  C'était  don- 
an  conseil  d'État  une  besogne  longue  et  fastidieuse  sans  qtoe 
intervention  pût  être  d'aucune  utilité  :  les  conseils  d'État,  si 
savants  qu'ils  pussent  être,  ne  s'érigeraient  jamais  en  arbitres 
aérien  de  ees  détails  géographiques.  La  commisrion  sacriOtrît 
encore  à  cette  manie,  trop  enracinée  en  France,  de  ramener 
dans  les  bureaux  de  la  capitale  la  solution  d'affaires  qui  peuvent, 
plus  rite  et  beaucoup  mieux,  se  décider  tar  les  lient. 


LOI  ÉLECTORALE.  U* 

H.  dofomuri  n'eut  point  de  peine  a  démontrer  que  la  réduc- 
tion des  circonscriptions  de  quatre  a  trois  n'était  point  indilR- 
rente.  font  dépend  en  effet  des  localités  :  là  on  la  population 
est  très-concentrée  et  où  la  multitude  des  centres  importants  a 
multiplié  les  cantons,  dans  le  Nord,  par  exemple,  il  suffit  peut- 
être  de  deux  circonscriptions  ponr  que  l'électeur  n'ait  pas  plus 
cTone  lieae  à  ftrire  pour  aller  roter:  Dans  la  Hante-Saône,  an 
contraire,  même  arec  quatre  circonscriptions,  telles  commune* 
peinent  avoir  trois  lieues  à  faire  pour  aller  roter  et  autant  pont 
revenir.  A  côté  du  département  du  Tford,  dans  celui  do  Pas-de- 
Calais,  il  est  tels  cantons  qui  ont  vingt-trois  communes  et  même 
plus.  Arec  quatre  circonscriptions»  cela  fait  encore  six  communes 
i  roter  an  mémo  lieu,  ce  qui  suppose  au  moins  trots  lieues  à 
frire  pour  les  communes  les  ptus  excentriques;  supprimez  une 
circonscription,  le  nombre  des  communes  s'élèvera  de  six  à  huit 
par  chaque  division,  et  la  distance  à  franchir  ponr  certains  élec- 
teurs s'acfcrofcra  d'autant.  Que  serait-ce  si  l'on  prenait  par 
exemple  quelques-uns  des  départements  de  montagnes,  on  cer- 
tains départements  du  midi  et  du  centre,  où  la  faiblesse  de  la 
population  et  le  petit  nombre  des  localités  importantes,  en  ren- 
dant impossible  ta  multiplication  des  cantons,  a  conduit  &  don- 
ner aux  cantons  une  très-grande  extension.  Le  conseil  général 
de  fora  avait  constaté  par  exemple  que  les  électeurs  d'un  grand 
nombre  de  communes  de  ce  département  araient  eu,  danà  ré- 
fection du  10  décembre,  plus  de  seize  kilomètres  à  faire,  malgré 
la  division  en  quatre  circonscriptions.  Imposer  à  un  électeur  Id 
nécessité  de  faire  boit  lieues  dans  sa  journée,  n'est-ce  pas  lui 
faire  acheter  bien  cher  le  droit  de  voter,  ou  plutôt  n'est-ce  pas 
lai  retirer  d'une  main  ce  qu'on  fait  semblant  de  lui  donner  de 
r  antre? 

Bans  on  discours  de  M.  de  Montalembert  qui  soutint  l'amen- 
dement de  M.  Dufournel,  la  question  de  procédure  et  d'intérêt 
local  s'agrandit  jusqu'aux  proportions  d'une  question  politique. 
Arec  le  rote  au  chef-lieu  de  canton,  y  n-t-il  égalité  entre  l'habi- 
tant des  Tilles  qui  vote  à  sa  porte  et  à  son  loisir,  sans  que  ses  af- 
faires en  soient  an  seal  instant  interrompues,  et  Thabitant  des 
campagnes  qui  aurait  dix  ou  douze  lieues  à  faire  pour  aller  voter, 


144  HISTOIRE  DE  FRANGE,  (1849.) 

et  qui  expierait  l'exercice  de  son  droit  par  un  triple  sacrifice  de 
temps,  d'argent  el  de  fatigue?  Ne  serait-ce  pas  en  réalité  on 
véritable  privilège  dont  on  investirait  huit  à  dix  millions  de  ci- 
toyens au  préjudice  d'une  population  agricole  de  viogtrdnq  mil- 
lions. H.  de  Montalembert,  établissant  que  le  sentiment  de  cette 
inégalité  était  au  fond  de  tous  les  esprits,  chez  ceux  qui  en  souf- 
frent autant  que  chez  ceux  qui  voudraient  en  profiter,  montra, 
avec  une  grande  force,  quelles  seraient  les  conséquences  péril- 
leuses d'une  pareille  injustice,  si  l'immense  majorité  des  paysans 
venait  à  concevoir  le  soupçon  que  rétablissement  de  ce  privilège 
inique  est  le  résultat  d'une  pensée  de  défiance  et  d'un  calcul 
d'ambition. 

Cette  vive  argumentation,  accueillie  par  les  clameurs  de  la 
Montagne,  ne  fut  réfutée  ni  par  M.  Saint- Romme,  ni  par 
M.  Billault.  Ce  dernier  crut  avoir  bon  marché  de  l'extension  des 
circonscriptions,  en  l'exagérant  dans  l'application  jusqu'au  voU 
à  domicile,  comme  si  l'exagération  du  système  opposé  ne  pou-* 
vait  pas  être  appelé  avec  aussi  peu  de  raison  le  vote  à  Paris* 

Au  reste,  la  commission  céda  sur  le  point  essentiel  et  admit 
quatre  circonscriptions  au  lieu  de  trois.  La  disposition  du  pro- 
jet, ainsi  modifiée,  fut  adoptée  à  une  immense  majorité.  Sur  ce 
point  donc,  la  loi  nouvelle  reproduirait  purement  et  simple- 
ment le  décret  du  28.  octobre  1848,  relatif  i  l'élection  présiden- 
tielle. 

Restait  à  décider  une  autre  question.  Par  qui  serait  dressé  le 
tableau  des  circonscriptions  électorales?  Le  projet,  on  Ta  vu,  en 
attribuait  la  formation  au  conseil  d'État.  Un  amendement  de 
M.  de  Kerdrel,  vivement  soutenu  par  M.  de  Montalembert,  ré- 
clama le  maintien  pur  et  simple  du  décret  du  28  octobre,  qui 
attribuait  au  préfet  le  soin  de  dresser  ce  tableau,  conformément  à 
l'avis  du  conseil  général*  La  commission  se  rendit  sur  ce  second 
point  comme  sur  le  premier,  et  la  disposition  du  projet  fut  modi- 
fiée en  ce  sens,  malgré  l'argumentation  subtile  de  M.  Jules  Favre, 
qui  demandait  le  renvoi  à  la  commission,  malgré  le  rapporteur 
de  la  commission,  M.  Billault,  qui  se  séparait  ici  de  la  commis- 
sion qui  l'avait  chargé  de  la  représenter.  Sur  ce  point  encore, 
le  décret  du  28  octobre  fut  maintenu  purement  et  simplement, 


JLGI  ÉLECTORALE.  146 

grâce  a  l'adoption  <Ton  amendement  de  MU.  Ttédern  et  de  (Saint- 
Priest  (17  février). 

Après  on  grand  nombre  d'articles  adoptés  sans  discussion  in*-  * 
portante  (19  février),  «ne  question  grave  fut  agitée. 

La  commission  avait  proposé  que  nul  ne  ftt  proclamé  repré*  » 
sentant  au  premier  tour  de  scrutin  s'il  n'avait  réuni  an  nombre 
de  voix  égal  au  huitième  de  celui  des  électeurs  inscrits.  La  né». 
cessité  d'une  disposition  semblable  était  universellement  com- 
prise, car  le  minimum  de  2,000  voix  fiié  par  le  décret  du 
Gouvernement  provisoire  ne  semblait  qa  une  garantie  dérisoire. 
Od  avait  vu  quelques  semaines  auparavant,  dans  le  département 
do  Haut-Rhin,  qui  compte  plus  de  100,000  électeurs,  un  candi-  • 
dat  élu  par  une  minorité  compacte  do  7,000  voit  sur  30,000  vo- 
tants, 23,000  voix  s'étant  divisées  sur  trois  on  quatre  candidats 
de  la  même  opinion.  Ce  seul  exemple,  qui  confirmait  d'une 
manière  si  éclatante  un  raisonnement  que  tout  le  monde  avait 
déjà  fait,  prouvait  qu'avec  le  mode  d'élection  usité  jusqu'ici,  la 
minorité  pourrait  remporter  sur  la  majorité,  et  que  le  suffrage 
universel  pourrait  être  faussé.  Il  fallait  donc  une  limite  qui  ne  . 
permit  pas  qu'on  put  être  élu  uniquement  avec  la  majorité  rela- 
tive et  par  une  sorte  de  surprise.  D'un  autre  eAté,  il  était  im- 
possible d'exiger  la  majorité  absolue  qui  seule1  écarterait  toutes 
les  chances  d'erreurs,  mais  qui  entraînerait  des  épreuves  trop 
multipliées  et  de  trop  grands  sacrifices  de. temps  de  la  part  des 
électeurs.  A  quelle  limite  convenait-il  de  s'arrêter  ;  quelle  pro- 
portion fallait-il  exiger  entre  tes  voix  obtenues  d'une  paît,  et  de 
l'autre  le  nombre  des  suffrages  exprimés  et  des  électeurs  in- 
scrits. M.  Wolowski  demandait  que  le  nombre  de  voix  obtenues 
fût  égal  au  cinquième  des  électeurs  inscrits,  et  il  appuyait  sa 
proposition  sur  un  travail  statistique,  duquel  il  résultait  qu'au*  . 
cuo  des  représentants  élus  en  avril  dernier,  n'avait  réuni  moins 
du  cinquième  des  votants,  ni  du  cinquième  des  électeurs  in* 
scrits.  M.  Wolowski  en  concluait  que  son,  amendement  n'avait 
rien  d'exagéré.  M.  Freslon  Ht  observer  que  les  élections  du  mois  -. 
d'avril  précèdent  devaient  être  considérées  comme  des  élections  • 
exceptionnelles,  qu'il  ne  fallait  pas  compter  à  l'avenir  sur  le  . 
même  empressement  de  la  part  des  électeurs»  et  qu'on  en  pou* 

10 


iiêf  HISTOIRE  BE  FRANCE.  (1849.) 

vafe  juger  par  ce  qui  rtteB  passé  «m  éjections  partieRes.  H  j 
avait  d'ailleurs  un  inconvénient  à  fixer  un  nrinimnm  trop  difficile 
a  attendre  et  i  trop  multiplier  le»  nouvelles  épreuves;  on  serait 
toujours  obligé,  pies  tôt  ou  plus  tard,  à  admettre  ta  majorité 
relative  comme  suffisante,  et  k  multiplicité  dés  opérations  au- 
rait pour  effet  de  fatiguer  les  électeur*  et  de  les  rendre  indiffé- 
rente au  résultat  ;  la  minorité},  toujours  mieux  disciplinée  et 
plue  compacte,  finirait  par  conquérir  kt  majorité  relative,  et  fa 
toi  irait  ainsi  contre  son  bot. 

L'Assemblée  repoussa  l'amendement  de  M.  Wolowski. 

Un  amendement  de  M.  de  Ktrdrel,  qui  exigeait  pour  la  validité 
d'usé  élection  un  nombre  de  voix  égal  au  sixième  des  électeurs 
inscrits  et  au  quart  des  votants,  paraissait  offrir  les  garanties  dé- 
sirables sans  présenter  les  mêmes  difficultés  pratiques.  L'As- 
nawfcWo  le  repoussa  à  «ne  faible  majorité,  et  eHe  adopta  les 
propositions  de  la  commission . . 

Les  articles  suivants  furent  votés  très-rapidement  jusqu'à 
l'article  73,  qui  donna  lieu  à  une  fouie  d'amendements  et  sou-* 
leva  la  discussion  la  plus  confuse.  Il  s'agissait  de  régler  les  con- 
ditions d'éligibilité.  Il  semblait,  aux  termes  de  la  Constitution» 
qu'il  ne  devait  y  avoir  entre  l'électorat  et  l'éligibilité  d'autre  dis- 
tiuctton  que  celle  qui  résulte  de  l'âge,  et  que  tout  électeur  âgé 
de  vingt-cinq  ans  devait  être  éligible.  La  commission  avait  pensé, 
au  contraire,  qu'il  était  possible  et  convenable  d'apporter  a  Té* 
IigâMlité  ptes  de  restrictions  qu'à  r électoral. 

Le»  amendements  surgirent  alors  pour  étendre  ou  restreindre 
les  incapacités*  On  lit  valoir,  en  laveur  de  ceux  qui  ont  été  dé- 
tenus tfons  une  maison  de  sauté,  que  tels  ou  tels  nommes  éraK 
Beats  avaient  été  momentanément  frappés  d'aliénation  mentale, 
efr  eu  fcvear  des  oendamnés  pour  vols,  que  c'était  attacher  une 
peine  bien  grave  i  certains  délits  qui  pouvaient  être  excusables 
par  rage  du  coupable  eu  les  circonstances,  et  qui  pouvaient 
avoir  été  amplement  rachetés.  Toutes  ces  argumentations,  dans  le 
seua  de  la  rigueur  ou  dans  le  sens  de  l'indulgence,  avaient  le  tort  de 
conclure  toujours  du  particulier  au  générât  On  devait  du  reste  le 
prévoir,  du  moment  que  la  commission,  au  lieu  de  reprendre  sim- 
plement le  tort*  de  le  Constitution,  l'expliquait  et  le  commentait. 


LOI  ÉLECTORALE.  1*7 

Àtr  moment  e&  fc  discussion  paraissait  épuisée,  et  où  tous 
les  amendements  avaient  été  rfejetés,  H.  Pierre  Leroux  demanda 
qtrtnv  ajoutât,  à  là  liste  des  inéligibles,  les  individus  condamnés 
pour  adultère.  Cette  proposition  n'avait  rien  que  de  plausible, 
car  quels  que  soient  les  ménagements  ou  les  erreurs  de  l'opi- 
nion, fi  est  certain  qu"aut  yeux  de  la  morale,  le  délit  d'adultère 
est  etr  dès  phi?  gravies  qui  se  puissent  commettre,  et  qui  lèse  Ta 
société  plus  profondément  que  bien  des  délits  de  vol.  M  est  cer- 
tria  encore  que  faduftère,  dans  quelques  cas,  se  complique  du 
MM  de  vol.  Mais  ce  n'était  pas  au  nom  de  la  morale  que  M.  Pierre 
Lereox  demandait  Pinéligibifité  des  individus  condamnés  pour 
«Mrére.  Cétart,  dît-il,  pour  montrer  à  l'Assemblée  l'absurdité 
de»  restrictions  mises  par  elle  â  réTrgibilité.  ST.  Pierre  Leroux 
était  d'avis  que  rétabtis&ement  de  toute  catégorie  est  une  viola* 
tien  dfr  principe  de  la  souveraineté  populaire.  Le  peuple  est  et 
demeure  éternellement  souverain,  et  personne  ne  peut  lui  inter- 
dire m  choix  qui  luiplatt,  même  quand  ce  chorx  tomberait  sur  un 
tndmda  indigne,  parce  que  celni-ci  serait  purifié  immédiatement 
par  la  vertu  deTélection  populaire.  M.  Pierre  Leroux  niait  donc  le 
droit  de  l'Assemblée  3  établir  aucune  incapacité  et  à  confisquer 
1*  souveraineté  d'aucun  collège  électoral.  Il  ne  s'apercevait  pas 
que  son  raisonnement  allait  contre  tous  les  actes  de  l'Assemblée 
et  contre  fe  principe  même  du  gouvernement  représentatif.  Si  la 
souveraineté  populaire  est  non-seulement  inaliénable,  mais  in- 
transmissible, les  actes  de  l'Assemblée  actuelle  et  de  toute  Assem- 
blée n'adraïent  aucune  valeur;  toutes  les  constitutions  sont  illu- 
soires si  le  peuple  garde  toujours  sa  souveraineté  par  devers  lui, 
même  lorsqu'il  a  eboïsi  des  mandataires;  it  est  toujours  Tibre  en 
effet  de  déclarer  que  Tes  actes  de  ses  mandataires  ne  lui  convien- 
nent pas  on  ne  loi  conviennent  plus,  et  il  ne  sera  jamais  lié  par 
rien,  sTf  ne  peut  Fêtre  par  les  décisions  de  ses  représentants.  Si 
donc  FÀssemWée  avait  eu  le  droit  de  faire  une  Constitution,  elle 
avairle  droit  dé  statuer  sur  toute  matière,  même  sur  les  con- 
dMoés  <fe  l'éligibilité,  et  aucun  collège  électoral  ne  pouvait  mettre 
m  tokmté  an-dessus  <fc  ceffe  de  la  réunion  des  représentants  de 
f*  France  entière.  Le  point  de  départ  de  M.  Pierre  Leroux  était 
erroné,  ef  sa  conclusion  était  plus  singulière  encore;  ce  n'était 


148  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

pas  après  avoir  protesté  contre  rétablissement  de  toute  incompa- 
tibilité qu'il  devait  en  proposer  une  nouvelle.  / 

Ces  objections  furent  présentées  arec  force  par  M.  Base* 
M.  Billault  combattit  avec  esprit  l'amendement  de  M.  Pierre 
Leroui,  qui  n'était  au  fond  qu'une  épigramme.  L'argumenta- 
tion de  M.  Billault  avait  paru  ramener  la  question  à  ce  qu'elle 
devait  être,  une  question  d'application  pratique  et  non  pas  une 
question  de  pure  morale.  C'est  moins  la  criminalité  du  délit 
qu'il  s'agissait  de  prendre  en  considération,  que  l'ordre  des  faits 
auquel  il  appartient  et  qui  impose  au  législateur  une  réserve 
exceptionnelle.  11  ne  faut  pas  appeler  le  scandale,  là  où  le  légis- 
lateur fait  continuellement  effort  pour  l'empêcher  d'éclater  au 
foyer  domestique.  L'amendement  cependant  fut  adopté.  Une 
première  épreuve  avait  été  déclarée  douteuse*  Après  la  seconde, 
le  président  avait  déclaré  l'amendement  rejeté,  mais  une  dis- 
cussion s'éleva  au  sein  du  bureau  qui  se  trouva  partagé  :  trois 
pour  l'affirmative,  trois  pour  la  négative  et  un  abstenant*  Le 
président  dut  donc  ordonner  un  scrutin,  mais,  dans  l'intervalle 
de  cette  discussion,  la  salle  s'était  dégarnie,  plus  de  deux  Cent  cin- 
quante membres  l'avaient  quittée  après  la  proclamation  d'un  ré- 
sultat qu'ils  croyaient  définitif,  et  il  restait  juste  quinze  membres 
de  plus  que  le  nombre  strictement  nécessaire.  Uue  majorité  as- 
sez faible,  sur  515  votants,  se  déclara  pour  l'amendement 
(2i  février). 

La  Chambre  s'occupa  ensuite  des  incapacités  territoriales, 
c'est-à-dire  des  circonstances  de  position  et  de  lieu  qui  pri- 
vaient du  droit  d'être  élu  un  certain  nombre  de  fonctionnaires. 
En  effet,  la  Constitution  établit  en  termes  généraux,  et  la  loi 
proposait  de  consacrer  une  incompatibilité  absolue  entre  toute 
fonction  publique  et  le  mandat  de  représentant.  Nul  ne  pourrait 
donc  être  élu  représentant  sans  avoir  cessé  ou  sans  cesser  immé- 
diatement d'être  fonctionnaire;  mais  il  semblait  qu'à  la  condi- 
tion de  se  dépouiller  des  fonctions  qu'il  occupe,  tout  citoyen 
dût  pouvoir  devenir  éligible.  La  commission  ne  l'avait  pas  pensé. 
Elle  avait  repris  et  aggravé  une  disposition  de  l'ancienne  législa- 
tion, qui  interdisait  à  un  petit  nombre  de  fonctionnaires,  même 
démissionnaires,  le  droit  d'élre  élus  dans  leur  ressort  adminii- 


LOI  ÉLECTORALE.  14» 

tratif,  aftot  cm  certain  delà  Cette  précaution  législative  se 
comprenait  parfaitement  avec  l'ancien  régime  électoral,  qui 
fractionnait  les  collèges  électoraux,  et  qui  autorisait  le  cumul 
de»  fonctions  publiques  avec  la  dépatation.  Lorsqu'on  petit 
nombre  de  voix  décidaient  de  toute  élection,  il  est  évident  que 
l'influence  <to  fonctionnaire*  dans  le  lieu  même  où  il  exerçait  de 
hautes  fondions  administratives ,  aurait  assuré  l'élection  et  la 
réérection  ultérieure  du  dépoté,  et  que  l'influence  du  député  aurait 
protégé  le  fonctionnaire  contre  toute  atteinte.  Un  député  dans 
cette  situation,  par  un  emploi  habile  de  sa  double  influence  de 
fonctionnaire  et  d'homme  politique,  se  serait  sans  peine  assuré 
la  perpétuité.  Le  même  danger  existait^}  aujourd'hui?  Pion,  sans 
doute  :  avec  les  conditions  d'élection,  les  conditions  d'éligibilité 
avaient  été  singulièrement  modifiées. 

L'article  74  appliquait  simplement  le  principe  écrit  dans  ht 
Constitution,  portant  interdiction  du  cumul  entre  les  fonctions 
publiques  et  le  mandat  législatif.  L'article  75  établissait  les  di- 
verses catégories  d'incompatibilités  purement  locales  dont  nous 
venons  de  parler.  L'article  76  étendait  même  cette  interdiction 
aux  six  mois  qui  suivcaient  la  démission  du  fonctionnaire,  sa 
-  destitution  ou  son  changement  de  résidence.  Seulement  il  étar 
bKssait  nue  exception  transitoire  en  faveur  du  fonctionnaire  qui 
se  serait  démis  avant  la  promulgation  de  la  loi  nouvelle,  ou  dans 
les  dix  jours  qui  suivraient  cette  promulgation. 

La  discussion  porta  d'abord  sur  les  diférentes  catégories  éta- 
blies dans  l'article  75. if.  Bruoel  se  prononça  contre  ce  système 
dans  un  piquant  discours  dont  le  bot,  spirituellement  avoué,  était 
do  sauver  les  présidents  des  tribnnaux,, c'est-à-dire  M.  Brunel 
lui-même.  Le  plaidoyer  n'eut  pas  gain  de  cause  devant  la  Cham- 
bre. Lee  présidente  de  chambre  dans  les  cours  d'appel  ne  furent 
pas  plue  heureux  :  les  membres  des  parquets,  les  conseillers  de 
préfecture,  les  inspecteurs  d'académies,  les  intendants  militaires, 
-tes  présidents  des  consistoires  protestants,  vinrent  tour  à  tour 
grossir  la  liste  des  incapacités.  Presque  toute*  les  nouvelles  ex- 
cusions proposées  par  amendement  furent  votées  sans  discussion 
sérieuse,  et  toutes  celles  dont  le  projet  avait  pris  l'initiative 
furent  ameîlKes  d'examen.  L'Assemblée  votait  de  parti  pris.  Les 


150  HISTOIRE  DE  FftttfOG.  (1849.) 

moindres  fonctionnaires,  jiiafu'aux  sous  inspectant*  des  tandis, 
furent  déclarés  inéligibles,  vu  l'influence  dont  ik  disposent  dans 
leur  département,  La,  Montagne  qui,  k  eeiUe,  accneHkit  asec 
eathoiniaaine  les  protestations  de  M.  Pierre  Lerou*  mata*  taule 
restriction  emportée  au  choix  du  .peqpk»  s'empressait  de  voter 
.des  exclusions  du  moment  qu'elles  ne  s'adressaient  pipe  A  d'ân- 
ciens  voleur»  ou  à  des  aliénés  guéris,  mais  à  tout  ee  qui  aepré- 
sente  ia  science  on  r intelligence  (12  lévrier  )• 

C'est  à  peine  si  les  minuties  purent  réchappera  l'estmakuie, 
ai  il.  Besnard  recueillit  les  applaudissements  de  -la  Montagne 
i|uaad  il  se  prononça  pour  leur  exclusion.  En  revanche,  ks  anus* 
.secrétaires  d'Étal  furent  sacrifiés,  décision  fâcheuse  q«,  en  ne 
permettant  pas  aux  représentants  du  peuple  d'acquérir  la  pra- 
tique des  affaires,  obligerait  t&t  ou  tard  à  choisir  ks  mtnistras  en 
.dehors  de  l'Assemblée  nationale*  MM.  Freskn  <et  ttUanit  es- 
sayèrent inutilement  de faire  comprendre  que  tes  postes  de 
secrétakes,d'Ét*ft  sont  la  vérjlabte  éeek  #u  se  foraient  les 
ânes  capables  de  devenir  un  jour  des  ministres  pratiquée.  U  kMat 
un  vête  au  scrutin  pour  raakuenir  sur  k  liste  des  éligihtes  le 
procureur  général  i  la  cour  de  cassatkf .  Le  peeonrour  général 
à  k«coor  d'appel  de  Paris  ne.  passa  qu'après  ttnc<épeenra4kn- 
teuse.  Le  préfet  de  k  Seine  fut  moins  heureux.  ItoApé  k  nsm~ 
mission,  l'incompatibilité  fut  mainteene  à  son  égard,  hien  qn'ae- 
cune  raison  ne  pût  être  alléguée  .pour  les  caprines  et  «as 
.exclusions  ou  de  ces  admissions.  Le  commandant  -supérieur 
des  gardes  nationales  de  k  Seine,  admis  par  k  eomenssioft*  k 
Ait  également  par  k  Chambre;  cependant  .en  ne  miisa  tout  à 
•coup,  et  au  moyen  d'un  article  additionnel*  il  fut  décidé  «qu'il 
jae  pourrait  être  élu  dans  k  département  de  k  Seine. 

Chose  pins  étrange  encore,  conformément  A  un  article 
posé  par  k  commksiott,  les  professeurs  nommé»  an 
ou  sur  k  présentation  de  leurs  ceUégas,  pourraient  srannlrr  k 
professorat  arec  k  députatioa.  D'eilteu»  on  hoena  f aaaqptien 
aux  professeurs  qui  exerceraient  leurs  -fondions  è*m  k  tien  *û 
aiégerait  l'Assemblée  nationale „  à  Paris  sans  delà,  flrarirat 
qu'on  admettait  tes  professeurs,  en  rejetait  tonte  k  mn&*mtom 
inamovible*  M»  Afiks  ne  put  même  obtenir  une 


LOI  ÊLBCTOfcALIL  191 


hmr  dos  magistrats  de  Faris,  dont  IcefrnoÉunotso*  sons  douté 
oeuapeâMas  «rue  la  déportation  que«eMeg  de 
sisrtsl  La  «mut  4e  rssiusliun,  sa  cour  dm 
«uftfâtoyaMeumnt  rayées.  A  fMe  si  Ton  écouta  les  otaasuri  qui 
dmrrfcniont  ktme  revenir  U  Chambre  sur  cafte  rigidité  déplo- 
rable.. IL  4e  Kerdrel,  M.  Berryer,  force*  Bjstésnetiqoesnent  in- 
terrompus  par  des  cm  incessants  parti*  deefeancs<de  la  Montagne. 
Ni  les  admonestations  répétées  de  président,  m  le  seutmout  de 
la  dignité  de  l'Assemblée,  ne-  purent  empêcher  celle  regrettable 
violation  de  la  liberté  de  la  tribune  (25  février). 

Ainsi  était  introduit  dans  la  loi  électorale  d'un  pays  itpuMt 
eaia  le  principe  aristocratique  par  exfcellenee,  estai  qui  réserve  ta 
défHJtation  aux  positions  les  pins  isolées,  an  «fortunes  oisives. 
L'abus  des  fonctionnaires  avait  été  un  des  reprocfaes  le  plus  sou- 
vent adressé  à  la  monarchie  de  juillet.  Bientôt,  si  l'Assemblfc 
ne  revenait  pas  sur  ces  décisions  Odieuses,  11  ne  s*en  trouverait 
plus.  4io  seul  dans  la  représentation  nasteaoss.  Or,  cette  Assem- 
blée qui  exagérait  ainsi  la  réforme  de  février,  dans  see  temris- 
siens,  dans  ses  comités  si  nombreux,  appelait  incessamment, 
.peur  résoudre  les  questions  les  plue  importantes,  les  fonction^ 
«aires  si  nesnbreux  qu'elle  renfermait  dans  son  sein.  Ce  concoure 
qui  lui  avait  été  si  utile,  elle  ie  reftisait  a  J'avance  aux  Aesen»- 
Uées  qui  lui  succéderaient  Toutefois ,  la  Chambre  qui  sfétait 
montrée  si  rigoureuse  pour  les  fonctionnaires  «vils,  censaera  une 
grande  exception,  on  véritable  privilège  en  faveur  des  fonctïcto- 
uairus  miiitatm.  €eax-cî  do  moins  pourraient  être  nommés 
représentante,  grâce  à  la  distinction  qui  existe  dans  Tannée  entre 
l'emploi  et  le  grade.  Le  fonctionnaire  civil  qui  donnerait  sa  dé- 
mission pour  avoir  outrée  dans  la  Chambre, perdrait  tout.  Aria* 
de  son  mandat  législatif,  il  ne  retrouverait  plus  sa  place  :  i 
lit  complètement  saovié  sa  carrière.  L'efeier  conserverait  sou 
jpade  et  ne  neaunoemit  amseataaément  qu'à  remploi  qu'il  pour- 
«ait  toujours  reprendre.  La  oomnrissien  voulait  lemetlro  à  une  loi 
ultérieure  le  sein  de  déterminer  la  ?Qsititm«les  usSiteires  appelés 
à  siéger  dans  la  législature.  MsL  le  sjénécsiCfevuiguac,  Ambevt, 
Chartes,  Baragtmy^llillinri,  présentèrent  shKeou  nir  amendé 
uuent  ayant  pour  objet  de  décider  immédiatement  la  questions 


158  HISTOttE  m  FRANCE.  (1849.) 

Tout  officier  nommé  représentant  <a  le  droit  4e  siéger;  mais, 
d'un  entra  oèté,  le  ministre  de  le  guerre  a  droit  d'eliger  qu'un 
colonel  toit  à  la  tète  *  un  régiment  et  qu'un  capitaine  commande 
sa  compagnie,  et,  en  cas  d'absence  sans  congé,  de  faire  rayer 
des  contrôles  l'officier  absent.  11  importait  donc  de  donner,  par 
la  loi,  one  position  officielle  aux  militaires  devenus  représen- 
tants. Un  amendement  de  M.  le  général  Baraguay-d'Hiliiers, 
auquel  se  rallièrent  immédiatement  les  auteurs  des  autres  amen- 
dements et  une  partie  de  la  commission,  fut  adopté  par  l'Assem- 
blée. À  l'avenir,  un  officier1  éki  représentant  du  peuple  serait 
considéré  comme  étant  en  mission  hors  eadre,  les  sous-officiers 
et  soldats  comme  étant  en  congé  temporaire  pendant  toute  la 
durée  de  leur  mandat.  Cette  disposition,  parfaitement  sage,  con- 
etttait  tous  les  intérêts,  assurait  l'indépendance  du  représentant 
et  empêchait  en  même  temps  que  l'honneur  d'être  élu  par  ses 
concitoyens  ne  brisât  sa  carrière. 

M.  Rolland  demanda  que  les  élections  pour  les  vacances  surve- 
nues  dans  le  sein  de  l'Assemblée  eussent  lieu  tous  les  ans,  à  une 
époque  fixe.  Ce  système,  qui  avait  pour  objet  d'empêcher  la  fré- 
quence des  élections  partielles,  substituait,  selon  quelques-uns,  un 
mal  plus  grand  à  l'inconvénient  qu'il  supprimait.  ÉtaiMl  possible 
de  laisser  incomplètes  pendant  dix  ou  onze  mois  Jes  députations 
d'un  certain  nombre  de  départements  ;  et,  dans  le  cas  où  une 
fraction  un  peu  nombreuso  de  l'Assemblée,  aurait  eu  des  motife 
politiques  pour  donner  sa  démission  en  massé,  la  représentation 
nationale  aurait  été  condamnée  à  demeurer  mutilée  pendant  on 
temps  assez  long. 

L'Assemblée  vola  sans  difficulté  tous  les  articles  suivants  jus- 
qu'à l'article  87.  EHe  renvoya  à  la  discussion  du  tableau  général 
les  innombrables  amendements  que  Ht  naître  la  répartition  des 
750  représentants  entre  les  départements.  Pour  donner  une  idée 
de  l'exagération  de  certaines  prétentions,  les  dépotés  de  l'Al- 
gérie reclassaient  sont  représentants  au  lieu  de  trois.  Ils  se  fon- 
daient sur  ce  qne  l'Algérie  contient  deux  imitions  et  demi  d'A- 
rabes. On  aurait  compris  et  la  réclamation  et  l'argument,  si  les 
Arabes  étaient  admis  à  voler;  mais  comme  il  n'en  était  rien  et 
qu'il  n'en  serait  rien  d'ici  longtemps,  trois  représentants  pour 


LOI  ÉLECTORALE.  15S 

environ  400,4*6  Français  paraissaient  une  représentation  suf- 
lisante.  En  prenant  ce  nombre,  an  lien  d'appliquer  à  l'Algérie 
la  règle  rigoureuse,  la  comariKion  avait  suffisamment  lenn 
compte  de  l'importance  de  la  colonie.  Il  ne  faHait  pat  oublier, 
d*aillears,  que  le  tableau  est  soumis  à  une  révision  pério- 
dique. 

On  pouvait  approuver  également  la  commission  d'avoir  réduit 
de  trois  à  deux  les  représentants  de  la  Martinique  et  de  la  Gua- 
deloupe; il  y  avait  une  trop  grande  disproportion  entre  les  An- 
tilles françaises  qui  avaient  i  elles  deux  six  représentants  et  les 
autres  colonies  qui  n'en  avaient  chacune  qu'un  .seul.  De  toutes 
les  réclamations  dont  le  comité  des -colonies  s'était  fait  l'organe, 
ne  *eule  paraissait  légitime  et  bien  fondée,  c'était  celle  de  nos 
établissements  de  Flnde.  Pondicbéry,  par  son  importance  cora- 
merriale  on  militaire,  ou  par  sa  population,  semblait  valoir  sinon 
dépasser  nos  établissements  du -Sénégal  et  de  la  Guyane,  qui  ont 
chacun  un  représentant,  et  cette  station  n'est  pas  plus  éloignée 
que  Me  Bourbon.  Si  donc  on  persistait  dans  la  pensée  que  les  co- 
lonies devaient  être  représentée*  directement  dans  la  législature, 
il  paraissait  impossible  de  refuser  un  représentant  à  nos  éta- 
blissements de  l'Inde,  sans  manqoer  à  la  politique  et  à  l'équité. 
Il  semblait  seulement  qu'on  devrait  établir  entre  les  élections 
des  colonies  el  les  élections  en  France,  la  même  différence 
qu'entre  les  élections  pour  la  législature  et  l'élection  pour  la 
présidence^  Celle-ci  a  lieu  de  droit  loos  Je*  quatre  ans ,  le 
deuxième  dimanche  de  mai.  Pourquoi  les  élections  des  colonies 
n'auraienh-elies  paa  lieu  tous  les  trois  ans,  i  une  date  fixe,  de 
manière  i  ee  que  les  représentants  en  exercice  siégeassent  jus- 
qu'à l'arrivée  de  leurs  successeurs,  De  cette  façon,  il  n'y  aurait 
jamais  interruption  dans  la  représentation  des  colonies.  Dans  le 
système  actuel,  au  contraire,1  il  fallait  qu'un  bâtiment  de  l'État 
portât  aux  colonies  un  décret  de  convocation,  qu'un  intervalle  fat 
donné  pour  la  préparation  des  listes  et  l'accomplissement  de  l'é- 
lection, il  fallait-  que  Jet  élu»  vinssent  en  France.  H  en  résultait 
des  délais  -énormes.  Les  représentants  des  Antilles  n'étaient 
arrivés  qu'après  le  vote  de  la  Constitution  ;  celui  du  Sénégal,  un 
mois  après.  Les  représentants  de  la  Guyane  et  de  l'Ile  Bourbon 


16*  HISTOIRE  DE  FRANCK.  (1849.) 

n'étaient  pas  «Mare  arrivée  et  n'arriveraient  peai  être  qu'après 
la  séparation  de  l'Assemblée.  H  n'en  seuil  pas  Aoot  à  fibt  de 
même  peur  leuro  successeurs,  me»  il  était  évident  qae  les  colo- 
nies seraient  sa»  représentant*  pendant  la  mejener  partie  de)  le 
prochaine  législature  et  de  tontes  les  législatures  subséquentes, 
si  une  disposition  spéciale  n'était  pas  adoptée  (26  février).  • 

Cependant  le  privilège  accordé  au*  officie»  de  f  année  déterre 
et  de  mer  avait  lait  espérer  qu'an  certain  aombee  de  fonctMMt» 
Bakes  de  Tordre  ci? il  pourraient  revendiquer  le  bénéfice  de  Je 
distinction  établie  entre  le  grade  et  l'emploi.  Plusieurs 
monts  se  produisirent  en  ce  sens  ;  mais  les  ingénieurs  des 
et-cbaussées  et  des  mines  purent  seuls  trouver  grâce.  Encore  an 
article  additionnel  coolinua-4-il  à  prescrire  que  les  ingénieurs, 
avant  d'accepter  le  mandat  législatif,  seraient  forcé*  de 
d'abord  leur  démission  ;  seulement  il  (ut  décrété  qu'après  ï 
ration  de  leur  mandat  ils  retrenveraâsni  l'aptitude  légale 
rentrer  dans  leurs  eerps. 

Ce  point  vidé,  l'Assemblée  vota,  sans  incident,  depuis  fi 
ticle  88  jusqu'à  l'article  106.  Un  instant  seulement  les  passions 
lurent  soulevées  par  la  question  de  l'indemnité  atlonfa  au*  «pré- 
sentante du  peuple.  M.  Raudot  <de  l'Yonne)  proposait  de  In  Anr 
i  £00  fr.  par  mois.  M.  Merin<de  la  Drome)  demandait  qateiie  f*t 
supprimée  pendant  les  prorogations.  Ni  l'un  ni  r antre  ne  pnt 
développer  son  amendement  :  l'Assemblée  parut  déterminée  à 
ne  laisser  parler  personne  sur  ee  sujet  «délicat,  et  la  vom  dm  ara* 
leurs  lut  couverte  par  le  bruit  L'artkle  de  ta  cnmunimisa  Ait 
adopté;  il  fiiait  l'indemnité ,  non-pas  eomme  juequ'nloœ,  à 
23  fr.  par  jour,  mais  i  9,000  fr.  par  an,  et,  sar  la  propositiea 
de  M.  Luaeau,  cette  indemnité  fut  déclarée  iiùsiMvble  ea  tota- 
lité <*7  février), 

ici  revenait  le  tableau  d'attribution  réglant  le.  nombre  dm 
représentants  à  élire  par  chaque  département.  Le  préfet  de  la 
commission  remporta  dans  tontes  ses  parties,  malgré  les 
réclamations  dm  colonies.  Le  général  iamericière  obtint 
ment  que  les  trois  députés  de  l'Algérie,  no  lien  d'ôtte 
par  l'ensemble  des  colons,  fussent  partagée  entre  les  trois  die> 
tricls de  l'ouest,  du  centra  et  de  Teet  (m  lévrier). 


LUI  ÉLHGTOBALE.  185 

Le  6  nais  fcrtourerte  la  dernière  délibération  sur  la  M.  Un 
grand  ncnère  d'anundentents  furent  votés  sans  débat.  Laqaee- 
tioD  des  délais  que  la  confectionnes  listes  électorales  ponoait  en- 
traîner agita. lécèmmeot  les  esprits  C'était  encore  Fhnéadencnt 
de  M.  liatenn  Teotefois,  la  Chambre  cenpa  coart  à  toute  diffienMé 
en  adaptant  an  nepandeneat  qui  portait  qu'en  nocnu  cas  ces  dé- 
lais n'eacéfariéB»!  le  terme  de  empaille  joui*.  Ce  terne  atteint, 
on  procéderait,  quai  qu'il  irritât,  aax  opérations-électorales.  On 
te  «ait,  l'issonbtée  avait  pris  an  sérieux  son  honorable  réao- 


i/artide  t#,  relatif  an  vite  de  Tannée,  souleva  une  dtacmsien 
me,  et  la  séance  fiait  an  milieu  d'un  iadteibie  tumulte.  On 
■ronbro  awnit  d  aminée  qne  IVnetcioe  do  droit  électoral  fàt  sus- 
pendu pour  les  soldats  de  l'année  de  tente  <et  de  ner  pendant  la 
4uréedefeur  seruiee  netiL  Les  raisons  de  discipline  «e  «an- 
quaient  pas  sans  doute  poar  soutenir  estle  disposition.  Mais 
j'infudennul  Art  -npoussé  par  la  question  préalable ,  eomne 
coutrtineau  principe  «baolu  dn  suffrage  «nirenél.  Cependant, 
-dans  la  preultèro  léiseaoaiw ,  «n  paragraphe  avait  été  adopté 
ponr  inftreMue  an  an  nains  sospendre  i'oxenme  de  ee  droit 
pour  les  années  «n  campagne.  Ce  paragraphe,  présenté  par  la 
aase  tne  rédaction  uoimlte,  eidfta  me  véritable 
4*  Chanfam  resta  Mêle  au  bon  sens  et  i  ette-néne 
en  adaptant  3e  paragraphe  de  la  Commission.  La  Montagne  uon- 
mençait  déjà  à  monopoliser  la  sollicitude  ponr  l'armée  :  elle  uen- 
tet  «cnamtor  «s  «dispositions  nouvelles  en  réclament  te  scrutin 
pardiiwiou.  Mais  la  vote  dtak  d$à  cemmfeiioé  et  le  président  ne 
put  émre  dit*  à  la  demande  <  7  nam  )• 

Lu  3,  klfanmbfuaolaquiuae  antres  articles.  La  dimaasiou  se 
mina  dm  des  question*  eeat  lois  rebattues.  IL  Lagraage 
eape  encornée  finre  reaeair  l'Aseemblée  sur  la  disposition  si 
auneMe  qni  «olerdisaÉt  l'enesciceéa  droit  électoral  m  militaires 
«n  campagne.  Maie,  snr  quelques  observations  de  bon  sens  fartée 
par  M.  Je  fénénd  Oudâaet,  l'amendement  de  M.  Lagraage  fat 
répoussé  à  une  «amenée  majorité. 

«n  demandait  encore  .que  las  soldais  en  gs  raison  dans  tes  «o- 
Inum,  et  les  snnns  en  station,  fuapatudmis  i  «oter  avec  les 


156  HISTOIRE  DE  FRANCK.  (1849.) 

colon».  Cet  amendement,  combattu  par  M.  Mathieu  Louisy,-l'un 
des  représentants  des  colonies,  eut  le  même  sort  que  celui  de 
M.  Lagrange. 

On  rejeta  enfin,  mats  à  une  majorité  très-faible,  an  amende- 
ment qui  avait  déjà  balancé  le*  toix  dans  la  première  délibéra- 
tion. Les  députés  étaient  nommés  aujourd'hui  au  scrutin  de 
liste,  c'est-à-dire  i  la  majorité  relative.  Le  décret  exigeait  seule- 
ment que  celte  majorité  représentât  le  huitième  des  électeurs 
inscrits.  L'amendement  voulait  en  outre  qu'elle  fàt  égale  au 
quart  des  suffrages  exprimés.  Ainsi  nul  n'aurait  pu  être  proclamé 
député  au  premier  tour  de  scrutin,  qu'en  réunissant  trois  condi- 
tions :  la  majorité  relative,  un  nombre  de  voix  égal  au  huitième 
des  électeurs  inscrits,  et  le  quart  des  suffrages  exprimés.  C'est 
cette  dernière  condition  qui  ne  fut  pas  admise. 

Le  40  mars,  revint  la  question  des  incompatibilités.  M.  Fré- 
déric Bastiat  demanda  de  nouveau  que  l'incapacité  s'étendit  aux 
ministres.  M.  Saint-Gaudens  défendit  l'amendement,  qu'un  mem- 
bre de  la  commission,  M.  Charlemagne,  combattit  avec  bonheur. 
M.  de  Lamartine  prit  la  parole  sans  terminer  le  débat.  Sans 
doute,  M.  Bastiat  n'avait  d'autre  intention  que  celle,  fort  hono- 
rable, de  supprimer  l'ambition  et  les  luttes  de  parti  dans  un 
Gouvernement  libre;  mais,  par  le  fait,  il  arrivait  à  supprimer  le 
Gouvernement  lui-même.  Que  seraient,  en  effet,  des  ministres 
n'appartenant  pas  à  la  Chambre  devant  laquelle  ils  comparaî- 
traient comme  des  accusés  devant  leurs  juges;  des  ministres  pris 
parmi  les  rebuts  du  suffrage  universel,  dans  les  rangs  des  candi- 
dats malheureux  ?  Quelle  serait  leur  autorité  morale  et  comment 
pourraient-ils  suffire  à  la  lourde  tâche  de  défendre  le  pouvoir 
exécutif  devant  un  pouvoir  législatif  ombrageux  et  jaloux?  Il  ar- 
riverait  sans  doute  que  le  pouvoir  législatif  absorberait  entière- 
ment le  pouvoir  exécutif.  La  Chambre  gouvernerait  par  ses  comi- 
tés. Aucune  indépendance  pour  les  ministres,  partant  plus  de 
responsabilité.  Ils  recevraient  des  ordres.  C'était  encore  là  le 
système  de  M.  Grévy  et  de  la  Montagne,  le  Gouvernement  tran- 
sporté dans  les  Assemblées  législatives  (40  mars). 

Le  15,  la  Chambre,  fit,  à  une  immense  majorité,  justice  de 
l'amendement  de  M.  Bastiat.  Elle  fit  encore  acte  de  bon  sens  po- 


LOI  ÉLECTORALE.  157 


litk)ue  en  rétablissant  le  préfet  de  la  Seine  sur  la  liste  des  fonc- 
tionnaires qui  pourraient  être  dépités.  Mais  l'exclusion  fut 
maintenue  pour  les  sous-secrétaires  d'État,  pour  le  préfet  de 
police,  pour  la  magistrature  inamovible.  Une  exception,  propo- 
sée par  la  commission  ette-méme,  en  laveur  des  présidents  et 
dee  conseillers  delà  cour  dé  cassation,  ne  fut  pas  admise,  et  un 
moment  on  put  craindre  que  le  procureur  général  près  la  même 
cour,  ne  fût,  malgré  la  décision  précédente  de  la  Chambre,  enve- 
loppé dans  la  proscription  universelle  de  la  magistrature* 

La  Chambre  décida  enfin,  sur  la  proposition  de  M.  Gombarel 
de  Leyval,  que  toute  mission  temporaire  qui  se  prolongerait  plus 
de  six  mois,  emporterait)  après  ce  terme,  la  démission  du  député 
qui  l'aurait  acceptée* 

Toutes  ces  décisions  furent  prises  au  milieu  des  cris  d'impa- 
tience qui  couvraient  la  voix  des  orateurs.  Seul,  M.  l'abbé  Payet 
parvint  à  foire  écouter  un  discoors  spirituel  contre  le  système 
général  des  incompatibilités  (43  mars). 

La  discussion  porta  ensuite  sur  deux  amendements  proposés 
par  la  commission,  l'un  sur  l'article  £2,  l'autre  sur  l'article  85. 
Lé  premier  avait  pour-  but  d'étendre  à  tous  les  professeurs  in- 
distinctement l'exception  que  le  premier  projet  avait  restreinte 
aux  professeurs  qui  exerceraient  leurs  fonctions  dans  le  Heu  où 
siège  l'Assemblée  nationale.  L'Assemblée  rejeta  l'amendement 
et  maintint  son  premier  vote.  Le  second  amendement  proposé 
par  la  commission  portait  que,  pendant  la  durée  de  leur  mandat, 
les  officiers  de  tout  grade  et  de  toutes  armes,  nommés  représen- 
tants du  peuple,  seraient  considérés  comme  étant  en  non-acti- 
vité, tandis  que»  d'après  le  premier,  ils  étaient  considérée  comme 
en  mission  hors  cadre.  Cette  disposition  nouvelle,  dont  fe  sens 
fut  clairement  expliqué  par  le  général  Lamoricîère  et  par  le  gé- 
nérai Baraguay-d'Hilliers,  était  peut-être  plus  logique,  mais  elle 
était  moins  favorable  aux  officiers  que  la  première ,  car  on  doit 
savoir  que  les  officiers  en  mission  hors  cadre  sont  toujours  cen- 
sés en  activité.  L'amendement  ajoutait  encore  à  cette  ligueur  en 
disposant  que  le  temps  passé  dans  l'etercice  du  mandat  législatif 
ne  compterait  aux  officiers  ni  pour  la  retraite  ni  pour  l'avance- 
ment à  l'ancienneté.  La  question  ne  fift  vidée  qu'après  un  long 


15»  HISTOIRE  m  FRANGE.  (1849.) 

débat;  mai*  l'Assemblée  ne  venlnt  pas  revenir  sur  la  fi 
qu'elle  avait  accordée  qm  première  foi»  aux  oilciefa  Elle  rejeta 
l'amendement  de.  la  commission  et  peasialn  dan*  aa 
décima.  Ainsi  ta*  officiera  uni  sanaienl  nommés  repvéuBi 
du  peuple  seraient  considérés  comme  en  mèfainn  norscadm  pen- 
dant qu'il*  «égecaieot  à  l'Assemblée  nationale,  et  les  wna  nmciori 
et  eoidate  cmum  en  congé  temporaire. 

Un  second  paragraphe  étendait  l'appboaftiaa  en  «  principe 
aux  ingénient»  des  aontMtrdmesséea  et  de*  minai.  Bu  oonaé 
qjuenee,  ils  aéraient  réputés  dénriiaionnanreaén  joaréalaurad- 
miseion,,  et,  à  la  lia  de  leur  mandat,  iia  ne  emmèneraient  que 
l'aptitude  constatée  par  lear  grade  an  aaomanlée  l'élection.  Cette 
disposition,  qui  faisait  partie  du  premier  projet,  ne  Ait  paa  con- 
testée. Maie  M*  Larabit  proposa,  par  un  pangraphe  additionnel, . 
d'appliquer  le  mène  principe  aux  magistrats  msmmiMee;  an 
sorte,  qu'à  l'expiration  de  leur  inandat,  le  gouverne**  nt  aurail 
été  foreé  de  les  appeler  au*  premiers  siégea  vacants  et  daaa-ie 
grade  ou  ila  étaient  avant  leur  élection*  Cet  amendement  portait 
sur  un  principe  évidemment  faux,  puisque  te  conatitntio»  de  la 
magistrature  .n'admet  pas  de  distinction  entra  le  grade  et  rem- 
ploi, comme  celle  des  officiers  et  des  ingénieurs.  Ajourne  à  cette 
objection  fondamentale  le  grave  ineenTénient  d'imposer  an  mi» 
nistre  de  la  justice  un  aussi  grand  nombre  de  candidate  pins  en 
moins  propres  aux  fonctions  délaissées  pendent  et  longues  an» 
nées*  Ces  raisons*  exposées  par  M.  Depin,  este  autant  de  farce 
que  de  justesse,  parurent  déàsivesr  et  ramendemeot  de  IC  La- 
rabit fut  rejeté  à  une  immense  majorité  (44  mai»). 

On  pouvait  croire  que  la  liste  des  mcompatilnUtÉe  émet  enlm 
épuisée.  Ce  n'était  panasses  de  l'exclusion  ptonenedee»  menai 
contre  tous  las  fonctionnaires  peMies  rétribués.  Um  amendement 
de  M.  Goudcbaux,  accepté  par  la  commission  et  adepte  dane  cette 
séance,  déclarait  incapables  d'éjkte  élus  rtpréwrtanfi  du  peupiey 
1°  les  individus  ebargéa  d'une  fourniture  poor  teCortevuement; 
fp  les  directeurs  et  administrateurs  des  chemine  de  1er.  Bn  vert* 
dn  même  amendement,  tout  représentant  du  peuple  qui, 
dant  le  coure  de  son  mandat,  aurait  entrepris*  non 
pour  le  Gouvernement,  ou  accepté  une  place„seit  dedireemw, 


LOI  ÉLECTORALE.  159 

soit  (PaduiiMsUafein  ite  chemin  de  fer,  sentit  réputé  démis- 
sionnaire et  déclaré  tel  par  l'Assemblée  nationale.  Ce  n'était 
pas  font  :  M.  Lherbette  fit  passer  nn  amendement  improvisé 
qui  appliquait  la  même  mesure  à  tout  représentant  «  qui  aurait 
pris  un  intérêt  dans  une  entreprise  soumise  au  vote  de  l'Assem- 
blée nationale.  »  Gomme  on  voit,  la  disposition  était  large  :  à  qui 
s'appliquerait-elle?  à  q«  ne  s'appliqueraft-elle  pas?  Question  dif- 
ficile, sur  laquelle  la  commission  elle-même,  par  l'organe  de 
M.  Billanlt,  eut  la  bonne  foi  de  se  déclarer  incompétente.  La 
nouvelle  exclusion  porterait  sur  les  actionnaires  des  chemins  de 
fer  en  première  ligne;  la  cbose  était  évidente,  c'étaient  eux  que 
M.  Lherbette  avait  principalement  en  vue.  Mais  les  actionnaires 
des  canaux  sujets  au  rachat,  à  l'expropriation,  les  actionnaires 
da  la  Banqu*  de  France»  qui  existe  en  vertu  d'un  privilège  tem- 
poraire, ne  devraient-ils  pas  être  considérés  aussi  comme  ajaat 
un  intérêt  dans  une  entreprise  soumise  au  vote  de  l'Assemblée 
national»?  Et  si  l'intérêt  particulier  était  un  motif  suffisant  de 
s— pkîo»  et  dfaniMioB,  pourquoi  le»  attitrée  d*  forges,  pour- 
quoi 1er  propriétaires  de  vignes  ne  seraient-ils  pas  déclarés  sus- 
pecta dans  lea  questions  de  douanes  et  frappés  d'exclusion?  Pour- 
<ped  le»  rentier»  de  l'État,  intéressés  dan»  la  question  de  la 
conversion  ;  pourquoi  les  propriétaires  eux-mêmes,  les  proprié- 
taires fonciers,  intéressés  dans  le  vote  de  l'impôt,  ne  seraient-Os 
pas  exclus  de  la  représentation  nationale?  Toute»  ces  raisons 
n'empêchèrent  pas  l'amendement  de  M.  Lherbette  de  passer  à 
une  immense  majorité,  550  voix  contre  149. 

Enfin,  l'ensemble  du  projet  fut  définitivement  voté  par  assis  et 
levé,  à  la  presque  unanimité  (16  mars). 


160  HISTOIRE  D£  FRANCE    (1849.) 


CHAPITRE  X. 


LE  DROIT  M  EÉUHIOlf. 


Loi  sur  les  clubs.  —  Ancienne  commission,  commission  nouvelle,  premiers 
lecture.  —  Discussion  générale  ;  M.  Léon  Faucher  et  M.  Jules  Favre.  — 
Projet  nouveau ,  minorité  de  la  commission ,  tenUtÎTe  de  conciliation.  — 
MM.  de  Kerdrel  et  Pierre  Leroux ,  rappel  à  Tordre.  —  M.  Crémieux  et  la 
majorité  de  la  commission.  —  Discussion  des  articles»  M.  Senard.  — 
M.  Odilon  Barrot,  aven  honorable.  —  Les  clubs- sont  interdits.—*-  Absten- 
tion de  la  majorité  de  la  commission  et  d'une  partie  de  l'Assemblée ,  réunion 
séparatiste,  insurrection  parlementaire,  M.  Crémieux.  —  Sages  conseils.  — 
Appréciation  delà  tentative  séparatiste  par  M.  La  grange,  parodie  du  Jea  de 
Paume.  —  Adoption  du  second  paragraphe.  —  M.  Durons  et  les  circulaires 
impérialistes. —  Clubs  et  associations.  —  Subtilités,  chicanes,  demande 
d'une  commission  nouvelle.  —  Qu'est-ce  qu'un  objet  déterminée —  Présence 
du  commissaire  de  police.  —  Adoption  provisoire  de  la  loi.  —  Protestation. 
—  Déclaration  des  journaux  socialistes.  —  Esprit  de  là  loi. 


On  se  rappelle  qu'au  moment  où  le  conflit  entre  l'Assemblée 
nationale  et  le  président  de  la  république  prenait  les  proportions 
les  plus  graves,  le  pouvoir  exécutif,  en  présence  d'une  conspira- 
tion permanente  tramée  contre  lui  dans  l«?s  clubs,  avait  cru  devoir 
présenter  un  projet  de  loi  portant  interdiction  des  réunions  po- 
litiques. L'urgence  avait  été  repoussée  par  la  Chambre,  et  la 
commission  nommée  pour  examiner  le  projet  lui  était  manifes- 
ment  contraire.  Cependant,  à  mesure  que  la  lutte  devenait  moins 
vive  entre  les  deux  pouvoirs,  à  mesure  que  l'Assemblée  recon- 
naissait mieux  la  nécessité  de  ne  pas  perpétuer  le  conflit  en  se 


LE  DROIT  DE  RÉUNION.  161 

perpétaant  elle-même,  quelques-uns  des  commissaires  compre- 
naient qu'il  y  avait  quelque  chose  à"  faire  pour  la  répression  des 
clubs.  La  minorité  de  la  première  commission,  devenue  la  seconde 
commission  tout  entière,  avait  accepté  la  tâche  de  refondre  le  pro- 
jet de  loi,  de  manière  à  réglementer  le  droit  de  réunion  et  d'as- 
sociation. Le  6  mars  eut  lieu  la  première  lecture  du  projet  mo- 
difié, et,  le  19  mars,  s'ouvrit  la  discussion  générale.  M.  Léon 
Faucher  défendit,  avec  talent  et  courage,  le  projet  du  Gouver- 
nement. À  ce  projet,  la  Commission  nouvelle  avait  substitué  une 
série  de  mesures  qui,  sans  interdire  les  clubs,  en  devaient  ren- 
dre la  formation  et  la  tenue  plus  difficiles. 

M.  Jules  Favrè  accepta  la  tâche  difficile  de  justifier  l'indul- 
gence pour  les  clubs.  11  le  Gt  avec  un  incontestable  talent  oratoire. 
A  quoi  avaient  servi,  demanda-t-il,  les  lois  faites  par  le  Gou- 
vernement précédent  contre  ces  réunions  politiques?  Les  clubs 
d'ailleurs,  si  on  les  laissait  libres,  ne  finiraient-ils  pas  par  s'avi- 
lir eux-mêmes?  A  quel  prix,  put-on  lui  répondre?  Au  prix  de 
combien  d'émeutes,  de  combien  d'agitations  politiques,  de  com- 
bien de  misères  publiques?  M.  Favre  voyait  encore  dans  ces 
associations  un  excellent  moyen  de  police.  Avec  les  clubs,  on 
pourrait  savoir,  jour  par  jour,  les  conspirations,  qui  se  trament 
dans  l'ombre,  lorsque  la  liberté  des  réunions  est  restreinte  ou 
supprimée.  Gela  empêcherait-il  les  conspirations,  et,  au  fond, 
qu'y  gagnerait-on,  si  ce  n'est  des  transes  continuelles  nuisibles 
à  tous  les  intérêts  !  Que  le  Gouvernement,  ajoutait  M.  Favre, 
ait  de  bons  clubs  pour  opposer  aux  mauvais.  Quel  palliatif  1  Et 
quelle  influence  auraient  ces  orateurs  officiels? 

On  objectait  enfin  deux  choses  :  d'abord  le  texte  de  la  Con- 
stitution qui  permet  les  réunions  paisibles  ;  ensuite  la  Révolution 
même  de  Février  avec  ses  banquets  préparatoires.  Oui,  les  ban- 
quets permanents  avaient  renversé  la  monarchie  :  croyait-on  que 
les  clubs  ne  pourraient  renverser  la  République?  Quant  à  la 
Constitution,  le  droit  de  réunion  emporte-t-il  nécessairement  le 
droit  de  club,  et  le  club  n'est-il  pas  une  forme  de  réunion  parti- 
culière que  la  loi  peut  interdire,  en  permettant  d'ailleurs  les  au- 
tres formes  de  réunion?  A  qui  appartenait-il  mieux  qu'à  l'As« 

il 


162  HISTOIRE  ])£  FRANCE  (1849.) 

semblée  d'interpréter  la  Constitution  qu'elle-même  avait  faite? 
Et,  enfin,  pouvait-oi*  donner  aux  clubs  le  nom  de  réunions  pai- 
sibles (19  mars)? 

C'est  à  la  suite  de  cette  première  discussion  que  surgit  un  nou- 
veau projet,  celui  de  la  minorité  de  la  Commission.  Les  duha  se- 
raient interdits;  mais  les  réunions  publiques. et  politiques,  les 
réunions  passagères  dans  lesquelles  on  se  proposerait  de  délibé- 
rer sur  un  objet  déterminé,  seraient  permises.  Le  droit  de 
réunion  subsisterait  donc  en  entier;  ce  qui  serait  interdit,  ce 
serait  la  permanence,  l'organisation  qui  donne  aux  clubs  lew  ca- 
ractère spécial.  Le  Gouvernement  ayant,  par  l'organe  de  M.  Odi- 
Ion  Barrot,  déclaré  qu'il  se  réunissait  à  la  proposition  de  la  mi- 
norité de  la  Commission,  c'est  sur  cette  proposition  que  la 
discussion  s'établît. 

Deux  orateurs  eurent  cependant  encore  la  parole  dans  la  dis- 
cussion générale,  MM.  de  Kerdrel  et  Pierre  Leroux  :  M.  de  Ker- 
drel  attaqua  les  clubs  par  des  raisons  puisées  dans  le  bon  sens  et 
dans  l'expérience.  Chacune  de  ses  pbrases  fut  violemment  interrom- 
pue par  la  Montagne.  M.  Pierre  Leroux  souleva  aussi  des  orages  : 
mais  ce  fut  de  propos  délibéré.  Non  content  de  se  faire  rappeler 
deux  fois  à  Tordre,  l'orateur  socialiste,  par  ses  gestes  et  par 
ses  paroles,  força  le  président  et  la  Chambre  à  lui  retirer  la 
parole,  en  exécution  du  règlement» 

A  la  suite  de  cet  incident,  M.  Crémieux,  rapporteur  de  la  com- 
mission, sous  prétexte  de  résumer  la  discussion,  la  renouvela 
tout  entière.  11  se  répandit  en  invectives  oratoires  contre  la  mo- 
narchie ,  dont  il  n'était  pas  question  ,  contre  les  lois  de  septem- 
bre, qui  n'étaient  pas  en  cause.  Des  trois  projets  en  présence, 
M.  Crémieux  défendit  celui  de  la  majorité  de  la  commission 
qui  se  bornait  à  ajouter  quelques  mesures  de  plus  à  la  loi  du 
28  juillet  1848. 

La  discussion  s'ouvrit  enfin  sur  l'article  1er  du  projet  de  la  mi- 
norité de  la  commission.  Cette  proposition  nouvelle  avait  l'avan- 
tage de  lever  l'objection  qu'on  pouvait  tirer  du  texte  de  la  Con- 
stitution. II  posait  une  distinction  assez  claire  entre  les  clubs  et 
les  réunions;  le  club,  disait-elle,  c'est  La  réunion  permanente  or- 
ganisée, jouant  au  parlement  et  admettant  la  délibération  sur 


LE  DROIT  m  RÉUNION.  16» 

tonds  ke  questions  que  la  passion  do  moment  fait  surgir.  La 
réeaio»,  c'est  «n  fait  passager,  accidentel  On  se  réunit  pour  dé* 
KMnr  sur  un  objet  détermiaé.  La  réunion  s'éteint  avec  la  délt» 
bération  même. 

Mais  cette  ékflinetio»,  apparente  dans  la  théorie»  ne  a'éva- 
nsairait-elle  pas  dans  la  pratique?  Le»  clubs  ne  renatlcaienNla 
pas  sous  la  forme  de  réunions  accidentelles?  Une  succession 
bsbitemmtr  calculée  de  réunions  n/ équivaudrait-elle  pas  à  un 
cUb  permanent?  Quel  moyen  trouverait-on  pour  empêcher  les 
mêmes  tomes  de  se  réunir?  Et  aussi,  qo'entendait-on  par  un 
oajel  déterminé?  En  politique,  toutes  les  questions  ne  se  tiert~ 
oeatelles  pas,  et  Y  Assemblée  elle-même  ne  donnait- elle  pas 
mftnt  la  preuve  qu'à  propos  d'un  objet  on  peut  parler  de  tous 
lis  autres?  Telles  forent  les  objections  présentées  par  M.  Senacd 
qui  combattit,  au  nom  de  la  majorité  de  la  commission*  le  pro-* 
jet  de  la  minorité.  La  nerveuse  logique  de  M.  Senard  ne  pou* 
nilrelle  se  retourner  contre  le  projet  même  de  la  majorité, 
et  n'y  at ait-il  pas  nue  conclusion  toute  contraire  à  tirer  de  la 
peiafcm  énergique  que  tracèrertt  successivement  M-  Labonlie  et 
M.  Ûtfon  Barrot  dis  abus  des  clnfas,  des  dangers  auxquels  cet 
tribunes  de  la  passion  aveugle-  exposent  perpétuellement  la 
société?  On  pouvait  remarquer,  au  reste,  que  M.  Senard,  tout  en 
coDciuant  contre  les  clubs,  les  tenait  en  médiocre  estime.  M,  Ju- 
ki Favre  luMmtae,  dani  son  brillant  discours  de  la  veille, 
se  les  avait  défeadu»  qu'avec  des  réserves  qui  auraient  pu  passer 
feor  «ne  condamnation.  Ainsi  tous  se  réunissaient  pour  juger 
aae institution  qu'aucun  Gouvernement  régulier  ne  peut  accepter 
fat  par  non  sorte  de  suicide.  M.  Odtloa  Barrot  n'eut  donc  pas  de 
peine  à  convaincre  tous  eeu*  qui,  dans  F  Assemblée,  apportaient 
antique  expérience  politique  dans  l'étude  de  la  question.  Son 
éiatonr»  éloquent  contint  un  honorable  aveu  :  «  J'avais  cru,  peu* 
s  dant  lengtempe,  s'écria  Toratenr ,  que  les  clubs  feraient  du 
»  moins  dfeparaitre  les  sociétés  secrètes  s  je  reconnais  que  j'étaia 
s  dans  une  profonde  erreur  !  »  Loyale,  mais  insuffisante  eipitUon 
des  banquets  politiques  ! 

Auras  eette  hriUante  discussion,  le  paragraphe  !•*  du  pro- 
jet ds  la  minorité  fut  mis  eu*  voit.  On  procéda  an  tertiiia  secret. 


164  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

Ce  paragraphe  reproduisait  l'article  primitif  du  projet  gouverne* 
mental  :  «Les  clubs  sont  interdits.  »  H' fut  adopté,  bien  qu'à 
une  majorité  assez  faible  de  19  voix  (sur  757  votants,  majorité 
absolue  569,  578  pour,  559  contre  (20  mars). 

Venait  le  second  paragraphe  distinguant  lès  réunions  des  clubs 
et  autorisant  les  premières.  Â  l'ouverture  de  la  séance  du  24 , 
M.  Crémieux  monta  à  la  tribune.  H  déclara  que  la  majorité  de  la 
commission  s'était  réunie,  et  que,  considérant  le  vote  de  la 
veille  comme  une  violation  formelle  de  la  Constitution,  elle  re- 
tirait son  propre  projet  et  s'abstiendrait  de  prendre  part  au  reste 
du  débat.  L'émotion  fut  vive  à  cette  étrange  annonce.  Ainsi, 
non  pas  même  une  commission  tort  entière,  mais  une  partie 
d'une  commission  s'arrogeait  le  droit  de  juger  le  jugement  de 
l'Assemblée  nationale  et,  de  sa  propre  autorité,  condamnait  le 
vote  des  représentants  du  pays  :  c'était  une  insurrection  parle- 
mentaire. 

La  Chambre  passa  outre  et  procéda  au  vote  ;  la  plus  grande 
partie  des  membres  de  la  gauche  s'abstint  d'y  prendre  part;  on 
ne  trouva  dans  les  urnes  que  402  billets  blancs  et  20  billets 
bleus.  Mais  il  fallait  500  votants  au  moins  pour  rendre  la  délibé- 
ration valable;  le  scrutin  fut  donc  déclaré  nul  malgré  la  majorité 
acquise  au  paragraphe  en  discussion.  Un  second  scrutin  fut  ou- 
vert avec  appel  nominal,  sur  la  proposition  de  M»  Luneau. 

Pendant  ce  temps,  550  membres  environ  s'étaient  réunis  dans 
l'ancienne  salle  des  séances  de  la  Chambre  des  Députés,  au  mi- 
lieu  de  la  plus  tumultueuse  agitation.  Personne  ne  réclama  le 
dangereux  honneur  de  présider  ce  club  improvisé.  M.  Setiard 
prit  le  premier  là  parole  pour  exhorter  ceux  de  ses  collègues  qui 
réprouvaient,  comme  lui,  le  principe  de  la  loi  à  ne  pas  dépasser 
la  limite  marquée  par  un  premier  acte  d'abstention  ;  il  leur  re- 
présenta que,  jusque-là,  leur  refus  de  participation  avait  le  ca- 
ractère d'une  protestation  indirectement  exprimée,  mais  que 
persévérer  dans  l'immobilité,  ce  serait  manquer  à  un  devoir  con- 
stitutionnel en  mettant  l'Assemblée  nationale  dans  l'impossibilité 
de  fonctionner. 

Ces  paroles  soulevèrent  dans  l'Assemblée  séparatiste  de  vives 
rameurs  :  les  sages  conseils  de  H.  Senard  ne  faisaient  pas  le 


LE  DROIT  DE  RÉUNION.  166 

compte  de  ces  esprits  remuants,  toiùours  prêts  à  profiter  des 
conflits  et  à  les  envenimer,  pour  élever  sur  des  ruines  des 
situations  nouvelles.  Un  orateur  monta  à  la  tribune  pour 
réchauffer  le  zèle  de  ses  amis  politiques*  C'était  M.  Crémieu* 
qui,  Confondant  sans  doute  dans  sa  pensée  deux  époques  diffé- 
rentes, semblait  croire  i  un  nouveau  24  Février,  à  une  insur- 
rection nouvelle,  dont  il  réclamait  la  direction.  Il  adjura  les 
protestants  de  l'Assemblée  de  persister  dans  leur  abstention, 
de  ne  pas  se  mettre  en  contradiction  avec  eux-mêmes,  de  ne 
pas  s'associer  i  la  violation  de  la  Constitution  en  validant  le  vote 
de  la  majorité.  Sans  doute  cette  inertie  paralyserait  tout  le  jeu 
de  la  représentation  nationale,  et  amènerait  ipso  facto  la  disso- 
lution de  l'Assemblée  constituante*  Mais  n'était-ce  pas  un  devoir 
de  combattre  une  infraction  aux  droits  du  .peuple  souverain? 

Ainsi  se  démasquait  l'intrigue  politique.  MM.  Goudchaux  et 
Lagarde  donnèrent  à  ces  déclamations  leur  nom  véritable  :  on 
faisait  un  appel  à  l'insurrection.. Il  n'y  avait  plus  qu'à  prendre 
Je  chemin  de  l'Hôtel  de  Ville.  M,  Crémieux  se  chargerait-il  d'y 
.guider  la  colonne  ?  D'autres  orateurs  ramenèrent  les  esprits  vers 
une  situation  plus  calme.  M.  Henri  Didier  représenta  que  tant 
que  la  loi  était  en  discussion.,  on  n'avait  pas  le  droit  de  s'abste- 
nir, qu'on  pouvait  ramener  encore  la  majorité  par  la  discussion, 
qu'il  serait  temps  de  se  décider  pour  l'abstention  sur  le  vote  dé- 
finitif. A  son  tour.  M*  Louis  Perrée  appela  l'attention  des  ad- 
versaires les  plus  prononcés  de  la  loi  sur  la  modification  que  lui 
avaient  fait  subir  un  amendement  présenté  la  veille  au  nom 
de  la  minorité  de  la  commission,  et  l'abandon  du  projet  primitif 
du  Gouvernement;  la  loi,  ainsi  corrigée,  n'avait  plus  le  caractère 
d'une  violation  flagrante  de  la  Constitution.  Qu'on  y  réfléchisse, 
ajoutait  M.  Panée,  la  mesure  qu'on  propose  aboutit  à  une  révo- 
lution ou.  à  une  guerre  civile. 

Un  antre  argument  fut  fourni  par  la  fraction  la  plus  ardente 
de  la  Montagne*  Un  des  représentants  naturels  de  l'insurrection 
année,  M.  Lagrange,  laissa  voir  dans  son  langage  qu'il  ne  croyait 
pas  au  succès  d'une  tentative  de  ce  genre.  Il  faut  bien  jouter 
que  M.  Lagrange  laissa  percer  nu  doute  asses  plausible  sur  l'at- 
titude personnelle  de  M.  Crémieux,  si,  par  ses  parole*,  il  réussis- 


106  HISTOIRE  WE  FRÀHCB.  (18(9.) 

«ait  à  entraîner  me  partie  dé  l'Assemblée  liage  la  me/Qui  pow- 
tait  être  plus  compétent  pour  juger  nue  émeute  et  nés  chefct 
Aussi,  bientôt  on  vit  M.  Grémiemt  reparaître  à  la  tribun»  :  mail» 
cette  fois,  Use  contentait  d'un  projette  manifeste.  L'insurrection 
se  changeait  en  protestation.  &  ce  moment,  un  hnieaier  Tint 
annoncer  le  réappel  :  la  réunion  improvisée  ne  dispersa  et  Uni  le 
monde  rentra  en  séance*  Ainsi  se  termina  m  incident,  grave  i 
son  origine,  et  qui  finit  par  mériter  nn  nom  sévère  et  ton!  A  k 
fois  piquant  :  Parodié  du  Jeu  de  Paume  i 

Le  réappel  terminé,  le  eeeond  paragraphe  fat  adopté  i  «e  ma- 
jorité 4e  464  toîi  contre  450.  Le  sombre  de*  votante  était  donc 
4téde  «14.  On  autre  scrutin  eut  lieu  immédiatement  sur  l'en* 
semble  de  l'article.  Il  donna  107  votants  :  pour  l'article,  404  t 
contre  505,  majorité  104  Toii. 

Puis  la  discussion  recommença.  Mais  lee  esprits  étalent  encore 
trop  profondément  émus  pour  que  les  débats  restassent  dans  tee 
fornes  de  k  modération.  M.  Dueoui  y  introduisit  A  l'aventure 
une  Interpellation  inattendue  sur  une  circulaire  iropérialfeto. 
M.  Odïlon  Barrot,  qui  ne  connaissait  pas  cette  pièce,  s'étonna 
arec  raison  qu'en  roulât  rendre  le  Gouvernement  responsable 
d'un  de  ces  actes  de  partis  si  ordinaires  A  rapproche  des  éleo*- 
tiens  (il  mars). 

Le  12  mars,  M.  de  Charencey  obtint,  an  nom  de  la  commis- 
sion ,  que ,  dans  l'état  des  choses ,  la  discussion  fut  renvoyée  an 
lendemain.  L'Assemblée  adopta  cette  mesure,  surtout  pour  don«- 
ner  aux  esprits  le  temps  de  se  calmer.  La  Montagne  s'opposa  usée 
me  espèce  de  foreur  A  ce  délai  qui  lui  enlevait  l'espérance  de 
nonveatrx  scandales. 

Un  amendement  de  M.  Victor  Lefran*  était  interv etra  peur  met- 
tre les  associations  en  harmonie  avec  le  loi  nouvelle.  Le  but  de 
r amendement  était  surtout  de  définir  et  de  permettre  l\ 
des  associations  permanentes  qui  s'occupent  d'objets 
ques,  dnrila&les  on  autres,  dea  sociétés  périodiques,  publiques 
ou  non,  dont  les  travaut,  loin  d'être  un  danger,  sont  un  réctaUn 
bénéfice  peur  l'ordre  social,  et  qei,  à  défaut  d'une  disposition 
spéciale,  auraient  pu  tomber  astis  le  coup  de  ta  ta  La  mino- 
rité de  la  eommiaston,  devenue  la  commission  tout  entière,  nnait 


LE  DROIT  DÉ  RÉDNIO».  lffi 

proité  dé  cette  circonstance  pour  réviser  le  projet  <hus  son 
ensemble  et  en  foire  une  loi  complète,  embrassant  à  la  fois  les 
réunion*  et  les  associations,  sans  qu'il  y  eût  pourtant  à  revenir 
sur  l'article  1*  définitivement  voté. 

De  là  pourtant  un  incident  nouveau.  On  prétendit  que  la  ma- 
jorité de  la  commission  hélant  retirée ,  la  minorité  n'était  plus 
compétente  pi»  soutenir  et  suivre  la  discussion.  On  roulait 
encore  que  le  projet  révisé  constituât  une  loi  entièrement  nou- 
velle, et  qu'au  fieu  de  poursuivre  le  débat,  on  renvoyât  la  pro- 
position à  <fc*  bureaux  qni  nommeraient,  pour  l'examiner,  une 
autre  comiukaion.  ëubaidiairement  ente,  on  réclamait  le  renvoi 
de  k  discussion,  sons  prétexte  que  la  Chambre  n'avait  pas  eu 
le  lampe  d'étudier  les  dispositions  toutes  neuves  que  la  commis- 
sion foi  présentait.  Ma» .  pourait-il  dépendre  d'une  fraction  de 
commission,  le  rapport  une  fois  feit,  la  Chambre  saisie,  le  débat 
ouvert,  de  dessaisir  tout  à  coup  l'Assemblée,  d'arrêter  la  discus- 
sion et  le  vote  par  une  démission  stratégique?  Poser  cette  ques- 
tion, <f  était  la  résoudre.  Cependant  ort  se  jeta  dans  d  Incroyables 
subtilités.  M.  Senard  affirma  qu'il  n'y  avait  pas  en  de  démission 
donnée  :  M.  Germain  Samrt  fut  de  l'avis  contraire.  Les  loyales 
explications  de  M.  Senard  remportèrent  sur  l'esprit  de  r Assem- 
blée. Membre  de  la  majorité  de  la  commission,  M.  Senard  ne  se 
considérait  pas  comme  démissionnaire.  11  s'était  abstenu,  mais 
sans  hésiter  à  se  réonir  à  la  minorité  pour  examiner  avec  elle 
l'article  relatif  aux  associations.  L'honorable  représentant  ajoutait 
qu'à  ses  yeux  cet  article,  rédigé  de  la  manière  la  plus  libérale,  Jetai* 
en  grande  partie  r objection  constitutionnelle^  M.  le  général  de 
Lamorictère,  président  pour  ce  jour,  réussit  i  détourner  la  dis- 
cussfoïi  des  chîearrts  déliées  dans  lesquelles  M.  Dupont  (de  Bus- 
sac)  cherchait  à  l'égarer.  Sur  les  observations  judicieuses  de 
M.  Deslongrais,  l'Assemblée  décida  :  1°  qu'il  n'y  avait  pas  lieu 
à  nommer  iib*  nouvelle  commission;  **-qu'tu  Heu  d'ajourner  le 
débat*  elle  entendait  le  reprendre  tout  As  suite.  Sur  cette  doublé 
décision,  quntynts  membres  des  bancs  extrêmes .se  retirèrent 
fantyamment  et  la  diacussidn  continua. 

M.  Emmanuel  Atag»  Vnltacha  à  critiquer  les  dispositions  non- 
velles,  et  aussi  la  loi  dans  son  principe  et  dans  ses  parties  déjà 


168  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

votées.  M.  Ajlies  répondit  avec  talent.  Sur  l'article  2,  H.  Senard 
adjura  encore  la  commission  de  préciser  nettement  ce  qu'elle  en* 
tendait  par  des  réunion*  permanentes  et  par  un  objet  déterminé. 
Des  explications  furent  données  par  MM.  Laboulie  et  Odilon  Ba> 
rot  (23  mars). 

M.  Senard  insista,  soutenant  que  la  loi  nouvelle  offrirait  moins 
dé  garanties  à  Tordre»  moins  de  sûretés  à  la  .société  que  la  loi 
abrogée.  En  effet,  les  clubs  étaient  interdits  ;  mais,  en  revanche,  les 
associations  non  publiques  étaient  permises  par  l'article  1 3,  et  Von 
n'avait  pas  cru  devoir  limiter  le  nombre  des  associés.  On  aurait 
donc  des  clubs  :  seulement  le  public  ne  serait  pas  admis  aux 
séances.  Le  commissaire  de  police  représenterait  seul  la  surveil- 
lance et  l'autorité.  Bien  plus,  ces  associations  non  publiques 
pourraient  avoir,  quand  elles  le  voudraient,  des  séances  publi- 
ques, en  se  transformant  pour  ce  cas  en  simples  réunions,  c'est- 
à-dire  en  remplissant  les  formalités  imposées  aux  réunions. 

Enfin  la  discussion  était  arrivée  à  son  terme.  La  Chambre, 
après  avoir  adopté  successivement  tous  le3  articles  du  projet,  dé- 
cida qu'elle  passerait  à  une  troisième  délibération  (24  mars). 

Les  travaux  ultérieurs  de  l'Assemblée  ne  devaient  pas  lui  per- 
mettre de  remplir  ce  programme.  Au  reste,  l'adoption  provisoire 
de  la  loi  n'empêcha  pas  une  centaine  de  députés  séparatistes  de 
produire  la  protestation  suivante  : 


«  L'article  1«  de  la  loi  sur  les  clubs  est  une  violation  de  la  Consti- 
tution. 

»  Nous  ayons  protesté  par  notre  vote ,  nous  avons  protesté  par  notre  ab- 
stention, et  nous  persistons  à  nous  abstenir,  parce  que  nous  ne  vouions  par* 
ticiper  en  rien  à  une  loi  qui  est  nu  attentat  flagrant  au  droit  naturel  et  à  la 
Constitution.  » 


C'était  ainsi  que  la  Montagne  entendait  le  respect  dû  ausuffirage 
universel.  M.  de  Lamennais  avait  rédigé  cette  pièce,  La  presse  so- 
cialiste répondit  à  cet  appel  de  la  minorité  révoltée  par  une  dé- 
claration dans  laquelle  elle  affirmait  la  Constitution  violée»  tout 
en  invitant  le  peuple  au  calme.  «  Le  peuple  restera  calme,  tl 
attend.  » 


LE  DROIT  DE  RÉUNION.  16© 

En  rétamé ,  si  celte  loi  devait  être  promulguée  >  méritait-elle 
les  violences  des  partis  extrêmes?  On  ou  pouvait  douter.  Ce  qu'elle 
présentait  surtout  de  remarquable,  c'était  le  luxe  de  précautions 
dont  elle  entourait  le  droit  de  réunion.  Le  mot  seul  de  club  était 
supprimé  :  quant  i  la  chose  elle-même,  il  semblait  qu'elle  sortît 
du  débat  plus  forte,  plus  consacrée  que  jamais*  Il  restait  à  savoir 
par  l'expérience  si. l'Assemblée,  loin  de  supprimer  le  danger,  ne 
venait  pas  de  l'organiser.  , 


m  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 


CHAPITRE  XI. 


LES  écONOXIBS  DE  LÀ  GORftTITUAMtK. 


Travaux  FINANCIERS.  —  Retour  à  la  proposition  de  M.  Bfllault.  —  Discus- 
sion, M.  Passy,  réduction  de  la  proposition  à  ses  termes  pratiques,  .rejet. 

Budgets.  —  Demande  de  deux  douzièmes  provisoires,  les  frais  de  représen- 
tation Un  président  de  la  République,  encore  la  Constitution  violée,  vote 
dû  crédit.  —  Budget  des  dépenses.  —  Absence  d'un  rapport  général.  —  Le 
budget  de  la  République  rouge,  M.  Mathieu  (  de  la  Drôme  ).  — .  Criti- 
ques rétrospectives,  dilapidations  de  la  monarchie ,  M.  Fould  et  les 
financiers  du  Gouvernement  provisoire.  —  M.  Passy,  discussion  sérieuse, 
chiffres  et  faits,  amélioration.  —  Travaux  publics,  chemins  de  fer,  écono- 
mies inintelligentes,  M.  Dufaure  et  M.  Passy,  M.  Napoléon  Daru  et 
M.  Stourm,  réductions  radicales  et  leurs  conséquences.  —  Agriculture  et 
commerce,  M.  Buffet,  M.  Tourret,  désorganisation  proposée  de  renseigne- 
ment agricole  et  des  manufactures  nationales.  —  Intérieur,  préfets  mis  à  la 
retraite,  scandale  parlementaire,  ordre  du  jour,  projet  de  loi  spécial  ;  rejet  du 
traitement  du  général  Changarnier,  le  double  commandement»  projet  de  loi 
sur  cet  objet,  suppression  de  l'inspection  des  théâtres.  —  Instruction  pu- 
blique, manie  encyclopédique  de  la  commission,  réductions  nombreuses,  insti- 
tuteurs primaires.  —  Affaires  étrangères,  réductions,  M.  Bastide  et  les  traités 
de  1815.  —  Cultes.  —  Finances,  remboursement  de  l'impôt  des  45  centimes, 
M.  Chavoix  et  M.  Flocon;  journée  des  aveux,  M.  Duclerc,  proposition  de 
banqueroute,  impôt  sur  les  riches,  papier-monnaie,  M.  Ledru-Rollin,  rejet 
de  la  proposition  ;  pensions  des  pairs  et  sénateurs,  M.  Lherbette;  réductions 
radicales,  receveurs  généraux  ;  encore  la  banqueroute  ;  M.  Goadchaud  et 
M.  Ledru-Rollin,  accusation  contre  M.  A.  Fould,  témoignages  contradic- 
toires. —  Budget  particulier  de  l'Assemblée.  —  Marine,  proposition  de  dé- 
sorganiser la  flotte,  impossibilité  pratique  des  réductions,  P Assemblée  les 
repousse.  —  Justice,  la  magistrature  inamovible.  —  Guerre,  rédactions  de* 
sorganisatrices  de  l'armée,  ajournement  significatif,  M.  Guichard  et  le  sens 
vrai  des  réductions.  —  Budget  des  recettes.  —  Amendement  de  M.  La- 
trade,  suppression  de  l'impôt  des  boissons,  vote  désastreux. 

Concurremment  avec  ses  antres  travaux  politiques  et  adminis- 
tratifs, l'Assemblée  étudiait  les  ressources  financières  du  pays,  et 


LES  ÉCONOMIES  ME  LA  CÔNOTïïtJANTE.    lït 


rit,  «vue  pins  de  sète  que  d'expérience 'à  introduire  des  re- 
fermes plus  on  moins  heureuses  dans  le  bndget  du  pays.  Mais 
d'abord  elle  avait  dû  balayer  de  sa  route  certaines  propositions, 
financières  seulement  par  l'apparence,  et  qui  ne  servaient  peut- 
être  que  d'étiquette  àdes  manoeuvres  politiques;  de  ce  nombre  était 
la  proposition  de  M.  Billault  (Voye%  plus  haut  page  35). 

Cette  proposition  vint  à  discussion  le  9*  janvier,  M.  Passy  n'eut 
pas  de  peine  i  en  démontrer  le  véritable  sens  et  la  portée.  M.  le 
ministre  des  finances  établit  les  différents  motifs  pour  lesquels  le 
vote  des  dépenses  doit  toujours  précéder  celui  des  recettes,  il 
fit  remarquer  qu'aux  époques  de  trouble  et  en  temps  de 
guerre  H  est  impossible  de  faire  face  aux  dépenses  arec  les  seules 
ressources  de  l'impôt.  Or,  pouvait-on  affirmer  qu'on  se  trouvait 
aujourd'hui  dans  une  situation  normale  ?  M.  Fassy  exposa  encore 
me  série  de  chiffres  précis.  Les  recettes  ordinaires,  dit- il,  dé- 
ftleation  faite  de  l'amortissement,  qui  figure  en  recettes  et  en  dé- 
penses, de  la  dimination  opérée  sur  l'impôt  du  sel,  du  déficit 
prévu  sur  le  revenu  des  forêts,  ne  peuvent  être  évaluées  à 
plu  de  t  fin  millions.  C'est  k ce  chiffre  de  \$to  millions  que 
M.  Bfflanlt  voudrait  ramener  les  dépenses.  Le  budget  qui  a  été 
présenté  s'élevanti  4,530  millions,  ceseraient  donc  des  économies 
montant  à  558  millions  qu'il  faudrait  trouver  pour  pouvoir  réta- 
blir immédiatement  l'équilibre  t  Or  serait-il  possible  d'opérer 
une  pareille  réduction  sur  les  dépenses  proposées  1  C'est  ce  doftt 
il  est  facile  de  se  rendre  compte  en  décomposant  le  budget.  Les 
dépenses  se  divisent  en  deux  parties,  Tune  irfédattible,  l'attife 
réductible  ;  la  première»  qui  comprend  la  dette  publique,  les 
dotations,  les  pensions,  les  restitutions  et  non-valeurs,  les  achats 
nécessaires  pour  le  service  des  pondtes,  des  tabacs  <*  des  poètes, 
les  services  départementaux  avec  affectation  de  ressources  spé- 
U  s'élève  à  690  aatttioni  «  reste  par  cotoséqoetit,  940  millions 
là  partie  des  dépensas  réductible,  tf**t*à<dke  pour  les  dé- 
penses consacrées  aux  services  des  départements  nritigtétfete  ; 
sur  ©sb  9i0  millions,  tes  trois  ministère»  qui,  de  l'aven  même  de 
in  wmsrissioo,  peuvent  offrir  quelque  priée  aux  réformateurs, 
les  ministères  de  la  guerre,  de  la  marine  et  des  travaux  publiée, 
m  absorbent  ttt;  encore  ftnU-H  retrancher,  des  dépenses  affec- 


179  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

tées  aux  deux  premiers,  i  13  millions  qui  appartiennent  aux  ser- 
vices de  l'Algérie  et  des  colonies  ;  de  teUesorte  que  la  partie  des 
dépenses  réductibles  sur  laquelle  on  pourrait  agir»  n'est  que  de 
595  million».  Ainsi,  ce  que  veut  M.  Billault,  c'est  qu'on  trouve 
moyen  de  retrancher  358  millions  sur  une  dépense  de  535  mil- 
lions !  Réduite  à  ces  termes  pratiques,  la  proposition  de  M.  Bil- 
lault  ne  pouvait  supporter  l'examen.  D'ailleurs,  il  faut  l'ajouter, 
M.  le  ministre  des  finances  ne  niait  pas  la  possibilité  d'opérer 
des  économies  graduelles;  mais  il  rappela  à  l'Assemblée  qu'elle 
avait  elle-même,  par  ses  votes,  imposé  59  millions  de  dépenses 
nouvelles  au  budget  de  1849,  tandis  qu'elle  avait*  en  réduisant 
plusieurs  impôts,  diminué  les  ressources  de]  52  millions.  C'était 
là,  en  effet,  ce  qui  avait  contribué  à  déranger  profondément  cet 
équilibre  qu'on  proposait  aujourd'hui  de  rétablir  i  tout  prix, 
M.  Passy  termina  en  déclarant  que  la  proposition  si  peu  sérieuse 
de  M.  Billault  ne  pouvait  aboutir  qu'à  la  désorganisation  des  ser- 
vices; si  l'Assemblée  pouvait  l'adopter,  elle  reculerait  certainement 
ensuite  devant  cette  œuvre  de  destruction. 

M.  Billault  ne  trouva  d'autre  moyen  de.  répondre  que  de  dé- 
placer la  question.  Négligeant  tes  objections  si  pratiques  de 
M.  Passy,  il  se  livra,  une  fois  encore,  à  des.  discussions  de  per- 
sonne. Il  protesta  contre  toute  pensée  d'arabition-personnelle,  ré- 
pondant ainsi  à  une  objection  peut-être  fondée,  mais  que  M.  Passy 
avait  eu  soin  de  ne- pas  faire.  Il  reconnut  ensuite  que  le  vote  des 
dépenses  doit  en  général  précéder  le  vote  des  recettes,  mais  il 
,prétendit  que  la  proposition  était  justifiée  par  ces  circonstances 
exceptionnelles  que  M.  Passy  invoquait  avec  une  tout  autre  auto- 
rité. Il  revint  en  termes  vagues  sur  la  nécessité  de  contraindre  le 
gouvernement  à  opérer  de  grandes  économies.  En  vain  lui  cria-t- 
on de  préciser  ces  économies  possibles/de  livrer  enfin  son  secret 
financier  :  l'orateur  se  jeta  dans  les  lieux  communs  ordinaires  : 
amplification  des  rouages  administratifs,  politique  extérieure, 
travaux  publics,  sans  proposer  une  seule  mesure  sérieuse,  sans 
émettre  une  seule  vue  pratique.  Evidemment  M.  Kllaolt  se 
croyait  encore  en  48*7  :  son  discours  n'était  qu'une  erreur  de 
date. 

Après  une  réplique  de  II.  Rassy,  qui  0t  o)»server  que  le.  budget 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  GORSTITOANTE.    173 

de  1849  présentait  déjà  une  économie  de  184  millions  sur  celui 
de  4848,  et  que  jamais,  à  aucune  époque,  on  n'avait  réalisé  une 
rédaction  aussi  considérable  d'une  année  à  l'autre,  M.  Stourra 
essaya  de  passionner  le  débat,  en  se  plaignant  de  ce  que  le  mi-  - 
nistère  eût  été  prâ  dans  la  minorité,  ce  qui,  suivant  lui,  expli- 
quait pourquoi  le  Gouvernement  nevoulait  pas  effectuer  les  écono- 
mies désirées  par  la  majorité.  M.  Stourro  n'oubliait  qu'une  chose, 
àsaTOir  que  ce  budget,  qu'il  aeeusait,  était  précisément  l'œuvre  du 
ministère  précédent,  du  ministère  de  1*  majorité. 

La  proposition  de  H.  BiUauLt  ne  put  résister  à  la  discussion  : 
elle  fut  repoussée  par  39?  votants  contre  990.  C'était  là  encore  un 
vote  de  conciliation  (31  janvier). 

Vers  le  milieu  du  mois  de  mars,  il  y  avait  déjà  trois  mois  que  le 
projet  de  budget  était  soumis  à  la  chambre  et  cependant  la  discus- 
sion ne  s'ouvrait  pas.  M.  le  ministre  des  finances  dut,  le  12  mars, 
rédamer  deux  douzièmes  provisoires.  L'Assemblée  les  vota 
sans  difficulté;  Mais  à  cette  occasion  s'éleva  une  question  qui  mit 
an  jour  encore  une  fois  les  mauvaises  dispositions  d'une  partie  de 
la  Chambre  pour  le  pouvoir  exécutif.  M.  Marrast,  président  de  la 
commission  de  Constitution,  avait  annoncé  formellement  dans  son 
rapport  que  les  frais  de  représentation  de  la  présidence  de  la  Ré- 
publique égaleraient  ou  dépasseraient  même  le  traitement  fixe 
accordé  au  premier  magistrat  de  la  France.  Dans  le  projet  de 
budget,  l'indemnité  pour  frais  de  représentation  figurait  à  côté 
do  traitement,  et  depuis  l'installation  du  Président  dans  ses 
fonctions,  cette  indemnité  était  payée  en  vertu  d'un  état  de  ré- 
partition dressé  par  le  précédent  ministre  des  finances,  M.  Trou- 
Yé-Chaavel.  Des  cris,  des  interpellations  passionnées  accueil- 
lirent la  régularisation  d'un  crédit  déjà  sanctionné  :  M.  De  ville, 
M.  Ânteny  Thouret,  Virent  là  encore,  une  violation  de  la  Cons- 
titution. Ces  scènes  peu  dignes  de  la  représentation  nationale 
furent  terminées  par  un  scrutin  qui  accorda  le  crédit  à  une 
majorité  de  77  voix  (43  mars). 

La  discussion  s'ouvrit  enfin,  le  16  mars,  sur  le  budget  des  dé- 
penses.  Pour  la  première  fois  on  discutait  un  budget  sur  lequel  la 
commission  n'avait  pas  fait  de  rapport  général.  M.  Goudchaux, 
rapporteur,  déclara  qu'il  n'en  ferait  pas.  Bien  plis,  la  commission 


174  HISTOIRE  DE  JIUNCJB.  (1*49.) 

n'avait  pas  acheté  son  travail  sur  les  budgets  particuliers  de  «ter 
que  ministère;  la  plupart  de»  rapporta  relatifs  à  ces  budgets  n'é- 
taient pas  encere  dépesés*  Allait-on  ouvrir  «ne  discussion  gé- 
nérale sur  un  budget  dent  Jes  différentes  parties  n'avaient  pat 
môme  été  coordonnées  dans  tm  travail  d'ensemble?  Ce  se  serais 
donc  qu'un  tezte  à  déclamations* 

M»  Mathieu  (de  la  Drôme)  prit  le  premier  la  parole.  L'orateur 
annonça  qu'il  allait  faire  connaître  le  budget  des  répubHemut 
rouges.  Et  d'abord  il  déclara  que  le  parti  auquel  it  appartenait 
dans  la  Chambre  ne  vêlerait  le  budget  qu'à  trois  conditions  :  si 
l'on .  supprimait  ce  qui  restant  de  l'impôt  do  sel,  si  Ton  suppri- 
mait en  totalité  l'impôt  des  boissons,  si  Ton  restituait  aoi  con- 
tribuables las  é$  c.  perçus  l'année  précédente.  Celait  ftà  le  pro- 
gramme à  effet  de  la  Montagne.  En  tout,  le  parti  rouge  réclamait 
positivement  une  réduction  de  350  millions  sur  les  dépensée. 
Dana  cette  réduction,  l'armée  était  comprise  peur  la  plus  forte 
pari.  Une  sollicitude  toute  nouvelle  pour  l'armée  était,  depuis 
quelque  temps,  à  l'ordre  du  jour  danak  Montagne*  et  M.  Mathieu 
(de  k  Drôme)  se  Ut  l'organe  de  ces  tendresses  intéressées* 

M»  Jules  de  Laateyrie  et  M.  Garnier-ffegès  entrèrent  dans  k 
politique  rétrospective*  Le  denier  eut  le  tort  d'imiter  M.  Ma* 
thieu  (de  k  Drôme)  dans  des  attaques  peu  adroites  centre  les 
dilapidation  de  k  monarchie  :1a  loyauté  avec  kqueHeM.  Jules  de 
Laateyrie,  l'un  des  pins  constants  adversaires  dn  Gouvernassent 
de  Juillet,  reconnut  que  la  triste  situation  des  finances  ne  pouvait 
être  imputée  qu'aux  gouvernante  du  24  Février,  lui  valut,  de  k 
part  de  k  Montagne,  répithàte  inattendue  de  roya  Jtsfe  (1  ft  mars). 

La  voie  des  récriminations  était  ouverte.  M.  Achille  Fenld,  k 
son  tour,  attaqua  vivement  quelques-unes  des  mesures  financières 
du  Gouvernement  provisoire.  M.  Goudchaux  réftoudit  avec  ai- 
greur* Ces  débats  inutiles  et  irritante  furent  arrêtés  par  une  étude 
sérieuse  et  pratique.  M.  Bapy  signala  une  améttoratiea  consi- 
dérable dans  les  impôts  indirects,,  une  situation  ptos  toaraM» 
dea  atone»  Le  ministre,  d'aiMeurs»  rendit  pleine  jeabce  &  *» 
prédécesseurs  MM»  Gernier-fegès  et  Goudchawu 

Cet  emai  de  discussion  générale  fit  enfin  place  aux  discussions 
dn  services  {il  mars)* 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  GOSSTITUÀHTE.     175 

Le  22  mare,  M.  Dufeur*  attaqua  la  réduction  proposée  par  la 
commission  sur  le  budget  des  tiwmui  publies.  Ces  réduction» 
s'élevaient  au  chiffre  de  47  millions.  Pour  le»  travaux  portés  an 
chapitre  xi>  entretien  ou  amélioration  des  routas  et  des  ponts,  le 
GouTO nement  demandait  une  somme  ée  48  milHone  350,000  fi\, 
que  la  commission  proposait  de  rédaire  à  14  milHons  600,000  ft\ , 
différence  en' moins,  13  millions  150,000  fir.  Sortant  des  limi- 
tes de  le  discussion  spéciale,  M.  Dufaure  combattit  en  blee  tontes 
lesv réductions  propesées.  Dans  la  situation  politique  actuelle, 
et  après  l*a  prineipe»  posés  par  1a  Constitution  eHe»méme,  il 
n'était  pas,  selon  l'orateur,  de  dépenses  plus  impérieusement 
commandées  par  l'État  que  œlles  qu'il  pouvait  faire  pour  les 
travaux  publics.  Les  sommes  qu'il  voudrait  économiser  de  ce 
côté,  au  lieu  de  les  employer  dune  manière  productive,  il  devrait 
s'attendre  à  être  obligé  de  les  dépenser  d'un  autre  cété,  à  titre 
d'assistance  improductive  et  dangereuse  an  double  point  de  vue 
de  la  morale  et  du  revenu  public  Outre  les  motifs  politiques,  les 
principes  les  plua  simples  de  l'économie  bien  entendue  né  permet- 
taient pas  d'bésiter»  Le  territoire  de  la  France  était  aujourd'hui 
couvert  de  tronçons  de  travaux  qui  avaient  déjà  eoftté  des  som- 
mée immenses  et  qui  attendaient  encore  d'importants  sacrifices 
avant  de  constituer  un  corps  où  la  vie  pût  circuler  arec  les  loco- 
motives sur  les  chemins  de  fer,  avec  l'eau  dans  les  canaux,  mec 
lse  voifam*  sur  les  routes.  Différer  l'achèvement  de  ces  travaux, 
ce  serait  faire  perdre  à  la  France  l'intérêt  de  capitaux  énormes, 
ce  serait  priver  le  pays  des  bénéfices,  le  trésor  dos  revenus  que 
produisent  ces  grandes  ouvres  d'utilité  publique.  Or  ces  revenus 
peuvent  atteindre  des  proportions  considérables.  Ainsi,  dans 
les  département*  do  l'Ouest*  où.  il  a  été  fait  des  rontes  stmtégf- 
qnea,  la  popriété  a  acquis,  grées  à  ces  votée  nouvelles-  de  com- 
BMiaicatiûn,  une  plue*  value  île  ISO  millions  au  moins  ;  et  tandis 
que ,  dens  le  reste  de  la  France,  r augmentation  do  produit  des 
impôts  indirects  a  été  en -moyenne,  depuis  483t  jusqu'en  f  949, 
de  40  popr  400,  elle  a  été,  dans  ces  mêmes  département», 
de  6Q  pour  *0O,  Il  y  plu*,  ajoutait  H.  Dotare,  l'fetemptieir 
des  travaux  peut,  dans  certains  cas,  causer  la  porto  sèche  4e  total 
on  partie  des  capitaux  avancée.  Ainsi,  par  etissupte,  sur  Je  cl»- 


176  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

min  de  fet  déjà  commencé  de  Châteauroux  à  Limoges,  l'un  des 
plus  maltraités,  par  la  commission,  il  avait  été  ouvert,  par  suite 
des  difficultés  naturelles  du  terrain,  d'immenses  tranchées  que 
les  pluies  de  l'automne  et  du  printemps  combleraient  s'il  n'était 
pas  voté  de  fonds  pour  mener  les  travaux  à  l'état  d'entretien  ; 
il  avait  été  entrepris  cinq  grands  tunnels  où  les  ingénieurs  avaient 
à  lutter  contre  des  infiltrations  abondantes,  et  qui  seraient  in- 
évitablement noyés  si  on  les  abandonnait  pendant  une  campagne. 
Que  l'avis  de  la  commission  triomphât,  et  ce  seraient  autant  de 
travaux  à  refaire»  autant  de  millions  à  dépenser  de  Nouveau. 

Telle  fut  l'élégante  et  solide  argumentation  de  M.  Dufaure. 
M.  Passy  appuya  ces  conclusions.  Il  y  a  économies  et  économies, 
dit  le  ministre.  Était-ce  à  dire  cependant  qu'il  fallait  pousser  avec 
une  égale  activité  toutes  ces  immenses  entreprises  où  la  France 
s'était  naguère  lancée  avec  tant  d'ardeur?  Sans  doute,  notre  puis-* 
sancé  financière  avait  vu  restreindre  ses  limites  :  mais  il  n'était 
pas  juste  d'exagérer  comme  à  plaisir  cet  amoindrissement  réel 
des  ressources  du  pays,  pour  se  refuser  à  des  dépenses  produc- 
tives auxquelles  on  pouvait  faire  face  sans  avoir  recours  à  aucun 
moyen  extraordinaire. 

Quelques  mots  prononcés  par  M.  Passy  sur  l'état  satisfaisant 
du  trésor  parurent  fournira  M.  Goudchaux  une  occasion  pour 
rentrer  dans  la  discussion  générale,  et  pour  prouver  que  la  mo- 
narchie conduisait  le  pays  sur  une  pente  fatale  à  laquelle  l'avaient 
arraché  M.  Goudchaux  et  ses  amis,  La  Chambre  se  refusa  i  en- 
tendre ces  récriminations  rétrospectives  (22  mars)» 

Le  lendemain,  malgré  les  sages  conseils  de  M.  Dufaure  et  de 
M*  Passy,  l'Assemblée  adopta,  dans  une  certaine  mesure,  le 
système  d'économie  qui  allait  priver  d'ouvrage  des  milliers 
d'ouvriers.  Le  chapitre  xi  fut  voté -avec  des  réductions  qui  ne 
montaient  pasà  moins  de  10  millions.  Combien  de  temps  se  passe- 
rait-il avant  qu'on  ne  fût  forcé  de  reprendre,  par  des  crédits 
extraordinaires,  ces  inintelligentes  économies?  M.  -Grandin,  mal- 
gré les  clameurs  de  la  Montagne,  fit  entendre  ces  mots  piquants  : 
a  Ce  sont  les  partisans  du  droit  an  travail  qui  demandent  la  sup- 
pression du  travail*  » 

U  était  cependant  impossible  de  ne  pas  reconnaître  la 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  COMSTITUANTE.    1T7 

renée  entre  le  temps  présent  et  celui  où  mit  été  esquissé  le 
budget  de  1849.  Dans  les  mois  qui  suivirent  la  révolution  de 
Février,  la  situation  financière  était  telle  qu'on  pouvait  raisonna- 
blement parler  à  cette  époque  de  suspendre  les  chemins  de  fer. 
La  compagnie  de  Lyon  s'estimait  heureuse  de  tendre  à  perte 
à  l'État  tout  ce  qu'elle  avait  fait  et  acquis.  Aussi  n%était»i)  pas 
étonnant  que  le  budget  de  1849,  préparé  quelque  temps  après, 
portât  l'empreinte  de.  cette  situation  désespérée;  Le  Gouverne- 
ment proposait  de  diminuer  fortement  les  al  local  ions;  le  comité 
des  finances,  justement  effrayé  de  la  décroissance  du  revenu 
public,  avait  été  d'avis  qu'il  fallait  les  restreindre  encore.  Sur  un 
chemin,  celui  do  centre,  section  de  Paris  à  Chftteauroux,  l'allo- 
cation proposée  par  le  Gouvernement  n'allait  plus  qu'à  2  millions 
et  demi.  Le  comité  des  finances  voulait  la  réduire  à  500,000  fr. 
Aujourd'hui,  des  économies  aussi  radicales  n  -avaient  plus  d'op- 
portunité. 

Le  chapitre  xn,  consacré  à  la  navigation  fluviale,  et  réduit  par 
la  commission  du  chiffre  de  45  millions  à  celui  de  40  millions 
770,4100  fr.,  fut  voté,  ainsi  que  le  chapitre  xni  (canaux),  réduit 
de  9  millions  800,000  fr.  à  6  millions  770,000  fr.  (26  mars). 

Le  chapitre  znr,  ports  maritimes  et  phares,  se  trouva  défini- 
tivement rédoit  dé  4  millions  269,000  fr.  sur  une-  somme 
totale  de  14  million)  200,000  fr.  réclamée  par  le  ministre. 

Le  chapitre  xy,  dessèchements  et  irrigations,  sur  lequel  la 
commission  proposait  une  diminution  de  moitié,  400,000  fr.  sur 
800,000  fr.,  souleva  une  discussion  longue  et  confuse.  Le  résul- 
tat fut  qu'en  votant  400,000  fr.  pour  ce  chapitre,  il  serait  ajouté 
au  chapitre  m  (personnel  du  corps  des  ingénieurs  des  ponts-et- 
chaussées)  une  somme  de  300,000  fr.  destinée  à  des  études,  ou 
même,  si  faire  se  pouvait,  à  des  travaux  dé  dessèchement  et 
d'irrigation. 

Le  chapitre  xti,  4  million  500,000  fr.,  consacré  à  solder  des 
travaux  nécessité»  par  les  dernières  inondations  de  la  Loire,  fut 
voté-sans  discussion, 

Ici  arrivait  le  chapitre  xvu,  consacré  aux  travaux  des  chemins 
de  fer,  pour  lesquels  le  Gouvernement  demandait  un  crédit  de 
88  millions  700,000  fr.,  que  la  commission  proposait  de  réduire 

42 


m       msTon*  de  frange,  (tsw.) 

à  6*  imitions  673,000.  Sur  ce  sujet  si  important,  M,  Napoléon 
Paru  porta  te  premier  la  parole.  Son  discours,  pourri  de  frit*  et 
de  chiffres»  entièrement  dégagé  do  passion  politique,  n'en  Art 
pas  moins  systématiquement  interrompu  par  la  Montagne.  La 
conclusion  de  r orateur  fut  que  le  résultai  réel  des  propositions 
de  la  ooflMmsstott,  si  elles  étaient  adoptées,  serait,  en  cowpro- 
mettant  nn  capital  immense,  d'enlever  du  travail  aux  classes  la- 
borieuses; qu'après  d^jà  tant  de  crises  douloureuses,  si  l'on  ne 
voulait  pas  que  rétablissement  du  régime  nouveau  restât  dans  la 
mémoire  des  populations  comme  une  époque  de  calamité  uni- 
verselle, il  fallait  en  appeler  au^  ressources  du  pays  et  montrer 
que  le  Gouvernement  républicain,  lui  aussi,  est  capable  tout  au 
moins  de  continuer  ces  grtndes  entreprises  qui  doublent  la  puis- 
sance d'un  peuple  et  répandent  le  bien-être  dans  les  classes  les 
plus  pauvres  des  citoyens.  M.  Daru,  rappelant  avec  plaisir  les 
paroles  rassurantes  du  ministre  des  finances,  pressa  le  Gouverne- 
ment de  traduire  ces  paroles  en  actes  significatif»  et  de  profiter 
du  mouvement  d'amélioration  qui  se  manifestait  dans  les  alaires 
pour  réveiller  l'esprit  d'association  qui  seul  est  asses  puissant 
pour  terminer  le  réseau  de  nos  chemins  de  fer,  lu  ressources 
oratoires  du  budget  ne  devant  jamais  pouvoir  y  suffire. 

Ce  magniiqne  discours,  ce  langage  si  pratique  et  si  élevé  tout 
à  la  fois  semblait  avoir  convaincu  l'Assemblée.  Mais  la  foreur  des 
économies  n'était  qu'assoupie.  M.  Stourm,  rapporteur  de  la  com- 
mission» vint  défendre  avec  habileté  les  conclusions  du  rapport. 
Ces  conclusions  n'allaient  à  pas  antre  chose  qu'à  maintenir  un 
statu  quo  énervant.  La  presque  totalité  des  allocations  consenties 
par  la  commission  n'étaient  destinées  qu'à  liquider  des  dépenses 
<Mjf  à  réalisées,  à  licencier  des  ateliers,  à  régulariser  la  suspen- 
sion et  l'ajournement  indéfini  des  travaux. 

Un  représentant  voulut  toutefois  aller  plus  loin  encore  t  M.  Des- 
molles  demanda  que  le  crédit  alloué  aux  chemins  de  1er  pour 
l'exercice  4849  fût  réduit  à  ft*  millions  (27  mars). 

L'Assemblée  se  contenta  d'adopter  les  réductions  déjà  radica- 
les de  la  commission,  et  aussi  toutes  celles  qui  suivirent,  sauf  une 
seule  qui  concernait  les  travaux  k  exécuter  au  ministère  de  Tin* 

•UnUUr. 


LES  ÉCÛBÛMIBB  DE  LA  OOamTUAJJTE.     iTf 


Sar  la  proposition  de  k  aoaireassioa,  et  eaea  rasseatteaaal  Ai 
iMn,  l'àêieaùàét  adopta  an  article  additions^  fui  dispo- 
sait, ooairairemeat  i  ftssage  sum  j«M|ii'«ttv  ^rm  kgfeadgetespé*» 
après  arair  éléaaftés  cl  prottulguis,  d«noaeVÛHit<*i*- 
;  pomr  las  divan  départements  (38  mn). 

Peur  1»  badget  4e  ruprwjwttaf*  «t  da  cam&mc*,  h  mmmmm 
s'était  montrée  osetas  paramaaiaase.  Me  n'aiait  proposé  «pi'aa 
petit  nontore  de  rédittftioas  s'étend  A  d«s  dsjfras  peu  oeasHé- 
rafates.  IL  firdfctdéfaadit  d'aiUears  se»  auaistère  avec  talent  et 
fermeté,  Parai  les  réductions  adoptées,  oa  peut  citer  «elle  de 
18,060  frM  npplsrnHe  à  1a  dhrisioa  des  km*,  qui  se  trouvait 
ainsi  eoppritnée  et  réonie  à  celle  de  l'agrioalftare  ptapreaseat 
dfrfte.  Le  maistr*,  «eatae  M.  Mamel  fisxthe,  rapporiear,  combattit 
cette  rédaetiea  dont  l'effet  aérait  peat-dtr*  de  déaorgsaiftff  «ne 
branche  importante  de  l'admiaistfatioa  pnUiejae. 

La  pftas  coosidéraMe  des  rédaction*  proposées  par  la  «munis* 
emeoaeislaitdaMamtelrsjecettittaatdai  WMM*  fr, 

sot  le  crédit  de  2  millions  745,000  fr.  relatif  à  raaaeigacaiOMt 
pvsjéessioflad  de  i'asjmnUara.  Ce  crédit  «aait  priaoipalaaent 
pcasr  bntde  peanvoir  à  raigaaisasioQ  de  l'easaifatanaal  agricole 
efrpids  les  baaee  filées  par  le  décret  du  3  octobre  JSé*  {aéyan 
IMnauaire  précédent,  p.  ÎTty  On  sait  qu'aux  terme*  de  œ  décret, 
fJsaaeiflsieBBet  agricsto  ae  diiissit  «a  trois  desjrés  comprenant 
lesfewss  écoles,  oa  éoales  primaiMS  «k  i'agriealtnre,  les  écakis 
idRiesiidss  fsa  ea  fenaeieat,  poar  aiasi  dire,  renseignes»** 
secondaire,  «t  rtoaùtot  national,  qai  ea  dtajit,  ea  qaelsjae  aorte, 
fticcie  normale.  L'allocation  parlée  aa  èadget  ne  frisait  ajaa 
ie  «redît  eneert  pu  éedécoet  da  h  «eftafere  pour  ta 
de  ««dite»  établissements»  La  eemmissian,  aa  aqu*» 
daat  la  portion  da  cnédit  affectée  au*  fenaeanéeales,  avait  proposé 
fejaanieisat  de  la  partie  destinée  aax  deax  degrés  les  plus 
dleaés  de  ranaeigaeaBeaL  La  coasécpienoe  de  celle  rédaction, 
c'était  donc  d'ajourner  i'eiéoaUon  da  décret  maté  depais  ait  mois 
4  peine*  M.  Sufet  «t  M.  Tosmret,  son  prédéeesssar,  aaaeur  da 
décret,  «emtaMmat  4a  oommtteioa  aaec  une  isyfae  pleine  da 
lacidfté.  An  mentent  «à  l'en  cberdunt  te  moyen  d'améKarer  Je 
«art  dee  «lasses  ouvrières,  4110!  de  ptaa  inoonséqncnt,  aie  $>lua 


180  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

impolitique  que  d'ajourner  une  dépense  qui  avait  pour  but  de 
développer  l'agriculture  et  d'attirer  la  population,  inoccupée  des 
villes  vers  les  travaux  des  champs?  Ce  point  de  vue  sur  lequel 
insista  particulièrement  M.  Tourfet,  décida  la  question  dans  le 
sens  contraire  à  la  commission.  L'Assemblée  rejeta  la  réduction 
de  1  million  400,000  fr.,  après  avoir  admis  toutefois  nn  retran- 
chement de  300)000  fr.  consenti  par  le  ministre. 
£  La  commission  proposait  encore  une  réduction  de  100,000  fr. 
sur  le  crédit  de  639,000  frM  relatif  aux  manufactures  nationales 
de  Sèvres,  des  Gobelins  et  de  Beauvais.  M.  Marcel  Barthe  avait 
exposé  dans  son  rapport  que  ces  établissements,  bons  sous  la 
monarchie  pour  entretenir  le  luxe  d'une  cour  et  d'une  aristocra- 
tie, étaient  devenus  une  anomalie  et  presque  un  scandale  pour 
l'austérité  républicaine.  En  conséquence,  il  proposait  de  transfor> 
mer  la  manufacture  de  Sèvres  en  une  fabrique  de  poterie,  et  la 
manufacture  des  Gobelins  en  une  teinturerie!  Ces  étranges  ins- 
pirations furent  accueillies  comme  elles  devaient  l'être,  et  le  cré- 
dit fut  accordé* 

Un  crédit  transitoire  dfr  500,000  fr.,  réclamé  par  le  ministre 
pour  les  mesures  à  prendre,  vu  l'invasion  récente  du  choléra» 
fut  rejeté  après  une  épreuve  douteuse.  L'ensemble  du  service 
fut  voté  à  une  grande  majorité  (29  mars). 

La  délibération  sur  le  budget  du  ministère  de  ï Intérieur  donna 
lieu  dès  les  premiers  moments  à  un  débat  d'une  violence  peu 
commune.  M.  Léon  Faucher  et  M.  Odilon  Barrot,  attaqués  sur  un 
acte  important  de  leur  administration,  M.  Dufaure  qui  prêta  son 
appui  au  ministère,  ne  purent  parler  qu'au  milieu  d'interruptions 
furieuses  parties  de  la  Montagne.  11  s'agissait  d'un  crédit  demandé 
pour  subvention  à  la  Caisse  des  retraites  de  l'administration 
centrale.  Un  représentant,  M.  Brard,  vint,  à  ce  sujet,  présenter 
des  observations  sur  la  mise  à  la  retraite  de  dix-huit  préfets  qui 
avaient  tous  appartenu  à  l'ancien  gouvernement  :  leur  pension 
avait  été  liquidée,  bien  qu'ils  n'eussent  pas  trente  ans  de  service, 
par  application  d'un  décret  de  1806,  qui  établit  une  exception 
en  faveur  des  fonctionnaires  atteints  d'infirmités  contractées  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions.  C'était  là,  aux  yeux  de  M.  Brard» 
nn  abus  d'autant  plus  révoltant,  que  trois  d'entre  eux.  étaient 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  CONSTITUANTE.      181 

maintenant  replacés.  Au  reste,  la  liquidation  avait  eu  lieu  dans 
les  formes  voulues  par  la  loi  et  d'après  les  règlements  en  vigueur. 
Les  demande?  de  pensions  avaient  été  renvoyées  au  conseil  d'É- 
tat, qui  avait  donné  an  avis  favorable,  et  c'était  sûr  l'avis  du  con- 
seil d'État  que  le  ministre  avait  statué.  Il  serait  impossible  de  re- 
dire les  injures  prodiguées  par  une  fraction  de  la  Chambre  à  l'ad- 
ministration. H.  Léon  Faucher  fit  observer  que  l'effet  inévitable 
de  toute  révolution  est  d'entraîner  un  certain  nombre  de  mises 
à  la  retraite,  et  qu'il  était  naturel  de  ne  pas  pousser  les  règles 
jusqu'à  l'extrême  rigueur  à  l'égard  de  fonctionnaires  subitement 
frappés  après  de  longues  années  de  service.  Il  ajouta  que  lorsque 
le  conseil  d'État  avait  reconnu  les  titres  valables,  le  ministre  n'a- 
vait qu'à  les  enregistrer.  C'est  ce  qu'avaient  fait  les  ministres  qui 
l'avaient  précédé,  c'est  ce  qu'il  avait  fait  lui-même.  D'ailleurs, 
H.  Léon  Faucher  défendait  moins  sa  propre  cause  que  celle  de 
ses  prédécesseurs,  puisque,  sur  les  dix-huit  préfets,  il  y  en  avait 
quatre  seulement  dont  il  avait  envoyé  la  demande  au  conseil 
d'État. 

M.  Rivet  vint,  à  son  tour,  justifier  le  conseil  d'État.  Les  pièces 
loi  avaient  été  transmises':  il  n'avait  eu  qu'à  en  constater  la  ré- 
gularité. Ces  explications  furent  complétées  par  M.  Aufaure,  qui 
dit  qu'on  pouvait  trouver  la  législation  actuelle  insuffisante,  mais 
que  cette  législation  autorisait  les  pensions  liquidées,  et  qu'il  n'y 
avait  eu  là  ni  scandale  ni  immoralité. 

Le  grief  le  plus  spécieux  portait  sur  la  réintégration  des  trois 
préfets  admis  précédemment  à  la  retraite.  Aussi,  malgré  M.  Char- 
ras,  qui  voulait  que  l'Assemblée  nommât  une  commission  d'en- 
quête pour  examiner  les  faits;  malgré  M.  Goudchaux  qui  deman- 
dait qu'on  laissât  ce  soin  à  la  commission  du  budget,  les  chercheurs 
de  scandale,  abandonnant  les  mises  à  la  retraite  qui  concernaient 
aussi  bien  H.  Ledru-Rollin  que  M.  Faucher,  concentrèrent  tous 
leurs  efforts  sur  la  nomination  des  trois  préfets  replacés  en  acti- 
vité. M.  Flocon  dénonça  ces  fonctionnaires  comme  ayant  trompé 
le  pays  par  des  infirmités  simulées,  et  le  Gouvernement  comme 
leur  complice.  M.  Perrée,  oubliant  sans  doute  les  conditions  du 
pouvoir,  proposa  d'intimer  à  M.  Léon  Faucher  Tordre  de  révoquer 
les  trois  préfets  réintégrée.  H.  Jules  Favre  scinda  les  deux  que*- 


181  HISTOIRE  DE  FRÀNCfL  (1849.) 

torts.  Stir  la  premiers*  e*Be  qui  concernait  la  liqunbtana  des 
pensions,  il  adoptait  le  renvoi  proposé  par  M.  gondebanx.  8ar  la 
seconde,  il  proposait  d'exprimer  on  blâme  direct  et  formel  contre 
le  mmvtàrs.  M,  Ibvre  appuyait  ta  proposition  d'argnaneota  que 
M*  Odikxi  Barrot  A' eut  pas  de  peine  à  réfuter.  Etait-ce  donc  li- 
brement, de  leur  plan  gré  çtié  ces  trois  préfets  avaient  résigné 
leurs  fonctions  pour  faire  raidir  leurs  droit»  à  la  retraite.  Non,  on 
les  avait  destitués  :  on  avait  brisé  violemment  leur  carrière.  Frap* 
pés  dans  leur  avenir,  ils  avaient  osé  du  droit  qui  leur  appartenait 
rigoureusement,  littéralement;  ils  avaient  demandé  le  seul  etder* 
Hier  fruit  qu*iis  pussent  réclamer  de  leurs  longs  et  honorable»  ser* 
fiées;  ils  avaient  fait  valoir  leurs  titrée  à  la  pension  de  retraite,  et 
fustiftê  des  infirmités  contractées  dans  l'exercice  de  leurs  fonction». 
Aujourd'hui,  sous  le  règne  d'une  administration  moins  violent* 
et  plus  juste,  pourquoi  nrauraient4ls  pas  en  les  bénéfices  d*wae  ré* 
paratlonî  Pourquoi  leur  disputer  l'honneur  de  consacrer  i  l'État 
iee restes  de  leur  forcé  et  de  leur  intelligence?  Où  était  l'illégalité! 
Où  était  l'immoralité?  C'était  la  doctrine  de  l'opposition,  s'écria 
M.  Odilon  Barrot,  qui  était  vue  véritable  immoralité.  M.  le 
président  du  Conseil  fil  aussi  remarquer  dans  quelle  voie  dange- 
reuse l'Assemblée  s'engageait  en  intervenant  dans  les  choix  faits 
par  le  pouvoir  exécutif.  C'était  une  véritable  usurpation  de 
pouvoir. 

La  question  fut  posée  entre  Tordre  du  jour  motivé,  présenté 
par  M.  Jules  Favre,  et  Tordre  du  jour  pur  et  simple  avec  renvoi 
a  la  eommiseion.  Cette  dernière  proposition,  conaentie  par  le 
Gouvernement  et  présentée  par  M.  gondehaux,  obtint  la  priorité. 
$08  voix  se  prononcèrent  pour  elle  et  950  contre  (2  avril). 

L'incident,  terminé  dans  la  Chambre,  ne  Tétait  pas  dans  le  pay#. 
De  justes  susceptibilités  se  soulevèrent  en  présence  des  aecnân* 
tkms  portées  devant  TAssemblée.  M.  le  préfet  du  Rfaénecrut  dé- 
voir donner  sa  démission.  Il  était  un  dee  trois  préfets  désignés. 
M.  Léon  Faucher  refusa  de  l'accepter,  il  rappela,  dans  une  circu- 
laire, qu'il  avait  arraché  les  trois  fonctionnaires  calomniée  k  nt 
repos  devenu  nécessaire  et  il  donna  un  témoignage  public  d'en* 
time  aux  trots  préfets  du  Rhône,  du  Cher  et  de  la  Hante-Garonne 
pour  lee  soutenir  contre  dee  outrages  immérités.  Le  7  avril, 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  CORST1TOANTE.     1*1 

M.  Julee  Fane  prit  texte  de  cette  publication  pour  accuser 
M.  Léon  Faucher  d'empiéter  sur  les  droite  de  l'Assemblée.  Mail 
celle-ci  ne  s'était  pas  prononcée  sur  la  question  des  trois  préfets 
et  M.  Léon  Faucher  pouvait-il  être  coupable  de  défendre  les 
agents  auxquels  il  avait  accordé  sa  confiance  et  qu'il  devait  coi** 
viir  de  sa  responsabilité?  L'Assemblée  passa  à  Tordre  du  jour. 

Le  rapport  sur  l'affaire  des  pensions  fut  déposé  le  3  mai.  La 
commission  concluait  que  les  pensions  accordées  depuis  le  4CT  jan- 
vier 1S48  l'avaient  été  sur  des  certificats  insuffisants  ou  entachés 
de  complaisance,  et  que  les  dispositions  de  ta  loi  avaient  été  vio- 
lées. En  conséquence,  elle  demandait  nne  révision  nouvelle  dans 
le  délai  de  trois  mois-  La  loi  spéciale  proposée  &  cet  effet  fût  votée 
le  5  mai.  Le  Goivernement  déclara,  par  l'organe  du  ministre  de 
l'Intérieur  que,  tout  en  trouvant  quelque  danger  dans  le  prin- 
cipe de  la  loi,  il  ne  croyait  pas  cependant  devoir  s'opposer  à  l'a* 
doptîon.  Ainsi  fut  close  celte  affaire  dont  on  avait  voulu  tirer  un 
tfandalf  particulier  à  l'administration  présidentielle. 

A  ce  débat;  tout  empreint  de  passion  politique,  en  succéda  un 
antre  portant  le  même  caractère.  Sur  la  proposition  de  MM.  de 
Ludre  et  Ledra-RoUin,  appuyée  par  MM.  Degousée  et  Crémieux, 
nne  majorité  dei  soixante  voix  rejeta  le  crédit  de  50,000  fr.  ac- 
cordé au  commandant  des  gardes  nationales  de  la  Seine,  oq  pour 
mieux  dire  au  général  Changarnier.  On  se  rappelle  cette  question 
d'illégalité,  ces  pouvoirs  extraordinaires,  incompatibles  en  effet 
avec  des  tempe  d'ordre  et  de  calme,  mais  trop  justifiés  par  les  cir- 
constances actuelles.  La  commission, argumentant  delà  diminu- 
tion qu'avaient  tubie  les  traitements  des  plus  hauts  fonctionnai- 
res, proposait  de  réduire  le  crédit  à  20,000  fr.  C'eût  été  là  un  yote 
financier  :  mais  on  voulait  un  vote  politique*  M.  Ledru-RoDin  se 
porta  garant  du  rétablissement  de  Tordre  el  de  l'inutilité  du 
double  pouvoir.  D'ailleurs  la  Constitution  était  violée  par  cette 
situation  exceptionnelle  que  M.  Ledru-Rollm  s'exagérait  jusqu'à 
y  voir  une  indépendance  complète  du  ministère  de  la  Guerre. 
M.  Faucher,  malgré  une  évidente  conspiration  de  tumulte,  ré- 
péta dans  les  termes  les  plus  modérés  que  le  pouvoir  de  M.  Chan- 
g&rnier  n'était  que  temporaire.  Mais  56i  voix  contre  304  suppri- 
merait le  crédit. 


184  HISTOIRE  DE  FRANCE.   (1849.) 

Le  Gouvernement,  pour  montrer  sa  bonne  foi,,  présenta,  le  9  avril, 
an  projet  de  loi  ayant  pour  but  de  régulariser  la  situation  du  général. 
Il  y  demandait  pour  trois  mois  seulement  la  suspension  des  dispo- 
sitions de  l'article  67  de  la  loi  du  22  mars  1851,  quj  interdit  la  réu- 
nion dans  les  mêmes  mains  de  ce  double  commandement.  On  crut 
voir  dans  ce  projet  un  moyen  indirect  de  revenir  sur  le  vote  de 
l'Assemblée.  11  n'en  était  rien.  Il  n'y  avait  là  qu'une  tentative  de 
conciliation.  L'Assemblée  se  refusa  à  le  comprendre.  Le  choix 
de  M.  Martin  (de  Strasbourg)  pour  président,  de  M.  Chauffeur  pour 
secrétaire,  de  M.  Grévy  pour  rapporteur  de  la  commission  nom- 
mée pour  examiner  le  projet,  prouva  assez  les  dispositions  de  la 
majorité.  Un  membre  ayant  proposé  le  rejet  du  projet,  et  la 
mise  en  demeure  du  ministre  d'exécuter,  la  loi  Q>ns  les  vingt- 
quatre  heures,  la  majorité  de  la  commission  accueillit  cette  pro- 
position. Une  souscription  s'ouvrit  immédiatement  dans  les  rangs 
de  la  garde  nationale  pour  suppléer  l'indemnité  rayée  par  la 
Chambre  :  mais  le  général  Changarnier  se  refusa  noblement  au 
bénéfice  de  ce  don  volontaire.  On  répéta  un  mot  significatif  du 
général  en  cette  occasion  :  a  Si  l'émeute  se  présente,  elle  sera 
encore  réprimée  gratis.  » 

Un  autre  chapitre  du  service  de  l'intérieur  donna  lieu  à  un  dé* 
bat  assez  vif.  11  s'agissait  d'un  crédit  réclamé  pour  l'inspection 
morale  et  politique  des  théâtres.  M.  le  ministre  de  l'Intérieur 
expliqua  que  ce  crédit  avait  été  inscrit  au  budget  par  M.  Dufaure, 
à  la  suite  des  plaintes  qui  avaient  été  formulées  contre  les  piè- 
ces scandaleuses  représentées  sur  quelques  théâtres.  Il  rappela 
qu'averti  par  les  inspecteurs,  il  avait  pu  mettre  un  terme  à  ces 
scandales,  soit  en  obtenant  la  suppression  de  certains  passages, 
soit  en  interdisant  la  représentation  quand  les  directeurs  refu- 
saient de  les  supprimer.  Quelques  Montagnards  se  récrièrent 
alors  parce  que  le  Gouvernement  n'interdisait  pas  les  pièces 
réactionnaires.  Mais  bientôt  la  discussion  s'agrandit.  M.  Jules 
Favre  prétendit  qu'on  rétablissait  la  censure,  et  plaida  la  cause 
de  la  liberté  illimitée,  qui  fut  aussi  soutenue  par  M.  Victor  Hugo. 
M.  le  ministre  de  l'Intérieur  répondit  que  le  système  suivi  par 
le  Gouvernement,  système  répressif,  ne  pouvait  être  confondu 
avec  la  censure,  qui  est  essentiellement  préventive.  Il  fut  appuyé 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  CONSTITUANTE.      185 

par  H.  Aylies,  qui,  en  se  prononçant  à  la  fois  contre  la  censure  et 
contre  la  liberté  illimitée,  pensa  que  la  véritable  solution  était 
entre  ces  deux  extrêmes.  Le  débat  se.  termina  parle  rejet  du 
crédit  qui  fut  repoussé  par  365  volants  contre  332. 

On  pouvait  prédire  que.  ce  vote  était  un  premier  pas  fait  vers 
le  rétablissement  de  la  censure  théâtrale.  C'est  la  conséquence 
nécessaire  de  toute  liberté  illimitée  (3  avril). 

Les  derniers  chapitres  formaient,  £n  quelque,  sorte»  le  budget 
de  la  bienfaisance  publique.  M.  Léon  Faucher  le  défendit  éner- 
giqnement  contre  les  réductions  proposées.  Ainsi,  le  crédit  ré- 
clamé pour  secours  à  des  personnes  dans  l'indigence,  fut  main- 
tenu au  chiffre  de  717,000  fr.,  malgré  la  commission  qui  voulait 
Je  réduire  à  510,000  fr.  C'était,  il  est  vrai,  une  augmentation  de 
307,000  fr.  sur, les  années]  précédentes;  mais  l'Assemblée  se 
rendit  aux  considérations  que  fit  valoir  M.  le  ministre  de  Tinté- 
rieur,  considérations  tirées  de  la  situation  générale  du  pays  et 
de  la  cessation  du  secours  que  distribuait  la  liste  civile.  Il  en  fut 
de  même  d'un  crédit  relatif  aux  secours  pour  les  réfugiés  étran- 
gers, qui  resta  fixé  à  1,600,000  fr.,  quoique  la  commission  eût 
proposé  une  diminution  de  200,000  fr.  Le  chapitre  des  secours 
aux  condamnés  politiques  semblait  trop  élevé  à  M,  Desmolles. 
Une  subvention  annuelle  de. 500,000  fr,  n'était-elle  pas  suscepti- 
ble d'engager  les  pauvres  à  commettre  un  délit  politique?  La  com- 
mission fit  remarquer  aussi,  au  sujet  des  secours  aux  combattants 
de  juillet  et  de  février,  dont  le  chiffre  s'était  accru,  de  22,-000  à 
150,000  fr.,  gue  la  lutte  de  février  n'avait  pas  été  assez  sérieuse 
pour  motiver  une  augmentation  aussi  considérable.  Malgré  ces 
justes  observations,  les  chiffres  des  deux  chapitres  furent  main- 
tenus. 

.  La  commission  proposait  encore  de  retrancher  une. somme  de 
40,000  fr.  sur  le  service  des  inspections  établies  près  des  mai- 
sons centrales  et  des  établissements  de  bienfaisance.  Lar  consé- 
quence de  cette  mesure  était  de  réduire  ces  deux  corps  à  un  seul 
inspecteur.  MM.  Jules  Favre  et  Dufaure  se  réuoirent  à  M*  Léon 
Faucher  pour  défendre  le  crédit  primitif  et  le  système. actuel  des 
inspections.  Sans  doute,  le  système  attaqué  n'avait  pas  produit, 
jusqu'à  présent,  les  résultats  que  Ton  devait  en  attendre.  C'était 


186  HETOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

une  raison  pour  le  réformer,  mu  pour  te  supprimer.  D  eonsti+ 
tuait  on  ressort  indispensable  à  faction  du  pouvoir  central  sur 
les  nombreux  établissements  confiée  à  sa  surveillance.  Un  pre- 
mier pas  avait  déjà  été  lait  dans  la  voie  des  améliorations  recon- 
nues nécessaires.  Dans  les  derniers  jours  de  son  ministère, 
M.  Dofaure  avait  rempli  l'engagement  qu'il  avait  pris  de  réorga- 
niser le  service  des  inspections.  Fallait-il  désespérer  de  l'insti- 
tution? L'assemblée  rejeta  la  réduction  proposée. 

Le  budget  de  l'Intérieur  fût  ensuite  voté  dans  son  ensemble  à 
la  majorité  de  644  vont  eontre.5  (4  avril).  . 

Quelles  économie*  importantes  pouvait  avoir  obtenues  la  corn* 
mission  sur  le  budget  de  V Instruction  publique,  qui  ne  s'éle» 
vait  qu'à  SO  milfcoaa?  Elle  arrivait  à  réduire  à  grand*  peine 
444,000  fr.,  mais  en  désorganisant  d  importants  services.  Ici,  au 
reste,  comme  dans  tous  les  autres  rapports,  la  commission  du 
budget  cédait  i  la  manie  encyclopédique  naturelle  aux  réunions 
dépourvues  d'une  expérience  suffisante.  A  chaque  instant,  elle 
soulevait  des  questions  de  gouvernement  et  d'administration  es- 
sentiellement étrangères  aux  finances  :  ces  questions,  elle  les  d6» 
cidait  de  son  autorité  privée,  sans  débat  contradictoire,  sans  en- 
tendre les  hommes  compétents,  détruisant  surtout  ce  qui  existait, 
mais  ne  rétablissant  rien.  C'était  là  une  voie  malheureuse.  Les 
réformes  politiques  et  administratives .  s'accomplissent  par  dea 
lois  spéciales.  Lee  Imposer  par  des  mesures  financières,  à  l'aide 
de  votes  souvent  mal  compris,  ce  n'est  pas  réformer,  c'est  dés- 
organiser. - 

Malgré  les  efforts  de  M*  de  Falleux,  auquel  M.  de  Vaulabdle 
vipt  loyalement  en  aide,  l'Assemblée  sanctionna  h  plupart  des 
réductions  proposées.  Il  y  en  avait  quelques-unes  d'essentielle- 
ment regrettables,  entre  autres  celle  qui  supprimait  l'emploi  de 
bibliothécaire  du  ministère  de  l'Instruction  publique.  M.  Chau- 
ehart  ne  put  faire  revenir  l'Assemblée  sur  eette  mesure.  Les 
inspecteurs  généraux  furent  plus  heureux.  Leur  traitement,  que 
la  commission  proposait  de  réduire  à  6,000  fr.,  fat  maintenu  i 
8,000  fr.  La  commission,  sans  attaquer  radicalement  l'institution 
même  du  concours  général,  obtint  que  le  crédit  fût  réduit  de 
10,000  fr.  à  10,000,  désirant  par  là  v»ir  borner  le  concoure  au* 


LES  ÉCONOMIES  DE  LÀ  CONSTITUANTE.     187 


chtfM»  supérieures*  Signalons  oacor»  ^suppression  ém  chaire* 
de  théologie.  Mais  tel,  lacomatisskm  se  trouvait  d'accord  «rot 
1*  clergé  lui-même.  Où  pouvait  se  Mlîdter  de  ?oir  enfin  les  étn* 
dee  théotogiqnes  repliée*  sous  l'autorité  exckisive'des  év équcs 
(5  avril). 

Restait  un  chapitre  importait,  celui  qui  concernait  les  insti- 
tuteurs primaires.  Longtemps  avant  la  révolution  de  Février, 
tons  les  partis  étaient  d'accord  pour  une  augmentation  de  traite- 
ment de  ces  utiles  fonctionnaires.  M.  Pascal  Duprat  propeeait  an- 
jourd'hui  irae  augmentation  de  1  million  «00,d00  fr.  ao  moyen 
de  laquelle  le  traitement  pourrait  être  porté  à  on  miniihum  de 
600  fr.  pour  les  instituteurs,  de  400  fr.  pour  les  institutrices. 
L'augmentation  fat  portée  par  la  Chambre  à  i  million,  ce  qui  éle- 
vait à  590  fr.  le  traitement  des  instituteurs  communaux.  D'antres 
augmentations  forent  accordées,  Tune  de  200,000  fr.  aiedée  à 
ta  réparation  des  écoles  communales;  l'antre  de  400,000  fr.  pour 
les  saHes  d'asile. 

Le  budget  des  Affairée  étrangères  fht  tété  presque  sans  discos* 
slon,  avec  les  réductions  proposées  par  la  commission  et  faible- 
ment Contestées  par  le  ministre.  Ainsi  une  des  branchés  du  ser- 
vice Intérieur,  la  direction  politique,  fut  mutilée  parla  suppression 
de  cinq  employés  sur  dix-sept.  On  pot  remarquer  quelques  ob* 
servations  de  M.  Bastide,  qui  crut  le  moment  favorable  pour  se 
défendre  d'avoir  jamais  reconnu,  pendant  son  administration,  les 
traitée  de  18*5  (9  avril). 

Les  crédits  des  Cultes  et  les  quatre  premiers  chapitres  (dette 
publique)  du  budget  des  Finances,  adoptés  sans  débats  aérien, 
r Assemblée  entendit  les  développements  d'un  amendement  pro- 
posé par  M.  Cbavoix  pour  ordonner  le  remboursement  aux  con- 
tribuable* de  l'impôt  des  45  centimes.  Cette  proposition ,  qui 
n'était  au  fond  qu'une  machine  de  parti,  amena  une  discussion 
rétrospective.  Ce  Ait,  comme  le  dh  M.  Ledru-RoMin,  h  jour  é&t 
confessions. 

Od  entendit  d'abord  des  discours  où  la  proposition  était,  en 
apparence  au  moins,  prise  au  sérieux.  Par  une  de  ces  contradic- 
tions monstrueuses,  dont  les  époques  révolutionnaires  peuvent 
soutes  ftmroir  f exemple,  on  vit  eeax-fà  même  quiAvaient  rendu 


188  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

l'impôt  nécessaire,  qui  l'avaient  fait  subiniu  pays,  l'attaquer  avee 
le  plus  de  violence,  se  récrier  contre  les  souffrances  qu'il  avait  fait 
peser  sur  les  populations,  et  réclamer  qu'on  le  restituât  à  tout 
prii.  M.  Flocon,-  ancien  membre  du  Gouvernement  provisoire, 
fut  un  des  acteurs  de  cette  comédie  de  popularité.  Il  est  vrai  que, 
pour  mettre  sa  responsabilité  à  couvert,  il  affirma  qu'il  avait  com- 
battu l'impôt  des  45  centimes  de  compagnie  avec  M.  Ledru-Rollin; 
mais  M.  Ledru-Rollin  lui-même  allait  donner  à  cette  insoutenable 
assertion  le  plus  sanglant  démenti. 

Le  moment  des  aveux  était  vena.  M.  Duclerc  monta  à  la  tri- 
bune :  on  allait  donc  savoir  la  part  véritable,  prise  par  chacun  des 
membres  du  Gouvernement  provisoire,  à  la  création  de  cet  impôt. 
Les  causes  de  cette  mesure,  extraordinaire,  M.  Duclerc  les  accusa 
très-nettement  :  c'étaient  les  circulaires  de  M.  Ledru-Rollin  ;  c'est 
au  ministre  de  l'Intérieur  du  24  février  qu'il  fallait  attribuer  sur- 
tout cette  origine  de  l'impopularité  de  la  République,  et  non  pas 
à  M.  Garnier-Pagès.qui,  lui,  avait  combattu  dans  le  conseil  pour 
que  cet  impôt  ne  fût  porté  qu'au  chiffre  de  45  centimes  pour 
franc,  tandis  que  d'autres  proposaient  1  fr.,  1  fr.  50  cent,  et 
même  2  fr.  C'est  la  politique  de  M.  Ledru-Rollin  qui,  en  inquié- 
tant la  France,  avait  rendu  cet  impôt  inévitable,  avait  tari  tout  i 
coup  et  si  complètement  les  ressources  du  Trésor,  que  des  propo- 
sitions de  banqueroute  avaient  été  faites  dans  le  sein  du  Gouver- 
nement provisoire. 

C'étaient  là  d'étranges  révélations,  des  accusations  bien  graves. 
Le  seul  mot  de  banqueroute  eut  le  pouvoir  de  soulever  des  récla- 
mations immédiates.  MM.  Ledru-Rollin  et  Flocon  insistèrent 
pour  que  M.  Duclerc  déclarât  que  la  proposition  de  banqueroute 
n'était  pas  partie  de  leur  initiative.  Il  est  vrai  que  M.  Ledru- 
Rollin  avoua  aussitôt  ce  que  M.  Duclerc  avait  eu  la  discrétion 
de  ne  pas  dire,  à  savoir  que  c'était  lui  qui  avait  proposé  1  fr. 
50  cent»;  il  est  vrai  aussi  que,  dans  sa  pensée,  cet  impôt  ne  devait 
frapper  que  sur  les  riches!  Qui  ne  reconnaissait  là  les  inspirations 
financières  du  15  mai?  On  pouvait  s'étonner  seulement  que 
M.  Ledru-Rollin,  qui  revendiquait  l'honneur  de  cette  idée  de 
confiscation,  repoussât  l'idée  de  banqueroute.  Ce  n'était  pas 
tout.  L'horreur  de  M.  Ledru-Rollin  pour  la  banqueroute  ne 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  CONSTITUANTE.      189 

ratait  pas  empêché  de  proposer  le  papier-monnaie.  Quinte  jours 
après  la  publication  du  décret  do  42  mars»  le  ministre  de  l'In- 
térieur, instruit  du  mauvais  effet  produit  par  cette  charge  extraor- 
dinaire, proposait  au  Gouvernement  provisoire  d'y  renoncer, 
mais  pour  y  substituer,  par  compensation,  rétablissement  d'un 
impôt  proportionnel  et  progressif,  et  la  création  d'un  papier* 
monnaie  hypothéqué  sur  les  domaines  nationaux,  c'est-à-dire 
la  résurrection  pure  et  simple 'des  assignats.  On  voit  de  combien 
peu  il  s'en  était  fallu  que  la  révolution  de  184?  ne  reproduisit 
les  plus  mauvais  jours  de  1 793. 

Après  M.  Ledru-Rollin,  M.  Crémieux  vint  aussi,  pour  son 
compte,  repousser  l'initiative  d'une  proposition  de  banqueroute* 
M.  Dupont  (de  l'Eure)  nia  que  cette  proposition  eût  jamais  été 
agitée  dans  le  Gouvernement  provisoire.  M.  Dupont  (de  l'Eure) 
avait-il  tout  su?  M.  Duclerc  persista  dans  son  affirmation. 

L'incident  vidé,  quoique  d'une  manière  incomplète,  l'Assem- 
blée reprit  la  proposition  de  M.  Chavoix,  sous-amendée  par 
M.  Flocon,  Cette  proposition  reposait  sur  les  combinaisons  les 
plus  extraordinaires;  les  sommes  de  100  francs  et  au-dessus  de- 
vaient être  remboursées  en  rentes  5  OjO,  et  toutes  les  autres 
en  titres  collectifs  de  rentes  S  0;0  ;  or,  pour  donner  une  idée 
du  résultat  pratique  de  ces  singulières  conceptions,  M.  Passy 
déclara  qu'il  n'y  avait  pas.  moins  de  5  millions  de  contribuables 
auxquels  les  45  centimes  n'avaient  pris,  en  moyenne,  que  2  fr. 
50  céftt.,  de  telle  sorte  qu'il  aurait  fallu  créer  5  millions  de  cou- 
pons de  rente  de  20.  centimes.  Il  est  vrai  que  M.  Flocon,  ren- 
chérissant sur  H.  Chavqix,  proposait,  au  lieu  de  rembourser  en 
rentes,  d'effectuer  le  remboursement  en  six  ans  au  moyen  d'an- 
nuités applicables  au  dégrèvement  de  l'impôt  annuel  ordinaire; 
mais  le  budget  ne  présentant  pas  d'excédant  de  recettes,  il  en  se- 
rait résulté  qu'on  aurait  accordé  par  exemple  au  contribuable  taxé 
i  190  francs  d'impôt,  un  dégrèvement  de  7  à  8  francs  à  titre  de 
remboursement  des  45  centimes,  mais  qu'où  lui  aurait  demandé 
7  à  8  francs  de  plus^pour  les  besoins  de  l'exercice  courant. 

Voilà  pourtant  à  quelles  conséquences  pratiques  conduit  la  pas* 
«on  politique  et  l'inexpérience  des  affaires.  La  Chambre  refusa 


194  HISTOffiE  DE  FRANCE.  (1849.) 

de  s'associer  à  ces  mesurai  et  «lie  repoussa  l'amendement  Chs> 
voix-Flocon,  par  ht  question  préalable,  à  la  majorité  de  44  4  voix 
contre  419,  «a  scrutin  secret  <I2  avril). 

Le  débat  fut  ensuite  porté  sur  le  chapitre  inscrit  au  budget  du 
ministère  des  Finances  sous  le  titre  de  pensions  de  la  pairie,  de 
«saies  de  pairs  et  d'ancien*  sénateurs.  Le  rapport  de  la  nom- 
mjssion,  tout  en  oondusnt  en> faveur  du  crédit  de  440,000  fr. 
demandé  pour  cet  objet,  insistait'  surtout  sur  A 'opinion  de  la  mi* 
uorité  qui  réclamait  la  suppression  des  pensions  [données  aux 
pairs.  Cette  opinion  se  produisit  sous  la  forme  d'un  amendement 
que  M.  GiaU-Biïoin  se  chargea  de  développer»  Il  s'agissait,  an 
fond,  de  savoir  ai  ces  pensions  avaient  été  régulièrement  «oocé* 
dées  ;  or,  oe  qui  était  incontestable,  c'est  que  la  loi  du  £8  mai 
18*9  les  avait  consacrées  et  rangées  au  nombre  des  dettes  de 
l'État;  vouloir  les  rayer  aujourd'hui,  après  une  jouissance  de 
vingt  années,  c'était  inquiéter  tous  les  créanciers  de  l'État,  c'é- 
tait ébranler  la  foi  dans  la  fidélité  de  l'État  à  remplir  ses  engage* 
usants.  Mais  bientôt  l'amendement  proposé  par  MM.  Glaàs-Bisoin* 
Aubry  et  Durand-Savoyat,  pour  annuler  las  pensions  de  l'as** 
sienne  pairie)  disparut  devant  un  amendement  plus  laigs  de 
M.  Lherbette,  qui  proposait  le  rejet  de  (eut  le  chapitre.  11  s'agis- 
sait d'annuler  d'un  coup  d'anciens  services,  de  dépouiller  des 
veuves  et  des  orphelins.  Aussi  M.  Lherbette  fut-il  couvert  d'ap- 
plaadtssements  partis  de  quelques  bancs  de  la  Chambre* 

Aux  arguments  passionnés  de  M.  Lherbette,  qui  réveillait  d'au* 
cieunes  discordes,  M.  le  ministre  des  Finances  répondit  en  rame» 
nant  la  discussion  sur  le  terrain  des  principes.  Quel  que  flrt  le 
titre  auquel  ces  pensions  eussent  été  obtenues,  quelque  intar» 
prétatien  que  les  dissensions  politiques  voulussent  donner  à  la 
•loi  qui  les  avait  créées,  ces  pensions  existaient  en  vertu  d'une  loi) 
celle  du  28  mai  1829,  et  cette  loi  avait  constitué  une  obligation 
sucrée»  M.  Goudchaux  vint  aider  honorablement  il.  flassj  dans  sa 
lutte  pour  l'honneur  de  la  France.  Le  principe  de  la  idéUté  de 
l'État  à  ses  engagements  prévalut  malgré  M.  Lherbette,  malgré 
M.  Gkis-Biuoin,  malgré  la  Montagne  et  ses  clameurs*  Toutefois, 
ce  ne  fut  pas  sans  peine  :  à  un  premier  scrutin  de  division,  IV 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  CONSTITUANTE.      101 


meodement  de  M.  Lherbette  ne  fut  rejeté  qu'à  une  majorité  de 
13  voix,  336  contre  323;  à  un  second  scrutin  le  chapitre  ce  fut 
adopté  qu'à  la  majorité  de  543  voix  contre  512. 

L'opposition  prit  ta  revanche  en  faisant  adopter  une  rédac- 
tion de  153,000  fr.  sur  un  crédit  de  400,000  fr,  qui  figurait 
depuis  i  834  au  budget  pour  secours  aux  (pensionnaires  de  l'an- 
cienne liste  civile  de  S.  M.  Charles  X.  il.  Passy  aurait  veula  une 
réduction  moins  forte,  afin  de  ménager  la  transition.  Mais  m 
partie  de  l'Assemblée  réservait  sa  pitié  pour  des  infortunes  d'une 
autre  espèce  (  1 5  avril). 

Ce  n'était  pas  tout*  Le  16  ami,  l'esprit  de  désorganisation 
remporta  encore  un  regrettable  triomphe.  L' Assemblée  Tota  une 
réduction  d'un  million  sur  le  service  de  la  trésorerie  ;  cette  diminu- 
tion, qai  portait  pour  environ  750,000  fr.  sur  tes  receveurs  géné- 
raux et  pour  250,000  fr.  sur  les  receveurs  particuliers,  allait  jeter 
la  plue  grande  perturbation  dans  le  service  et  peaMtre  même  le 
rendre  impossible.  La  commission  du  budget,  à  laquelle  revenait 
l'initiative  de  cette  proposition,  avait  soutenu  que  les  receveurs 
généraux  frisaient  des  bénéfices  exagérés,  et  qu'il  n'y  avait  pas  de 
maison  de  commerce  qui  ne  se  chargeât  du  service  moyennant  des 
avantages  moindres  que  ceux  .qui  leur  étaient  accordés;  le  rap- 
port s'était  borné  à  émettre  cette  assertion  sans  prendre  la  $eine 
de  la  démontrer  ;  M.  Gouttai,  et  surtout  II.  Goudchaux,  essayè- 
rent cette  démonstration  ;  mais  II.  Passy  releva  les  erreurs  de 
toute  aorte  qu'ils  avaient  commises,  erreurs  de  fait  et  erreurs  de 
raisonnement,  et  les  considérations  qu'il  développa  avec  autant 
de  clarté  que  de  force  de  logique,  auraient  sauvé  la  question,  s'il 
avait  eu  affaire  à  des  esprits  moins  prévenus.  On  connaît  les  fonc» 
tions  attribuées  aux  receveurs  généraux  dans  notre  organisation 
financière;  Usent  un  double  caractère,  et  ils  remplissent  un  dou- 
ble WHe,  celui  d'administrateurs  financiers  et  celui  de  banquiers 
du  Trésor  ;  comme  administrateurs,  ils  centralisent  les  recettes 
effectuées  dans  leur  circonscription,  et  ils  sont  responsables  de 
la  geetion  de  tous  les  comptables  placés  sous  leurs  ordres  ;  comme 
banquiers  du  Trésor,  ils  alimentent  la  caisse  des  payeurs  placés 
près  d'eux,  assurent  les  services  dans  leur  sphère,  transmettent  les 
excédante,  lorsqu'il  y  en  a»  à  la  caisse  centrale  du  Trésor,  et,  au 


192  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

contraire,  lorsqu'il  y  a  insuffisance,  tirent  sur  elle  on  se  font 
faire  ded  envois  directs;  pour  garantie  dn  maniement  des  fonds 
qui  leur  passent  par  les  mains,  il  fournissent,  à  l'intérêt  de 
3  p.  OfO,  des  cautionnements  qui  s'élèvent  à  27  millions,  et  ils 
y  ajoutent  des  avances  de  fonds  et  des  encaisses  qui,  malgré  la 
gravité  des  circonstances,  montaient,  le  ~31  décembre  1848,  à 
59  millions,  ce  qui  représentait  un  double  cautionnement  de 
66  millions.  Les  émoluments  accordés  aux  receveurs  généraux 
étaient-ils  de  nature  à  motiver  les  réductions  proposées  par  la 
commission  du  budget?  On  va  en  juger.  Ces  émoluments  sont  de 
deux  espèces,  en  raison  des  doubles  fonctions  qu'ils  remplissent. 
A  titre  d'administrateurs  financiers,  centralisant  les  recettes,  cha- 
cun dans  son  département,  il  leur  est  alloué  un  traitement  fixe 
(6,000  fr.  à  chacun)  et  en  bonifications,  taxations  ou  remises  sur 
le  montant  des  sommes  perçues,  une  somme  totale  qui  monte  à  en- 
viron 2,250,000  fr.;  mais  il  faut  en  déduire,  pour  les  frais  de  bu- 
reau etpourle  complément  d'intérêt  du  cautionnement,  une  somme 
estimée  à  l,830,000fr.,  ce  qui  laisse  un  bénéfice  de  420,000  fr. 
seulement.  Il  fout  y  ajouter  les  bénéfices  qu'ils  font  comme  ban- 
quiers du  Trésor;  mais  ici,  il  importe  de  rectifier  une  erreur  dans 
laquelle  était  tombé  le  rapporteur  :  on  s'imaginait  tyue  les  com- 
missions allouées  aux  receveurs  généraux,  pour  leur  concours  au 
service  de  trésorerie,  dont  ils  sont  exclusivement  chargés,  cons- 
tituaient des  bénéfices  nets  et  entraient  tout  entières  dans  leur 
caisse;  il  n'en  était  rien  ;  ces  commissions  allouées  sur  tous  ver- 
sements en  effets  de  commerce,  ou  sur  ceux  qu'ils  font  effectuer 
en  numéraire  à  la  caisse  centrale,  ne  sont  que  la  représentation 
des  frais  de  transmission  ou  de  déplacement  des  fonds,  que  le 
Trésor  aurait  toujours  à  supporter,  quel  que  fût  le  moyen  dont  il 
se  servit.  Le  montant  de  ces  commissions,  pour  service  de  banque 
et  opérations  diverses,  s'élève  à  environ  2,500,000  fr.,  qui  peu- 
vent laisser  1  ,200,000  fr.  de  bénéfice  net  aux  receveurs  généraux. 
C'est  donc,  en  totalité,  1,620,000  fr.  qu'ils  touchent  pour  leurs 
doubles  fonctions  d'administrateurs  et  de  banquiers  du  Trésor, 
soit  1 8/600  fr.  en  moyenne.  Ainsi  le  produit  moyen  d'une  recette 
générale,  dans  les  conditions  actuelles,  n'est  que  de  18,000  fr. 
Or  pouvait-on  trouver  ce  produit  exorbitant,  surtout  si  l'on  re- 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  CONSTITUANTE.    193 

marquait  que  tout  receveur  général  a  des  sommes  considérables, 
7  ou  800,000  fr.  en  moyenne,  engagées  au  trésor,  qu'il  est  res- 
ponsable de  la  gestion  des  comptables  sous  ses  ordres  ;  qu'il  sup- 
porte des  pertes  d'intérêt  résultant  de  l'obligation  de  solder  les 
contributions  en  un  d'exercice,  et  qu'il  est,  en  outre,  obligé  i 
des  services  gratuits  pour  les  caisses  d'épargne,  les  hospices,  les 
masses  des  condamnés,  etc.  Ajoutons  que  les  receveurs  généraux 
ne  retirent  des  sommes  engagées  par  eux,  soit  i  titre  de  caution- 
nement, soit  à  titre  d'avances  permanentes  ou  accidentelles, 
sommes  qui  s'élevaient  i  66  millions  le  10  décembre  précédent 
qu'un  intérêt  de  7,77  p.  OjO,  moyennant  quoi  ils  endossent  la 
responsabilité  des  débets  des  agents  comptables  sous  leurs  ordres, 
et  ils  font  en  outre  gratuitement  tous  les  services  énumérés  plus 
haut. 

A  cette  assertion  de  la  commission,  qu'il  n'est  pas  de  maison 
de  commerce  qui  ne  se  chargeât  du  service  à  des  conditions  plus 
économiques,  M.  Passy  opposa  un  chiffre  péremptoire;  il  mit  les 
2,500,00.0  fr.,  alloués  aux  receveurs  généraux  pour  commissions 
de  banque,  en  regard  des  opérations  en  dépenses  qui  s'élèvent 
à  1,400  millions  :  c'est-à-dire  que  les  receveurs  généraux  faisaient 
le  service  de  banque  au  prix  d'environ  19  cent,  pour  100  fr.  ;  or 
où  trouverait-on  une  maison,  an  établissement  de  banque  qui  pût 
opérer  à  de  pareilles  conditions?  M.  Passy  prouva  qu'en  Angle- 
terre, où  Ton  emploie  l'entremise  des  banques,  le  service  coûte 
trois  fois  plu* cher.  On  pouvait  apprécier,  d'après  cela,  les  con- 
séquences de  la  réduction. de  750,000  francs  :  le  produit  moyen 
d'une  recette  générale  descendrait  de  18,000  fr.  à  10,000;  l'in- 
térêt des  sommes  engagées  tomberait  de  7  fr.  77  c.  à  6  fr.  50  c. 
environ  ;  or,  croyait-on  qu'on  pût  trouver  facilement,  et  surtout 
dans  les  circonstances  présentes,  des  receveurs  généraux  à  de  pa- 
reilles conditions!  Un  seul  fait,  mais  un  fait  significatif,  répondrait 
à  cette  question  ;  on  sait  que  la  recette  générale  du  département 
do  Nord  est  la  plus  forte  recette,  et  c'est  probablement  une  de 
celles  que  la  commission  du  budget  avait  le  plus  en  vue  en  pré- 
sentant sa  proposition  ;  eh  bien  1  il  n'était  pas  encore  arrivé  au 
ministère  des  finances  une  seule  demande,  et  plusieurs  receveurs 
généraux,  qui  occupaient  des  receltes  moins  considérables,  avaient 

15 


tôt  Hmom  DE  FRANCE,  (lftfô.) 

écrit  pour  réclamer  «entre  l'avancement  qu'on  pourrait  être  tenté 
de  leur  donner  ;  tfeit  que,  pour  la  recette  générale  du  Nord,  3 
faut  une  misa  dehors  d'aumoin*  i«7OO,O0O  fr,  or,  si  l'on  ne  trou- 
vaii  déjà  que  bien  peu  de  capitaliste*  qui  voulussent;  engager 
de  pareilles  sommes  aux  conditions  accordées  actuellement, 
que  serait-ce  sous  l'empire  de  nouvelle*  conditions  t  M.  Passy, 
qui  soutint  tout  ce  débat  avec  un  talent  reniarquabie,  déclara  que 
le  vote  de  l'Assemblée  aurait  probablement  pour  résultat  d'eatrai» 
ner  beaucoup  de  démissions  parmi  les. titulaires  actuels;  c'était 
là  un  avertissement  grave  et  qui  eût  dû  taire  impression  sur  l'As- 
semblée; on  lui  signitiaitque  le  service  allait  se  trouver  en  péril; 
mais  il  y  avait  un  parti  pris  ;  le  vote  fut  rendu  sous  l'influence  de 
ces  passions  qui  s'attaquent  à  toutes  les  positions  élevées,  et  qui, 
pour  se  satisfaire,  qe  regardent  pas  à  désorganiser  les  services 
publics  (16  avril). 

La  commission  proposait  encore  de  faire  subir  an  chapitre 
concernant  les  percepteurs  une  réduction  de  500,000  fr.  M.  Pasqr 
consentit  200,000  fr,,  et  réussit  à  ramener  la  Chambre  à  ces 
termes* 

La  commission  avait  mis  deux  motifs  en  avant  :  le  premier, 
c'est  que  Ton  devait  diminuer  le  nombre  des  percepteurs,  qui 
avait  été  augmenté  outre  mesure,  ce  qui  permettrait  de  faire  des 
économies  d'autant  plus  considérables  que  les  remises  qui  leur 
sont  accordées  décroissent  d'une  manière  progressive  en  raison 
de  l'importance  des  sommes  à  percevoir;  le  second  motif,  c'est 
qu'il  y  avait  lieu  d'appliquer  uniformément  le  tarif  adopté 
en  iSÂO  pour  les  attributions  de  remises,  tarif  auquel  dix-huit 
cents  perceptions  n'avaient  pas  encore  été  assujéties.  Quantau  pre- 
mier motif,  M.  Passy  ne  fit  pas  de  difficulté  de  reconnaître  qu'on 
pouvait  diminuer  le  nombre  des  percepteurs,  non  pas  cependant 
dans  une  proportion  aussi  forte  que  l'avait  prétendu  le  rappor- 
teur. Ainsi  cette  diminution  ne  pourrait  pas  être  opérée. dans  les 
campagnes  sans  entraîner  des  pertes  de  temps  et  d'argent  pour 
les  contribuables  ;  elle  ne  devrait  porter  que  sur  les  perceptions 
établies  dans  les  villes.  Dans  les  villes  même,  il  fallait  tenir  com- 
pte des  conditions  nécessaires  à  un  bon  service.  A  Paris,  par 
exemple,  où  U  existait  actuellement  vieglr-neuf  percepteurs,  on 


LES  ÉC0MGHIES  SE  LA  COÎWTITDAKTE.     iflS 

ne  pourrait  eertaiMmeat  pas  en  supprimer  qutterie,  comme  la 
prétendait  le  rapporteur.  La  stfppmsmi  »e  démît  pas  aller  au 
thftàde  meuf  peur  que  le  service  n'en  souffrit  pas;  «aïe  ce  que  fit 
sortent  valoir  M.  Passy,  cfest  que,  ai  Ton  m  foula*  pu  porter 
une  atteinte  faucete  à  des  droite  aequis,  briper  violemment  dea 
eaftatences,  ai  m  devait  procéder  à  la  suppression  des  emploie 
qu'an  far  et  à  mesure  des  vacances  qui  surviendraient  par  suite  de 
retraitée  ou  4e  décès.  Quant  à  l'application  uniforme  du  tarif, 
sur  laquelle  on  comptait  pour  obtenir  ef  autres  économies,  il  ré* 
suite  Au  débat  que  la  commission  avait  commis  une  erreur 
singulière;  il  était  vrai  que,  i\  l'on  rétablissait  l'uniformité  du 
tarif,  le  trésor  aurait  de  moins  fortes  remises  à  supporter  vis- 
à-vis  de  quelques-uns  des  percepteurs  non  encore  soumis 
au  tarif  de  4840  ;  mais  ce  que  la  commission  n'avait  pas  re- 
marqué, c'est  que,  par  contre,  il  en  aurait  de  plus  fortes  à 
supporter  vis-à-vis  de  quelques  autres  ;  de  telle  sorte  que  la  ré- 
duction obtenue  par  l'application  uniforme  du  tarif,  n'eût  été  que 
de  5,000 fr.  Si  M.  te  ministre  des  finances  réalisait  des  économies, 
ce  serait  en  procédant  d'une  manière  tonte  différente,  c'est-à-dire, 
eu  maintenant  l'état  de  choses  actuel  à  regard  de  ceux  qui 
payaient  des  remises  supérieures  aa  tarif  de  4840,  et  en  soumet- 
tant à  ee  tarif  ceux  qui  payaient  des  remises  inférieures.  C'est  au 
moyen  de  ces  deux  combinaisons  :  diminution  du  nombre  des 
percepteurs  dans  plusieurs  villes  à  mesure  des  vacances  :  appli- 
cation du  tarif  de  43*0  à  ceux  soumis  actuellement  à  un  tarif 
moindre,  que  M.  Passy  réaliserait  l'économie  de  200,000  fr.  à 
laquelle  il  consentait,  et  qui  fut  votée  par  l'Assemblée  (17  avril). 
Tintent  ensuite  les  chapitres  concernant  les  dépenses  des  fo- 
rêts, dés  douanes,  des  contributions  indirectes,  en  réservant  tou- 
tefois l'impôt  des  boissons,  des  poudres,  des  tabacs,  et  du  serviee 
administratif  dos  postes.  Sur  ce  dernier  chapitre  seulement,  il  fut 
îatrodutt  une  modification  aux  propositions  du  Gouvernement  : 
sur  la  demande  de  M.  Gloxin,  le  crédit  ouvert  ponr  les  dépenses 
du  personnel  administratif  des  postes  fut  augmenté  d'une  soumm 
de  «50,000  fr.  destinée  à  améliorer  la  position  des  (acteurs  ru»> 
raux.  La  discussion  s'engagea  ensuite  sur  les  dépenses  du  maté*- 
rieldes  pestes»  M.  le  ministre  des  financée  déclara  >«e«Ioftr  reooiv- 


196  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

cer  à  l'exploitation  directe  de  la  correspondance  du  Levant,  et 
mettre  prochainement  ce  service  en  adjudication  (18  avril). 

La  commission  proposait  la  suppression  de  quatre  lignes  de 
malles-postes.  L'Assemblée  maintint  le  service  de  Lyon  à  Mu- 
lhouse; mais  elle  rejeta  les  crédits  demandés  pour  les  lignes  de 
Lyon  à  Marseille,  de  Lyon  à  Bordeaux  et  de  Bordeaux  à  Nantes 
(19  avril). 

On  en  était  là  de  la  discussion  des  crédits  de  finances,  lorsque 
M.  Goudchaux,  signalé  depuis  quelques  jours  dans  des  journaux 
de  province  comme  l'auteur  de  la  proposition  de  banqueroute, 
prit  ce  prétexte  pour  ramener  les  débats  sur  cette  question.  Déjà 
M.  Achille  Fould,  accusé  également  du  même  fait  par  des  jour- 
naux d'opinion  contraire,  s'était  contenté  de  démentir,  par  la 
voix  de  la  presse,  une  aussi  invraisemblable  calomnie.  M.  Goud- 
chaux ne  se  contenta  pas  de  cette  réparation.  11  en  appela  aux 
scandales  de  la  tribune.  11  se  plaignit  amèrement  de  la  calom- 
nie; il  se  glorifia  longuement  d'avoir,  au  mois  de  mars  1848, 
avancé  le  paiement  du  semestre  du  5  p.  0/o«  Ceci  répondait  à 
quelques  observations  présentées,  le  17  mars,  par  M;  Achille 
Fould  :  celui-ci  avait  dit  que  le  premier  ministre  des  finances  de 
la  République  n'avait  pas  compris  tout  de  suite  la  gravité  de  la 
situation  ;  M.  Fould  trouva,  cette  fois  encore,  une  confirmation 
de  son  opinion  dans  les  paroles  même  attribuées  par  M.  Goud- 
chaux à  un  membre  4u  Gouvernement  provisoire,  à  savoir  que 
l'anticipation  du  paiement  du  semestre  de  la  rente  5  p.  0/0,  en 
mars  1848,  pouvait  être  comparée  à  un  bal  que  donnerait  un  né- 
gociant la  veille  du  jour  où  il  déposerait  son  bilan. 

Que  M.  Goudchaux  eût  proposé  la  banqueroute,  personne,  au 
fond,  ne  pouvait  le  croire;  mais  qu'il  eût  accepté  le  ministère 
des  finances  avec  une  sorte  de  terreur,  qu'il  eût  été  saisi  de  ver- 
tige à  la  vue  des  difficultés  énormes  de  sa  tâche,  qu'il  se  fût 
laissé  entraîner  à  des  mesures  qu'en  tout  autre  moment  sa 
loyauté  devait  sévèrement  juger,  c'est  ce  qui  était  connu  de  tout  le 
monde.  Après  avoir  proposé  la  consolidation  des  bons  du  Trésor 
et  des  livrets  des  caisses  d'épargne  au  cours  de  48  et  de  75  fr. 
ne  l'avait- il  pas  acceptée  aux  cours  de  55  et  de  80!  N'était-ce 
pas  là  une  banqueroute  partielle,  et  l'Assemblée  n'en  avait-elle 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA.  CONSTITUANTE.     19T 

pas  jugé  ainsi  en  revenant  sur  ces  conditions,  qu'elle  n'avait  vo- 
tées que  sur  l'avis  de  M.  Goudchaux?  Sans  doute  M.  Goqdchaux, 
avec  une  honorable  sincérité,  avait  reconnu  à  la  tribune  que  le 
jour  où  il  avait  proposé  le  chiffre  de  48  fr.  pour  la  conversion 
des  bons  du  Trésor,  avait  été  un  jour  néfaste  dans  sa  vie  finan- 
cière, reconnaissant  ainsi  implicitement  le  caractère  spoliateur 
de  la  mesure.  Aussi,  pouvait-on  s'étonner  aujourd'hui  de  voir 
11.  Goudchaux  retourner  contre  ceui  qui  avaient  réparé  ses  fau- 
tes, les  indignes  attaques  qui  l'assaillaient  lui-même.  On  ne  pou- 
vait, en  effet,  se  tromper  au  sens  caché  du  discours  de  M.  Goud- 
chaox  :  altaquer  H.  Foold  à  propos  d'un  discours  de  deux  mois, 
c'était  le  désigner  suffisamment  comme  le  promoteur  de  la  ban- 
queroute. Au  reste,  M.  Ledru-Roilin,  dont  l'indignation  à  propos 
d'une  mesure  qui  ne  dépassait  pas  en  conséquence  les  1  fr.  50  c. 
et  le  papier-monnaie,  fut  au  moins  aussi  éloquente  que  celle  de 
M.  Goudchaux,  M.  Ledru-RoMin  démasqua  le  sens  caché  du  dis- 
cours précédent  en  demandant  à ,  M.  Fould  si  ce  n'était  pas  lui 
qui  avait  proposé  la  suspension  du  paiement  du  semestre. 
M.  Achille  Fould  répondit  par  une  dénégation  formelle;  mais 
M.  Goudchaud,  quittant  tout  à  coup  ses  allures  de  discrétion  et 
de  réserve,  désigna  hautement  M.  Fould  comme  l'auteur  de  1? 
proposition.  C'était  un  coup  de  théâtre,  auquel  M.  Ledru-Rolli 
eut  l'imprudence  de  donner  sa  valeur  véritable  par  ce  mot  pi- 
quant, mais  maladroit  au  reste,  qui  fut  entendu  de  l'Assemblée 
tout  entière  :  «  M.  Scribe  n'eût  pas  trouvé  mieux  I  » 

Il  est  inutile  de  dire  qu'aux  affirmations  réitérées  de  M.  Goud- 
chaux, M.  Fould  opposa  les  dénégations  les  plus  formelles.  M.  Mar- 
rast  vint' à  son  tonr  certifier  qu'il  se  souvenait  parfaitement 
qu'au  mois  de  mars  1848,  le  ministre  des  finances  du  gouverne* 
ment  provisoire  l'avait  entretenu  d'un  projet  de  banqueroute 
suscité  par  M.  A.  Fould.  Or  le  plan  de  M.  Fould,  mal  compris, 
sans  doute,  par  H.  Goudchaux  dans  ce  trouble  immense  qui  avait 
paralysé  l'esprit  du  ministre  des  finances  de  mars  4848,  avait  été 
celui-ci  :  garder  les  fonds  en  caisse  pour  assurer  le  service,  con- 
vertir en  rentes,  par  un  arrangement  équitable  et  facultatif,  les 
dépote  des  caisses  d'épargne  et  les  bons  du  trésor;  faire  appel  au 


1M  HIOTOHtE  DE  FRANCE.  (!«*.) 

patriotisme  de*  estojen*  pour  les  engager  *  enticiper  te  paiemes* 
do  cofttribatiane  *  au  be*om,  emprunter  à  la  Banque, 

M.  Crémieoi  apport»,  lui  aussi,  son  témoignage  centre  M.  Achille 
FenU;  il  était  parmi*  peut-être  de  récuser  le  mémoire  de  l'ho* 
nereble  ministre  du  gouvernement  promaire,  défais  la  célèbre 
affaire  av ec  MM.  Landrm  et  Porlalis,  qui  entraîna  s*  sertie  de 
Cabinet  (Veyei  YJrmmire  précédent,  p.  196). 

L'henoraM*  M.  Betbmec*  apportait,  de  son  oété,  à  M.  A.  Poald, 
un  témoignage  tout  différent*  c  feu  aviea  confiance  dans  le*  res- 
source* du  pays,  vous  censidériea  comme  sacrés  toue  lea  enga- 
gements de  l'État*  »  Telle  fut  la  déposition  de  M.  Mettront,  qui, 
an  reste,  affirmait  que  M.  Goodcbuut  ne  lai  avait  jamais  parié 
d'ane  conversation  entre  lui  et  M.  FOuld.  e  11  ne  n'appartient 
pas*  ajoutait  M»  Betbmout,  d'expliquer  U$  rmmmo*  de  m»  mé~ 
mofrr  »  (2!  avril). 

la  budget  dee  finances,  l'AesemMée  fit  euceéder  son  buég* 
particulier,  fixé  par  la  commission  à  la  somme  de  8  militons 
3»*,064  fr.  Le  dernier  budget  de  l'ancienne  Chambre  des  Déps> 
tée  n'avait  été  que  de  174,699  fiv 

ici  se  pinçait  la  discussion  don  des  services  le»  plus  importante: 
do  budget  de  la  murène» 

On  se  l'appelle  qu'une  première  réduction  de  tt  millions  sur 
le  budget de  la  marine,  réduction  exigée  par  M.  Gendcbeu,  alésa 
ministre  des  finances,  avait  été  consentie  par  M,  Veroiaac-  Lésera 
dits  inscrite  au  budget  rectifié  de  18é8  étaient  de  4tf4,86M4Sfr« 
Le  Goavernemeet  demandait  penr  la  marine!  en  4849,  la  somme 
de  4£9,8figf0*6  fr.  Ainsi  l'adroiftistralion  elle-même  proposait 
ane  diminution  de  9&,e&7,429  fr.  De  ce  projet  de  budget,  qni 
perlait  ainsi  la  trace  de  pénible*  sacrifices,  la  aeeeveommiseiAn 
avait  eberebé  à  retrancher  encore  40  million*.  CTeeVà-dire  qu'un 
bddget  qui,  en  4848,  s'élevait  à  1*1  milHens,  serait  réduit  bru*- 
fjuement,  en  4  §49,  i  89  millions»  On  avait  voulu,  disait-on,  léduim 
le  budget  dé  In  marine  au  nombre  d'officier»  déterminé  par  lebud- 
gst  de  4840.  (Tétait  une  gnnde  faite  de  beltotter  amai  centiaaei» 
sèment  on  corpequi  a  besoin  sntte^deeUbàlité.  Mois  peisqnU  était 
indispensable  desaceanmettie^eecere  fasB*tMems*éneoelce 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  COHSflTtJÀNTE.    Ift 

léifoences  par  le  plos  d'équité  et  le  plus  de  discernement  possiMé. 
Dopais  1  MO,  le  personnel  de  la  marine  mit  été  accru  suivant  des 
proportions  différentes.  Le  corps  des  officiers  de  vaisseau  avait 
été  augmenté  d'an  quart;  le  génie  maritime,  des deui  tien;  le 
commissariat  de  ta  narine,  d'un  tiers;  les  officiers  de  santé,  d'an 
tiers.  Or,  la  bOQs-commisskto  n'avait  tenn  aucun  compte  de  ces 
ckifres  dans  son  travail.  Les  officiers  de  vaisseau  supportaient 
presque  sente  la  diminution  qu'il  avait  fallu  opérer  ponr  rentrer 
dans  tes  limites  dn  budget  de  1040.  Le  génie  maritime  restait 
intact,  alors  que  les  travaux  des  constructions  navales  étaient 
cowédfraMemennregtreffits.  On  privait  le  Havre,  Mantes  et  Bor* 
desra  de  lears  commissaires- généraux,  et  Ton  obtenait,  par  ce 
nerifce,  une  économie  de  5,000  fr«  On  enlevait  1,900  hommes 
i  l'artillerie  de  marine»  et  il  en  résultait  qtfit  ne  resterait  plus, 
daas  ce  corps,  qu'un  artilleur  par  canon.  On  diminuait  de  9,000 
ssUats  et  officiers  te  corps  dé  Flnffcftterie  de  marine.  Mais,  comme 
ils  étaient  à  peine  assez  nombreux  ponr  faire  le  service ,  te  dé* 
patentent  de  la  guerre  devrait  fournir  des  sokfate  de  Fafmée  de 
Ugae  ponr  la  garde  des  porta.  Ce  qu'on  retranchait  k  nn  dépars 
temeat  serait  reporté  sur  Tautre.  Four  arriver  k  réaliser  des 
économies  plus  spécieuses  que  réelles,  on  jetterait  le  déeoura* 
paient  dans  les  nags  de  Y*méê  de  mer.  On  priverait  la  flotte 
àm  services  de  190  officiers  et  de  93  officiers  supérieurs.  On 
Miserait  k  terre  petfdant  plusieurs  années,  sans  possibilité  d'à* 
tassaient,  avec  une  solde  insuffisante  pevr  vivre  faœorabtement, 
ces  lieutenants  de  vtissèeti  qui  sdnt  ta  toree  vtte  et  r espérance 
delà  marine, 

Lee  réductions  considérables  proposée»  par  la  eammissiofl 
fiwtaknt  sur  tes  dea*  grande*  divisions  du  département,  le  pef» 
sonnet  et  le  matériel. 

Quant  au  matériel,  en  ifa  pas  oobfté  l'acclamation  spontanée 
dv  patys,  de  la  prtlse  et  de  ta  chambre,  votant  à  Fnnanintité* 
après  dem  éloquente  discours  de  MM.  Thier*  et  de  Lamartine* 
la  subvention  de  03  minions  demandée  en  *B46  par  M,  l'amiral 
de  Mackau,  alors  ministre  de  la  marine,  pour  l'aeeroissenfent  da 
Matériel  delà  flotte  <Veyet  rAnmurit*  pour  1046).  Ce  crédit, 
fépcrtt  m  une  période  de  sept  années,  n'était  pas  encore  «puisé» 


200  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

Sans  don  te,  on  pouvait  en  ajourner  l'application,  et  réduire 
pour  un  temps  les  dépenses,  au  moins  celles  qui  n'étaient  pas  in* 
dispensables  au  matériel. 

Mais  quant  au  personnel,  les  mêmes  sacrifices  étaient-Us  pos- 
sibles? Ce  personnel  militaire  et  navigant,  force  réelle  de  la 
flotte,  pouvait-il  être  atteint  sans  rendre  impossible,  dès  le  len- 
demain, le  service  ordinaire  de  l'état  de  paix?  Pour  la  guerre, 
on.  pouvait  au  moins  affirmer  qu'il  faudrait  l'augmenter  immé- 
diatement. La  marine  anglaise  compte  4,700  officiers,  la  marine 
française  1 ,600  ;  dans  la  marine  anglaise,  le  rapport  des  officiers 
avec  le  nombre  total  des  bâtiments  est  de  7  pour  1  ;  en  France, 
de  4  i?2  pour  4  seulement.  Qu'arriverait-il  donc  avec  une  ré- 
duction nouvelle?  D'ailleurs,  on  ne  décrète  pas  la  création  spon- 
tanée d'officiers  de  marine  comme  on  décrète  leur  suppression 
instantanée.  La  République  voudrait-elle,  une  fois  encore,  atta- 
cher, son  nom  aux  plus  tristes  souvenirs  de  nos  annales  ma- 
ritimes? 

M.  Charles  Dupin  fit  ressortir  avec  une  grande  autorité,  dans 
une  note  importante  distribuée  à  l'Assemblée,  le  peu  de  raison  et 
l'immense  danger  des  réductions  radicales  demandées  par  la 
commission. 

En  somme,  dans  le  rapport,  le  nombre  des  bâtiments  de  guerre 
se  trouvait  fixé  à  328  bâtiments  de  tout  rang,  dont  100  bâtiments 
à  vapeur.  L'effectif  des  équipages  s'élevait  à*28,788  marins.  D'a- 
près les  calculs  de  la  commission,  son  effectif  de  26,902  marins 
suffisait  pour  tous  les  besoins  du  service,  et  c'est  sur  cette  base 
que  s'appuyaient  ses  propositions.  Voici  l'article  réglementaire 
qu'elle  arrêtait  pour  la  fixation  du  cadre  des  officiers  :  4  amiral, 
9  vice-amiraux,  19  contre-amiraux,  80  capitaines  de  vaisseau, 
170  capitaines  de  frégate,  500  lieutenants  de  vaisseau,  550  en-» 
saignes,  300  élèves.  La  réduction  serait  opérée  au  fur  et  à  me- 
sure des  vacances.  Le  total  des  économies  acquises  par  ce  sys- 
tème s'élevait  à  40  millions  754,856  fr.  La  commission  appelait» 
en  outre,  l'attention  de  l'Assemblée  sur  le  traité  passé  entre  la 
France  et  l'Angleterre  pour  la  répression  de  la  traite  des  noirs. 
Ce  traité,  disait-elle,  n'ayant  pas  produit  les  résultats  qu'on  était 
en  droit  d'en  attendre,  le  Gouvernement  aurait  i  chercher  à 


LES  ÉCONOMIES  DE  LÀ  CONSTITUANTE.    201 

en  obtenir  le  plus  tôt  possible  l'annulation  par  voie  diploma- 
tique, 

La  discussion  s'engagea  le  26  avril,  souvent  passionnée,  pres- 
que toujours  inexpérimentée.  Le  résultat  désorganisateur  des 
conclusions  du  rapport  fut  si  évident  qu'avant  de  rejeter  une  ré- 
daction de  192,000  fr.,  demandée  sur  le  personnel,  l'Assemblée 
se  trouva  dans  la  nécessité  de  voter  d'abord  sur  un  article  addi- 
tionnel qui  n'était  rien  moins  qu'une  nouvelle  loi  à  rendre  sur 
rétat-major  de  la  flotte,  depuis  les  amiraux  jusqu'aux  aspirants. 
Ge  n'est  qu'à  la  majorité  de  40  voix  que  la  Chambre  dut  de  ne 
pas  se  laisser  entraîner  à  un  abus  si  singulier.  M.  Bureaux  de 
Pusy,  M.  Perrinon  soutinrent  les  propositions  de  la  commission 
que  Ma  Dofaure  combattit  avec  ce  talent  lucide  qui  le  distingue. 
Le  chiffre  demandé  par  le  Gouvernement  fut  adopté,  sauf  une 
légère  réduction  de  9,000  fr. 

11.  de  Lamartine  avait  commencé  un  discoure  en  Rétablissant, 
comme  M.  Dofaure,  sur  le  terrain  des  faits;  mais  le  brillant  ora- 
teur s'égara  bienlôt  dans  l'examen  des  questions  de  paix  et  de 
guerre  en  général  (26  avril). 

Il  ne  s'engagea  ensuite  de  débat  sérieux  que  sur  la  solde,  et, 
partant,  sur  le  nombre  des  matelots  qui  devraient  être  embarqués 
pendant  l'année  4849.  A  cette  époque  déjà  avancée  de  l'année, 
la  commission  proposait  de  ne  voter  que  les  crédits  suffisants 
pour  entretenir  un  personnel  de  25,502  matelots  embarqués, 
lorsque  déjà,  le  10  avril,  et  conformément  aux  prévisions  du  bud- 
get précédent ,  le  chiffre  des  hommes  présents  sur  les  bâtiments 
de  guerre  était  de  28,438.  Si  l'Assemblée  se  fût  conformée  aux 
prescriptions  du  rapport,  le  ministre  eût-il  rappelé,  pour  les  dés- 
armer, quelques-uns  des  bâtiments  qui  figuraient  dans  les  stations 
navales  de  la  Pkrta,  ou  des  mers  de  l'Iode  et  de  la  Chine,  ou  de 
Tahiti,  ou  de  la  côte  occidentale  de  l'Amérique?  Non;  il  aurait 
fallu  imposer  en  totalité  à  l'escadre  de  la  Méditerranée  les  réduc- 
tions versées  sur  l'ensemble.  MM.  Dofaure  et  le  général  de  Lamo- 
rtcîère  firent  ressortir  l'impossibilité  pratique  d'un  vote  semblable, 
et  les  membres  les  plus  ardents  de  la  Montagne  eurent  seuls  le 
courage  de  voter  la  réduction.  M.  Schœlcher  lui-même  combattit, 
en  ce  sens,  MM.  Goudchaux,  Guichard  et  Perrinon.  U  est  vrai  que, 


( 


(i&9.) 


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200  HISTOIRE  DE  T 

Sans  doute,  on  pouvait  en^  *  ans  a*  *Pr 

pour  un  temps  les  dépenses  t  **> 

dispensables  au  matériel.  >  \  ?'  ^n^ 

Mais  quant  au  personr  '    *  n,r 

sibles?  Ce  personnel  >    %    A  * 

ûotte,  pouvait-il  être//     X  *  a"a  PIq*>  . 

demain,  le  service  •  l  ^  tt  l'animent  des  im% 

on. pouvait  au  wfL$  ***,  dans  le*  colonies .  Qti*é- 

diatemcnt.  La  vrf  jdmer  l'organkafton  de  la  guerre 

française  4,60  /  .a  à  ces  malheureuses  imptattioits  en 

avec  le  noraj  '  «effectif  de  nnftnterie  de  marine, 

de  4  1/2  p  ^m  un  amendement  de  M.  Charles  Dupio,  qai 

duction  r  ,«ndre  aux  ouvriers  des  arsénaut  500,000  fh  re^ 
tanée  <*  ^r  j*  commission*  Vainement  M.  le  ministre  des  Tr*- 
*nrtar  ptfWics  fit-il  observer  qu'en  ce  moment,  où  les  travaux  de 
che  .tfttdion  dam  to  porta  de  commerce  étaient  considérable- 
**'  j£T'«,éf,lls> l€B  «w™*1*  iwvoyé»  des  arseaan*  de  rÊtaf  affalent 
^^er  dans  la  miièrt  ;  la  rédaction  Ait  adoptée  (27  Avril). 

14  lendemain,  par  suite  de  plusieurs  irrégularités  slgnetéee 
4,04  le  résultat  du  scrutin  de  division  auquel  l'Assemblée  avait 
jjfocédé  la  vrille  air  >e  crédit  relatif  à  rinfetiterfe  de  marine,  fl 
/tt  fait  un  nouveau  tour  de  scrutin  qai  prodei stt  une  majorité  de 
63  vôii  contre  la  rédnetion*  Les  garnisons  des  colonies  se  se 
raient  doue  pas  aMMies  au  moment  où  elles  étaient  plus  néces- 
saires que  jeamis» 

M.  Kaagnin  réussit  ensuite  à  faire  maintenir  dans  les  crédift 
affectés  à  Takiti,  une  somme  de  50,000  fr..  pour  prouver  que 
P Assemblée  ne  s'associait  pas  à  l'idée  d'une  évacuation  proposée 
par  M.  Aylien* 

Le  budget  de  la  mariée  Ait  on An  roté  dftns  sdn  ensemble 
(M  avrils 

Le  budget  de  la  /•**<*  né  donna  liée  qu'à  de  «outrtes  éipffes- 
tiens  échangées  entre  te  minfetr*  de  la  ttsfiee  et  le  rapporteur 
de  la  ceoransaioB.  M  demeura  convenu ,  de  part  et  d'autre,  que 
Ms  rédactions  jugées  possibles  et  tféeessafres  dans  les  traitements 
àè  la  magistrature  ire  pMMtonf  s'epéref  quant  fc  présent.  Ltf 
feree  des  thaïe*  ea  aidait  r^Joevffemenf  aprèsrle  to»  df  h  M 


LES  ÉCOHGIHÇ  CONSTITUANTE.     205 


<rgante*ti°D  P*iç  £l  concluait  à  la  stfppres- 

orvovBêl  de  'ère  créés  en  1840,  et 

\  le  min  H  Pour  l'artillerie,  la 

"tes  $   |    batteries;  elle  de- 

y  -^  l  ombre  des  régi- 

o  pas  en»  4  ;  réduction  dans 

u>oeeMion  bien  grav*  *  i/  e,,e  voulai* 

^**  prononcées  par  le  gouvernent^  ,<ïeux  <xJm- 

^rUin  nombre  de  magistrat*.  Bt  cependant,  la  .  ' de  1  ar^ 

proclamé  la  principe  de  l'inamovibilité,  (  ceux 

Sur  le  budget  de  la  Guerre,  comme  sur  presque  toos  les  *    '8  à 
les  proportion*  de  la  commission  modifiaient  profondémea\  ^ 
cbiiTreu  portée  te  projet  de  budget;  elles  reposaient  sur  nus  £, 
minutioD  considérable  de  l'effectif  prisent  sons  les  drapeau* 

Lo  bodget  de  la  guerre,  présenté  par  le  Gouvernement,  mon- 
tait à  954  millions  ;  cette  somme  n'était  pss  seulement  inffriefcre 
ava  dépenses  effectuées  pendant  l'année  1848,  qui  avait  absorbé 
419  millions,  mais  qui  doit  êtrs  considérée  comme  une  année  anos* 
maie,  elle  était  encore  au-dessous  des  dépensée  des  années  1*47 
et  1 tée,  qui  avaient  été  pour  la  première,  de 375  millions*  et,  pont 
le  seconde,  de  MO  ;  et  cependant»  sur  la  somme  de  954  million*, 
demandé*  par  le  Gouvernement  peur  1849,  la  commission  pro- 
posait d'opérer  des  rédactions  moment  à  49  militons,  ce  qui  le  r*> 
mènerait  à  314  mettions  ;  elle  produisait»  es  outre,  un  aperçu  qui 
la  lirait  tomber  à  t80  mlttkmepoar  48*0.  Le  rapport  de  M.  Gré-* 
terht  e'atiaebeit  à  développer  cette  opinion,  qu'A  Importe  moine 
d'entretenir  en  permaneaco  «ne  armée  considérable  que  4e  le 
ménager  ono  réserve  ponr  pourvoir  eux  éventualités  de  la  guerre* 
lf  voûta* 'qu'on  flt  paeser  plue  dTwmmes  sons  tes  dnpeeui,  et 
qn'o*  le*  y  laissât  moins  longtemps.  En  conséquence  de  ce  sy  »* 
Mme  destructeur,  voici  la  réduction  immédiate  que  proposait 
tfeftteteer  i&cemmfesioft  :  oo  mit  qœ  le  nombre  actuel  des 
troupe*,  par  suite  des  erreonstanos*  politiques,  dépassait  ceint 
do  Wf  ,999  hommes,  qui  avait  servi  de  base  au  projet  présenté  pef 
I*  gouvernement.  Au  i*  février  1848,  l'eicédent  était  do  79,099 
hommes  et  do  8,090  ebevaui  ;  noue  avions  993,099  Homme*  ei 
Fftnétef  79,990  en  Algérie,  Pour  retenir  4  l'ettciif  de  bodget, 


HISTOIBE  DE  FRANCE.  (1849.) 

bietM  après,  M.  Seteateter  repartit  i  la  tribnne  pour  appuyer 
la  réduction  proposée  sur  l'effectif  des  garnisons  à  entretenir 
dans  nos  eotomes.  Pouvait-on  méconnaître  que,  pendant  long- 
temps, après  le  brusqoe  affranchissement  des  colonies,  Tordre  et 
1*  paix  n  y  reposeraient  que  sw  le  nombre  des  soldais  que  la 
métropole  pourrait  y  entretenir.  M  *  Schoelcher  alla  pins  Foin  :  fl 
pressa  le  ministre  de  pourvoir  sans  délai  à  Farmément  des  mili- 
ces, c'est-à-dire  de  la  garde  nationale,  dans  les  colonies.  Qn*é- 
tait-ce  antre  chose  qw  de  réclamer  l'organisation  de  la  gnerre 
civile  ?  L'Assemblée  s'associa  à  ces  malheureoses  inspirations  en 
votant  la  réduction  de  l'effectif  de  nnfonterte  dé  marine. 

On  repoussa  enfin  tm  amendement  d4  M.  Chartes  Bupto,  qui 
proposait  de  rendre  au*  ouvrier»  des  arsénau*  500,000  fr.  re- 
tranchés par  la  commission.  Vainement  M.  le  ministre  des  Tra- 
vaux publics  fit-il  observer  qu'en  ce  moment,  oA  les  tmatrt  de 
construction  dans  les  ports  de  commerce  étaient  considérable- 
ment ralenti»,  les  onvrlers  renvoyés  des  arsenaux  de  TÉtat  allaient 
tombe?  dans  la  misère;  la  réduction  fot  adoptée  (27  frvtiî). 

Le  lendemain,  par  suite  de  plusieurs  irrégolarltée  signalées 
dans  le  résultat  d»  ssrntin  de  division  auqnel  l'Assemblée  atait 
procédé  la  veille  ssr  le  crédit  relatif  à  l'irtffemferie  de  marine,  fl 
fnt  fait  un  notresn  tour  de  scrutin  qai  produisit  un«  majorité  do 
63  Tôix  centre  ht  rédaction.  Les  garnisons  de»  colonies  ne  se 
raient  doue  pas  attribues  au  moment  où  elles  étaient  pins  néees* 
mires  que  jamais. 

IL  Meegnin  réunit  ensuite  à  Mrs  maintenir  datte  les  crédits 
affectés  à  TaèuU,  une  somme  de  50,000  fr.,  pour  prouver  que 
1? Aseesiblée  ne  s'associait  pas  à  l'idée  d'une  évacuation  proposée 
par  M*  Àyfiee, 

Le  bidgtt  de  la  nasrlié  fot  ffifid  totê  dftns  sdn  «nsomUo 
(18  avril). 

Lé  tarifent  de  la  JmMo*  im  (tonna  lien  qu'à  4e  courtes  oipRea* 
tiets  éeàangées  entra  te  ministre  de  ta  Jtwtiee  et  le  rapportent 
do  la  <*Mrissioft*  M  demewa  eotveira ,  de  part  et  d'antre,  qoo 
tes  rédactions  jugées  passibles  et  nécessaire*  dans  les  traitement* 
dé  te  magistrature  ne  pwvttenl  s'opérof  quérnt  k  présent.  La 
fetoe  ém  rirtie*  e*  eti^t  r^jéa*^^ 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  CORSTITUANTE.    103 

sur  l'organisation  judiciaire  et  le»  rédaction*  qu'eHe  amènerait 
dan»  le  perooirael  de  la  magistrature  (Fbys*  plm  loin).  ProTt- 
soireoent,  M.  le  ministre  de  la  Juetiee  prit  l'engagement  de  se 
conformer  aux  vues  de  l'Àesemblée,  en  se  toisant  trae  loi  de  ne 
pourvoir  aui  vacante»  que  dan»  le»  limites  rigoureusement  né- 
cessaires pour  ne  pas  entraver  l'administration  de  la  justice.  C'é- 
tait là  ooe  coneeesioa  bien  grave  :  on  maintenait  ainsi  les  sus- 
pension»  prononcées  par  le  gouvernement  provisoire  contre  an 
eertain  nombre  de  magistrats.  Et  cependant,  la  Constitution  avait 
proclamé  le  principe  de  l'inamovibilité. 

Sur  le  budget  de  la  Guerre,  comme  sur  presque  tons  le»  antre», 
le»  propositions  de  la  commission  modifiaient  profondément  lel 
chiffrai  portée  au  projet  de  budget;  elles  reposaient  sur  une  cfr 
minntion  considérable  de  l'effectif  présent  son»  le»  drapeau* 

Le  budget  de  ht  guerre,  présenté  par  le  Gouvernement*  mon* 
tait  I  884  millions  ;  cette  somme  n'était  pas  seulement  inférieure 
an  dépense»  effectuée»  pendant  Tannée  1848,  qui  avait  absorbé 
4*9  million»,  mais  qui  deitètre  considérée  comme  une  année  anoe» 
date»  elle  était  encore  au-dessous  de»  dépense»  des  années  184? 
•t  1846,  qui  avaient  été  pour  la  première,  de  87&  millions,  et,  pont 
1*  seconde,  de  880  ;  et  cependant»  sur  la  somme  de  884  miUion*, 
demandée  par  le  Gouvernement  peur  184$,  la  commiwttre  pro» 
posuit  d'opérer  des  rédaction»  moment  8  48  millions,  ce  qui  le  m» 
mènerait  à  344  taillions  ;  elle  produisait,  en  outre,  un  aperçu  qui 
h  ferait  tomber  à  880  mittîonepoar  1880.  Le  rapport  deM,Gré- 
terf il  rattachait  à  développer  cette  opinion,  qu'il  Importe  moine 
d'entretenir  en  permanence  «ne  armée  considérable  qae  de  le 
mdaager  une  réservé  pour  pourvoir  aux  éventualité»  de  la  guerre* 
Ê  voulait  qu'on  Ht  passer  plus  d'homme»  sous  tes  drapeau*,  et 
qu'on  le»  y  laissât  moins  longtemps.  En  conséquente  de  ce  *f»* 
tome  destrtieteftr,  vote*  la  réduction  immédiate  que  proposait 
é'éftfetner  lâcemmfsakm  :  on  sait  que  le  nombre  actael  des 
tfeope»,  par  suite  des  cîreonstanesa  politique»,  dépassait  eekfl 
de  Stl  ,008  bemme»,  qui  avaif  servi  de  base  au  projet  présenté  paf 
le  Aettvernement*  An  i  *  fétrfer  1 848,  l'eicédant  était  de  75,008 
hommes  et  de  8,000  ehevaux  ;  noue  avion»  98&,0ûO  bomme*  el 
r fanée  et  7M00  en  Algérie,  Pour  munir  è  reffeeti*  du  budget* 


tOt  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

il  faudrait  donc  renvoyer  la  classe  de  4842,  fortede  61,500  hom- 
mes, et  13,500  soldats  de  la  classe  de  1843.  Mais  ce  n'était  pas 
tout.  La  commission  n'entendait  pas  que  Ton  conservât  ces 
381,000  hommes  passé  le  l'r  juin.  Elle  voulait  qu'à  partir  de 
cette  époque,  l'effectif  fût  ramené,  tant  en  France  qu'en  Algé» 
ree,  à  284,000  hommes  et  à  68,000  chevaux,  de  telle  sorte  qu'on 
devrait  congédier  les  classes  de  1843  et  de~1844  et  n'appeler  que 
40,000  hommes  du  contingent  de  1848.  Si  l'on  déduisait  de  ce 
chiffre  de  284,000  hommes  les  états-majors,  la  gendarmerie  et 
les  vétérans,  il  en  résultait  que  l'armée  serait  réduite  à  258,000 
hommes  n'ayant  en  moyenne  qu'environ  deux  années  de  service. 
En  comparant  cette  situation  à  celles  de  4844, 1845  et  1846, 
on  aurait  en  France  une  diminution  de  40,000  hommes, 
dont  25,000  hommes  d'infanterie,  9,500  de  cavalerie,  3,500 
d'artillerie,  1,450  du  génie,  et  1,050  des  équipages  militaires. 

A  côté  de  la  force  numérique  des  corps,  vient  se  placer,  pour 
son  influence  dans  les  dépenses  de  l'armée,  la  composition  des 
cadres.  Le  nombre  de  nos  régiments  d'infanterie  était  actuelle- 
ment de  cent,  non  compris  dix  bataillons  de  chasseurs  à  pied* 
La  commission  était  d'avis  de  conserver  les  cent  régiments,  mais 
de  réduire  le  nombre  des  bataillons  de  trois  à  deux  par  régiment 
en  temps  de  paix,  et  de  supprimer  en  outre  les  dix  bataillons  de 
chasseurs  à  pied.  Si  cette  combinaison  était  adoptée,  nn  tiers 
des  officiers  des  régiments  deviendrait  disponible.  Ils  seraient 
détachés  à  tour  de  rôle,  disait  le  rapport,  pour  le  recrutement  et 
pour  les  revues  de  la  réserve,  ainsi  que  pour  divers  emplois  des 
places  qui  n'exigent  pas  une  instruction  spéciale.  Indépendam- 
ment de  ces  propositions,  qui  touchaient  au  personnel  des  offi- 
ciers, la  commission  demandait  s'il  ne  serait  pas  possible  de 
retrancher  plusieurs  emplois  dans  les  régiments,  de  réunir  les 
fonctions  d'adjoint  au  trésorier  et  de  porte-drapeau,  de  faire 
remplir  celles  du  lieutenant-colonel  et  du  major  par  le  même 
officier,  ou  du  moins  de  donner  au  major  les  attributions  ac- 
tuelles du  trésorier.  Enfin,  la  commission  insistait  pour  qu'on 
entrât,  dès  à  présent,  dans  la  voie  qu'elle  indiquait  en  laissant  an 
moins  un  emploi  sur  trois  sans  y  pourvoir  et  en  réduisant  i  deux 
cents  au  plus  les  admissions  nouvelles  à  l'école  de  SaintrCyr.  En 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA.  CONSTITUANTE.     205 

ce  qui  concernait  la  cavalerie,  le  rapport  concluait  à  la  suppres- 
sion des  quatre  escadrons  de  cavalerie  légère  créés  en  .1840,  et 
de  cinq  escadrons  de  guides  créés  en  1848.  Pour  l'artillerie,  la 
commission  réclamait  la  suppression  de  26  batteries;  elle  de- 
mandait qu'on  fit  porter  la  réduction  sur  le  nombre  des  régi- 
ments, parce  qu'il  en  résulterait  une  plus  grande  réduction  dans 
le  nombre  des  officiers,  des  canonniers  et  des  chevaux  ;  elle  voulait 
aussi  diminuer  le  train  des  parcs  des  pontonniers  de  deux  com- 
pagnies par  escadron.  Quant  aux  travaux  extraordinaires  de  l'ar- 
tillerie et  du  génie,  qui  embrassent  les  travaux  de  défense  et  ceux 
de  casernement,  la  commission  les  réduisait  de  17  millions  à 
9  millions,  en  émettant  le  vœu  qu'à  l'avenir  les  projets  fussent 
établis  de  manière  à  ne  pas  excéder  une  allocation  annuelle  de 
8  millions,  qui  serait  suffisante,  d'après  le  rapport,  pour  ter- 
miner en  quatre  ou  cinq  ans  l'ensemble  des  travaux  entre- 
pris. 

Enfin  l'administration  de  l'Algérie  serait  diminuée  de  32  à  28 
millions,  diminution  qui  porterait  sur  les  différentes  branches  des 
services  civils. 

Tel  était  l'ensemble  descombinaisons.de  la  commission,  dont 
l'effet  inévitable  serait  la  complète  désorganisation  de  l'armée* 

La  discussion,  ouverte  le  3  mai,  porta  sur  le  point  le  plus  im- 
portant :  la  réduction  des  cadres  de  l'armée  active.  Cette  proposi- 
tion soulevait  deux  objections  graves,  l'une  de  pure  forme,  l'autre 
essentiellement  politique.  La  constitution  des  cadres  de  l'armée 
est  une  question  organique,  et  précisément  une  de  celles  qui  se 
rattachent  à  l'organisation  générale  de  l'armée.  Or,  était-il  pos- 
sible de  discuter  une  question  semblable  dans  la  loi  du  budget,  au 
moment  même  où  on  allait  voter  sur  l'organisation  de  la  force 
publique  ?  (  Voyez  le  chapitre  suivant  )•  D'un  autre  côté  proposer 
de  réduire  les  cadres  de  l'armée,  c'était  proposer  le  désarme- 
ment, c'était  décider  que  toutes  chances  de  guerre  et  de  compli- 
cations antérieures  s'étaient  évanouies.  C'est  à  ce  point  de  vue  que 
la  proposition  fut  combattue  par  une  incontestable  autorité,  celle 
do  général  de  Lamoricière.  M.  Mauguin  appuya  cette  éloquence, 
spéciale  par  une  revue  un  peu  trop  générale  de  la  politique  eu- 
ropéenne. Le  débat  finit  par  un  ajournement  qui  fut  voté  sur  la 


SM  HISTOIRE  DE  FRÀHCE.  (iStt.) 

proportion  4a  général  Cavaignac  et  appuyé  par  M.  le  mfnitto  de 
la  guerre.  En  d'outrée  termes  t'était  décider  que  lee  cadres  de 
l'armée  active  fieraient  fixés,  comme  le  prescrirait  la  Constitu- 
tion, par  «ne  loi  spéciale  à  présenter  dans  le  délai  d'un  an. 

Les  rédactions  proposées  sur  le  traitement  des  généraux  de 
division  et  des  généraux  de  brigade  commandant  en  Afrique, 
n'eurent  pas  l'assentiment  de  l'Assemblée.  Elle  rejeta  également 
une  réduction  sur  les  indemnités  accordées  an  capitaines  qui 
commandent  des  troupes  en  état  de  rassemblement  (3  mai). 

On  s'occupa  ensuite  de  la  gendarmerie  mobile  que  la  commis- 
sion proposait  d'incorporer  dans  la  garde  municipale,  afin  d'ob- 
tenir une  économie  de  300,000  francs  ;  le  général  ftaraguey- 
d'Hilliers  combattit  cette  proposition,  en  invoquant  les  services 
rendus  par  ce  corps  et  en  insistant  sur  la  nécessité  de  le.  mainte- 
nir dans  son  organisation  actuelle  ;  il  parvint  à  faire  prévaloir  son 
opinion,  et  la  réduction  demandée  par  la  commission  tut  re- 
poussée. 

Le  chapitre  des  frais  de  justice  militaire  souleva  une  question 
grave;  la  commission  proposait  la  suppression  de  l'indemnité  al- 
louée aux  officiers  en  retraite  qui  remplissent  les  fonctions  de 
commissaires  et  de  rapporteurs  ;  c'eût  été,  en  réalité,  l'abrogation 
du  décret  du  Gouvernement  provisoire,  quf  avait  enlevé  ces  fonc- 
tions aux  officiers  en  activité  pour  les  confier  à  des  officiers  en 
retraite  ;  la  commission  n'avait  vu  qu'une  affaire  d'économie, 
là  où  il  s'agissait  à  la  fois  de  bonne  administration  et  de 
bonne  justice  ;  heureusement  l'Assemblée  rejeta  cette  proposi- 
tion ;  les  officiers  de  l'année  ne  seraient  plus  enlevés  désormais  à 
leurs  occupations  actives,  et  les  officiers  en  retraite,  appelés  près 
des  conseils  de  guerre,  formeraient  un  parquet  permanent  qui 
conserverait  les  bonnes  traditions. 

Vint  ensuite  la  question  qui  dominait  tout  le  budget  de  la 
guerre,  la  question  de  l'effectif.  Nous  avons  déjà  fait  connaître 
les  propositions  de  la  commission  :  elle  demandait  qu'à  dater  du 
4«r  juin  notre  effectif  fût  ramené  à  284,000  hommes  ;  c'était 
97,000  hommes  de  moins  que  l'effectif  porté  au  projet  de  budget; 
c'était  168,000  hommes  de  moins  que  celui  qui  est  actuellement 
sous  les  drapeaux.  D  est  inutile  de  foire  ressortir  les  funestes 


LES  ÉCONOMIES  DE  LA  CQBBHïtJANTE. 

séquences  qu'une  pareille  réduction  de  l'innée  aurait  nliplnfins 
dans  las  circonstances  actuellea;  jamais  peut-être  la  paittiqua 
extérieure  n'avait  présenté  autant  d'embarras  et  de  difficultés*  A 
l'intérieur,  on  avait  à  protéger  la  société  centre  de*  epneme  qui 
ne  prenaient  pas  seulement  la  peine  de  déguiser  leurs  projets. 
C'était  surtout  de  l'armée  française  qu'on  pouveit  dire  qu'elle  ml 
l'armée  de  la  civilisation.  Envisagée  sous  le  peint  de  m  de  notre 
organisation  joUilaire»  la  réduction  proposée  par  la  commissk» 
n'aurait  pas  eu  des  résultais  moins  déplorables;  pour  ramener 
l'effectif  au  chiffre  indiqué,  il  aurait  fallu  renvoyer  les  bornâtes 
appartenant  aux  quatre  classes  les  plus  anciennes.  On  aurait  ainsi 
privé  l'armée  de  ses  vieux  soldais*  c'est-à-dire  de  sa  plus  grande 
force,  et  comme  le»  soua-ofliciers  et  les  caporaux  sortent  de  leurs 
rangs,  il  s'en  serait  suivi  qu'on  aurait  vu  des  régiments  se  trouver 
sans  un  sous-officier  et  un  caporal, 

H  était  difficile  de  répondre  à  ces  arguments  pratiques  que  lit 
valoir  M.  le  ministre  de  la  guerre,  que  développèrent  après  lui 
M*  Jules  de  Lasteyrie,  M.  de  Lamartine,  H.  le  général  de  La- 
moricière.  Un  membre  de  la  commission.  M*  Guichard,  révéla 
assez  imprudemment  la  pensée  véritable  cachée  derrière  ees  éco- 
nomies funestes  :  on  n'avait  pas  mécoQAU  la  gravité  Oh  dreons* 
tances,  mais  l'administration  actuelle  n'avait  pas  les  empathies 
d'une  partie  de  l'Assemblée.  Ainsi,  on  portait  la  perturbation 
dans  l'année  pour  satisfaire  des  rancunes  personnelles  (8  mai). 
La  Chambre  se  refusa  encore  à  ratifier  la  plupart  des  réduc- 
tions proposées  sur  le  matériel  de  l'artillerie,  ainsi  qu'une  écono- 
mie de  50,000  francs  sur  le  personnel  des  poudres  et  salpêtres, 
qu  elle  rejeta  au  scrutin  de  divison,  par  282  voix  contre  247 
(0  mai). 

Une  diminution  de  700,000  francs,  demandée  sur  les  places 
fortes  fut  égalemeut  repoussée. 

Sur  le  chapitre  de  l'Algérie,  la  Chambre  consentit  à  réduire  à 
12,000  francs  Je  traitement  du  gouverneur-général  (12  mai). 

Nous  renvoyons  au  chapitre  spécial  sur  les  colonies  le  débat 
qui  s'engagea  sur  les  résultats  obtenus  en  Algérie  dans  les  colo- 
nies de  1848. 
Avec  le  budget  de  la  guerre  était  complété  le  budget  des  dé- 


906  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

penses.  Le  budget  des  recettes  vint  à  discussion  le  17  mai.  Aus- 
sitôt on  vit  surgir,  sous  la  forme  d'amendements,  une  foule  de 
dispositions  qui  devaient  porter  des  atteintes  plus  ou  moins  graves 
au  revenu  public.  Ce  n'était  pas  assez  d'avoir  obtenu  déjà  la  di- 
minution de  la  taxe  des  lettres  et  la  réduction  de  l'impôt  du  sel; 
ces  deux  mesures  avaient  laissé  dans  les  ressources  du  Trésor 
un  vide  qu'on  n'avait  pas  encore  trouvé  moyen  de  remplir.  Par 
exemple,  on  vint  demander  que  l'Assemblée  décrétât  l'abolition 
de  l'impôt  des  boissons  à  partir  du  1er  janvier  1850.  M.  Lalrade, 
auteur  de  l'amendement,  laissait  à  trouver  au  ministre  des  finan- 
ces le  moyen  de  remplacer  cette  importante  ressource.  M.  Passy 
et  M.  Gouin  n'eurent  pas  de  peine  à  démontrer  ce  que  cette  pro- 
position avait  de  dangereux»  Supprimer  l'impôt  des  boissons, 
c'était  enlever  encore  au  Trésor  le  revenu  de  plus  de  100  mil- 
lions. Où  trouverait-on  le  moyen  de  combler  ce  nouveau  vide?  Il 
faut  le  dire  avec  regret,  l'Assemblée  adopta  l'amendement  de 
M.  Lalrade  à  la  majorité  de  293  voix  contre  259. 11  est  juste  de 
dire  que  l'Assemblée  constituante  n'avait  plus  que  quelques  jours 
à  vivre.  Elle  imitait  donc  Je  Gouvernement  provisoire  et  préparait 
de  gatté  de  cœur  à  l'Assemblée  législative  tous  les  embarras  qu'on 
lui  avait  légués  i  elle-même  ! 

Le  scrutin  sur  l'ensemble  de  la  loi  de  budget  donna  pour  ré- 
sultat t  sur 581  votants,  571  contre  10. 


ÉBAUCHES  ET  AVOftTEMENTS  LÉGISLATIFS.  90» 


■^■«  — 


CHAPITRE  XII. 


ÉBAUCHES   ET   AVORTEMENTS  LÉGISLATIFS. 


Organisation  judiciaire.  —  Ancien  projet,  nouveau  projet;  désorganisation 
et  réforme;  cour  de  cassation,  chambre  des  requêtes;  plaidoyer  de  M.  Dupin, 
Jet  smax  coaattnaate*,  la  grande  et  la  petite  ;  MM.  Valette  et  Odilon  Barrot, 
utilité  et  abus  de  la  chambre  des  requêtes  ;  personnel,  nombre  de»  conseillers; 
cours  d'appel,  suppressions,  et  réductions;  interruption,  remaniement  du 
projet;  institution  nouvelle  de  la  magistrature,  amendements  de  M.  de 
Montafeabert  et  de  M.  Jures  Favrc  ;  inamovibilité;  M.  Crémieux  était-i! 
réfwWicain  le  24  février;  r Assemblée  arrête  la  discussion  ;  pourquoi  on 
axait  voulu  réorganiser  la  magistrature  ;  prorogation  de  Tétai  provisoire. 

Organisation  de  la  FORCE  publique.  —  M.  Charras  et  l'armée  française; 
projet  de  M.  de  Lamoricicre ;  y  avait-il  urgence,  ou  même  opportunité;  éco- 
nomie du  projet,  remplacement,  discussion,  M.  lé  ministre  delà  guerre, 
Ml(.  Besnard,  Branet,  Sainte-Beuve,  Baragaa^HilUers,  de  Parièu,  Victor 
Lefranc;  le  véritable  inventeur  de  l'organisation  proposée,  M.  Jeffres;  la 
commission  hostile  au  principe  du  remplacement;  pécule,  cotisation,  pension 
de  retraite;  ajournement  du  projet. 

Responsabilité  des  ministres  et  du  président  de  la  république.  — 
Ajournement. 

Loi  organique  de  l'enseignement.  —  Rapport  de  M.  Jules  Simon. 

Cautionnement  des  journaux.  —  Demande  de  prorogation  de  la  loi  du 
9  aont  1848,  rapport  de  M.  Dupont  (de  Bussac)  ;  adversaires  dn  cautionne- 
ment, M.  Ledru-Rollin  ;  prorogation  de  la  loi;  liberté  accordée  au  colpor- 
tage, an  criage  et  à  Ta/fichage  jusqu'aux  élections;  les  journaux  et  les  cà- 


Bibus  DE  main-morte.  —  Voted'une  taxe  nouvelle. 

Impôt  son  les  successions  et  donations.  —  Retrait  du  projet. 

Timbre  des  effets  de  .commerce.  -*-  Ajournement. 


£o  même  temps  qu'elle  s'occupait  du  budget  et  qu'elle  reflé- 
tait dans  des  discussions  nombreuses  les  émotions  politiques  du 

14 


210  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (181».) 

pays,  rAsscmWêe  avait  à  examiner  un  grand  nombre  de  projets 
ou  de  propositions  de  Tordre  administratif.  Là,  presque  tout  était 
à  faire,  car  les  premiers  mois  de  la  Constituante  avaient  été  em- 
ployés à  désorganiser  la  plupart  des  institutions  fondamentales. 
Tout  avait  été  remis  en  question,  magistrature,  armée,  finances, 
Tesprit  de  réforme  >avait  tout  attaqué,  comme  la  Constitution 
même  du  pays.  Aujourd'hui  se  représentaient  la  plupart  de  ces 
tentatives  ébauchées  pendant  les  jours  de  l'anarchie.  Le  Gouver- 
nement, l'Assemblée  elle-même  avaient  a  lutter  de  toutes  parts 
contre  les  efforts  inexpérimentés  des  désorganisateurs,  contre  les 
théories  mal  étudiées,  si  facilement  acceptées  la  veille. 

Le  2  février,  par  exemple,  revint  à  l'ordre  du  jour  un  projet 
relatif  à  l'organisation  judiciaire.  Il  ne  restait  là,  i  la  vérité,  que 
quelques  traces  du  projet  rédigé  par  la  commission  que  le  Gou- 
vernement provisoire  avait  instituée  quelques  jours  après  la  ré- 
volution de  Février.  Ce  premier  projet,  on  se  le  rappelle,  rema- 
niait de  fond  en  comble,  dans  son  ensemble  et  dans  ses  détails, 
toute  l'organisation  judiciaire  de  la  France.  Les  tribunaux  d'ar- 
rondissement étaient  supprimés;  le  nombre  des  cours  d'appel 
était  réduit  de  vingt-sept  à  dix-neuf;  l'institution  du  jury  était 
appliquée  aux  mises  en  accusation  et  au  jugement  des  délits 
communs  en  matière  correctionnelle  ;  un  grand  nombre  d'offices 
ministériels  étaient  abolis.  Enfin,  le  corps  entier  de  la  magistra- 
ture devait  recevoir  une  institution  nouvelle,  et  l'inamovibilité 
des  magistrats,  base  de  leur  indépendance  et  de  leur  autorité, 
était  proclamée  incompatible  avec  le  Gouvernement  républi- 
cain. 

Le  nouveau  projet  de  loi,  préparé  par  M.  Marie  et  examiné  par 
une  commission  dont  M.  Boudet  était  rapporteur,  n'avait  pas,  à 
beaucoup  près,  une  portée  aussi  révolutionnaire.  C'était  plutôt 
une  loi  de  réforme  qu'une  loi  d'organisation.  EU*  «'attachait  i 
corriger,  à  perfectionner  les  détails,  plutôt  qu'à  remanier  l'en- 
semble des  institutions  judiciaires.  Rien  n'était  innové  dans  les 
principes,  dans  les  juridictions,  dans  la  compétence.  Et  pourtant 
les  regrettables  inspirations  de  MM.  Crémieux  et  Martin  (de 
Strasbourg),  s'y  faisaient  encore  reconnaître  par  quelques  côtés. 
Aussi,  pouvait-on  penser,  avec  M.  Bouliier  de  l'Écluse,  que  tout 


ÉBAUCHB8ETAV0BTEîffifn»IJÈfiBLATlFS.  *tt 


ce  qaïïl  j  atait  de  ttomn  dans  l*f>r«j«t4tMt  m  danger  udffr- 
toMe  :  rboaocaUe  représentant  formatait  ««Ni  opinion  par  m 
amendement  radical  ainsi  «reçu  :  «  i'organisatisn  actuelle  4e  h 
justice  est  maintenue,  a  Cette  orgi— isatisa*,  ea  «Cet,  avec  «as 
droonscriptieiis,  n*  ébatte  pat  consacrée  parnneeipCrienoefc 
cinquante  ans?  La  plupart  des  corn»  et  des  tribunaux  n'ataienttti 
pas  remplacé  4'aacieMet  juridictions  pnmnciaies  auxquelles 
s'attadieient  4es  souvenirs,  des  habitudes,  4és  intérêts  respec- 
tables? Le  nouvel  ordre  de  choses  promettait,  il  «al  frai,  la  justice 
à  boa  marché:  mais,  par  «ne  contradiction  éclatante,  ft  étei- 
gnait la  jastiee  do  justiciable  et  aérait  peur  eftt  de  la  rendre  plus 
lente  et  ptns  coûteuse.  Depuis  un  demi-siècle,  les  mêmes  limites 
étaient  tracées  atix  circonscriptions  j udietaires  et  eux  circonscrip- 
tions administratives  :  par  la  juxta -position  de  ces  deux  pou*> 
voirs,  n'étaiMl  pas  évident  qu'on  avait  routa  leur  donner  les 
moyens  matériels  d'unir  et  de  concerter  leur  notion  poar  la 
rendre  pins  puissante  et  plus  sftreî 

Le  nouveau  projet  se  divisait  en  dewx  parties  essentielles.  La 
première  avait  poar  but  4e  modifier  la  composition  des  cours  et 
des  tribunaux,  en  réduisant  le  nombre  des  magistrats  et  celui  des 
cears  existantes.  La  seconde  rêvait  Tordre  et  les  conditions  4e 
la  candidature  à  laquelle  l'aride  tS  de  la  Constitution  atart  sou- 
mis les  nominations  et  l'avancement  dans  la  magistrature,  fin 
outre,  le  projet  de  la  commission  comblait  une  lacune  du  projet 
ministériel,  en  déterminant  les  causes  qui  pourraient  motiver 
l'admission  des  magistrats  à  la  retraite,  et  les  formes  4ans  les- 
quelles elle  devrait  être  poursuivie  et  prononcée  d'après  Tar- 
tide  £7  de  la  Constttafion. 

La  première  question  que  «enlevait  le  projeMtait  relative  à  la 
cour  4e  cassation.  Cette  cour  renferme  une  chambre  civile,  une 
éhambre  criminelle  et  une  chambre  des  requêtes.  L'existence  4e 
la  chambre  des  requêtes  est  fondée  sur  le  respect  d*  à  l'autorité 
ée  la  chose  jugée.  11  n'y  a  pas  trois  degrés  de  juridiction;  H  n*y 
en  a  que  deui  :  le  tribunal  de  première  instance  et  la  cour  d'ap- 
pel. Quand  ces  deax  degrés  de  juridiction  ont  été  parcourus,  te 
procès  est  vidé,  la  décision  est  acquise  i  la  partie  qui  a  triomphé. 
Quanti  la  partie  qui  a  succombé,  si  elle  est  condamnée  Injuste- 


212  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1S49.) 

ment,  c'est  un  malheur,  mais  on  malheur  irréparable,  parce 
qu'il  y  a  fin  i  tout,  ai  que  les  procès  ne  doivent  pas  s'éterniser. 
La  cour  de  cassation  n'est  pas  un  troisième  degré  de  juridiction, 
«'est  un  remède  extrême  établi  par  la  loi  dans  l'intérêt  de  la  loi, 
«on  dansielui  du  plaideur.  Si  le  plaideur  en  profite,  ce  n'est 
jamais  qu'indirectement.  Il  suit  de  là  que  la  voie  de  cassation  ne 
doit  pas  Couvrir  légèrement,  selon  le  caprice,  la  mauvaise  hu- 
meur et  l'entêtement  des  plaideurs.  La  chambre  des  requêtes  est 
une  barrière  établie  contre  l'abus  de  cette  faculté.  Ella  a  pour 
mission  de  recevoir  les  pourvois  en  matière  civile,  de  les  sou- 
mettre à  un  premier  examen»  aans  débat  contradictoire;  de  faire 
un  triage  entre  ceux  qui  sont  sérieux  et  ceux  qui  ne  le  sont  pas  ; 
de  laisser  passer  les  uns  et  d'écarter  les  autres.  Cette  première 
épreuve,  en  arrêtant  sur  le  seuil  les  pourvois  inconsidérés, 
a  pour  effet  nécessaire  de  les  rendre  moins  nombreux,  d'assu- 
rer le  respect  de  la  chose  jugée,  d'épargner  à  la  justice  la  perte 
d'un  temps  précieux,  et  à  la  partie  qui  a  gagné  sa  cause  en  der- 
nier ressort  les  ennuis  et  les  frais  d'un  nouveau  procès. 

Cependant  le  projet  de  loi  préparé  par  le  dernier  cabinet  pro- 
posait de  supprimer  la  chambre  des  requêtes  et  de  la  remplacer 
par  une  seconde  chambre  civile.  Cet  article  du  projet,  abandonné 
par  le  cabinet  actuel  et  repoussé  par  la  commission,  fut  repris  à 
titre  d'amendement  par  M.  Waldeck-Rousseau.  C'est  sur  ce  point 
que  porta  la  première  discussion  importante.  M.  Dupin  débuta 
par  une  vigoureuse  sortie  contre  ces  législateurs  inexpérimentés 
qui  semblaient  avoir  entrepris  de  tout  désorganiser  pour  se  don- 
ner le  plaisir  de  tout  reconstruire;  démolisseurs  qui  portaient  la 
hache  sur  toutes  nos  institutions,  quelles  que  fussent  leur  date  et 
leur  origine.  Des  cris  furieux  accueillirent  ce  jugement  sévère, 
mais  si  bien  motivé.  M.  Dupin  sut  calmer  cette  agitation  par  on 
mot  cruel,  en  rappelant  que  cette  grande  institution,  à  laquelle 
on  voulait  porter  un  coup  funeste,  était  l'œuvre  de  l'Assemblée 
constituante,  de  la  grande»  La  Montagne,  après  avoir  essayé  de  la 
colère,  se  réfugia  dans  l'ironie,  et  des  rires  bruyants  éclatèrent  a 
chaque  mot  de  M.  Dupin.  Mais  l'habile  et  vigoureux  orateur  sut 
encore  ramener  le  silence  en  rappelant  quelle  était  l'attitude 
tout  au}rement  digne  de  l'ancienne  Constituante»  quand  les 


ÉBAUCHES  ET  AV0RTEMENT5  LÉGISLATIFS.  213 

Tronchet,  les  Treilhard,  les  Cambacérès  fondaient  cette  organi- 
sation jadiciaire  que  toute  l'Europe  nous  en? ie. 

Ed  présentant  son  amendement,  qui  supprimait  la  chambre 
fies  requêtes,  M.  Waldeek-Rousseau  avait  au  moins  apporté,  non 
des  injures,  mais  des  arguments.  Il  s'était  attaché  à  prouver  que 
h  chambre  des  requêtes  était  un  rouage  inutile  dans  cette  grande 
et  savante  machine  qu'on  appelle  la  cour  de  cassation.  L'insti- 
tution, d'après  lui,  était  vicieuse  en  ce  qu'elle  amène  d'intermi- 
nables délais  qui  entravent  ta  marche  régulière  de  la  justice.  En 
outre,  elle  altère  l'unité  de  jurisprudence,  si  nécessaire  à  un  tri- 
bunal régulateur  de  tous  les  autres  tribunaui.  M.  Waldeck- 
Rousseau  pensait  que,  dans  certaines  questions,  parmi  les  plus 
graves  et  les  plus  compliquées  du  droit  civil,  la  chambre  des 
requêtes  et  la  chambre  civile  ont  une  jurisprudence  différente. 
9e  plus,  il  y  a  des  questions  qui  n'arrivent  jamais  à  une  solution 
définitive,  parce  qu'elles  sont  toujours  arrêtées,  au  seuil  de  la 
chambre  civile  par  la  chambre  des  requêtes  qui  refuse  d'accueil- 
lir les  pourvois.  Par  eiemple,  la  question  du  mariage  des  prêtre» 
reste  éternellement  en  litige,  parce  que  la  chambre  des  requêtes 
n'a  jamais  souffert  qu'elle  fût  discutée  et  tranchée  par  un  arrêt 
de  la  cour  suprême.  D'où  il  suit  que  la  qoestion  est  décidée  en 
sens  contraire  par  des  tribunaux  différents,  sans  que  la  cour  de 
cassation,  appelée  à  rendre  la  jurisprudence  uniforme,  puisse 
faire  cesser  ces  divergences  d'opinions. 

C'est,  cette  argumentation  que  M.  Dupin  combattit  avec 
bonheur.  Sans  méconnaître  les  imperfections  du  règlement  ac- 
tuel de  la  chambre  des  requêtes ,  il  défendit  l'institution  en 
elle-même.  If.  Dupin  admit  l'utilité  d'un  roulement  des  magis- 
trats qui  composent  la  chambre  des  requêtes.  Il  demanda  qu'on 
obviât  aux  inconvénients  incontestables  des  lenteurs  et  des  délais 
qui,  dans  l'état  de  choses,  y  attendaient  les  pourvois.  Mais  il 
soutint  qu'il  fallait  conserver  dans  son  intégrité  l'organisation  de 
la  cour  suprême.  La  chambre  des  requêtes,  comme  il  le  dit,  a 
pour  résultat  d'écarter  400  pourvois  sur  600  déférés  à  sou  exa- 
men. Ce  sont  donc  400  arrêts  qui  se  trouvent  ainsi  protégés 
contre  des  attaques  téméraires,  600  plaideurs  dont  la  justice  a 
consacré  les  droits,  et  qui  obtiennent  ainsi,  sans  dérange- 


2H  HfâXOtftE  DE  FRANCE.  (1849.) 

ment  et  sang  frais,  te  maintien  de*  décisions  souveraines  (5  fé- 
vrier). 

Professeur  i  l'École  de  Droite  jurisconsulte  distingué,  M.  Va- 
lette, lui  aussi»  critiqua  l'organisation  de  la  chambre  des  requêtes, 
et  soutint  que  cette  institution  était  eu  désaccord  avec  te  véri- 
table but  de  1*  cour  de  cassation.  Ce  but,  c'était,  selon  lui,  de 
fixer  la  jurisprudence,  de  maintenir  la  pureté  de  la  doctrine,  de 
faire  respecter  la  loi,  d'établir  l'unité  entre  les  diverses  juridic- 
tions. Or,  M.  Valette  croyait  que  la  chambre  des  requêtes  para- 
lysait l'intention  du  législateur,  en  arrêtant,  au  seuil  du  prétoire, 
des  questions  importantes  dont  la  solution  est  indispensable  et 
qu'écartent  éternellement  des. arrêts  qui  leur  ferment  l'accès  de 
la  chambre  civile,  où  elles  seraient  discutées  et  tranchées  défi- 
nitivement. 

Etranger  au  projet  de  loi,  ce  ne  fut  pas  comme  ministre  de  la 
justice,  mais  comme  jurisconsulte,  comme  avocat  autrefois  placé  à 
la  tête  du  barreau  de  la  cour  de  cassation,  que  IL  Odilon  Barrot 
prit  la  parole»  L'orateur  ramena  la  question  à  ses  termes  les  plus 
simples.  11  était  naturel  qu'on  différât  d'avis,  suivant  l'opinion  qu'on 
se  serait  formée  sur  te  rôle  constitutionnel  que  la  cour  de  cassa- 
tion remplit  dans  l'ensemble  des  institutions  judiciaires.  Si  Ton 
se  plaçait  au  même  point  de  vue  que  M.  Marie,  qui  détendit  vive- 
ment le  projet,  si  Ton  voyait  dans  la  cour  de  cassation  un  troi- 
sième degré  de  juridiction,  un  véritable  tribunal  jugeant  de  plus 
haut  et  avec  des  formes  extraordinaires,  alors  il  fallait  convenir 
que  la  chambre  des  requêtes  est  un  rouage  inutile,  une  cause  de 
lenteurs  et  d'embarras  dans  l'expédition  des  affaires.  Mais  si  l'on 
se  plaçait  au  même  point  de  vue  que  M.  Dupin  et  que  M.  Barrot, 
si  l'on  voyait  dans  la  cour  de  cassation,  non  un  troisième  degré 
de  juridiction,  mais  une  institution  particulière*  élevée  sur  tes 
confins  du  pouvoir  judiciaire  et  du  pouvoir  législatif,  destinée  à 
prévenir  les  empiétements  de  l'un  sur  l'autre,  alors  il  Allait  voir 
dans  la  chambre  des  requêtes  un  ressort  essentiel  et  nécessaire  à 
l'accomplissement  régulier  de  cette  haute  mission  que  la  cour  de 
cassation  remplit  dans  l'ordre  constitutionnel.  Alors  ces  lenteurs 
tant  blâmées  devenaient  des  garanties  salutaires  pour  l'intérêt  gé- 
néral et  pour  le  maintien  de  la  chose  jugée*  Le  temps  perdu, 


ÉBAUCHES  ET  AYOftTEMENTS  LÉGISLATIFS.  815 

selon  les  adversaires  de  la  chambre  des  requêtes»  à  l'examen  préa- 
lable des  pourvois,  était  largement  compensé  par  le  temps  qu'elle 
épargnait  à  la  chambre  civile  en  rejetant  400  pourvois  sur  600. 
Quant  aux  contradictions  signalées  entre  les  décisions  de  la 
chambre  des  requêtes  et  celles  de  la  chambre  civile»  quant  au 
trouble  qui  pouvait  en  résulter  dans  la  jurisprudence,  n  était-il 
pas  évident  que  cette  objection  s'adressait  avec  bien  plus  de  force 
au  nouveau  système,  i  celui  qui  créerait  deux  chambres  civiles 
au  lieu  d'une,  deux  chambres  siégeant  côte  à  côte  et  jugeant  les 
pourvois  dans  une  indépendance  absolue  Tune  de  l'autre. 

Combattu  par  cette  argumentation  vigoureuse,  le  système  de 
M.  Marie  devait  succomber.  L'amendement  fut  rejeté  et  l'arti- 
cle 1er  fut  adopté  tel  qu'il  était  proposé  par  la  commission.  La 
cour  de  cassation  continuerait  d'être  divisée  en  trois  sections  :  la 
chambre  civile»  la  chambre  des  requêtes  et  la  chambre  criminelle 
(9  février). 

M.  Dupin  combattit  encore  la  réduction  proposée  du  nombre 
des  conseillers  de  la  cour  de  cassation.  Ce  personnel,  dit  l'ora- 
teur, a  été  calculé  sur  une  population  de  25  millions  d'habitants  : 
la  population  dépasse  aujourd'hui  35  millions,  et  l'on  songe  à 
réduire  le  nombre  des  conseillerai  Déplus,  les  labeurs  qu'on  im- 
pose aux  magistrats  de  la  cour  suprême  sont  de  la  plus  haute 
gravité  ;  ils  exigent  l'examen  le  plus  mur,  l'attention  la  plus  sou- 
tenue, l'étude  la  plus  patiente.  Or,  presque  tous  ces  magistrats  ne 
sont  plus  dans  la  force  de  l'âge;  si  leur  intelligence  est  mûrie  par 
l'expérience  et  fortifiée  parla  pratique  judiciaire,  leurs  corps  sont 
fatigués,  U  ne  faut  pas  les  accabler  de  travaux  qu'ils  ne  pourraient 
rapporter.  M.  Dupin  combattit  notamment  la  limitation  à  deux 
du  nombre  des  présidents  de  chambre.  Sur  ce  point,  M.  Routier 
défendit  l'œuvre  de  la  commission.  Celle-ci  avait  pensé  qu'il 
était  inutile  de  placer  un  président  de  chambre  auprès  du  pre- 
mier président  qui,  comme  on  sait»  siège  ordinairement  à  la 
chambre  civile.  Mai*  M.  Rouher  n'acceptait  pas  la  réduction  du 
nombre  légal  des  conseillera  appelés  à  prononcer  les  arrêts.  11  fit 
observer  qu'il  n'était  pas  indifférent,  comme  on  le  pense  généra- 
lement, que  le  nombre  des  juges  fût  plus  ou  moins  restreint.  La 
discussion  «et  pi  us  approfondie»  plus  éclairée»  plus  précise»quand 


216  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

les  juges  sont^en  nombre  suffisant.  L'expédition  des  affaires  est 
aussi  pins  prompte  et  l'autorité  de  la  chose  jugée  en  devient  plus 
imposante. 

Cette  argumentation  fut  reprise  et  développée  avec  talent  par 
MM.  Isambert  et  Baroche.  Ce  dernier  rappela  un  fait  décisif.  Tout 
te  monde  rend  justice  au  zèle  et  à  l'activité  des  magistrats  de  la 
cour  de  cassation.  L'arriéré  de  Tannée  dernière  était  cependant 
de  1,400  affaires.  Il  était  donc  évident  que  le  personnel,  loin 
d'être  trop  considérable,*  était  plutôt  insuffisant.  L'Assemblée 
adopta  le  chiffre  de  39  conseillers  et  la  limitation  du  nombre  de 
conseillers  à  9  pour  pouvoir  rendre  des  arrêts.  Ne  pouvait-on 
pascrairfdre  que  cette  réduction,  qui  réalisait  une  économie  in- 
signifiante, ne  fût  nuisible  aux  intérêts  des  justiciables  en  aug- 
mentant l'arriéré  des  affaires  à  juger  ? 

Après  la  question  du  personnel,  venait  une  autre  difficulté.  On 
voulait  remédier  aux  abus  du  règlement  de  la  chambre  des  re- 
quêtes. On  proposait  deux  remèdes  :  le  rétablissement  du  rou- 
lement et  un  nouveau  règlement.  Après  une  discussion  confuse, 
l'Assemblée  adopta  la  première  rédaction  de  la  commission. 
Peut-être  ce  nouveau  vote  était-il  encore  regrettable.  L'unité  de 
la  jurisprudence  pourrait  en  souffrir. 

On  passa  ensuite  aux  cours  d'appel.  Les  circonscriptions  ac- 
tuelles furent  conservées.  La  suppression  des  chambres  de  mise 
en  accusation,  à  l'exception  de  celle  de  Paris,  fut  adoptée.  On  dé- 
cida que  les  arrêtés  devraient  être  rendus  par  sept  conseillers 
(40  février). 

Le  4  2,  les  réductions  proposées  dans  le  nombre  des  chambres 
et  des  magistrats  de  cours  d'appel  furent  toutes  votées,  malgré 
les  efforts  d'orateurs  nombreux  qui  les  combattirent  dans  un  in- 
térêt local  trop  évident  pour  être  cou  testé.  Une  seule  modifica- 
tion fut  faite  au  projet;  le  président  de  la  chambre  civile  fut 
maintenu  à  côté  du  premier  président.  En  revanche,  f  Assemblée 
avait  supprimé  la  place  de  premier  avocat  général  partout  ailleurs 
qu'à  Paris.  Innovation  malheureuse,  vigoureusement  combattue 
par  M.  Berville.  Les  procureurs  généraux  étant  des  hommes 
politiques ,  il  était  désirable  qu'un  "premier  avocat  général , 
homme  exclusivement  judiciaire,  fût  placé  à  la  tête  du  par- 


ÉBAUCHES  ET  AVORTEMENTS  LÉGISLATIFS.  217 

quet;  c'était  un  paissant  moyen  d'émulation  dont  on  se  privait 
pour  économiser  20,000  francs  (12  février). 

Là  en  était  armée  l'étude  de  la  loi  lorsque  des  préoccupations 
politiques  et  des  propositions  d'une  autre  nature  firent  disparaître 
pendant  un  mois  de  l'ordre  du  jour  le  projet  sur  l'organisation 
judiciaire.  Le  7  avril,  enfin,  la  discussion  se  rouvrit,  mais  cette 
fois  pour  établir  si  l'on  ajournerait  ou  non  le  projet.  Ce  qui  ren- 
dait la  discussion  urgente,  c'est  qu'il  importait  de  mettre  au  plus 
tôt  un  terme  à  la  situation  précaire  ou  la  magistrature  était  re- 
tenue depuis  un  an,  et  de  lui  donner  une  institution  nouvelle  et 
définitive.  Après  les  observations  présentées  en  ce  sens  par  le  rap- 
porteur, M.  Boudet,  et  par  M.  Odilon  Barrot,  il  fut  décidé  que  Ton 
passerait  immédiatement  à  la  discussion.  Le  projet  avait  été  re- 
manié par  la  commission  et  considérablement  simplifié.  Le  titre  V, 
relatif  aux  candidatures,  aux  nominations  et  aux  avancements 
dans  la  magistrature,  avait  été  supprimé  tout  entier.  Ainsi  le 
projet  était  maintenu  élagué  de  sa  partie  la  plus  importante,  de 
celle  qui  en  constituait  véritablement  la  partie  organique.  Il  ne  se 
composait  plus,  pour  le  resté,  que  du  titre  IV,  qui  avait  pour  ob- 
jet de  régler  la  mise  à  la  retraite  des  magistrats,  pour  cause  d'âge 
et  d'infirmités  ;  puis  du  titre  VI,  qui  déterminait  l'âge  de  l'ad- 
mission dans  la  magistrature  et  quelques  conditions  relatives  aux 
officiers  ministériels  ;  enfin  du  titre  VU,  qui  contenait  les  disposi- 
tions transitoires.  Un  assez  grand  nombre  de  ces  dispositions 
furent  votées  sans  débat  sérieux  et  sans  modifications  impor- 
tantes. 

La  discussion  resta  ensuite  fixée  sur  une  question  assez  ardue 
pour  dérouter  l'Assemblée.  Une  disposition  formelle  interdisait 
ani  avocats  la  faculté  de  plaider  devant  les  chambres  des  cours 
et  des  tribunaux  où  siégeraient  comme  présidents  et  juges  leurs 
parents  en  ligne  directe,  ou  leurs  frères  et  leurs  beaux-frères.  A 
regard  des  avoués,  l'interdiction  serait  absolue.  Les  parents  à  ce 
degré  ne  pourraient  être,  l'un  magistrat,  l'autre  avoué  à  la  même 
cour,  ou  au  même  tribunal.  Le  même  article  ajoutait  que  le  pou- 
voir exécutif,  en  instituant  la  nouvelle  magistrature,  ferait  cesser 
toute  incompatibilité  de  cette  nature.  Mais  comment  cette  dispo- 
sition serait-elle  exécutée  ?  Serait-ce  le  magistrat  qui  devrait  se 


218  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

retirer  devant  Ta  vocal  ou  l'avoué?  Seraitrce  l'avocat  ou  l'avoué 
qui  devrait  céder  la  place  au  magistrat?  Les  uns  conclurent 
pour  la  magistrature,  les  autres  en  faveur  du  barreau.  Il  fallut 
renvoyer  l'article  à  la  commission  sans  avoir  pu  réussi*  à  s'en* 
tendre  (9  avril). 

Le  lendemain»  l'Assemblée  s'occupa  de  décider  dans  quelle 
forme  l'institution  nouvelle  serait  donnée  à  la  magistrature,  et 
comment  s'accompliraient  les  réductions  prescrites  par  la  loi 
dans  le  nombre  des  magistrats  composant  les  cours  d'appel  et 
les  tribunaux.  Le  projet  proposait  d'exécuter  littéralement  le 
vœu  de  la  loi,  même  au  prix  d'une  atteinte  portée  au  prin- 
cipe de  l'inamovibilité  pour  celte  première  organisation  de 
la  magistrature.  Ainsi  le  principe,  maintenu  pour  l'avenir, 
serait  violé ,  pour  celte  fois  seulement ,  disait-on ,  et  sans 
tirer  à  conséquence.  Pour  éviter  cet  inconvénient,  M.  de  Mon- 
talembert  proposait  un  expédient  quf  consistait  à  donner  l'in- 
stitution à  tous  les  magistrats  actuellement  en  exercice,  et  à 
n'opérer  les  réductions  qu'au  fur  et  à  mesure  des  extinctions. 
M.  Jules  Favre  allait  plus  droit  au  but  :  il  proposait  de  conser- 
ver purement  et  simplement  le  corps  actuel  de  la  magistrature, 
en  réservant  la  question  relative  à  la  réorganisation  des.  tribu- 
naux. En  d'autres  termes,  il  proposait  de  considérer  la  loi  nou- 
velle comme  non  avenue. 

L'amendement  de  M.  Montalembert  maintenait  le  principe  de 
l'inamovibilité  danssarigueur  absolue  :  l'orateur  le  développa  avec 
l'élévation  ordinaire  de  sa  parole.  Pour  lui,  l'inamovibilité  de  la 
magistrature  était  encore  plus  une  institution  sociale  qu'une 
institution  politique.  La  magistrature,  l'armée,  la  religion  sont 
les  derniers  remparts  qui  restent  à  la  société  quand  elle  a  vu  fa- 
talement tomber  tous  les  autres. 

L'adversaire  naturel  de  ces  pensées  de  conservation,  M.  Gré- 
mieux,  attaqua  l'amendement  comme  contraire  à  l'article  114  de 
la  Constitution.  M.  Crémieux,  on  se  le  rappelle,  avait,  de  sa  pro- 
pre autorité,  déclaré  l'inamovibilité  de  la  magistrature  incompa- 
tible avec  le  principe  républicain.  Aussi,  M.  Crémieux  fit-il  en 
même  temps  le  procès  à  la  magistrature  inamovible,  à  la  monar- 
chie, à  la  corruption.  Qui  pouvait  nier,  en  effet,  que  M.  Cré- 


ÉBAUCHES  ET  AVOKIEMENTS  LÉGISLATIFS.  219 

nÎMi  n'eut  été  républicain,  au  mains  le  soir  du  24  février?  L'ho- 
norable M.  Baie  eu  doutait  cependant»  Mai*  M.  Crémieux  déroen- 
lit  imperturbablement  des  anecdotes  qui  bientôt  allaient  devenir 
de  l'histoire. 

L'Assemblée  ne  donna  pas  gain  de  cause  à  la  désorganisation 
d'une  des  forces  te»  plue  inattaquable»  de  la  France,  et,  après  cette 
longue  discussion,  elle  décida,  à  la  majorité  de  843  voix  contre 
88,  qu'elle  ne  passerait  pas  à  la  troisième  délibération  du  projet 
de  loi*  Ainsi  le  projet  du  Gouvernement  et  le  travail  de  la  com- 
mission échouaient  devant  le  bon  sens  de  la  législature.  Ainsi  on 
évitait  ce  triste  résultat  de  mettre  en  péril  nos  admirables  insti- 
tutions judiciaires,  d  jj^ranler  le  respect  du  à  la  magistrature,  de 
froisser  des  intérêts  sérieux,  sans  qu'une  idée  nouvelle,  sans 
qu'une  amélioration  sérieuse  pût  servir  de  dédommagement.  Une 
étrange  fatalité  avait  pesé,  depuis  la  révolution  de  Février,  sur 
F  organisation  judiciaire.  On  avait  semblé  croire  qu'à  toute  force 
il  fallait  faire  subir  à  notre  justice  nationale  une  profonde  trans- 
formation. Beaucoup  d'hommes  étaient  tout  à  coup  parvenus  au 
pouvoir  qui  avaient  été  autrefois  justement  condamnés  par  la  ma- 
gistrature française  :  de  là  était  venu  qu'on  avait  attaqué  le  ré- 
gime judiciaire.  Les  attaques  avaient  eu  d'abord  l'amertume 
d'une  vengeance  et  l'apparence  d'une  rancune.  Ce  n'était  qu'avec 
peine  que  la  partie  modérée  du^Souvernement  provisoire  avait  pu 
arrêter  les  conspirateurs  de  la  veille,  hommes  d'État  du  lende- 
main» dans  leur  œuvre  de  démolition  :  plus  d'une  fois,  pour  sau- 
ver le  corps,  ils  avaient  du  faire  le  sacrifice  des  individus.  Le 
calme  rétabli,  il  avait  été  question  d'une  réforme  :  mais  cette 
réforme  n'était  pas  autre  chose  qu'une  destruction  déguisée.  Plus 
tard,  enfin,  on  était  revenu  à  des  idées  plus  saines,  mais  on  n'a- 
vait pu  encore  s'empêcher  de  porter  à  l'organisation  judiciaire, 
sou»  préteate  d  économies  insignifiante»  et  d'améliorations  sans 
portée,  de»  atteintes  qui  en  altéraient  la  constitution  si  forte  et  en 
compromettaient  l'ensemble.  Aujourd'hui  l'Assemblée  avouait 
avec  une  honorable  franchise  qu'il  n'y  avait  qu'à  maintenir  dans 
son  intégrité  l'édifice  judiciaire  (10  avril). 

La  question  revint  à  propos  du  budget  de  la  Justice  (voyes  le 
chapitre  précédent).  11  lut  reconnu  alors  que  la  prochaine  Assem- 


220  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

blée  aurait  à  fixer  le  sort  de  la  magistrature,  tenue  en  suspens 
par  le  décret  du  Gouvernement  provisoire,  qui  la  soumettait  à  une 
institution  nouvelle*  La  commission  du  budget  demanda,  i  cette 
occasion»  qu'il  ne  fût  rien  changé  à  l'état  actuel  de  Tordre  judi- 
ciaire, et  que  le  Gouvernement  s'astreignit  à  ne  nommer  à  aucun 
des  emplois  vacants  ou  qui  le  deviendraient,  jusqu'à  ce  que  celle 
loi  fût  intervenue.  M.  le  ministre  de  la  Justice  acoéda  avec  une 
regrettable  facilité  à  ce  vœu  qui  maintenait  individuellement  les 
suspensions  prononcées  par  le  Gouvernement  provisoire.  On  n'ap- 
prit pas  sans  surprise  que  M.  le  ministre  venait  de  faire  cesser 
seulement  depuis  quelques  jours  la  suspension  collective  dont 
deux  tribunaux  entiers,  ceux  de  Perpignan  et  de  Géret,  avaient 
été  frappés  dans  Tannée  précédente  (3  mai). 

Une  autre  force  vive  du  pays,  l'armée,  n'avait  pas  plus  que  la 
magistrature  échappé  aux  attaques  de  l'esprit  désorganisateur.  On 
se  rappelle  les  tentatives  de  M*  Gharras  après  février  4848.  De 
tout  cela,  il  ne  restait  aujourd'hui  qu'un  projet  de  loi  relatif  à 
l'organisation  de  la  forée  publique.  Le  5  avril,  M.  de  Lamorictère 
déposa  son  rapport.  Le  2*  avril  commença  la  deuxième  délibé- 
ration, c'est-à-dire  la  discussion  sérieuse. 

Le  titré  du  projet  promettait  peut-être  plus  qu'il  ne  pouvait 
tenir.  La  force  publique  se  compose,  dans  son  ensemble,  de 
l'armée  et  de  la  garde  nationale  :  le  projet  ne  s'occupait  que  de 
l'armée.  En  tout  temps,  c'est  une  grave  question  que  celle  qui 
touche  à  l'organisation  de  l'armée.  Les  plus  grands  intérêts  de 
l'État  et  de  la  société,  l'indépendance  et  la  sûreté  du  territoire, 
la  grandeur  et  la  puissance  du  pays,  Tordre  intérieur,  les  garan- 
ties des  familles,  les  droits  essentiels  des  citoyens  sont  engagés 
à  la  fois  dans  le  débat.  Porter  la  main  sur  la  législation  qui  les 
concerne  et  les  régit,  même  en  présence  d'une  incontestable  né- 
cessité, n'est  pas  Une  œuvre  à  foire  à  la  légère.  Or,  le  moment 
était-il  opportun  pour  aborder  une  question  de  cette  importance? 
Était-ce  bien  à  la  veille  d'une  dissolution  et  d'élections  générales, 
que  l'Assemblée  pouvait  la  discuter  avec  la  maturité  convenable? 
Enfin,  si  Ton  regardait  aux  portes  de  la  France,  on  voyait  une 
armée  campée  au  pied  des  Alpes,  prête  à  franchir  la  frontière  au 
delà  de  laquelle  pouvaient  l'appeler,  à  chaque  instant,  les  corn- 


ÉBAUCHES  ET  AVORTEMENTS  LÉGISLATIFS.  921 

plications  de  l'Italie.  Le  moment  élait-il  bien  choisi  poar  se  livrer 
ï  des  expériences,  pouf»  improviser  un  système  de  recrutement, 
de  réserve,  d'organisation  complète.  Cette  armée,  telle  qne  la  mo- 
narchie l'avait  léguée  à  la  République,  tous  s'accordaient  à  la 
trouver  admirable  par  son  esprit,  par  sa  discipline,  par  sa  tenue 
militaire.  La  démagogie  seule,  vaincue  par  cette  force  restée  in- 
tacte sur  les  ruines  de  la  France,  pouvait  désirer  qu'elle  fût  en- 
tamée, et  lui  livrât  passage.  Fallait-il  risquer  d'altérer  cette  ma- 
gnifique économie?  Sans  doute,  la  législation  qui  régissait 
actuellement  Tannée  n'était  pas  parfaite,  surtout  en  ce  qui  con- 
cernait les  remplacements.  Mais  cette  législation  était  éprouvée 
par  une  application  de  trente  ans,  consacrée  dans  les  habitude»  et 
les  mœurs  des. populations.  D'une  exécution  facile  et  simple,  elle 
aswrait  le  recrutement  de  l'armée  sans  embarras,  sans  résistance. 
L'urgence  n'existait  donc  pas. 

M.  le  ministre  de  la  Guerre,  qui  combattit  la  loi  dans  tous  ses 
détails,  insista  vainement  pour  le  renvoi  du  projet  au  conseil 
d'État.  L'ajournement  après  le  budget  fut  même  rejeté. 

Tonte  l'économie  du  projet  consistait  en  deux  mesures  pure- 
ment financières,  à  savoir  :  i°  la  fixation,  par  la  législature,  au 
commencement  de  cbaque  année,  d'un  prix  (lie  et  déterminé  à 
payer  par  tous  ceux  qui  voudront  se  faire  remplacer  ;  2°  l'éta- 
blissement d'une  cotisation  proportionnelle  aux  contributions 
payées  par  le  père  et  la  mère  de  tous  les  jeunes  gens  qui  se  fe- 
raient remplacer  ou  qui  seraient  exemptés  du  service  par  le  sort. 
La  première  disposition  tendait  à  empêcher  la  spéculation  à  la- 
quelle se  livrent  les  compagnies  pour  le  remplacement  militaire. 
Ces*  compagnies  seraient  détruites  par  le  fait  de  l'adoption  du 
projet.  L'État  se  substituerait  à  elles,  et  le  Gouvernement  pour- 
voirait directement  au  remplacement  au  moyen  des  sommes  qui 
seraient  déposées  entre  les  mains  des  percepteurs  par  les  jeunes 
conscrits  qui  voudraient  s'exonérer  du  service.  Quant  à  la  coti- 
sation imposée  aux  familles  des  remplacés  ou  des  jeunes  gens 
favorisés  par  le  sort,  elle  serait  destinée  à  donner  des  primes  au 
réengagement  de  soldats  libérés  du  service  militaire»  et,  en  outre, 
i  former  un  pécule  que  recevrait  chaque  soldat  au  mofnent  où  il 
rentrerait  dans  la  vie  civile.  Cette  combinaison,  qui  semblait  au 


228  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1*49.) 

premier  aspect  conçue  dtos  un  esprit  tout  démocratique,  ne 
serait  au  contraire  qu'une  loi -d'inégalité  et  de  privilège.  C'est 
ce  que  démontra  M.  ie  inmistre  de  la  Guerre,  et,  après  lui, 
101.  Baragoay-d'Hilliers  et  Besnard.  Dans  l'état  actuel  des  choses, 
le  service  militaire  est  «ne  obligation  imposée  à  tous  les  citoyens, 
sa&s  distinction.  La  loi  autorise  ie  remplacement,  mate  elle  laisse 
le  remplacé  responsable.  Elle  ne  connaît  que  lui.  Si  le  rempla- 
çait vient  à  déserter,  par  exemple,  le  Gouvernement  s'adresse  au 
conscrit  et  lui  dit  :  Rejoignes  les  drapeaux  ou  fournisse»  un 
homme  à  votre  place.  Nul  n'est  exempt,  vis-à-vis  de  l'État,  pour 
son  argent.  Le  riche  comme  le  pauvre  doit  le  service  personnel- 
lement. Au  contraire,  le  projet  de  la  commission  créait  un  droit 
pour  celui  qui,  désormais,  aurait  payé  le  prix  du  remplacement. 
L'État  n'aurait  pins  rien  à  lot  demander,  de  sorte  qu'il  faudrait 
inscrire  à  l'avenir  dans  la  loi  :  «  Tout  citoyen  doit  le  servtee  per- 
sonnel, ou  une  somme  d'argent.  »  Le  privilège  créé  par  cette  dis- 
position devenait  bien  phis  frappant  si  Ton  passait  de  la  théorie 
à  l'application.  Qu'arrive-t-il  aujourd'hui?  les  ouvriers,  les 
hommes  à  gages,  les  paysans  peuvent  se  faire  remplacer,  lors 
même  qu'ils  n'ont  pas,  au  moment  du  tirage  de  la  conscription, 
la  somme  nécessaire.  Ile  font  des  transactions  avec  les  compa- 
gnies, ou  avec  leurs  remplaçants  eux-mêmes,  souvent  pris  dans 
les  rangs  de  l'armée,  parmi  les  soldats  libérés  du  service;  ils 
obtiennent  du  crédit.  Lorsque  l'État  aurait  pris  la  place  des 
agents  actuels  du  remplacement,  lorsque  les  contrats  particuliers 
seraient  interdits,  quiconque  ne  pourrait  pas,  avant  le  tirage, 
déposer  à  la  caisse  du  percepteur  la  totalité  de  la  somme  fixée  par 
le  Gouvernement,  se  verrait  obligé  de  partir.  Les  riches  s'exempte- 
raient facilement  du  service;  les  pauvres  n'auraient  plus  aucun 
moyen  d'y  échapper.  Enfin,  le  prix  d'exonération  fixé  par  l'État  se- 
rait le  même  dans  les  pays  pauvres  que  dans  les  pays  riches. 
Autre  inégalité.  Celle  qui  résulterait  de  la  cotisation  i  payer  par 
les  remplacés  et  par  les  jeunes  gens  que  le  sort  aurait  favorisés, 
n'était  pas  moins  frappante.  Quelles  seraient  les  bases  de  cette 
cotisation?  Les  quatre  contributions  directes.  C'était  dire  que  les 
propriétaires  fonciers,  quelle  que  fut  l'étendue  de  leur  propriété, 
apporteraient  la  plus  grande  partie  de  ce  nouvel  impôt.  Or,  qui 


ÉBAUCHES  ET  AVORTEMENTS  LÉGISLATIFS.  223 

ne  sait  que  la  propriété  foncière  est  considérablement  grevée  en 
France?  On  demanderait  au  paysan  qui  possède  un  coin  de 
terre  nne  contribution  nouvelle  outre  le  prix  du  remplacement 
qu'il  aurait  déjà  soldé  pour  son  fils?  Et  cet  impôt  nouveau  ne 
serait  pas  peu  de  chose  :  car,  pour  payer  les  primes  et  le  pécule 
institués  dans  le  projet  de  loi,  il  faudrait  doubler  la  contribution. 
Cependant,  tout  le  monde  sait  que  la  contribution  n'est  pas  la 
représentation  exacte  de  la  fortune.  Tel  qui  ne  paie  qu'un  impôt 
mobilier  peut  être  en  meilleure  position  que  tel  autre  qui  verse 
dans  te3  caisses  de  l'État  plusieurs  milliers  de  francs  pour  ses 
contributions  foncières.  L'inégalité  existait  donc  encore  ici.  En- 
fin on  prétendait  faire  une  loi  populaire.  Peut-être  rapproche 
des  élections  n'était-elle  pas  étrangère  à  l'empressement  ma- 
nifesté, sur  certains  bancs,  pour  le  maintien  du  projet  à  l'ordre 
du  jour.  Erreur!  Jusqu'ici  les  familles  des  campagnes  avaient 
une  chance  au  moins  d'échapper  à  la  conscription,  la  chance  du 
sort.  On  leur  ravissait  cette  chance,  puisqu'on  leur  demandait 
un  impôt  en  argent  lorsqu'elles  auraient  réussi  à  éviter  l'impôt 
du  sang. 

Telle  était  l'économie  du  projet  nouveau  :  tels  en  étaient  les 
vices  démontrés  de  la  façon  la  plus  claire  par  M.  le  ministre  de 
la  Guerre.  Mais  M.  le  ministre  ayant  déclaré  qu'il  réservait  pour 
la  troisième  lecture  tous  les  amendements  qu'il  lui  semblait 
nécessaire  de  proposer,  dix-huit  articles,  sur  soixante  et  onze, 
forent  yotés  presque  sans  discussion  (24  avril). 

Le  lendemain,  la  question  du  remplacement  fut  soulevée.  Le 
système  nouveau  présentait  des  complications  inextricables.  Il 
donnait  lieu  à  des  objections  de  toute  [sorte,  administratives,  po- 
litiques, financières.  C'est  à  ces  points  de  vue  divers  qu'il  fut 
combattu  par  MM.  Besnard,  Brnnet,  Sainte-Beuve,  le  général 
Baraguay-d'Hilliers,  de  Parieu,  Victor  Lefranc.  II  ne  fut  guère 
défend  a  que  par  M.  de  Lamoricière  et  les  membres  de  la  com- 
mission. Ce  projet,  en  définitive,  appartenait  tout  entier  à 
M.  Joffrès,  avocat  du  barreau  de  Paris.  L'organisation  actuelle 
était  due  à  deux  hommes  illustres  et  compétents,  le  maréchal 
Gourion  Saicit-Cvr  et  le  duc  de  Dalmatie. 

L'Assemblée  comprit  toute  l'importance  de  la  question,  et, 


224  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

sur  ia  demande  de  H.  Goudchaux,  elle  remit  son  vote  à  une  autre 
séance,  voulant  se  donner  le  temps  d'aviser  (25  avril). 

Au  fond,  il  faut  le  dire,  le  projet  allait  plus  loin  que  l'appa- 
rence. M.  Charras,  membre  de  la  commission,  avait  avoué  à  la 
tribune  que  si  certaines  dispositions  de  la  loi  proposée  portaient 
l'empreinte  de  quelque  embarras,  c'est  que  les  auteurs  avaient 
été  gênés  par  le  maintien  du  remplacement,  auquel  il  était  op- 
posé pour  sa  part.  Était-ce  donc  là  le  vrai  mol  du  système  ? 

Interrompue  jusqu'au  1er  mai,  la  discussion  générale  s'atta- 
cha encore  au  recrutement  nouveau.  M.  le  général  de  Lamoricière 
apporta  à  son  système  l'appui  d'un  talent  lucide  et  d'une  ner- 
veuse éloquence.  Sans  doute,  l'honorable  général  fut  accusé  à 
tort  de  vouloir  introduire  une  sorte  de  socialisme  dans  l'armée. 
Améliorer  le  sort  du  soldat  en  lui  créant  un  modeste  pécule,  c'é- 
tait obéir  à  une  pensée  généreuse.  On  put  s'étonner  de  voir 
M.  Goudchaux  signaler  dans  cette  institution  du  pécule  un  danger 
pour  la  liberté,  celui  de  la  création  d'une  garde  prétorienne. 
M.  de  Lamoricière  réussit  à  faire  adopter  l'article  52,  c'est-à-dire 
le  principe  de  l'exonération.  On  laissait,  au  reste,  à  la  loi  an- 
nuelle  du  contingent  le  soin  d'en  fixer  le  prix. 

A  la  suite  de  ce  vote  décisif,  le  projet  soulevait  deux  autres 
questions  de  principe  d'un  non  moins  grand  intérêt.  Indépen- 
damment de  la  somme  fixe  qui  formerait  le  prix  de  l'exonération, 
le  projet  établissait  un  nouvel  impôt  proportionnel  qui,  sous  le 
titre  de  cotisation,  pèserait  sur  tous  les  jeunes  gens  non  appelés 
sous  les  drapeaux,  même  sur  ceux  qui  auraient  été  légalement 
exemptés  pour  leur  inaptitude  au  service  militaire.  Le  principe  de 
la  cotisation  ne  fut  pas  moins  vivement  combattu  que  celui  de 
l'exonération  lui-même  ;  il  soulevait  des  objections  tout  aussi 
graves.  Le  service  militaire,  impôt  essentiellement  personnel  et 
par  conséquent  fixe,  pouvait-il  devenir,  comme  l'impôt  foncier, 
proportionnel  à  la  fortune?  C'était  là  un  principe  tout  nouveau 
qu'on  cherchait  à  introduire  dans  la  législation.  La  seconde  ques- 
tion contenait  la  rémunération  du  service  militaire.  Celte  rému- 
nération consisterajt-felle  dans  un  pécule  une  fois  payé,  comme  le 
proposait  le  projet,  ou  dans  une  pension  de  retraite,  comme  le 
demandèrent  quelques  orateurs? 


ÉBAUCHES  ET  ÀVORT£MH*TS  LÉGISLATIFS. 

là  en  était  l'étude  du-projet  nouveau  lorsque,  te  5  mai,  fat 
coté  le  budget  de  la  Guerre.  On  a  va  dan  le  chapitre  précédât 
que,  sur  un  amendement  rédigé  par  le  général  €av aigaac  et  ao 
eepté  par  le  ministre  de  la  Guerre»  l'Assemblée  avait  reconnu  la 
nécessité  de  renvoyer  à  un  an  l'obligation  faite  au  Gouvernement 
de  présenter  une  loi  spéciale  sur  l'organisation  de  Tannée.  Ainsi 
était  tranchée  provisoirement  la  question  par  le  maintien  de  l'or- 
ganisation actuelle.  Tel  avait  été  le  résultat  de  la  déclaration 
d'urgence. 

Une  autre  loi  organique,  mise  à  l'étude  par  la  Chambre,  ne  put 
pas  plus  aboutir  et  fut  abandonnée  après  une  première  lecture* 
C'était  celle  concernant  la  responsabilité  des  ministres  et  du  pré» 
sident  de  la  République  (16  mars). 

Une  autre  non  moins  importante,  n'arriva  pas  même  i  discus- 
sion et  ne  produisit  qu'un  remarquable  rapport  de  M*  Jules 
Simon. 

C'était  la  loi  organique  de  l'enseignement.  Jusqu'ici*  dans 
toutes  les  questions ,  l'Assemblée  constituante  avait  eu  la  pré- 
tention d'innover,  de  substituer  l'imagination  A  l'expérience. 
Rien  de  semblable  dans  le  rapport  de  M.  Jules  Simon.  La  loi 
nouvelle  fondait  le  gouvernement  de  l'Instruction  publique  sur 
(rois  principes  depuis  longtemps  consacrés  :  elle  voulait  que 
l'instruction  publique  fût  gouvernée  par  un  conseil  un,  stable,  in-, 
dépendant.  Au  premier  coup  d'oeil,  il  est  vrai,  on  apercevait  trois 
conseils  dans  le  projet  :  mais  il  était  évident  que  ces  trois  conseils 
n'en  feraient  au  fond  qu'un  seul,  et  que  le  conseil  appelé  de  l'en* 
seignement  public  serait  le  noyau  et  le  centre  du  corps  entier.  11  y 
avait  eu  dans  la  commission,  comme  dans  iepaysmêftoe,  diverses 
influences,  les  unes  favorables  à  l'Université  et  aux  études  classi- 
ques, les  autrespréoccupées  avant  tout  de  la  liberté  de  l'enseigne» 
méat  et  des  institutions  privées  :  quelques-uns  s'étaient  attachés 
à  ridée  de  l'École  polytechnique  comme  au  modèle  de  la  bonne 
instruction.  Ces  diverses  influences  auraient  peut-être  longtemps 
lutté  les  unes  contre  les  autres.  Mais,  pressée  parle  temps,  la 
commission  de  l'Assemblée  nationale  avait  cherché  à  concilier* 
Am  partisans  désuétudes  classiques,  elle  avait  acoordé  le  conseil 
dit  de  l'enseignement  public;  aux  défenseurs  des  établissements 

1» 


«ATOME  m  PRÀKO&.  (1B49.) 

frivés,  elle  avait  donné  le  conseil  de  l'enseignement  pmé  ;  aux 
mute  de  EÉcole  polytechnique  et  de  l'enseignement  réaliste,  elle 
«mit  demie  leconstil  de  perfectionnement  ;  mats  elle -avait  en  la 
pensée  de  fondre  ces  trois  conseils  dans  ttn  seul,  avee  le  conseil 
-  ée  l'enseignement  publie  comme  pivot.  Quand  H  'sétait  agi  de  dé- 
terminer à- quelles  eonditionslesvétiiblissements  privés  pourraient 
e^nivrir,  ht  commission  avait  en  le  même  esprit  de  conciliation 
qnft  ttégenl  du  conseil  de  l'instruction  publique;  elle  avait  admis 
les  divers  systèmes  proposés  depuis  quelques  années.  Ainsi,  qui- 
oonque  vendrait  fonder  nn  établissement  d'instruction  devrait 
avoir  certains  grades  ;  mais  comme  il  est -des  personnes  qui  se  dé- 
tient de  l'impartialité  des  Facultés,  la  commission  instituait  un 
jury  chargé  aussi  de  délivrer  dés  diplômes  de  capacité.  On  pour- 
rait donc  être  instituteur  à  deux  titras  différents  :  ou  bien  à  titre 
de  gradué  des  Facultés,  ou  bien  4  titre  de  breveté  do  jury .  Mais  le 
rapporteur  ne  dissimulait  pas  dans  son  rapport  ^inconvénient  de 
cette  combinaison  ;  il  était  même  convaincu  que  l'opinion  pu- 
blique créerait  une  aorte  d'inégalité  entre  les  gradués  et  les  bre- 
vetés ;  préférant  de  beaucoup  les  gradués  aux  brevetée  ;  de  telle 
torte-qu'an  bout  de  quelque  temps,  le  jury  chargé  de  délivrer  ces 
breveta  tomberait  dans  une  sorte  de  désuétude.  Ici  peut-être  l'es- 
prit de  conciliation  n'aboutissait  qu'au  tâtonnement." 

Un  caractère  semblable  marquait  l'invention  d'un  second  jary 
Ai  capacité  proposé  dans  l'article  18  du  projet.  Voici  pourquoi  la 
commission  créait  ce  jury  spécial  :  Lee  instituteurs  gradués  pour- 
raient oèrrir  un  établissement  d'instruction  ;  ce  serait  le,  sans 
doute,  lapins  grande  catégorie.  Ceux  qui  répugneraient  a  pren- 
dre iea  grades- ou  qui  ne  pourraient  les  obtenir,  auraient  un  re- 
cours onfert  devant  le  jury  qui  les  breveterait  après  les  avoir  em- 
aspnés*  Ce  serait  la  seconde  dasse,  moins  nombreuse,  moins 
accréditée  peut-être.  S'il  restait  encore  après  cela  des  aspirants 
incapables  du  grade,  incapables  dn  brovet,  ceux-là  auraient  pour 
derrière  ressource  ua  jury  spécial. 

Après  cette  création  malfeeureuse,  le  projet  revenait  i  P expé- 
rience. L'inspection  serait  faite  dans  tons  lee  établissements,  qoek 
qu'il*  fussent,  par  des  humtae*  spéciaux  et  compétent*.  L'igno- 
wm  ne  pourrait  pan  s^ériger  o»  impartialité.  Le  baccalauréat 


ÉBAUCHES  BT  ÀVOftTGHSiTS  I^BGJJ^ITIFS.  WJ 

serait  conféré  par  |e#  Fettilfét,  pwe  W  Us  Faeoliés  aussi  mut 
«péetalee  al  compétentes.  Lee  fonctionnaires  chargés  4e  dernier 
l!ÛHrtFtictio*  et  réduction  d*ps  les  établissement*  de  l'ÉUt  «e 
seraient  pas  arbitrairement  choisi*  et  avancés  pu  la  faveur  w- 
WiérisIK  et  le  corps  wstigoapt  ne  serait  pas  gouverné  par  le* 
bureau»,  Tel  était  ee  projet  dans  lequel,  à  cité  de  quelques  ho- 
norable? doctrines,  on  retrouvait  les  teeUtione  de  conciliation 
entre  4*ft  principes  jpcompatibles,  proelaméfts  d'une  manière  si 
brillante  par  If.  Thiers  au  184*  (  voy **  VAnnwirt)*  L'Assemblée 
législative  trouverait  dans  le  rapport  de  M.  Jules  Simon  ua  eioei- 
tpnt  mémoire  à  consulter. 

Faisons  maintenant  uae  rapide  revue  des  projets  ou  proposi- 
tions d'initiative  étudiées  «par  l'Assemblée  constituante  dans  les 
deruiers  jours  de  sou  existence,  ta  plupart  des  résultais  à  si* 
fjwter  4ms  cet  ordre  de  travaux  n'ont  pas  une  haute  importunée 
et  portent  presque  tous  un  caractère  provisoire.  Mais  ils  entrent, 
pou?  leur  part,  dans  la  physionomie  complète  de  la  Chambre. 

Une  loi  du  9  août  1848  avait  réglé  le  cautionnement  des  jour* 
naui  (voyez  V Annuaire  précédent,  p.  268  et  270).  Ses  disposi- 
tions devaient  cesser  le  1er  mai.  Nais  la  loi  organique  de  la  presse 
éfeet  du  nombre  de  celles  qui  avaient  été  renvoyées  à  la  prochaine 
Assemblée,  le  Gouvernement  demanda,  le  &  avril,  que  la  loi  du 
0août,  en  ce  qui  concernait  le  cautionnement,  fût  maintenue.  La 
prorogation  était  proposée  pour  trots  mois.  L'urgence  fut  consen- 
tie. Hais  la  commission  qui,  aui  termes  du  règlement,  aurait  di 
faire  sou  rapport  dans  les  trois  jours,  n'ayant  pas  donné  signe  de 
vie  jusqu'au  i  7  avril,  le  ministre  de  l'Intérieur  dut  prier  T Assem- 
blée de  délibérer  immédiatement  sur  le  projet.  Cette  réclamation 
eut  peur  effet  défaire  présenter  le  rapport  de  M.  Dupont  (de 

La  eomméssieu  proposait  en  réalité  une  législation  nouvelle  : 
diminution  de  moitié  du  cautionnement,  réduit  à  41,000  francs  ; 
dispense  du  cautionnement  pour  tout  journal  nouveau,  pendant 
lue  quarante-cinq  jouce  qui  précéderaient  les  élections  générales; 
suspension  pendant  le  même  délai  des  règlements  imposés  au  col* 
peetage  et  à  la  distribution  des  écrits,  àrafftrfiage,  etc.,  teJtesétaiout 
loi  principales  dispositions  4»  prtjfet.  Cet  eneemMe  paraissait 


228  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

calculé  pour  rendre  à  la  France,  au  moins  jusqu'aux  élections,  le 
régime  tumultueux,  la  liberté  illimitée  de  la  presse  des  premiers 
mois  de  la  révolution .  MM.  Ledru-Rollio,  Pyat,  et  quelques  antres 
membres  de  la  Montagne  allaient  encore  plus  loin  :  ils  propo- 
saient, par  amendement,  de  supprimer,  dès  aujourd'hui,  tout 
cautionnement.  C'était  là,  au  fond,  l'idée  même  de  la  commis- 
sion. M,  Dupont  (de  Bossac)  avoua  que,  forcé  de  violer  là 
Constitution  par  le  maintien  provisoire  du  cautionnement,  fl 
cherchait  à  la  violer  le  moins  possible  en  se  rattrapant  sur  la  ré» 
duetion  du  chiffre. 

MM.  Méaulle  et  Base  firent  justice  du  système  nouveau  dans  te 
discussion  générale.  M.  Baze  proposait  de  trancher  la  question 
entre  les  deux  projets  par  un  vote  de  priorité.  Il  demandait,  et 
conséquence,  à  reprendre  le  projet  primitif  comme  amende- 
ment. L'Assemblée  vit  là  uue  infraction  au  règlement.  Restait 
l'amendement  radical  de  M.  Ledru-Rollin.  L'auteur  et  ses  ara» 
prétendaient  que  la  presse  n'est  pas  libre  avec  Je  cautionnement 
modéré  qu'on  lui  impose.  M.  Faucher  invoqua  les  (bits,  cita  des 
articles  assez  violents  pour  prouver  que  la  liberté  de  la  presse, 
sous  ce  régime,  n'avait  rien  d'illusoire.  L'amendement  de  M.  Le- 
dru-Rollin fut  rejeté  à  une  majorité  de  42S  voit  contre  994. 
L'article  Ier  de  la  commission,  qui  réduisait  le  cautionnement, 
Ait  également  rejeté  à  la  majorité  de  552  voix  contre  291 .  Il  en 
lut  de  même  pour  l'article  2,  supprimant  le  cautionnement  pen- 
dant quarante-cinq  jours;  la  Chambre  le  repoussa,  à  la  majo- 
rité de  381  voix  contre  261 .  Enfin,  l'article  unique  du  Gouverne» 
ment  fut  adopté. 

Tout  n'était  pas  fini  cependant.  La  commission  avait  vonle 
exempter  de  l'autorisation  préalable  le  colportage,  Faflicinge  et 
le  criage  des  journaux  jusqu'aux  élections  prochaines.  A  celle  oc- 
casion, M.  Charras  dénonça  la  prétendue  partialité  du  Gouverne- 
ment qui  permettait  l'entrée  dans  les  casernes  aux  fout  joarnena 
et  l'interdisait  aux  mauvais.  M.  le  ministre  de  l'Intérieur  dédi- 
ra, de  la  manière  la  plus  catégorique,  qu'aucun  membre  ém 
Gouvernement  n'avait  autorisé  la  distribution  d'atioen  écrit  pott~ 
tique  dans  l'armée.  Au  milieu  du  plus  violent  tumulte,  le  i*  pa- 
ragraphe de  la  commission  fut  adopté  par  318  voix  eoatt*  SM. 


ÉBAUCHES  ET  AVOR'fEMEHTS  LÉGISLATIFS.  22B 

L'ensemble  de  l'article  fut  voté  à  la  majorité  de  Z2S  contre  311. 
Ainsi  l'Assemblée  autorisait  l'agitation  la  plus  effrénée  pendant 
près  d'un  mois  (20  avril). 

Le  lendemain,  M»  Base  réussit  pourtant  à  faire  adopter  une 
disposition  additionnelle  par  suite  de  laquelle  les  distributeurs, 
crieors  et  afficheurs  d'écrits  devraient  justifier  auprès  du  maire, 
dans  la  commune  duquel  ils  se  livreraient  à  ces  opérations,  que 
récrit  colporté,  crié  ou  affiché,  aurait  été  déposé  au  parquet  du 
procureur  de  la  République  ;  ils  devraient  même  en  déposer  un 
exemplaire  à  la  municipalité.  La  loi  fut  adoptée  dans  son  en- 
semble par  550  voix  contre  79  (21  avril). 

Le  premier  mois  de  Tannée  parlementaire  avait  esquissé  un 
certain  nombre  de  projets,  abandonnés  depuis  pour  des  questions 
phi*  graves.  1/ Assemblée  en  reprit  quelques-uns. 

Nous  avons  parlé  plus  haut  (p.  27)  d'un  projet  de  loi  ayant  pour 
but  de  soumettre  au  droit  de  mutation  les  biens  de  main-morte, 
c'est-à-dire  les  immeubles  passibles  de  la  contribution  foncière, 
qui  appartiennent  aux  départements,  aux  communes,  aux  hospi- 
ces, aux  établissements  religieux,  aux  bureaux  de  bienfaisance 
et  aux  sociétés  anonymes.  Il  s'agissait,  on  se  le  rappelle,  d'éta- 
blir sur  ces  biens  une  taxe  annuelle  qui  pût  équivaloir  aux  droits 
de  transmission  des  propriétés  ordinaires  qui  changent  de  mains, 
par  suite  de  décès  ou  de  mutations  entre-vifs.  Aux  termes  du 
projet,  cette  taxe  devait  être  calculée  sur  le  pied  de  62  centimes 
5  millièmes  pour  franc  du  principal  de  la  contribution  foncière 
établie  sur  les  biens  de  main-morte. 

La  deuxième  délibération  s'ouvrit  le  9  février.  Un  amendement 
de  M.  Huot,  qui  affranchissait  de  toute  redevance  les  immeubles 
des  établissements  charitables  et  qui  réduisait  la  taxe  des  autres 
biens  de  main-morte  à  50  centimes  pour  franc,  et  des  observa- 
tions de  M.  Rasset,  qui  attaqua  le  principe  même  de  la  taxe,  en 
soutenant  qu'elle  était  injuste  et  qtf  elle  ne  donnerait  que  des  pro- 
duits peu  considérables,  amenèrent  à  la  tribune  M.  le  ministre 
des  Finances.  M.  Passy  eut  peu  de  peine  à  démontrer  l'équité  de 
la  taxe;  Userait,  au  contraire»  inique  de  soustraire  i  l'impôt  des 
immeubles  dont  la  superficie  totale  occupe  le  dixième  du  territoire 
français,  et,  dans  F  état  actuel  des  finances,  il  était  important  de 


230  HlSTOIftE  flE  JRAKCE.   (184$.) 

ne  négliger  aucunes  ressources.  Les  paroles  de  If .  Passy  détermi- 
nèrent l'adhésion  dé  l'Assemblée  qui  rejeta  les  amendements 
et  vota  la  redevance  de  62  centimes,  établie  par  1è  projet  (  9  fé- 
vrier). 

(Jn  second  projet  relatif  à  l'augmentation  de  l'impôt  sur  les 
successions  {voyez  plus  haut,  p.  24)  fut  discuté  &   nouveau  le 
30  janvier.  Après  avoir  adopté  l'article  qui  portait  de  23  à  75 
centimes  lé  droit  de  mutation  sur  les  biens  meubles  en  ligne 
directe,  l'Assemblée  rejeta  celui  qui  devait  porter  l'impôt  sur  les 
immeubles  de  1  fr.  a  1  fr.  80  cent.  Sur  la  proposition  de  M.  le 
ministre  des  Finances,  le  projet  tout  entier  fut  renvoyé  à  la  com- 
mission. Le  1er  février,  la  commission,  par  l'organe  de  M.  de 
Parieu,  proposa  le  chiffre  de  !  fr/  40  cent,  qui  se  rapprochait 
autant  que  possible  de  celui  qu'elle  avait  fixé  primitivement.  On 
s'accordait  généralement  a  reconnaître  que  la  différence  établie 
par  les  tarifs  actuels  entre  les  meubles  et  les  immeubles  était 
beaucoup  trop  considérable;  aussi  la  Commission  avait-elle  atté- 
nué cette  différence  en  triplant  le  droit  sur  les  premiers  et  en 
ne  l'augmentant  que  de  50  0/0  sur  les  seconds;  il  y  avait  d'ail- 
leurs plusieurs  motifs,  k  ses  yeux,  pour  maintenir  une  distinc- 
tion :  les  valeurs  mobilières  étant  plus  faciles  â  dissimuler,  il  im- 
porte de  ne  pas  accroître  la  prime  de  la  fraude  ;  elles  donnent 
lieu  àdes  évaluations  plus  rigoureuses;  enfin  il  y  a  quelque  chose 
de  démocratique  i  prélever  des  droits  moindres  sur  les  valeurs 
mobilières  qui  composent  le  plus  souvent  l'actif  des  successions 
recueillies  par  les  citoyens  pauvres. 

Malgré  ces  ^motifs,  l'Assemblée  repoussa  encore  lé  chiffré  de 
1  fr.  40  cent.  La  commission  déclara  alors  qu'elle  n'avait  plus 
qu'à  retirer  son  projet  dont  l'économie  se  trouvait  détruite,  fl  en 
résultait  que  l'Assemblée  devait  revenir  au  projet  primitif,  pré- 
senté par  l'ancien  Gouvernement  et  tendant  à  établir  un  impôt 
progressif  sur  les  successions.  Il  était  impossible  à  M.  Passy  d'ac- 
cepter une  pareille  situation  ;  mais,  Comme  M.  le  ministre  des 
Finances  ne  pouvait  retirer  le  projet  sans  apporter  un  décret  du 
président  de  la  République,  il  réclama  l'ajournement,  afin 
d'avoir  le  temps  de  remplir  cette  formalité.  L'ajournement  fut 
prononcé  ( 4 * r  février). 


ÉBAUCHES  ET  A VORTBifcNTSLfiGlBLAnFS.  28f 

Uo  projet  nouveau,  présenté  le  9  février,  réglait  le  timbre  des 
eAete  de  commerce,  des  actions  dans  les. compagnies  et  sociétés 
de  finances,  de  commerce  et  d'industrie,  et  des  polices  d'assu- 
rances. Le  projet  ne  reparut  à  l'ordre  du  jour  que  le  4&  mai, 
c'est-à-dire  i  une  époque  où  l'Assemblée  ne  pouvait  .discuter 
utilement  et  avec  calme  les  dispositions  de  11  loi.  Après  une  dis- 
cussion pénible  de  quelques  instants,  on  s'aperçut  que  le  projet 
noierait  des  questions  trop  graves  pour  pouvoir  être  résolues 
dus  les  circonstances  actuelles.  En  conséquence  l'ajournement 
fat  prononcé  (19  avril). 

Tel  est  l'inventaire  exact,  mais  peu  brillant,  des  travaux  sérieux 
de  la  Chambre.  Comment  eût-elle  pu  se  livrer  à  des  études  pro- 
fitables quand  des  luttee  personnelles,  quand  des  scandales  ineeS» 
omeat  renouvelés,  quand  des  Interpellations,  sans  autre  résul* 
Wqae  le  tumulte*  quand  enfin  une  agitation  stérile  l'occupait 
M  entière. 


2tt  HISTOIRE  DE  JTOAWGE.  (ttW.) 


CHAPITRE  XIII. 


AGITATION  ÉLECTORALS,   DÉSOKBRES ,   UTOPIES. 


Agitation  sotnrde,  mû  sédnam»,  banqueta.  —  11  fedru-Rollin,  flatterie  à 
J'armée.  —  Énergie  de  1  autorité,  4XMnmUuirea.de  police  du»  les  hanqafts, 
barrière  du  Maine.  —  Interpellations,  encore  le  droit  de  réunion,  ordre  du 
jour.  —  "Violences  des  clubistes,  scènes  de  désordre.  —  Approche  des  élec- 
tions, union  électorale,  comité  dé  la  me  de  Poitiers,  fusion  des  opinions  mo- 
dérées, propagande  de  l'anarchie,  propagande  de  Tondre;  programmes  éleeto* 
raax  ;  la  rue  de  Poitiers,  le  Palais  national,  les  amis  de  la  Constitution,  la 
Montagne;  comités  bonapartistes.  —  Les  clubs  déguisés  en  réunions  électo- 
rales, doctrines  sauvages,  les  clnbistes  h  la  6"  chambre»  escroqueries,  dé- 
lations. —  Interpellations  nouvelles  sur  te  droit  de-  réunion,  M.  FétnrPyaft, 
M.  Pierre  Leroux  et  son  miroir,  calomnies,  M.  Léon  Faucher  et  la  Mou* 
tagne,  ordre  du  jour.  —  Suspension  des  réunions  électorales  socialistes  de  par 
le  comité  démocratique-socialiste,  protestation,  excitations  et  prudence.  — 
Agitation  dans  la  rue,  rassemblements/  arrestation,  de  trois  représentants, 
interpellations  à  ee  sujet.  —  Arrestations  nombreuses  v  saisie  de  pièces, 
vehme  démocratique,  solidarité  de  la  presse  socialiste.  —  Réaction  légitime, 
banquet  de  Moulins,  M.  Ledru-Rotlm  chassé,  le  désordre  appelle  le  désordre, 
interpellations,  refus  d'une  enquête  parlementaire.  —  Émeute  année  h  Dijon, 
dissolution  de  la  garde  nationale.  —  Anniversaire  de  la  proclamation  de  la  Ré- 
publique, question  de  l'amnistie,  glorification  des.  transportés,  apothéose  des 
assassins  du  géuéjral  de  Bréa;  l'écbafaud  politique.—  Procès  du   15  mai, 
.haute  cour  de  justice  de  Roorge*,  verdict,  révélations  étranges,  complicité 
dans  le  Gouvernement;  accusations  mutuelles  de  délation,  Huber,  Barbes  et 
Blanqui  ;  théories  révolutionnaires,  souveraineté  du  but,  comment  on  fait  une 
révolution.  —  Le  socialisme  et  la  pratique,  liquidation  de  la  Banque  du 
Peuple,  M.  Considérant  et  le  phalanstère  ;  rêveurs  et  factieux. 


En  janvier,  le  parti  socialiste,  affaibli  par  une  première  dé- 
faite, la  lutte  sociale  de  1848,  avait  eu  recours  à  l'arme  des  mi- 


AGITATION  ÉLECTORALE.  283 

nerités  factieuses  en  se  réfugiant  dans  les  comploté.  Désormais,  il 
en  était  réduit  i  un  système  d'agitation,  d'inquiétude.  Il  travail- 
lait à  troubler  par  des  démonstrations  extérieures  le  pays  qu'il 
n'espérait  plus  gouverner,  ni  même  surprendre.  Au  commence- 
ment du  mois  de  mars,  à  Clermont-Ferrand,  à  Villefranche 
(Aveyron),  à  Saint-Céré  (Loty  et  dans  vingt  autres  endroits,  des 
cris  séditieux  étaient  poussés ,  des  banquets  s'organisaient  dans 
lesquels  on  buvait  :  «  Aux  victimes  de  juin  !  Aux  frères  assas- 
sinés 1  »  A  Langeac  (Haute-Loire),  les  adeptes  de  la  démocratie 
sociale  se  livraient,  vêtus  de  rouge,  à  une  hideuse  orgie  à  la  suite 
de  laquelle  ils  brûlaient  les  blancs,  ou  les  guillotinaient  en  effi- 
gie. A  Toulouse,  oa  insultait  les  lieux  saints.  A  Paris,  dans  un 
banquet  de  la  salle  Martel,  M.  Ledru-Rollin  dévoilait  ainsi  les 
espérances  nouvelles  du  soeialisme  auquel  il  venait  de  se  rallier 
si  franchement  :  a  Leur  armée,  disait  l'ancien  membre  dn  Gou- 
vernement provisoire,  leur  armée!  'Mais  n'est-elle  pas  composée 
de  voe  frère*?  Qu'ils  la  laissent  passer  un  mois  seulement  à  Paris, 
et.  elle  sera,  socialiste,  s  C'est  qu'en  effet,  le  socialisme  adoptait 
un  plan  nouveau,  la  désorganisation  de  la  seule  grande  force  qui 
eût  survécu  intacte  à  la  révolution  de  Février,,  de  l'armée  qui  l'a- 
vait vaincu.  Des  bancs  les  plus  élevés  de  l'Assemblée  nationale, 
commodes  bat-fonds  des  clubs  sortaient  des  flatteries  empressées 
pour  ces  soldats  auxquels  le  socialisme,  prodiguait,  la  veille ,  tant 
d'insultes.  Ici,  on  réclamait  le  vote  pour  les  années  même  en  corn* 
pagne;  là,  on  imaginait  un  prétendu  banquet  de  sous-officiers 
socialistes  contre  l'existence  duquel  protestaient  les  sous-officiers 
du  régiment  désigné.  Il  est  vrai  qu'en  même  temps,  1  Narbonne 
et  i  Carpentras,  les  émeutiers  insultaient  et  frappaient  la  troupe 
de  ligne  toujours  modérée  dans  la  répression,  mais  incorruptible. 
A  Nevers,  deux  coups  de  feu  accueillaient  ilue  patrouille.  A  Vou- 
xiere,  uu  ancien  militaire  était  lâchement  assassiné  sur  la  grande 
route,  parce  qu'on  le  savait  attaché  aux  souvenirs  impériaux. 

En  présence  de  ces  actes  insurrectionnels,  l'énergie  ne  faisait 
pas  défaut  à  l'autorité.  Armée  de  la  loi  de  1790,  elle  envoyait  des 
commissaires  de  police  dans  les  salles  de  banquets  et  de  clubs 
pour  y  exercer  leur  surveillance.  A  Paris,  dans  un  banquet  de  la 
barrière  dir Maine,  le  droit  de  l'agent  public  ayant  été  méconnu, 


234  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (I*i9.) 

il  fit  expulser  les  spectateurs.  Ce  fut,  pour  MM.  Martin-Bernard, 
Pierre  Leroux  et  Letru-flollin ,  Toceasfon  de  s'élever  à  l'Assern* 
blée  n a  Honnie  contre  un  acte  dans  lequel  ils  voyaient  un  alternat 
au  droit  de  réunion  (5  mars).  Ce  ne  furent  plus,  telle  fois, 
MM.  Gtifcot  et  DuchAtel  qui  eurent  i  défendre  les  droits  du  pou- 
voir :  la  lot  de  4790  fut  intoquée  par  M.  Odilou-Barrof.  (Tétait  là 
séance  du  2f  février  4848.  Mais  les  rôles  étaient  changés.  C'était 
aujourd'hui  M.  Odilon  Barrot  qui  réclamait  les  garanties  essen* 
tielles  de  Tordre  et  de  la  paix  publique,  au  milieu  des  thèmes 
clameurs  que  soulevait,  un  an  auparavant,  la  parole  de-M.  Hébert. 
L'ordre  du  jour  pur  et  simple  fit  justice  des  interpellations. 

L'exaltation  des  clobistes,  les  agitations  qui  suivaient /tous  leurs 
pas  ne  justifiaient  qae  trop  la  vigilance  du  Gouvernement.  À  Lo* 
dève,  les  membres  d'un  club  fermé  par  décision  du  tribunal  em- 
ployaient la  violencç  contre  les  agents  de  l'autorité  :  il  fallait 
l'intervention  de  la  force  armée  pour  les  mettre  en  faite.  A  Saint* 
Clar  (Gers),  un  club  se  formait  sans  remplir  les  formalités  légales, 
et  il  en  sortait,  chaque  soir,  des  bandes  qui  faisaient  retentir 
les  rues  de  clameurs  anarchiques.  A  Prades,  un  rassemblement 
de  même  espèce  accablait  d'une  grêle  de  pierres  te  ftJtis~préftt 
qui  s'opposait  courageusement  à  l'inauguration  du  bonnet  ronge. 
A  Carpentras,  l'émeute  socialiste  envahissait  un  cercle  d'amis 
de  Tordre,  montrant  ainsi  comment  elle  entendait  la  liberté 
de  réunion. 

De  son  côté,  le  ministère  faisait  preuve  d'impartialité  en  inter- 
disant une  société  formée  dans  plusieurs  départements  sous  le 
nom  d'Association  fraternelle  des  amis  de  Tordre.  C'est  qu'en  ef- 
fet, la  société  menacée  ne. s'abandonnait  pas  elle-même.  Le  sen- 
timent conservateur  était  désormais  passé  du  Gouvernement  dans 
la  société  tout  entière.  Habituée,  jusqu'alors,  à  être  guidée  et 
soutenue,  elle  avait  été  un  moment  privée  de  toute  protection 
extérieure.  Elle  avait  dû,  par  là,  reconquérir  son  initiative,  et 
cet  affranchissement  acheté  si  cher  pouvait  faire  espérer  la  ré- 
sistance dans  le  présent  et  la  sécurité  dans  Ta  venir. 

Les  élections  approchaient  î  celte  initiative  devenait  double- 
ment nécessaire.  L'union  de  la  France  dans  l'élection  du  40 
décembre,  était  une  leçon.  Cette  union  toute  spontanée  s'était 


ÀGWAfK**  ÊLiîCTOhALÊ.  235 

manifestée  déjà  dans  les  élections  précédentes,  dan*  lVmpres- 
sêffient  dès  gardé*  nationales  à  courir  à  I*  défense  de  l'ordre  pu- 
blic. On  grand  nombre  de  citoyens  éclairés  formèrent  une  réu- 
nion, dite  de  la  rue  de  Poitiers,  dans  laquelle  ils  cherchèrent  à 
reproduire  ce  rapprochement  de  tous  les  anciens  partis  pour  la 
protection  de  l'ordre  social,  tin  comité  centra!  fut  formé  des  re- 
présentants les  plus  distingués  de  toutes  les  nuances  de  f  opinion 
modérée  (I).  Poinaifron  s'étonner  de  rencontrer  dans  cette  bril-' 
iante  association  des  éléments  jusqu'alors  hétérogènes?  M.  Thiers 
y  ftgurait  à  côté  de  M.  Berryer,  M.  de  Montalembert  à  cdté  de 
M.  Cousin,  M.  de  Noallles  près  de  M.  de  Persigny.  C'est  que  des 
raisons,  supérieures  aux  passions,  avaient  effacé  les  rivalité*  an- 
ciennes et  fait  taire  toutes  les  considérations  dé  parti.  Toutes  ces 
personnalités  contraires  se  rencontraient  sur  un  terrain  neutre, 
comme  foutealesopmionsdrssidentess'étaient  coudoyées,  s'étaient 
confondues  au  jour  du  combat  suprême  de  la  société  poursa  propre 
existence.  La  situation  n'avait  pas  changé.. La  fusion  de  la  rue  se 
retrouvait  dans  le  scrutin.  C'est  que  le  pays  était  toujours  me- 
nacé ,  sinon  par  une  franche  et  brutale  agression  ,  au  moins  par 
lès  sourds  efforts  du  socialisme.  Le  parti  démagogique  avait  bien 
su  abdiquer  ses  rivalités  personnelles  pour  se  rallier  sous  im  dra- 
peau unique  :  le  parti  de  Tordre  et  de  la  liberté  se  ralliait,  lui, 
sous  le  drapeau  dé  la  société  qu'il  avait  h  défendre. 
La  fusion  une  fois  opérée,  le  comité  de  la  rue  de  Poitiers  ne 


(1)  Voici  les  noms  des  membres  qui  signèrent  la  première  déclaration  : 
MM.  Ayliee,  Baraguay-d'Hillicrs,  Ferdinand  Barrot,  Bauchàrt,  Base,  Beau- 
atet  (étf  là  0éa*e),  Bécfaàrd,  de  BtHéytae,  feftrard,  Berryer»  Bineaa,  Blin  de 
Beardefi,  Boajeun»  de  Broflit,  maréchal  Bugeaud,  de  Cambacéree,  de  Chaleie* 
Périgord,  Cbambolle,  Clary,  Coati,  Cousin»  Dahirel,  Dariste,  Daru,  Benjamin 
Deleasert,  Derijoy,  de  Sèze,  Durand  (de  Romorantin),  Ûuvergier  de  Hauranne, 
Aétrilte  FfcoM,  Gamoa,  Ofangferdefe  Marinière,  d'ftautsonyille,  d'Heecltereii, 
Victor  8*g0,  <k  Kerdral,  Lacas»,  de  LaJerraanays,  de  Laferié-Metni»  dé  Larey, 
Jales  de  Lasteyrie,  de  Laussat,  de  l'Épinay,  Levavasseur,  Léo»  de  MaJevilIe, 
Mole,  de  Montalembert,  de  Mornay,  Lucien  Murât,  de  Noailles,  général  d'Or- 
«aoo  ,  de  Padoue,  Casimir  Périer,  de  Persigny,  général  Pyat,  Pis ca tory, 
Farta,  de  La  Redort»,  téfnanîd  de  Saint»  Jtan-d'Aitgely,  de  Rémusat,  de 
Baiperilla,  de  Rian<s«y,  de  La  Rochetto,  Roger  (dn  Nord),  Roukar,  Satrvaira* 
Barthélémy,  Strnch,  Tasrhereau,  Àmédée  Thayer,  Thiers,  Vieillard,  de  Vogué, 
de  Wagram. 


9M  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1840.) 

dut  pas  borner  ses  efforts  aux.  élections  prochaines.  Les  doctrines 
les  plus  perverses  étaient  propagées,  sous  toutes  îes  formes,  au 
sein  des  populations  laborieuses.  De*  associations  fortement  or- 
ganisées cherchaient  à  s'étendre  sur  la  France  entière,  et  travail* 
laient  activement  à  soulever  contre  Tordre  social  toutes  les  pas* 
sions  et  toutes  les. souffrances*  La  Propagande  démocratique  et 
sociale  venait  en  aide  à  ces  associations,  en  jetant  non-seulement 
dans  les  ateliers  des  villes,  mais  au  milieu  .des  campagnes,  une 
masse  d'écrits  les  plus  propies  à  enflammer,  à  égarer  les  es- 
prits. Pour  atteindre  ce  but,  tous  les  moyens  paraissaient  bons, 
et  récemment  un  comité  avait  été  jusqu'à  s'adresser  directement 
aui  instituteurs  primaires,  en  sollicitant  leur  concours  ;  enfin,  à 
Paris  et  dans  les  départements,  des  souscriptions  étaient  ouvertes 
pour  distribuer  gratuitement  ou  i  très-bas  prix  des  journaux  et 
des  brochures  incendiaires  dont  on  inondait  même  les  casernes. 
En  présence  de  cette  activité  destructive,  le  comité  de  la  rue  de 
Poitiers  s'était  demandé  s'il  était  permis  aux  honnêtes  gens,  aux 
bons  citoyens  de  rester  inactifs,  ou  si  ce  n'était  pas  pour  eux.  i 
la  veille  surtout  des  élections,  un  devoir  d'accepter  la  lutte  et 
d'opposer  à  la  propagande  de  l'anarchie  la  propagande  de 
l'ordre. 

Cet  appel  fut  entendu  :  ouverte  Je  28  mars,  la  souscription 
du  comité  recueillit  50,000  fr.  en  quelques  heures.  Un  mois 
après,  le  comité  avait  fait  paraître  £77,000  exemplaires  de  divers 
écrits  anti-socialistes  et  patronné  quelques  journaux  hebdomadai- 
res. Efforts  louables  sans  doute  ;  mais  la  défense  égalait-elle  Pé- 
nergie  de  l'attaque? 

Une  autre  association  fut  fondée  pareil  élément  et  se  recruta  d'é- 
léments semblables.  L'Union  électorale,  formée  de  comités  de  sec- 
tion, de  comités  d'arrondissement  et  d'un  comité  central  sur  la 
base  des  circonscriptions  de  la  garde  nationale,  se  donna  pour 
but  la  désignation  des  candidats  futurs  au  moyen  d'élections  pré- 
paratoires. La  liste  des  candidatures  définitives  qui  devait  sortir 
de  ces  épreuves  préliminaires  résumerait  l'expression  vraie  de 
la  majorité  des  amis  de  Tordre.  Enfin,  la  presse  modérée  elle- 
même  organisait  an  comité  central  pour  raffermissement  des 
principes  sociaux. 


AGITATION  ÉLECTORALE.  987 

Ainsi  comtitaé*,  les  deux  partis  rivant  présentèrent  tesrt  pie* 
grammes. 

Le  comité  de  la  rue  de  Poitiers  «'en  tint,  par  prudence,  à  te 
formule  de  l'ordre*  Son  manifeste  n'affirmait  qee  te  désir  de  res> 
taurer  la  tranqattlité  et  de  calmer  peur  ainsi  dire  te  système  ter* 
rca*  de  la  société,  si  vivement  ébranlé  par  les  utopies,  les  !** 
volutkms  et  les  lattes  sociales*  Une  antre  réenton  dite  du  Palai* 
nmtionat,  composée  de  répaMieaîas  modérés  de  la  teille,  saint  te 
même  exemple.  Toutefois,  tout  en  voulant  la  restauration  de 
Tordre,  elle  demandait  le  maintien  et  te  développement  régulier 
des  institutions  républicaines. 

L'wociation  de$  Amis  de  ta  Constitution  formulait,  comme  suit 
Je  but  de  ses  efforts  économiques  et  sociaux  : 

Filles  dm. tempe,  les  réformes,  dam  teor  enchaînement  successif,  n'oit  de  H- 
sntes  que  celles  de  U  perfectibilité  de  l'homme  et  de  m  tocîété.  Elle»  doivent 
être  érigée»  en  institutions  à  mesure  qu'elles  Arrivent  en  maturité.  Les  princi» 
pales  réformes  qui,  dès  à  présent,  sent  mûres  et  doivent  être  opérées,  sont  : 
l'instruction  gratuite  qni  est  une  dette  de  l'État,  comme  la  Justice-,  et  oui  seule 
peut  donner  au  suffrage  universel  toute  son  eflicuoité;  —  rergaaisanen  de  Pen- 
ueSgueuient  professionnel  ;  —  la  condition  des  instituteur!  moins  prétoire  et 
pins  relevée;  —  l'inamovibilité  des  desservants  et  l'amélioration  de  lenr  sort;  — 
rappucatkm  graduelle  de  ce  principe  écrit  dans  la  Constitution  :  la  propor» 
tioonaHté  des  impôts,  en  commençant  cette  réforme  pur  ceux  oui  s'écartent  N 
plus  de  cette  règle,  tels  que  l'impôt  du  sel  qui  peso  oorticolieiuuatSjt  sur  l'agri- 
culteur, et  l'impôt  dos  boissons  qui  stérilise  une  vaste  partie  du  sol,  diminue  la 
richesse  nationale,  fait  perdre  à  l'État  plus  qu'il  ne  lui  rapporte;  —  l'organisa* 
tioav  do  la  force  publique  ou  triple  point  do  vue  de  la  réduction  des  charge*  on 
l'État,  de  Togalûé  devant  l'impôt  et  de  U  sécurité  intérieure  et  extérieure  do  U 
République;  —  l'organisation  du  crédit  par  des  institutions  qui  le  rendent 
moins  cher  et  plus  accessible;  —la  réforme  hypothécaire;  —  la  simplification 
des  rouages  administratif,  multipliés  à  l'excès  depuis  trente  ans  au  préjudice 
du  Trésor  public  et  de  la  prompte  expédition  des  affaires  ;  —  la  révision  des  leio 
de  procédure  qui  rendent  la  justice  trop  lente  et  trop  coûteuse;  —  la  création 
d'institutions  de  prévoyance  et  de  retraite  pour  les  travailleurs  ;  —  l'organisa- 
tion de  r assistance  publique. 


U  y  avait  encore  là  des  formules  très-vague*  de  socialisme  et 
beaucoup  d'inexpérience.  ,    ^ 

Les  montagnards  de  l'Assemblée  (55  représentants)  publièrent 
aussi  une  adresse  dans  laquelle  ils  établissaient  leurs  doctrines  sur 


HJSTpJftE  DE  FBAMCB   (1*49  j 
intérieur,  riirtWwif,  leiwwtfUnwpMite  wni«  mUitatj*,rios- 

tructioD  et  Tordre.  C'est  M.  Félii  Pyat  qui  rédigea  ce  mafjifetJ*  dé- 
damatoir*  at  yidMaa*  lequel  se  trouaient  toute*  ka  tMetie*  eo- 
oialisias i ladpailaii travail, le drait an  ofédil>  l'État bajrqirier  te 
pauvres,  l'absorption  de»  ioduetrias  par  l'&tat,  l'impôt  progpttwf, 
eitfn  toqtes  les  autres  conséquence*  socialiste*  de  la  Gonstîtuliam 
otc.  Citait  un  «ilanga  confus  40  fourrions»*,  fia  pfPwiU«îs»a, 
4e  fiOflunuiiiaiDa  et  de  ma*  prof*aUiftfte  d'éceiMma  potitiqws. 


Noos  voulons  reconnaître  à  tons  le  droit  à  la  propriété  par  le  droit  au  tra- 
vail.  Qu'est-ce  que  le  droit  au  travail?  C'est  la  droit  m  crédit.  Bt  qo'est-eeqae 
lé  droit  a«  crédit?  G'eat  le  droit  ao  capital,  «  'oat-Miro  aju  moyaos,  ans  wstru- 
ments  de  travail.  L'article  ]3  de  la  Constitution  a  promis  des  institutions  de 
crédit  :  le  crédit,  c'est  la  mise  en  circulation  de  la  richesse  commune,  c'est  la 
vie  même  de  l'Etat,  et  la  vie  collective  ressemble  à  la  vie  individuelle.  L'État 
doit,  comme  le  comr  envoie  Je  sang  an»  membres,  distribua?  la  crédit  mis 
citoyens  qui  le  lui  rendent  par  l'impôt.  II  faut  doue  que  l'Etat,  suivant  l'ar- 
ticle 13  delà  Constitution,  institue,  organise  le  crédit  public;  il  faut  que,  par 
un  bon  système  de  banques  cantonales  et  départementale*  reliées  entre  ailes 
et  à  nue  banque  nationale,  il  supplée  ou  crédit  privé  qui,  soit  douane*,  insuffi- 
sance on  malveillance,  s'est  retiré  du  corps  social  et  l'a  nojajyso.  U  faut  qu'il 
fesse  *u  grand  ce  que  la  Banque  de  France  fait  en  petit  avec  un  capital  pat* 
treiut,  usuraire  et  mal  garanti  :  il  faut  qu'il  prête  au  lieu  d'emprunter;  il  faut 
qu'il  prête  m"  imumoWe  comme  sur  meuble,  sur  valeurs  présentes  comme  sur 
produit*  À  venir  ;  qu'il  «oit  **6*  réel  et  personnel.    • 

Jl  faut  qu'il  fusse  aussi  baisser  l'intérêt  de  l'argent  du  plus)  eu  pis*;  il  fiant 
qu'il  arrache  l'agriculture,  l'industrie  et  le  commerce  à  l'exploitation  féodale  des 
hommes  de  banque  et  de  bourse,  aux  agioteurs  et  aux  usuriers  patentés  ou  mar- 
rons; il  faut  qu'il  ranime,  qu'il  redouble  la  foret,  la  vie,  l'activité  do  la  nutiou, 
qu'il  fournisse  h  tous  ses  ummbros,  h  tous  1er  citoyens,  ■ssoeiéw  ou  isolés,  lo  tra- 
vail, c'est-à-dire  la  propriété,  c'est-à-dire  la  liberté. 

En  résumé  : 

Suffrage  universel  et  direct  ;  unité  de  pouvoir,  distinction  de  fonctions  ; 
l'exécutif  révocable  et  subordonné  au  législatif;  point  de  président;  la  liberté 
de  la  pensée,  quel  que  soit  son  mode  de  manifestation  Individuel  ou  coHeetif, 
permanent  ou  périodique,  par  la  parole  ou  par  la  presse;  U  liberté  entière  sans 
aucune  entrave  préventive  ou  fiscale,  sans  cautionnement,  privilèges,  cen- 
sore  ou  autorisation  ;  liberté  absolue  sans  autre  limite  que  la  responsabilité  ; 
rehaussement  des  fonctions  d'instituteur  ;  émancipation  du  bas  clergé  ;  applica- 
tion lu  pins  Usge  possible  de  Mloctioa  «t  du  concourt  à  soutes  lus  tressons 
publiques;  réforme  du  service  militaire;,  abolition  complète  des  impôts  qui 
frappent  Jes  objets  de  consommation  de  première  nécessité,  comme  le  sel  et  le» 
boissons  ;  révision  de  l'impôt  financier  et  des  patentes  ;  établissement  de  f  impôt 
putgwitif  ot  prtptisJssiuui  tu»  Mt  mono  net,  ioumobater  etiaoutliur  ; 


AGITATION  ÉLECTORALE  K)0 

jeaaenldcs  4fr  centime*;  esnloitetiaq,  par  rÉiat,  de»  chemins  d«  fer,  s»***,  an- 
naux, assurances,  etc.;  rédaction  des  gros  traitements,  augmentation  des  petits; 
réforme  administrative ,  judiciaire  et  pénale  ;  abolition  de  la  coutrainte  par 
eerps;  abolition  4e  la  peine  de  mort  ;  amnistie;  encouragement  à  l'agriculture 
#t  à  l'iitetotrie;  enfin,  droit  à  renseignement  ai  «irait  au  travail  par  le  créait 
et  r association. 

Voilà  ce  qn*  nous  voulons,  ce  que  le  peuple  peut  avoir,  s'il  le  vept,  avec  |e 
suffrage  universel  qu'il  a  déjà,  et  sans  fusil,  sans  émeutes,  sans  secousse,  eji 
se  barricadant  dans  la- loi,  en  s'armant  de  son  vote,  par  la  seule  force  du  nombre 
et  4a  l'nuinn,  il  peut,  s'il  le  Tant,  tirer  de  l'urne,  pacifiquement  et  progressive- 
ment, toutes  ces  conséquences  des  trois  grands  principes  de  la  révolmiou,  c'est- 
à-dire  .le  Gouvernement  de  tous  par  tous  et  pour  tous,  la  République  uue  et 
indivisible,  démocratique  et  sociale. 


Promesses  irréalisables,  aspirations  confuses,  théories  mal  di- 
gérées. Où  la  Montagne,  une  fois  parvenue  au  pouvoir,  prendrait- 
elle  donc  l'argent  nécessaire  à  la  fondation  de  ses  quatre  mille 
banques»  car  elle  en  annonçait  une  par  canton  ;  à  son  budget  de 
la  guerre,  car  elle  menaçait  toute  l'Europe  ?  Qu'était-ce  que  cet 
impôt  pogreasif,  impôt  inquisi  tonal,  confiscation  en  permanence? 
Pourquoi,  lorsque  M.  Tbiers  et  dix  outres  orateurs  étaient  venus 
en  démontrer  l'absurdité,  reprenait-on  aujourd'hui  cette  thèse 
qu'on  n'avait  pas  osé  soutenir  dans  le  parlement?  Ce  n'était  donc 
qu'en  leurre  aux  passions  populaires.  Exciter  par  tous  les  moyens 
possibles  le  pauvre  contre  le  riche,  l'ouvrier  contre  le  patron, 
l'homme  qui  a  besoin  du  capital  d'autrui  contre  le  capitaliste, 
voilà  la  tâche  glorieuse  que  s'était  imposée  le  manifeste  de  la 
Montagne.  Le  rtcfc,  disait  ce  triste  document,  a,  depuis  trente* 
quatre  ans,  spolié  le  pauvre  de  13  milliards  par  l'effet  de  l'as- 
siette «de  l'impôt  :  assertion  inqualifiable  et  dont  on  se  gardait 
tien  d' administrer  la  preuve.  Haine  féroce  et  aveugle,  ignorance 
profonde,  c'était  là  tout  Je  bagage  des  réformateurs. 

Pour  compléter  ce  tableau  de  la  France  électorale,  il  faut  ajou- 
ter à  eee  différentes  associations  quelques  comités  bonapartistes 
qui  avaiaat  persisté  à  s'isoler  du  comité  de  la  rue  de  Poitiers. 

L'agitation  électorale  commença.  Déjà  depuis  quelque  temps 
las  clubs»  pour  échapper  aux  prescriptions  de  la  loi  de  1790  et 
4u  décret  du  27  juillet  184$,  s'étaient  transformés  en  réunions 
élsnlawkwT  Cee<kibs  déguisée  sa  chargeront  bien  vite  de  justtfier 


2*0  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1&49.) 

par  leurs  violences  l'insuffisante  surveillance  de  l'autorité,  «  L'é- 
meute est  un  devoir  sous  l'oppression  actuelle  a  s'écriait  un  ora- 
teur. Un  autre  se  voyait  forcé  4e  se  justifier  de  n'avoir  pas,  pris 
part  à  l'insurrection  de  Juin,  t  II  faut  tuer  tous  ceux  qui  nous 
sont  opposés  »  disait  un  partisan  de  la  fraternité  humaine  élu  à 
l'unanimité  par  la  réunion.  «  11  faut  anéantir  tous  les  agents  de 
la  police  »  s'écriait  un  habitué  de  club,  exhalant  ainsi  ses  rancu- 
nes. Telle  était  l'attitude  de  ces  réunions  dont  on  voulait  intor* 
dire  l'entrée  aux  magistrats.  Si  la  morale  publique  y  était  odieu- 
sement outragée,  la  morale  privée  Savait  pas  plus  à  gagner  a  ces 
spectacles  dont  les  directeurs  faisaient  de  véritables  exploitations 
commerciales.  Trois  clubistes,  souvent  condamnés  pour  délits-po- 
liliques  et  célébrés  comme  des  martyrs  de  la  république  sociale, 
vinrent  continuer  leur  apostolat  devant  le  tribunal  de  la  polioe  cor- 
rectionnelle. La  6e  chambre  infligea  à  l'un  d'eux  une  année  de 
prison,  et  à  deux  de  ses  complices  quatre  mois  de  la  même  peine. 
Ces  fougueux  adversairesde  l'exploitation  de  l'homme  par  l'homme 
avaient  détourné  le  produit  d'une  quête  faite  au  profit  de  la  fa- 
mille d'un  insurgé  de  juin.  Médecins  sans  clientèle,  avocats  sans 
cause,  ces  hommes  ne  vivaient  que  de  contributions  indirectes 
levées  sur  leur  crédule  auditoire,  sous  prétexte  de  droits  d'entrée, 
de  collectes,  de  cotisations,  de  quêtes  de  toute  nature.  Pour 
dernière  honte,  le  procès  révéla  que  les  fondateurs  de  ce  club 
adressaient  au  ministre  de  l'Intérieur  un  rapport  quotidien  sur 
les  séances,  et  qu'ils  recevaient  cinq  francs  par  chaque  communi- 
cation semblable.  Tels  étaient  les  instituteurs  du  peuple, 

M.  Pyat  n'en  persista  pas  moins  à  renouveler  le  28  avril,  les  in- 
terpellations de  M.  Ledru-Rollin  et  à  contester  au  commissaire  de 
police  le  droii  d'assister  aux  réunions  politiques  électorales.  Des 
désordres  récents  prouvaient  assez  la  nécessité  de  cette  surveil- 
lance à  laquelle  se  prêtent  tous  les  bons  citoyens  qui  n'ont  rien 
à  cacher.  Des  voies  de  fait,  des  insultes  grossières  aux  orateurs 
trop  modérés  avaient  signalé  quelques-unes  de  ces  réunions  :  et 
cependant  M.  Pierre  Leroux  proposait  la  substitution  d'un  sténo- 
graphe à  l'assistance  du  commissaire  de  police.  fl  donnait  i  cette 
création  originale  le  nom  plus  original  encore  de  miroir.  Toula 
la  Montagne  accusait  avec  des  parafes-outrageantes  M.  Léen  Fau- 


AGITATION  ÉLECTORALE.  241 

cher,  objet  spécial  de  sa  haine,  de  prétendues  brutalités  commî- 
tes par  lès  agents  de  la  poliee.  Aux  démentis  les  plus  explicites, 
m  défi  de  traduire  en  justice  les  auteurs  de  ces  violences,  la 
Montagne  répondait  par  d'indicibles  injures.  A  ces  calomnies, 
M.  de  Larochejaquelern  opposa  les  brutalités  commises  par  des 
démagogues  dans  une  réunion  qu'il  présidait,  et  l'honorable 
représentant  réclama,  au  nom  même  de  la  liberté,  une  surveil- 
lance qui,  bien  loin  d'être  une  cause  d'ombrage,  était  à  ses  yeux 
une  protection.  H.  le  ministre  de  l'Intérieur,  qui  n'avait  opposé 
m  scandaleuses  interruptions  et  aux  grossièretés  dont  on  l'accablait 
qa'one  calme  énergie,  sut  convaincre  la  Chambre.  L'ordre  du 
jour  pur  et  simple  fut  voté,  cette  fois  encore,  à  une  grande 
majorité. 

il  n'est  pas  dans  les  habitudes  de  la  démagogie  de  se  plier  aux 
décisions  de  la  majorité.  Aussi  le  Comité  démocratique  socialiste, 
au  nom  des  droits  antérieurs  et  supérieurs  aux  lois  positives, 
déclara-t-il  que  le  droit  de  tenir  une  réunion  électorale  en  de- 
hors de  toute  surveillance  est  au-dessus  des  lois  elïe-mêmes. 
Partant  de  ce  principe  étrange  dans  une  république  où  toute 
autorité  procède  de  l'élection,  les  prétendus  délégués  du  peuple 
annoncèrent  dans  un  manifeste  la  suspension  des  réunions  élec- 
torales démocratiques  socialistes  jusqu'à  ce  que  le  droit  fût  rendu 
sans  entraves.  Il  résultait  de  ce  document  que  la  démagogie  se 
considérait  comme  en  état  de  légitime  insurrection  :  si  elle  ajour- 
nait tout  appel  à  la  force,  c'est  qu'elle  redoutait  un  échec,  «  Le 
jour  n'est  pas  venu.  Le  peuple  choisit  son  jour  et  ses  armes.  » 
Ceci  signifiait  que  le  vrai  peuple  n'était  rien  moins  que  disposé  à 
nne  insurrection  nouvelle. 

Cependant  ces  excitations  ne  devaient  pas  rester  sans  résultat. 
Une  certaine  émotion  se  manifesta  dans  les  bas-fonds  de  la  popu- 
lation parisienne.  Des  rassemblements  interceptèrent  pendant 
quelques  jours  la  circulation  sur  les  boulevards,  surtout  aux 
abords  de  la  porte  Saint-Denis.  Pendant  quelques  soirées,  l'auto- 
rité ne  crut  pas  devoir  prendre  des  mesures  énergiques  qui  n'au- 
raient pas  paru  assez  justifiées.  Mais  enfin  la  sécurité  de  la  capi- 
tale était  troublée,  le  commerce  languissait;  il  fallut  mettre  lin 
à  ces  désordres  :  la  loi  sur  les  rassemblements  fut  affichée.  Le 


242  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

quartier  devenu  le  siège  de  manifestations  inquiétantes  fut  cerné 
et.  de  nombreuses  arrestations  furent  opérées  sans  résistance. 
Cette  attitude  vigoureuse  de  l'autorité  suffit  pour  mettre  fin  kim 
troubles  sans  portée.  Trois  représentants,  MM.  Doutre,  Jouin  et 
Mathieu  Louisy  avaient  eu  le  tort  de  se  mêler  en  curieux  aux  ras- 
semblements. Arrêtés  comme  d'autres»  ils  portèrent  leurs  plaintes 
devant  l'Assemblée  nationale.  Ils  se  plaignirent,  comme  c'est 
l'ordinaire,  de  la  brutalité  des  agents  de  police,  et  il  ne  manqua 
pas  de  voix  sur  la  Montagne  pour  accuser  la  police  elle-même  de 
provoquer  à  F  émeute.  M.  le  président  du  conseil  répondit  que 
c'était  sans  doute  sans  intention  mauvaise  que  d'honorables  re- 
présentants avaient  grossi  a  la  masse  inepte  de  ces  curieux  qui, 
toutes  les  fois  que  la  place  publique  est  envahie  par  des  factieux, 
s'empressent  d'aller  faire  nombre  au  risque  de  donner  un  élé- 
ment nouveau  à  l'émeute.  »  Mais  n'était-il  pas  assez  naturel  que 
des  agents,  eiposés  pendant  plusieurs  heures  aux  huées  et  aux  in- 
sultes de  la  multitude,  traitassent  sans  trop  de  cérémonie  ceux 
qui  ne  se  reliraient  pas  devant  les  sommations  légales?  Une  en- 
quête fut,  au  reste,  ordonnée  par  M.  le  ministre  de  l'Intérieur, 
et,  pour  éviter  à  l'avenir  de  pareils  incidents,  il  fut  résolu  que  ai 
jamais  des  représentants  du  peuple  se  trouvaient  en  pareille  oc- 
currence, ils  seraient  conduits  devant  le  bureau  de  l'Assemblée, 
afin  que  la  part  fût  faite  immédiatement  à  l'inviolabilité  des 
représentants  et  aux  exigences  de  la  justice.  M.  Doutre  et 
plusieurs  de  ses  collègues ,  tout  en  se  plaignant  de  violences, 
avaient  prodigué  à  M.  le  ministre  des  insultes  et  l'avaient  haute- 
ment accusé  de  provocation  :  M.  le  président  du  conseil  pro- 
testa énergiquement  contre  ces  imputations  surannées,  a  Peut* 
être  un  jour,  dit- il,  saura-t-on  par  qui  ces  désordres  ont  été  pro- 
voqués :  car  il  ne  manque  pas  d'hommes  qui  se  tiennent  derrière 
les  factieux  de  la  rue,  et  qui  attendent  les  événements,  sauf  à  les 
désavouer  ensuite  quand  ils  n'ont  pas  tourné  selon  leur  désir 
(30  avril).  » 

La  violence  appelle  la  violence  et  le  désordre  engendre  le  dé- 
sordre. L'opinion  publique  venait  d'être  initiée  aux  incroyables  ré- 
vélations amenées  par  des  perquisitions  et  par  des  arrestations  ré- 
centes* Chez  quelques  sociétaires  socialistes  avaient  été  saisies  des 


AGITATION  ÉLECTORALE.  243 

pièces,  élucubralioa  d'esprits  en  délire,  des  projetante  décrets 
indiquât  connne  devant  inaugurer  l'avènement  de  la  démocratie 
socialiste.  Spoliation,  épurations,  fusillades,  tell  étaient  les  plana 
dea  reformate  un.  Sans  doute  il  ne  fallait  pas  étendre  la  solidarité 
de  cas  hideuses  rêveries  s  sans  doute  les  chefs  de  la  démocratie 
n'avaient  aucun  rapport  avec  les  juges  avinés  de  Vebmes  ridi- 
eilet;  nais  enfin  ces  monstruosités  n'excitaient  en  aucune  façon 
l'horreur  de  là  presse  socialiste.  On  journal ,  La  vraie  Hépubliquei 
ptait  jssqn'à  nn  certain  point  la  solidarité  de  ces  menaces 
,  et  le  nom  de  Marat  était  glorifié  par  un  autre  jour- 
nal comme  celui  du  seul  homme  qui  eftt  compris  la  révolution 
c  avec  cette  sûreté  de  coup  d'œil  qui  n'a  jamais  eu  d'égale,  »  et 
4» disait:  c  Né  faites  pas  en  deui  Ibis  ce  que  vous  ponves  faire 
en  nne  fois,  a  Quoi  d'étonnant  qu'en  face  de  pareilles  dispositions 
da  parti  démagogique,  les  populations  tranquilles  de  la  France 
s'indignassent  de  voir  une  des  recrues  les  plus  nouvelles,  un  des 
néophytes  les  plus  fervents  de  ce  parti,  apporter  le  désordre  dans 
leurs  paisibles  provinces?  M.  Lcdru-Rollin  eut  ce  cruel  mécompte 
d'être  chassé  d'une  ville  qu'il  s'apprêtait  à  initier  au  socialisme. 
Va  banquet  démocratique  avait  été  organisé  i  Moulins.  Sept  à  huit 
cents  individus,  enfants,  femmes,  habitués  de  clubs  et  de  ca- 
barets se  réunirent  le  mardi  1er  mai  pour  recevoir  le  chef  socia- 
liste* L'immense  majorité  de  la  population  paisible  se  réunit, 
ette  aussi,  mais  pour  proléger  la  ville  contre  les  désordres  que 
toisait  présager  l'animation  des  partisans  de  la  Montagne. 

Cependant  le  banquet  commença  :  les  discours  se  succédèrent; 
nais,  à  chaque  cri  de  vive  Ledru-RolMn!  vive  ta  Montagne  !  la 
feule  qui  entourait  le  local  du  banquet  répondait  par  des  cris  de 
vive  Napoléon!  à  bas  V agitateur!  à  bas  les  fainéants!  à  bas  les 
rouge*  !  ébat  tes  4B  centimes  !  Ces  cris  c'étaient  des  paysans,  des 
ouvriers  qui  les  poussaient.  On  s'indignait  de  voir  quels  hommes, 
quelles  femmes  servaient  de  cortège  aux  députés  de  la  Montagne. 
Le  banquet  fut  envahi,  les  drapeaui  furent  lacérés  et  M.  Ledra- 
RolKn  dot  se  soustraire  à  cette  ovation  inattendue.  Lui  et  ses 
■sais  s'apprêtèrent  à  quitter  la  ville  inhospitalière.  Mais  ils  eurent 
rimprndenee  de  faire  traverser  à  leur  voiture  la  place  de  l'hôtel 
de  vHle,  foyer  de  l'irritation  populaire,  (ci  se  passa  une  scène 


i 

i 


2tt  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

regrettable.  Eu  un  instant  les  chevaux  furent  arrêtés,  les  glaces 
de  la  voiture  furent  brisées  à  coups  de  pierres.  Heureusement  la 
garde  nationale  était  sous  les  armes  et  de  nombreuses  patrouilles 
sillonnaient' Moulins.  Des  officiers  s'interposèrent,  empêchèrent 
qu'on  ne  coupât  les  traits  et  le  postillon  put  enfin  enlever  ses 
chevaux.  M.  Ledru-Rollin  put  heureusement  s'échapper  sain  et 
sauf,  et  la  voiture  disparut  au  milieu  des  huées  et  des  impréca- 
tions. Ce  départ  suffit  pour  rendre  le  calme  à  la  ville. 

Tels  furent  les  faits  dont  M.  Ledru-Rollin  vkit  entretenir  l'As- 
semblée avec  une  émotion  facile  à  comprendre.  Il  pria  l'Assem- 
blée d'ordonner  une  enquête.  On  pouvait  s'étonner  de  cette  de* 
mande.  Pourquoi  une  enquête  parlementaire  ?  La  justice  du  pays 
n'était-elle  pas  là  et  ne  saurait-elle  pas  faire  son  devoir?  Sans 
doute,  répondit,  en  quelques  nobles  paroles,  M.  le  président  du 
conseil,  il  ne  fallait  pas  permettre  que  les  dissidences  politiques 
dégénérassent  en  violences  et  en  attentats  ;  autrement  ce  serait 
la  guerre  civile.  Mais  ne  voyait-on  pas  à  quel  point  sont  dange- 
reuses ,  pour  la  paix  publique  ,  ces  manifestations  plus  ou  moins 
spontanées,  dans  lesquelles  les  orateurs  se  plaisent,  par  des  dis- 
cours incendiaires,  à  échauffer  les  esprits,  à  surexciter  les  pas* 
sions  et  les  haines  politiques?  Et  si,  au  sortir  de  ces  banquets 
révolutionnaires,  des  pensées  de  violence  germaient  dans  quel- 
ques têtes,  sans  doute  il  fallait  que  la  justice  frappât  les  coupa- 
bles. Mais  ceux  qui  ne  craignaient  pas  de  remuer  les  populations, 
en  faisant  appel  aux  plus  détestables  instincts ,  n'assumaient-ils 
pas  aussi  sur  leur  tête  une  grave  responsabilité? 

L'Assemblée,  en  n'ordonnant  pas  d'enquête  spéciale,  prouva 
qu'elle  s'en  rapportait  à  l'action  de  la  justice  ordinaire  (2  mai). 

Si  la  population  de  Moulins  repoussait  le  désordre  par  le  dé- 
sordre, au  moins  la  démagogie  ne  put-elle  invoquer  aucun  pré- 
texte pour  justifier  les  manifestations  violentes  dont  Dijon  fut  le 
théâtre.  L'anniversaire  de  la  proclamation  de  la  République  par 
l'Assemblée  nationale  y  fut  signalé  par  une  émeute  de  la  nature 
la  plus  grave,  une  émeute  de  la  force  armée.  Des  artilleurs  d'une 
légion  récemment  dissoute  ayant  paru  i  la  revue  en  uniforme, 
quelques-uns  furent  arrêtés  et  conduits  au  poste  du  Palais-des- 
Ëlals.  A  la  suite  de  la  revue,  un  grand  nombre  de  gardes  natio- 


AGITATION  ÉLECTORALE.  245 

naax  se  portèrent  sur  ce  poste  pour  délivrer  les  prisonniers.  Une 
faible  troupe  de  la  ligne,  attaquée  à  la  baïonnette  par  les  gardes 
nationaux,  défendit  courageusement  le  poste  et  garda  ses  prison- 
niers. La  gendarmerie,  maltraitée  et  accablée  par  le  nombre,  se 
?U  enlever  les  siens.  Une  atteinte  aussi  grave  portée  à  la  disci- 
pline, à  l'autorité  et  à  la  loi,  demandait  une  répression  sévère. 
Les  prisonniers  relâchés  forent  repris;  des  mandats  d'amener  fu- 
rent décernés  contre  les  hommes  qui  avaient  fait  de  l'uniforme 
nn  drapeau  pour  l'émeute;  la  cour  d'appel  évoqua  l'affaire.  Mais, 
avant  toute  répression  judiciaire ,  le  Gouvernement  devait  un 
exemple  aux  populations.  Sur  le  rapport  du  ministre  de  l'Inté- 
rieur, le  président  de  la  République  prononça  la  dissolution  de 
Ja  garde  nationale  de  Dijon. 

A  Paris,  la  célébration  du  premier  anniversaire  de  la  procla- 
mation de  la  République  eut  lieu  avec  une  grande  pompe  et  ne 
fut  l'occasion  d'aucune  scène  regrettable.  Des  cris  de  vive  Napo- 
léon! vive  la  République!  furent  mêlés  de  quelques  cris  de  vive 
la  République  sociale!  vive  V amnistie!  L'amnistie  était,  en  effet, 
la  question  du  moment.  Déjà,  plus  d'une  fois,  la  proposition 
d'une  amnistie  en  faveur  des. transportés  de  juin  avait  été  sou- 
mise à  ia  Chambre,  Le  2  mai,  cette  proposition  se  présentait,  non 
plus  sous  le  patronage  un  peu  compromettant  de  M.  Lagrange, 
mais  sous  la  forme  d'un  amendement  introduit  dans  le  projet  de 
loi  relatif  &  la  célébration  de  l'anniversaire  du  4  mai.  La  Chambre 
maintint  cependant  ses  voles  précédents;  l'amendement  de  la 
commission,  bien  que  modifié  par  un  sous-amendement  de 
M.  Senard,  qui  proposait,  en  adoptant  l'amnistie,  d'accorder  au 
Gouvernement  un  délai  de  six  mois  pour  l'accomplir,  fut  rejeté 
à  la  majorité  de  339  voix  contre  288  (î  mai). 

Des  grâces  nombreuses  avaient,  d'ailleurs,  été  déjà  accordées. 
Une  commission  nommée  par  la  Chambre  elle-même  avait  pro- 
cédé, quelques  mois  auparavant,  à  Ja  révision  des  dossiers.  Sur 
l'avis  de  cette  commission,  un  grand  nombre  de  prispniiiers 
avaient  été  mie  en  liberté.  Deux  cents  autres  grâces  avaient  été 
prononcées  récemment,  et,  eoûn,  M*,  le  ministre  de  l'Intérieur 
annonçait  qu'une  nouvelle  mesure  de  clémence  aurait  lieu  à  l'oc- 


24*  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1S49.) 

easion  même  de  la  fête  du  4  mai.  La  question  se  réduisait  donc  à 
lavoir  si  le  moment  était  venu  de  rendre  à  la  sooiété,  par  une 
mesure  générale,  et  sans  exception,  tout  ce  qui  restait  des  hom- 
mes transportés  après  les  journées  de  juin.  Ce  n'était  plus  qu'une 
question  d'opportunité ,  et  l'Assemblée  ne  voulut  pas  prendra 
sur  elle  la  responsabilité  d'une  mesure  que  le  Gouvernement, 
mieux  informé,  déclarait  dangereuse.  Le  rapporteur  de  la  oont*- 
mission,  M.  Gouttai,  n'eut  pas  de  peine  à  démontrer  que  la  trans- 
portation  est  une  mesure  exorbitante  de  salut  public.  Il  n'était 
que  trop  vrai,  comme  le  démontra  l'honorable  rapporteur,  que 
les  transportés  n'étaient  ni  des  condamnés,  ni  des  accusés,  ni 
même  des  prévenus,  puisque,  à  proprement  parler,  on  ne  leur 
avait  pas  fait  de  procès,  puisqu'ils  n'avaient  été  ni  entendus,  ni 
confrontés,  ni  jugés.  C'étaient  des  prisonniers  de  guerre,  et  de  la 
phis  détestable  des  guerres,  la  guerre  civile.  Or,  ces  prisonniers. 
là,  ou  les  garde  tant  que  la  paix  n'est  pas  conclue.  La  société 
était-elle  redevenue  assez  forte,  Tordre  était-il  assez  assuré,  c'é- 
taient là  des  questions  dont  le  Gouvernement  seul  pouvait  être  le 
juge.  C'est  ce  que  déclarèrent  MM.  Odilon  Barrot  et  Léon  Fan- 
cher.  M.  le  président  du  conseil  n'eut  pas  de  peine  à  prouver  qu'il 
serait  de  la  plus  haute  imprudence  d'imposer  au  Gouvernement 
un  délai  fatal  dans  lequel  il  dût  être  forcé  d'ouvrir  les  portes  des 
prisons,  au  risque  d'exposer  le  pays  aux  horreurs  de  la  guerre 
civile.  Sans  doute,  on  comprenait  une  pensée  d'amnistie  à  un 
moment  de  notre  histoire ,  quand  le  Gouvernement  n'était  plus 
contesté,  quand  les  discussions  ne  portaient  plus  que  sur  des 
questions  secondaires,  quand  les  adversaires  du  popvoir  s'incli- 
naient devant  lui  ;  alors  l'amnistie  n'était  pas  seulement  de  la 
générosité,  c'était  de  (a  justice.  Mais  si  les  hommes  que  l'on  von* 
lait  amnistier  étaient  tous  les  jours  proclamés  dans  certains  jour- 
naux, et  jusque  sur  les  places  publiques,  non  comme  des  hom- 
mes égarés,  mais  comme  de  glorieux  martyrs;  s'il  se  produisait 
des  provocations  incessantes,  non  pas  seulement  à  les  imiter* 
mais  à  les  venger;  aurait-on  le  courage  de  prendre,  à  la  face  du 
pays,  la  responsabilité  d'une  générosité  cruelle  et  terrible  pour 
lé  pays? 


AGITATION  ÉLECTORALE .  247 

Cest  qu'en  effet,  quelques  jours  avant  <5ette  discussion,  lorsque 
la  vindicte  légale  s'appesantissait  sur  quelques-uns  de  ces  hom- 
mes que  tous  les  partis  repoussent,  parce  que  ce  ne  sont  pas  des 
hommes  égarés,  mais  de  misérables  assassins;  lorsque  la  hache 
de  la  loi  tombait  sur  ces  coupables  qui  avaient  trouvé  moyen  de 
flétrir  jusqu'à  la  guerre  civile  elle-même,  on  avait  vu  des  trans- 
portés célébrer  la  mort  de  ces  assassins,  non  pas  comme  une  ex- 
piation, mais  comme  un  martyre,  et  jurer  sur  un  catafalque 
qu'ils  vengeraient  leur  trépas.  La  presse  socialiste  s'était  associée 
à  ces  hideuses  manifestations. 

C'est  qu'en  effet,  le  17  mars,  le  glaive  de  la  loi  avait  atteint 
deux  des  assassins  du  général  de  Bréa  et  du  capitaine  Mangin. 
Lahr  (Nicolas)  et  Daix  (Henri-Joseph)  avaient  payé  de  leur  tête 
ce  crime  sauvage  commis  de  sang-froid  sur  deux  parlementaires. 
Trots  autres  coupables,  également  condamnés  à  mort,  Chopart, 
Nourrit  et  Vappreaux  jeune,  avaient  vu  commuer  leur  peine  en 
celle  des  travaux  forcés  à  perpétuité. 

Deux  journaux  socialistes  eurent  le  triste  courage  de  s'associer 
au  crime  que  punissait  la  justice  humaine.  Ils  accusèrent  le  Gou- 
vernement d'avoir  relevé  l'échafaud  politique! 

La  société  poursuivait  en  même  temps  une  autre  réparation. 
Les  accusés  de  l'attentat  du  i  5  mai  comparaissaient  devant  la 
haute  cour  de  justice  de  Bourges.  Après  des  débats  prolongés 
pendant  près  d'un  mois,  l'arrêt  fut  rendu  le  3  avril  ;  six  d'entre 
eux,  Degré,  Larger,  Borme,  Thomas,  Courtaiset  Yillain  furent  ac- 
quittés. Déclarés  coupables  d'un  double  attentat  ayant  pour  but 
de  renverser  le  Gouvernement  et  d'exciter  la  guerre  civile  dans  le 
pays,  les  accusés  Armand  Barbes  et  Alexandre  Martin,  dit  Albert, 
furent  condamnés  à  la  déportation;  Louis-Auguste  Blanqui,  à 
dix  années  ;  Joseph-Marie  Sobrier,  à  sept;  François- Vincent  Ras- 
pail,  à  six  ;  Benjamin  Flotte  et  Auguste-François  Quentin,  à  cinq 
années  de  la  même  peine.  Les  accusés  contumaces,  Louis  Blanc, 
Caussidière,  Hounean,  Laviron,  Seigneuret  et  Chancel  furent 
condamnés  à  la  déportation. 

Ce  qui  ressortait  des  débats  qui  avaient  précédé  le  verdict, 
c'était  que  les  accusés  avaient  fait  peser  mutuellement  sur  eux- 


248  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

mêmes  des  charges  plus  accablantes  que  celles  du  réquisitoire 
public.  Ils  s'étaient  adressé,  des  imputations  plus  graves  que 
celles  dont  ils  se  prétendaient  injustement  atteints  par  la  réaction. 
D'étranges  révélations  étaient  sorties  de  ce  procès  sur  l'histoire 
politique  de  la  dernière  année.  On  avait  entendu  l'accusé  Ras- 
pail  désigner  des  hommes  placés  dans  le. Gouvernement  provisoire 
comme  les  véritables  promoteurs  de  l'attentat.  La  manifestation 
factieuse  avait  été,  selon  lui,  organisée  dans  le  club  des  du 6$, dont 
Longepied  était  le  président.  Or,  à  ce  club  des  clubs,  M.  Ledra- 
RoIIin  accordait  une  subvention  de  400,000  francs  pour  peser  sur 
les  élections.  Aussi,  quand  Longepied  avait  été  arrêté  à  la  suite  de 
l'attentat  du  45  mai,  il  avait  en  quelque  sorte  signiûé  avec  me- 
nace aux  hommes  du  pouvoir  l'ordre  de  son  propre  élargisse- 
ment; et  il  avait  été  mis  immédiatement  en  liberté. 

Nous  l'avons  dit,  les  accusés  ne  s'étaient  pas  plus  ménagés 
eux-mêmes  qu'ils  ne  ménageaient  leurs  ennemis  politiques.  Un 
ancien  secrétaire  de  M.  Caussidère,  M.  Monnier,  avait  signalé 
comme  un  des  espions  de  la  monarchie,  un  des  vétérans  des  so- 
ciétés secrètes,  un  héros  de  conspirations,  un  martyr  sous  la  mo- 
narchie, celui-là  même  qui,  le  45  mai,  déclarait  de  sa  propre 
autorité  la  dissolution  de  l'Assemblée  nationale.  Il  est  juste 
d'ajouter  que,  placé  ainsi  entre  deux  accusations,  dont  l'une  me- 
naçait sa  liberté,  l'autre  son  honneur,  Huber,  jusque  là  contu- 
mace, n'hésita  pas  à  se  constituer  prisonnier,  mais  trop  lard, 
pour  prendre  part  aux  débats. 

Une  accusation  du  même  genre  avait  été  produite  contre  Blanqui 
dans  les  premiers  jours  qui  suivirent  la  révolution  de  février. 
Une  publication  insérée  dans  la  Revue  rétrospective  avait  tendu  à 
représenter  comme  un  faux-frère  le  factieux  modèle,  le  type  du 
conspirateur.  Selon  Blanqui,  ce  document  célèbre. avait  .été  dé- 
libéré en  conseil  desministres. 

L'accusation  fut  reproduite  à  Bourges  et  par  l'homme  que  la 
démagogie  considère  comme  le  plus  pur  de  ses  chefs.  Barbes 
se  chargea  d'un  réquisitoire  particulier  contre  celui  qu'il  con- 
sidérait comme  un  dénonciateur.  Vous  seul,  dit-il  à  Blanqui, 
pouviez  savoir  les  détails  contenus  dans  ce  rapport.  Vous  avez  été 


AGITATION  ÉLECTORALE.  349 

gracié  en  1846.  11  est  vrai  que  tous  n'acceptiez  pas-  votre  grâce. 
Mais  vous  n'étiez  pas  en  prison  &  Tours,  vous  étiez  dans  un  lieu 
de  plaisance,  bien  nourri,  montant  achevai. 

Celte  sortie  foudroyante  provoque  une  scène  plus  déplorable 
encore.  Un  séide  ardent  de  Blanqui,  Flotte,  jette  un  défi  à  Bar- 
bes, l'apostrophe  outrageusement,  le  menace  du  poing  et  c'est 
avec  peine  que  deux  gendarmes  peuvent  le  contenir.  Alors  Bar- 
bes se  lève,  l'œil  en  feu,  la  main  tendue  vers  Blanqui  et  il  s'écrie  : 
t  On  a  plaidé  pendant  un  mois  pour  avoir  sa  liberté  :  qu'on  plaide 
maintenant  une  dernière  heure  pour  sauver  son  honneur.  » 

An  milieu  de  ces  violences  instructives,  le  président  de  la 
haute  cour  se  voyait  réduit  au  rôle  inattendu  de  conciliateur.  II 
ressortait,  en  effet,  de  singuliers  enseignements  de  ces  scènes 
si  tristes.  Le  premier,  si  l'on  en  croyait  les  accusés,  c'est  que 
tous  les  complices  de  l'attentat  du  15  mai  n'étaient  pas  sur  le 
banc  de  l'accusation.  Le  second,  le  plus  grave  sans  doute,  c'est 
que  les  démagogues  qui  prêchent  l'union  et  la  fraternité,  sont 
animé»  les  uns  envers  les  autres  de  haines  profondes  et  incu- 
rables; c'est. qu'unis  pour  détruire,  ils  s'entre  dévoreraient  le 
lendemain  du  triomphe. 

La  théorie  des  révolutions  était  aussi  sortie  plus  nette  des  dé- 
bats de  la  haute  cour.  On  avait  pu  s'étonner  jusqu'au  i  5  mai  que 
des  républicains,  après  avoir  proelamé  le  dogme  de  la  souveraineté 
populaire  et  inauguré  le  suffrage  universel,  protestassent  la  fois 
et  contre  les  décrets  d'une  Assemblée  nationale  issue  du  suffrage 
universel,  et  contre  la  volonté  même  du  peuple  exprimée  par 
l'universalité  des  citoyens  réunis.  L'accusé  Barbés  se  chargea  d'ex- 
pliquer cette  étrange  anomalie.  Pour  lui,  pour  les  révolution- 
naires, le  principe  républicain  ne  consistait  plus  dans  la  souve- 
raineté du  peuple,  souveraineté  qui  se  manifeste  par  les  majori- 
tés. Le  Gouvernement  des  majorités,  pour  Barbes,  c'était  la 
tyrannie.  Il  y  a,  ajoutait-il,  une  souveraineté  supérieure  à  celle 
du  peuple,  la  souveraineté  du  but.  11  est  vrai  que  le  but  n'est  pas 
le  même  pour  tous,  et  que  l'idéal  change  avec  les  théoriciens  de 
la  République.  Le  but  de  M.  Proudhon  n'est  pas  celui  de  M.  Con- 
sidérant, encore  moins  celui  de  M.  Cabet.  La  souveraineté  du 
bat,  c'est  donc  le  délire  de  l'individualisme. 


250  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

Il  n'y  eut  pas  jusqu'aux  témoins  qui  ne  se  chargeassent  d'appor- 
ter dans  ce  procès  des  révélations  piquantes.  Le  19  mars,  devant 
la  haute  cour  de  justice  de  Bourges,  M.  Ledru-Rollin-,  cité 
comme  témoin,  donnait  ainsi  avec  une  franchise  un  peu  im- 
prudente la  théorie  des  révolutions  prétendues  populaires  : 


«  Est-ce  qu'on  fait  uue  révolution  avec  des  mots,  avec  des  non*  propres? 
Est-ce  que,  quand  on  veut  faire  une  révolution  au  profit  de  la  royauté,  on  crie  : 
Vive  le  roi?  Est-ce  qne,  quand  on  fait  une  révolution  an  profit  de  la  régence, 
on  va  «r«er  :  Vive  la  régence?  Non,  on  $aisit  le  sentiment  ont  domina  dans 
la  foule,  on  l'excite,  on  s'en  empare;  puis,  avec  un  tour  de  main,  on  subsli" 
fue  au  Gouvernement  dont  on  ne  veut  pas  celui  dont  on  veut.  » 


Parmi  toutes  les  histoires  de  la  révolution  de  Février,  il  n'en 
est  peut-être  pas  de  plus  claire,  de  plus  instructive,  de  plus 
complète  malgré  sa  brièveté;  que  cet  aveu  quelque  peu  indiscret 
fait  par  l'ancien  membre  du  Gouvernement  provisoire. 

Gomme  pour  donner  un  commentaire  pratique  à  ces  théories 
révolutionnaires  ou  socialistes,  pendant  que  les  victimes  des  pas- 
sions démagogiques  allaient  expier  une  fois  de  plus  dans  les  ca- 
chots leurs  tentatives  insensées,  d'autres  martyrs,  aussi  aveugles, 
mais  moins  coupables,  expiaient  leur  folle  confiance  dans  des  sys- 
tèmes impraticables.  Les  uns,  séduits  par  les  pompeux  menson- 
ges de  Tlcarie,  allaient  perdre  dans  les  déserts  de  l'Amérique 
leur  santé,  leur  fortune  et  même  leur  vie.  D'autres,  plus  heureux, 
n'avaient  à  regretter  que  des  capitaux  imprudemment  engagés 
dans  les  stériles  entreprises  des  réformateurs.  Ainsi,  le  1 1  avril., 
la  Banque  du  peuple,  si  pompeusement  annoncée  par  M.  Prou- 
dhon, entrait  en  liquidation.  Depuis  l'ouverture  de  la  souscription, 
l'opération  n'avait  pas  tout  à  fait  réalisé  une  somme  de  18,000  f. 
Or,  comme  elle  ne  devait  fonctionner  que  quand  elle  aurait  réuni 
un  capital  de  80,000  fr.,  la  société  mourait  avant  même  de  naî- 
tre. Et  cependant  il  avait  été  dépensé  pour  ce  projet  de  so- 
ciété 8,147  fr.  dont  M.  Proudhon  se  portait  personnellement  res- 
ponsable. G'est  la  première  fois  qu'on  voyait  dépenser  les  fonds 
versés  pour  une  entreprise  avant  la  constitution  de  la  société. 

M.  Proudhon  alléguait  pour  sa  j ratification,  et  la  situation  per- 


AGITATION  ÉLECTORALE.  531 

sonneUe  que  loi  faisait  une  récente  condamnation  judiciaire,  *t 
l'impossibilité  de  (aire  gérer  l'entreprise  par  un  autre  que  lui- 
même.  lf«  Prosdhon  te  défiait  à  la  fois  et  de  l'intelligence  et  des 
intentions  de  ses  disciples  et  de  ses  collègues.  Le  socialisme  n'é- 
tant, avouait-il,  qu'un  débordement  de  théories  contraires,  il  y 
avait  one  foule  d'antagonismes  à  concilier,  de  têndanees  folles  k 
arrêter.  M.  Prondhon  avait  craint  les  écarts  d*  imagination  de 
ses  collègues  déjà  conpables  envers  lui  à1  idées  ennemies,  de  sug* 
gestions  perfides,  d'indiscrétions  inewousables.* 

Après  cet  échec,  M.  Prondhon  allait*!!  réalieer  les  promesses  de 
son  programme,  disparaître  de  V arène  révolutionnaire,  demander 
pardon  à  UtsœUtè  et  à  ses  frères  du  trouble  jeté  dans  leurs  ornes  ? 
Nsn  sans  doute,  il.  Prondhon  continuerait,  comme  par  le  passé,  4 
déclamer  «entre  la  société»  è  la  démolir  selon  son  expression, 
sauf  à  n'avoir  pénr  édifier  sur  ses  ruines  qu'un  monument  comme 
la  flanque  du  peuple. 

L'eiemple  de  oelte  chute  n'effraya  pourtant  pas  un  autre  apô- 
tre socialiste,  M.  Victor  Considérant.  Lui  aussi  en  appelait  à  la 
pratique  :  seulement,  iHemendait  i  la  France  les  frais  de  l'ei-* 
pirienee. 

An  se  rappelle  que  M.  Considérant  avait,  Tannée  précédente, 
réclamé  de  l'Assemblée  quatre  séances  de  nuit  pour  l'exposition 
de  ses  doctrines  :  réduisant  ses  prétentions,*  il  insistait  aojour* 
d'hui  pour  une  seule  séance  de  jour  et  l'Assemblée  ne  crut  pas 
devoir  loi  refuser  cette  faveur.  Pendant  trois  heures,  le  disciple 
4e  Fourier  mit  à  l'épreuve  la  patience  de  Is  Chambre.  Après  les 
déclamations  habituelles  sur  l'état  de  la  société,  M.  Considérant 
proposa  enta  son  remède.  Au  point  de  vue  théorique,  ce  remède 
n'était  pas  autre  chose  que  Passoeiation  du  capital  et  du  travail  par 
l'établissement  4e  banques  territoriales  dans  chaque  arrondisse- 
«aent.  C'était  le  crédit  foncier.  M.  Victor  Considérant  ne  s'était  pas 
aperçu,  sans  doute,  qne.  cette  association  eiiste  naturellement 
èw  l'industrie,  dans  le  commence,  dans  toutes  les  grandes  en- 
tfçpi>ise«,  Héritée  U  est  vrai  pas  1»  liberté  humaine  dont  le  so- 
eîaliame  fctf  si  bon  marché,  Au  point  de  vue  pratique,  e'est4- 
diie  poflKHft*e|  a*  ohet  de  aefte,  le  remède  consistait  surtout  & 
atfiriw  *M.Cti>aidértilllt«tti,iM  hertanes  éo  terrain,  à 


252  HISTOIRE  DE  FRANCE;  (18*9.) 

proximité  de  la  capitale,  avec  un  phalanstère  tout  construit.  Cette 
proposition  fut  accueillie  avec  une  certaine  hilarité.  M.  Victor 
Considérant  accumula  pour  la  justifier,  toutes  les  théories  de  son 
maître,  attraction,  travail  attrayant,  etc.  Moins  exclusif,  au  reste, 
que  d'autres  inventeurs,  M.  Considérant  réclamait  pour  toutes  le* 
autres  fantaisies  socialistes,  Banque  du  peuple,  Icarie,  Triade,  le 
bénéfice  d'expériences  semblables.  Le  budget  de  l'État  serait 
chargé  de  subvenir  aux  entreprises  de  tous  les  rêveurs  qui  imagi- 
neraient un  nouveau  mécanisme  social.  A  l'exemple  de  M.  Prou* 
dhon,  M.  Considérant  faisait  son  testament  politique. S'il  échouait, 
il  déclarait  consentir  à* être  envoyée  Charenton. 

Senl  M.Desjobert  crut  devoir  répondre  au  disciple  de  Fourier  : 
l'honorable  représentant  contesta  que  ce  fût  un  bon  emploi  de 
l'argent  des  contribuables  que  de  le  jeter  ainsi  en  holocauste  à 
ces  réformateurs  de  toute  espèce  :  toutes  ces  sommes,  à  son  avis, 
iraient  rejoindre  l'argent  dépensé  par  M.  Cabet  en  Icarie,  par 
M.  Proudhon  dans  la  Banque  du  peuple,  par  les  fouriéristes  eux- 
mêmes  dans  les  différents  essais  qu'ils  avaient  tentés,  notamment 
à  Condé-sur-Vesgre  et  à  Citeaux*  Mais  ce  qui  touchait  surtout 
M.  Desjobert,  c'était  l'encouragement  qu'on  donnerait  ainsi  à  des 
doctrines  qui  portent  atteinte  aux  principes  fondamentaux  de  la 
société,  aux  lois  essentielles  de  la  morale.  H  suffit  à  l'orateur  de 
citer  quelques  écrits  de  l'école  phalanstérienne  sur  la  propriété  et 
la  famille.  Certaines  théories  plus  ridicules  encore  qu'immorales 
sur  le  mariage  rappelèrent  involontairement  aux  auditeurs  le 
genre  d'expiation  auquel  le  réformateur  se  condamnait  lui-même 
à  l'avance,  en  cas  d'insuccès  (14  avril). 

C'est  ainsi  que  les  novateurs  se  chargeaient  eux-mêmes  de  dé- 
montrer ou  le  ridicule,  ou  l'impuissance  de  leurs  doctrines.  Mais, 
dans  les  bas-fonds  de  la  société,  ces  attaques  incessantes  contre 
l'ordre  établi,  ces  promesses  illusoires  d'un  avenir  de  bonheur  et 
de  jouissances  enfantaient  des  haines  sauvages  et  de  monstrueu- 
ses espérances.  Le  socialisme  pratique  répondait  aux  rêveurs  par 
le  cri  de  :  Vive  la  guillotine  !  Dans  les  Pyrénées-Orientales,  les 
maximes  du  droit  au  travail  étaient  appliquées  par  des  bandes  de 
malfaiteurs.  En  haut,  d'inofènstts  rêveurs  :  en  bas,  des  malheu- 
reux démoralisée  prêts  à  tmdiiwr  tes  théories  d'une  Arçon  san- 


AGITATION  ÉLECTORALE.  %3 

glante  ;  à  coté,  enfin,  et  plus  coupable*  que  Unis  les  autres,  4es 

hommes  de  parti  prompts  à  profiter  4e  toutes  les  passions,  à  ex- 
ploiter tous  les  prétextes  au  profit  de  leur  ambition.  Tel  était  le 
tableau  que  présentait  la  société  française  au  -moment  ou,  sur  un 
prétexte  nouveau,  la  démagogie  fit  contre  Tordre  une  nouvelle 
tentative. 


9S4  HISTOIRE  DE  fHANflR.  (1*4*-) 


CHAPITRE  XIV. 


ROMS  À  PARIS. 


La  question  d'Italie,  proclamation  de  la  République  à  Rose,  faîte  da  pape, 
interpellations  de  M.  Ledru-Rollin,  M.  Droaiu  de  Lhuys  repousse  toute  soli- 
darité avec  la  République  romaine,  déclaration  politique.  —  Interpellations 
nouvelles,  MM.  Bpvignier  et  Ledru-Rollin  ;  politique  rétrospective,  MM.  de 
Lamartine,  Cavaignac,  Emmanuel  Arago,  ordre  da  joar  pur  et  simple. 
—  Marche  rapide  des  faits  en  Italie,  chute  de  S.  M.  Charles- Albert, 
rôle  de  la  France  dans  les  négociations,  résolution  du  comité  des  affaires 
étrangères,  MM.  Billault  et  Lcdru-RolHn,  M.  Jules  Favre  demande  un  vote 
d'énergie,  ordre  du  jour  de  M.  Flocon,  Tordre  du  jour  pur  et  simple  repous- 
sé ;  nouveaux  débats  rétrospectifs,  MM.  Ledru-Rollin,  Cavaignac  et  Thiers, 
la  guerre  et  la  paix,  amendement  de  M.  Payer,  adoption.  —  Demande  bTiu- 
tervention,  protestation  de  MM.  Ledru-Rollin  et  Emmanuel  Arago,  l'interven- 
tion décidée  x  sa  signiûcation.  —  Départ  des  corps  expéditionnaires,  occupa- 
tion de  Civita-Veçchia,  échec  sous  Rome,  interpellations  de  M  Jules  Favre» 
il  blâme  le  ministère  et  demande  un  acte  de  vigueur,  déclaration  et  eiplica- 
tions  ministérielles,  ordre  du  jour  de  la  commission,  documents  étranges 
communiqués  par  M.  Flocon,  adoption  de  Tordre  du  jour  motivé.  —  Sens  de 
ce  vote,  qu'y  a-t-il  a  faire?  envoi  de  M.  de  Lesseps,  difficultés  de  la  négo- 
ciation; lettre  de  M.  le  président  de  la  République  au  général  Oodiaot; 
demande  de  mise  en  accusation  du  président  de  la  République  et  des  minis- 
tres, demande  de  reconnaissance  de  la  République  romaine,  M.  Ledru-Rollin, 
ordre  du  jour  du  général  Changarnier,  insultes  h  l'armée  ;  ordre  du  jour  pur 
et  simple;  la  mise  en  accusation  repoussée  ;  les  Romains  de  Paris. 


Les  questions  extérieures,  questions  d'influence  et  de  légitime 
amour-propre  national,  ont,  surtout  en  France,  le  privilège  de 
passionner  les  masses.  Aussi  l'abaissement  de  la  France  atait-il 
été  une  des  machines  les  plus  ordinaires  de  l'opposition  sous  la 


HOME  A  PARIS.  3% 

monarchie  ;  aussi  la  Pologne  avait-elle  été  le  prétexte  do  15  mai* 
L'Italie  devait  servir  de  prétexte  à  une  nouvelle  journée. 

On  verra  plus  loin  (Italie)  quelle  récompense  la  démocratie 
italienne  préparait  au  premier  pape  dont  le  nom  ait  patroné  dans 
le  monde  les  idées  de  liberté.  Déjà»  on  se  le  rappelle,  le  Gouver- 
nement du  général  Cavaignac  avait  annoncé  hautement  une  in- 
tervention en  Italie.  (Voyei  Y  Annuaire  précédent,  p.  588.)  La 
nouvelle  de  la  proclamation  de  la  République  à  Rome  et  de  la 
fuite  dn  pape  à  Gaëte  vint,  dans  les  premiers  jours  de  l'année, 
rendre  cette  intervention  plus  nécessaire  encore.  Quant  à  l'op- 
position radicale,  elle  s'empressa  de  prendre  position  par  des 
interpellations  adressées  au  ministère  et  d'établir  une  prétendue 
solidarité  entre  l'insurrection  romaine  et  la  révolution  de  Février 
(31  février). 

M.  Ledru-Rollin  s'en  chargea,  a  Le  pape  a  été  chassé  de  la 
ville  éternelle  ;  comme  prince  temporel,  il  est  frappé  de  dé- 
chéance, et  la  Constituante  romaine  a  proclamé  la  République. 
Voilà  de  bonnes  nouvelles  l  »  s'écriait  M.  Ledru-Rollin,  et  il 
demandait  aux  ministres  s'ils  étaient,  comme  lui,  disposés  à  mon- 
ter an  Gapitole ,  ou  bien  s'il  serait  vrai  que,  par  une  coupable 
connivence,  ils  fussent  sur  le  point  de  tolérer  une  expédition  qui 
serait  dirigée  sur  la  Romagne  par  le  roi  de  Piémont,  pour  réta- 
blir le  souverain  pontife  dans  sa  puissance  temporelle,  pendant 
que  les  escadres  combinées  de  la  France  et  de  l'Angleterre  sur- 
veilleraient les  patriotes  italiens  dans  les  eaux  de  Gènes  et  de 
Civita-Vecchia.  M.  Drouin  de  Lhuys  répondit  que  le  Gouverne- 
ment ne  dirait  ni  ce  qu'il  proposerait,  ni  ce  qu'il  ferait  plus  tard, 
omis  que,  dès  à  présent,  il  pouvait  déclarer  qu'il  ne  regarderait 
jamais  la  République  française  comme  solidaire  de  toutes  les  ré- 
publiques qui  croiraient  devoir  se  proclamer.  Cela  dit,  M.  le  mi- 
nistre des  Affaires  étrangères,  sans  contester  les  droits  de  la  po- 
pulation de  l'État  romain,  sans  aggraver,  par  aucune  parole  im- 
prudente, la  situation  du  pape,  marqua  nettement  les  difficultés  de 
la  question.  C'était  le  double  caractère  de  Pie  IX ,  comme  prince 
temporel  de  Rome»  comme  chef  spirituel  de  l'Église»  qui  créait  «es 
difficultés.  A  titre  de  prince  qu'il  eût  perdu  sa  couronne,  nul 
Gouvernement  étranger»  sans  doute,  n'avait  rien  à  y  voir  ;  mais 


256  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

le  souverain  pontife  doit  être  libre,  et  la  catholicité  entière  est 
intéressée  à  ce  que  cette  liberté  soit  réelle  et  notoire.  Gomment 
concilier  ces  deux  intérêts?  Là  était  le  problème,  là  se  rencon- 
traient à  la  fois  et  les  droits  et  les  périls  d'une  intervention. 
M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères  était  d'avis  que  la  meil- 
leure solution  serait  celle  qui  ferait  vivre  dans  un  mutuel  accord 
le  pouvoir  temporel  et  le  pouvoir  spirituel  dans  la  vieille  capi- 
tale du  monde  chrétien.  Dans  tous  les  cas,  il  réservait  pour  la 
France  toute  sa  liberté  d'action;  il  demandait  que,  lorsqu'elle 
aurait  une  résolution  i  faire  prévaloir,  elle  prit  son  jour,  son 
heure,  sans  attendre  le  mot  d'ordre  des  factions  qui  agitaient  l'I- 
talie. Ce  jour-là,  il  consulterait  l'Assemblée,  il  viendrait  deman- 
der hautement  son  concours  et  son  adhésion.  M.  Ledru-Rollin 
répliqua  avec  peu  de  bonheur  et  amena,  à  la  tribune  M.  Coquerel 
qui,  tout  en  restant  protestant,  sut  s'associer  généreusement  aux 
sympathies  du  monde  catholique.  «  Savez-vous,  s'écria-t-il,  qui 
vient  d'être  expulsé  par  les  ingrats  Romains?  Ce  n'est  pas  seu- 
lement le  pape,  c'est  le  premier  ami  des  libertés  italiennes?  » 
L'orateur  finit  en  ajoutant  que  la  République  française  ne  pou- 
vait être  solidaire  d'une  république  qui  avait  débuté  par  deux 
crimes. 

Tel  fut  le  premier  engagement  sur  la  question  italienne. 

Une  seconde  passe  d'armes,  tout  aussi  inutile,  mais  plus  bril- 
lante, s'ouvrit,  le  8  mars,  par  des  interpellations  nouvelles  de 
M.  Bovignier.  L'auteur  des  interpellations  dénonça  violemment 
les  projets  des  royautés  coalisées  du  Nord  contre  l'indépendance 
italienne  et  peut-être  contre  la  République  française. 

M.  Ledru-Rollin  reprit  le  même  thème,  mais  avec  plus  de  mo- 
dération et  d'éloquence.  Ce  qu'il  y  avait  de  commun  aux  deux 
discours,  c'était  cette  idée  que,  par  son  vote  du  24  mai  1848, 
l'Assemblée  s'était  engagée  à  soutenir  toutes  les  républiques  qui 
pourraient  éçlore  dans  le  monde. 

Un  mot  de  M.  Ledru-Rollin,  s'étonnant  d'être  seul  à  défendre 
la  politique  du  Gouvernement  provisoire,  amena  à  la  tribune 
M.  de  Lamartine.  A  travers  mille  contradictions,  l'illustre  ora- 
teur, tout  en  louvoyant  entre  les  politiques  les  plus  contraires, 
sans  en  adopter  aucune,  parut  toutefois  protester  contre  Tinter- 


ROME  A  PARIS.  257 

prçtaJton  étrange  qu'on  Tenait  de  faire  de  Tordre  du  jour  du  24 
mai.  11  faut  rendre  au  fond  cette  justice  à  M.  de  Lamartine,  qu'il 
n'avait  jamais  entendu  rendre  la  France  solidaire  de  tous  les 
mouvements  qui  se  produiraient  en  Europe  au  nom  de  la  liberté. 
La  conduite  comme  les  intentions  de  l'ancien  membre  du  Gou- 
vernement provisoire  avaient  été  dans  un  heureux  désaccord  avec 
les  brillantes  imprudences  de  son  manifeste.  Tout  en  revendi- 
quant la  responsabilité  de  ses  actes,  M.  de  Lamartine  répudia  la 
responsabilité  de  la  politique  suivie  par  ses  successeurs,  ajou- 
tant qu'il  n'accusait  pas  cette  politique,  mais  qujl  y  avait  entre 
elle  et  la  sienne  l'épaisseur  des  Alpes. 

Celle  phrase  appela  à  son  tour  à  la  tribune  le  général  Gavai* 
gnac.  L'ancien  chef  du  pouvoir  exécutif,  qui  avait  su,  sous  un 
Gouvernement  militaire,  maintenir  la  paix  de  l'Europe,  dit  avec 
une  grande  verve  de  bon  sens  qu'il  y  avait  quelque  chose  de  plus 
difficile  que  de  se  séparer  de  la  politique  de  ses  successeurs,  c'é- 
tait de  se  séparer  de  celle  de  ses  prédécesseurs.  (1  ne  fut  pas 
difficile  au  général  d'établir  l'identité  de  sa  politique  et  de  celle 
de  II.  de  Lamartine.  Au  reste,  sous  les  deux  Gouvernements,  la 
position  n'avait-elle  pas  été  identique?  L'anarchie  intérieure 
n'avait-elle  pas  paralysé  l'action  extérieure?  Par  celte  expression  : 
V épaisseur  des  Alpes,  dit  en  terminant  M.  Cavaignac,  avait-on 
voulu  séparer  ceux  qui  avaient  franchi  les  Alpes  et  ceux  qui 
étaient  demeurés  au  pied  des  Alpes?  Cette  allusion  transparente 
à  la  déplorable  expédition  de  Chambéry  motiva  unç  réplique  de 
la  part  de  M.  de  Lamartine,  qui  déclara  n'avoir  jamais  autorisé, 
ni  même  connu  cet  acte  de  propagande  agressive.  M.  Emmanuel 
Arago,  lui,  en  avait  eu  connaissance;  il  l'avait  désapprouvée; 
l'expédition  s'était  organisée  sous  ses  yeux.  Mais  il  avait  été  im- 
puissant à  la  prévenir. 

Là  fut  tout  l'intérêt  de  la  séance.  Recueillies  par  M.  Sarrans 
jeune,  les  interpellations  perdaient  tout  leur  intérêt.  Deux  ordres 
du  jour  motivés  furent  déposés,  l'un  par  M.  Jules  Favre,  l'autre 
par  M.  Martin  de  Strasbourg.  Mais  l'ordre  du  jour  pur  et  simple 
eut  la  priorité  et  fut  adopté  par  438  voix  contre  341  (8  mars). 

*  Quel  avait  été  le  résultat  de  cette  joute  oratoire  féconde  en 
scandales?  Le  ministère,  qui  seul  pouvait  fournir  quelques  rcn- 

17 


258  HISTOIRE  DE  FRANCE,  (1849.) 

geignements,  s'élait  retranché,  comme  à  l'ordinaire,  dans  la  ré- 
serve. C'est  la  nécessité  de  toute  administration.  Il  faut  à  la  di- 
plomatie la  liberté  d'action,  incompatible  avec  les  indiscrétions 
parlementaires.  M.  Drouin  de  l'Huys  se  contenta  de  dire,  comme 
l'eût  fait  tout  autre  ministre  à  sa  place,  que  l'Assemblée  connais- 
sait les  intentions  du  Gouvernement  dans  la  question  italienne, 
qu'elle  les  avait  approuvées;  que  tous  ses  efforts  tendraient  à 
éviter  la  guerre,  tout  en  conservant  une  attitude  digne  à  la 
Fiance. 

Pendant  ces  débats  inutiles,  les  faits  se  pressaient  en  Italie. 
Entraîné  par  une  noble ,  mais  fatale  ambition ,  et,  surtout,  par 
les  vaines  fanfaronnades  de  la  démagogie  italienne,  le  malheureux 
roi  du  Piémont  abdiquait  sa  couronne  en  brisant  son  épée  (!). 
Ce  dénouement  rapide,  mais  non  imprévu,  fut  annoncé,  le  28 
mars,  à  l'Assemblée  nationale,  par  M.  le  président  du  conseil. 
M.  Odilon  Barrot  se  borna  à  ajouter  que  le  Gouvernement  fran- 
çais, bien  que  ses  conseils  eussent  été  méconnus  à  Turin,  avait 
la  ferme  intention  de  faire  respecter  l'intégrité  du  territoire  du 
Piémont  et  les  intérêts  et  la  dignité  delà  France.  Cette  déclara- 
tion causa  une  émotion  profpnde.     . 

La  presse  opposante,  tout  en  accablant  de  ses  calomnies,  tout 
en  accusant  de  lâcheté  le  seul  homme  de  l'Italie  qui  eût  tenté  vail- 
lamment la  fortune,  se  hâta  d'enjoindre  au  Gouvernement  fran- 
çais d'entrer  immédiatement  en  campagne.  On  oubliait,  sans 
doute,  que,  Tannée  précédante,  pareille  situation  s'était  présen- 
tée sans  que  les  accusateurs  d'aujourd'hui  eussent  fait  autre 
chose  que  ce  que  Ton  allait  faire  encore,  négocier.  Un  armistice 
avait  été  conclu,  et  le  ministre  des  Atîaires  étrangères,  M.  de  La- 
martine, avait  signifié  aux  parties  belligérantes  que  la  France 
serait  contre  la  première  des  deux  qui  romprait  l'armistice  ;  que 
si  l'Autriche  en  prenait  ^'initiative,  l'armée  française  passerait 
les  Alpes;  que  si  Charles  Albert,  au  contraire,  donnait  le  signal 
des  hostilités,  la  France  l'abandonnerait  à  son  sort.  Le  Go u ver- 


(I)  Voyea  pour  tons  le» détails  le  chapitre  Italie*  Noua  y  rninopn  gainai  ni 
peur  tow  les  détail*  relatifs  à  l'action  (raeçaise  dans  les  Étais  rtnajoa»  cttfe 
action  ayant  été  intimement  lice  à  l'histoire  de  l'Italie. 


ROME  A  PARIS.  859 

nement  afctuel  n'atait  pus  dévié  un  seul  jour  de  la  politique  tra- 
cée paf  cette  déclaration.  Gomme  ses  prédécesseurs,  il  n'avait 
rien  épargné  pour  empêcher  Charles  Albert  de  commettre  la  faute 
«l'une  levée  de  boucliers  ;  comme  eux,  il  recourrait  aux  moyens 
dfptomatiqoes  suffisante  pour  sauver  le  Piémont  des  conséquen- 
ces de  sa  faute. 

Le  30  mars,  on  savait  déjà,  à  Paris,  que  les  efforts  réunis  de 
■H.  Boisée-Comte  et  Abereromby  avaient  abouti  à  la  ratification 
d'un  armistice  et  à  l'assurance  donnée  par  le  maréchal  Radetzky 
fane  prompte  évacuation  du  Piémont,  avec  la  réserve  de  l'occu- 
pation provisoire  d'Alexandrie.  Ces  nouvelles,  communiquées  par 
M.  Je  ministre  des  Affaires  étrangères  parurent  à  l'Assemblée  na- 
tionale aussi  favorables  qne  possible  dans  la  triste  situation  que 
le  Piémont  s'était  faite.  Toutefois,  une  interruption  violente  de 
la  part  de  quelques  membres  accueillit  un  passage  de  la  dépêche 
ofe  il  était  dit  que  la  grande  majorité  de  la  population  de  Turin 
désirait  la  paix., 

M.  Drouin  de  l'Buys  expliqua  en  quelques  mots  tes  inten* 
ttons  du  Gouvernement.  Elles  étaient  de  défendre  l'intégrité  du 
territoire  sarde,  et  de  sauvegarder  les  intérêts  et  h  dignité  de 
Il  France.  Mats  ce  but, pouvait  exiger,  selon  les  circonstances, 
d'autres  moyens  que  les  négociations  diplomatiques.  Aussi,  If.  lo 
mmstre  déclarait-il  que  le  cabinet  acceptait  avec  reconnaissance 
ta  termes  d'une  résolution  adoptée  la  veille  [par  te  comité  des 
afttires  étrangères,  et  dont  M.  Bixio  tenait  de  donner  lecture. 

voici  la  teneur  : 


«  L'Assemblée  nationale,  jalouse  d'assurer  la  conservation  des  deux  plus 
grands  intérêt*  qui  lai  soient  confiés,  la  dignité  de  la  France  et  le  maintien  de  la 
paix  fondé  sur  m  respect  des  nationalités  ; 

9  S'aasociaut  au  langage  tenu  dans  la  séance  du  28  par  M.  le  président  du 
conseil  des  ministres  ; 

i  Confiante,  «Tailleurs,  dans  le Gourernement  du  président  de  la  Répn- 


»  Déclare  que  ai,  pour  mieux  garantir  l'intégrité  du  territoire  ptémontaia  et 
mieux  sauvegarder  les  intérêts  et  l'honneur  de  la  France,  le  pouvoir  exécutif 
croyait  devoir  appuyer  ses  négociations  par  l'occupation  partielle  et  temporaire 
eftut  point  quelconque  de  Ntalie,  4  trouverait  dans  l'Assemblée  nageasse  te 
fis*  aincûre  tt  te  pis*  fniter  concours.  » 


260  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

Cette  énergique  modération  ne  pouvait  être  du  goût  de  l'op- 
position radicale.  Une  de  ses  recrues  les  plus  récentes,  M.  Bil- 
lault, ouvrit  l'attaque  contre  le  cabinet  en  signalant  la  déviation 
prétendue  de  la  politique  française  dans  la  question  italienne.  U 
rappela  les  termes  du  manifeste,  la  résolution  du  24  mai,  et  dé» 
clara  qu'à  ses  yeux  la  France  avait  engagé  sa  parole  et  qu'elle  de- 
vait y  faire  honneur.  Mais  ce  que  l'orateur  évita  de  rappeler, 
c'était  les  refus  répétés  des  Italiens  eux-mêmes  et  les  modifications 
que  cette  vaine  outrecuidance  avait  dû  amener  dans  les  résolu- 
tions du  Gouvernement  français.  M.  Drouin  de  l'Huys  rétablit  les 
faits  dans  leur  véritable  jour. 

Après  les  explications  données  par  M.  le  ministre  des  Affaires 
étrangères,  M.  Billault  monta  à  la  tribune  pour  combattre  la  réso- 
lution du  comité  des  affaires  étrangères.  Cette  résolution  impli- 
quait un  vote  de  confiance  ;  or,  M.  Billault  déclarait  qu'il  n'avait 
que  défiencepour  la  politique  du  cabinet.  Que  voulait  donc  l'ora- 
teur et  comment  entendait-il  que  la  question  fût  résolue?  Il  fut 
impossible  de  le  comprendre.  Car,  pour  M.  BiHault,  toujours  car 
semé  dans  ses  habitudes  de  stratégie  parlementaire,  il  ne  s'agis- 
sait encore  cette  fois  que  de  renverser  un  ministère*  M.  le  mi- 
nistre des  Affaires  étrangères  se  crut  donc  autorisé  à  dire  que  ce 
n'était  pas  le  moment  de  faire  à  là  tribune  de  la  politique  de  fan- 
taisie. M.  le  ministre  n'avait  pas  à  discuter  des  systèmes  qu'on 
ne  lui  offrait  pas  :  il  n'avait  qu'à  justifier  la  conduite  du  Gouver- 
nement. U  présenta  avec  lucidité  l'exposé  de  la  situation  diplo- 
matique depuis  février.  La  politique  du  cabinet,  dit-il,  est  celle  de 
l'Assemblée  nationale  elle-même,  celle  quia  été  tour  à  tour  con- 
sacrée par  l'ordre  du  jour  du  U  mai  et  par  l'approbation  solennelle 
donnée  à  la  conduite  du  général  Gavaignac.  L'honorable  général 
l'avait  dit,  aux  applaudissements  de  la  majorité  :  il  ne  pouvait 
convenir  à  la  France  de  laisser  compromettre  son  initiative  tant 
qu'elle  ne  croyait  pas  de  sa  dignité  et  de  son  intérêt  d'engager 
une  autre  lutte  que  celle  de  la  diplomatie.  Charles- Albert  avait 
méconnu  les  conseils  que  lui  avaient  donnés  les  divers  cabinets 
qui  s'étaient  succédé  depuis  le  k  mai  ;  mais  la  France  ne  ferait 
pas  défaut  à  la  défense  des  droits  légitimes  du  Piémont,  et  elle 
entendait  assurer  l'intégrité  de  son  territoire.  L'Autriche  avait 


ROME  À  PANS.  261 

déclaré,  longtemps  ayant  l'issue  de  la  lutte  qui  Yen  ait  de  se  ter- 
miner, qu'elle  n'entendait  pas  entamer  le  territoire  des  États 
sardes.  Le  cabinet  français  avait  pris  acte  de  cette  déclaration, 
dont  il  avait  posé  lui-même  les  termes  comme  une. condition  de 
la,  paix  ;  il  entendait  qu'elle  fût  respectée.  Il  ne  doutait  pas  qu'elle 
le  fût;  mais,  si  une  prétention  contraire  était  élevée  de  la  part  de 
l'Autriche,  il  n'hésiterait  pas  à  prendre  lui-même,  sur  un  des 
points  quelconques  du  territoire,  une  position  qui  pût  garantir 
l'indépendance  des  États  voisins  et  la  dignité  de  la  France.  Le 
ministère  était  donc  tout  disposé  à  accepter,  sur  les  interpella- 
tions qui  lui  étaient  faites,  soit  l'ordre  du  jour  pur  et  simple,  soit 
l'ordre  du  jour  motivé  par  M.  Bixio,  et  dans  lequel  se  trouvait 
parfaitement  résumée  la  pensée  politique  du  cabinet. 

M.  Ledru-Rollin  vint  apporter  une  raison  de  plus  en  laveur  de 
l'ordre  du  jour  pur  et  simple.  L'orateur  trouvait  l'ordre  du  jour 
de  M.  Bixio  ridicule*  Et,  en  effet,  en  présence  des  déclaration* 
expresses  de  l'Autriche  avant  et  après  la  victoire,  déclarer  solen- 
nellement qu'on  voulait  sauvegarder  l'intégrité  du  territoire  pié- 
montaiç,  n'était-ce  pas  ce  qu'on  appelle  en  langue  vulgaire  en- 
foncer une  porte  ouverte?  Ce  que  voulait,  au  reste,  M<  Ledru- 
Rollin,  c'était  la  reconnaissance .  des  républiques  de  Rome  et  de 
Florence.  Mais  n'était-ce  pas  la  guerre?  U  n'y  avait  là  rien  d'ef- 
frayant pour  l'orateur  qui  affirmait  qu'au  moment  de  sa  chute,  la 
commission  executive  était  prête  A  agir  et  à  occuper  Nice.  Il  fal- 
lait donc  briser  la  ligue  des  rois  et  former  celle  des  peuples. 

M.  Jules  Favre,  membre  du  comité  des  affaires  étrangères, 
vint  ensuite  expliquer  à  sa  manière,  la  résolution  proposée  par 
M.  Bîtio.  U  déclara  que  cette  résolution  ne  contenait  pas  seule- 
ment un  vote  de  confiance  mais  aussi  un  vote  d'énergie.  Cette  in- 
terprétation appela  de  nouveau  M.  Drouin  de  Lhuys  à  la  tribune 
pour  dire,  que  s'il  acceptait  l'ordre  du  jour  proposé  par  M.  Bixio, 
c'était  en  le  dégageant  des  commentaires  trop  absolus  qu'on  en- 
tendait y  ajouter. 

M.  Flocon,  à  son  tour,  proposait  un  ordre  du  jour  ainsi  con- 
çu :  «L'Assemblée,  persistant  dans  son  ordre  du  jour  du  24  mai, 
pour  en  assurer  l'exécution,  invite  le  Gouvernement  à  prendre 


HISTOIRE  ttÈ  FfcAWCE.  (1849.) 

les  moyen»  nécessaires  pour  assurer  l'affranchissement  de  l'Ita- 
lie. » 

L'ordre  du  jour  pur  et  simple  demandé  par  H.  le  général  Ba- 
raguay-d'Hilliers,  fat  d'abord  repoussé  par  442  voix  contre  S27 
(50  mars).  Alors  M.  Thiers  monta  à  la  tribune.  On  allait  voter 
sur  l'amendement  de  M.  Flocon.  M.  Thiers  demanda  qu'on  s' ex- 
pliquât avec  franchise.  Etait-ce  la  guerre  qu'on  proposait? 

Ici  s'engagea  un  débat  accessoire.  M.  Ledru-Rollin  avait  dit  qu'A 
ne  reconnaissait  pas  lu  politique  du  Gouvernement  provisoire 
dans  la  conduite  tenue  par  le  cabinet  à  la  tête  duquel  était  placé  le 
général  Cavaignac.  L'ancien  chef  du  pouvoir  exécutif  releva  cette 
provocation,  et  déclara  qu'en  effet,  si  la  politique  du  Gouverne- 
ment provisoire  était  telle  que  H.  Ledru-Rollin  l'avait  développée, 
11  n'avait  nulle  envie  d'en  accepter  la  solidarité,  et  que  ce  n'é- 
tait pas  cette  politique  qu'il  avait  suivie.  Quand  il  était  à  la 
tête  du  pouvoir,  il  n'avait  jamais  cessé  de  se  considérer  comme 
l'agent  des  volontés  de  l'Assemblée  nationale,  et  les  votes  qui 
avaient  consacré  sa  conduite  avaient  prouvé  qu'il  avait  constam- 
ment fait  prévaloir  l'opinion  de  la  majorité.  Après  avoir  ainsi  jus- 
tifié la  ligne  diplomatiqae  qu'il  avait  résolument  maintenue,  on 
pouvait  croire  que  l'honorable  général  s'expliquerait  aussi  sur  les 
actes  du  cabinet  aetuel.  Etait-il  vrai  que  le  système  suivi  aujour- 
d'hui ne  fût  que  l'application  des  errements  adoptés  par  le  cabi- 
net précédent?  M.  le  général  Cavaignac  se  borna  à  déclarer 
qu'outre  les  deux  politiques  il  y  avait  eu  une  coupure.  Quelle  était 
la  portée  de  cette  parole?  On  ne  pouvait  y  trouver  une  suffisante 
netteté. 

M.  Ledru-Rollin  avait  eu  encore  recours  à  cette  tactique  parle- 
mentaire qui  consiste  à  mettre  les  hommes  politiques  en  oppo- 
sition avec  leur  passé.  Il  s'était  donné  le  plaisir  facile  d'opposer 
M.  Thiers  des  années  1859  et  1840  à  M.  Thiers  d'aujourd'hui. 
M.  Thiers  vint  prendre  une  éclatante  revanche.  Avec  une  ironie 
mordante,  le  spirituel  orateur  vint  louer  le  grand  agitateur  du 
Gouvernement  provisoire,  non  pas  de  son  audace,  mais  de  sa  pru- 
dence. Vous  avez  eu,  lui  dit-il,  plus  de  sagesse  que  vous  n'en  con- 
seillez au  gouvernement  de  M.  Barrot,  sans  avoir  comme  lui  l'et- 


ROME  A  PARIS,  90» 

case  de*  circonstance*,  si  favorables  alors  A  nne  guerre  de  propa- 
gande, Bi  défavorables  aujourd'hui. 

Cette  satisfaction  personnelle  n'était  pas,  au  reste,  le  but  du 
discours  de  M,  Thiers.  Il  voulait  surtout  mettre  l'opposition 
eta  demeure  de  se  prononcer,  ou  pour  la  paix,  ou  pour  la  guerre. 
L'intérêt  et  la  dignité  de  la  France  ne  pouvaient  rester  cachés  dans 
les  mystères  d'une  équivoque.  La  politique  du  cabinet  actuel! 
c'était  la  paîi;  la  politique  contraire,  c'était  la  guerre  sans  doute, 
à  moins  qu'on  lie  voulût  se  réfugier  dans  cette  troisième  poli- 
tique, ta  pire  de  toutes,  qui  consiste  à  ne  rien  faire,  en  semblant 
faire  quelque  chose. 

La  guerre  !  quel  intérêt  commandait  k  la  France  d'épuiser  non 
trésor  et  de  sacrifier  le  sang  de  ses  enfants  ?  Un  intérêt  d'honneur? 
Non,  car  la  France  ne  s'était  point  engagée  dans  la  lutte  qui  Ve- 
nait de  se  terminer  dans  îeâ  plaines  de  Novare,  et  qui  avait  été 
commencée  contre  son  vœu,  malgré  ses  conseils.  Sans  doute  H  y 
avait  dans  cette  affaire  d'Italie  une  question  d'influence;  mais  n'y 
avait-il  pas  d'antres  moyens  de  la  résoudre  que  par  la  force  du 
canon,  et  cette  question  valait-elle  que  la  France  se  lançât  dans 
une  guerre  qui  serait  une  guerre  contre  le  continent  tout  entier, 
en  présence  de  l'Angleterre,  neutre  à  coup  sûr,  à  moins  qu'elle 
ne  fût  rivale?  Or,  la  France  était*e!le  prête  à  affronter  de  pareil» 
lés  éventualités?  Sans  doute  elle  s'était  déjà  trouvée  seule  contre 
tous,  et  elle  était  restée  victorieuse  ;  mais  c'est  qu'alors  toutes  les 
forces  de  la  nation,  soulevées  par  l'agression  de  l'ennemi,  s'étaient 
réunies  dans  on  élan  suprême  pour  affranchir  le  sol  de  la  patrie. 
Mais  ces  efforts  désespérés  que  l'invasion  inspire  à  un  grand  peu- 
ple, éroit-on  qu'Us  8e  retrouvent  aussi  unanimes,  aussi  puissants 
quand  il  ne  s'agit  plus  que  d'une  question  d'influepce?  La  France, 
disait-on,  aurait  la  sympathie  des  peuples.  Mais  ces  peuples,  s'é- 
criait l'orateur,  où  sont-ils?  Où  étaient  leurs  soldats  quand  ces 
bnrves  Piémontais  qni  combattaient  pour  eux  refaisaient  tuer  sur 
le  champ  de  bataille?  Où  sont  les  légions  de  la  Toscane  quand  il 
s'agit  de  se  battre?  Elles  s'agitent  dans  les  clubs,  et  Rome  en  est 
encore  à  trouver  une  épée  qui  remplace  le  stylet  imprimé  tout 
sanglant  snr  le  blason  de  sa  nouvelle  république. 
Etait-il  vrai  que  la  politique  actuelle  fût  celle  du  Gouverne- 


264  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

ment  provisoire,  de  hi  Commission  executive  et  du  cabinet  du 
24  juin?  M.  Thîers,  reprenant  tous  les  actes  de  Jla  diplomatie, 
les  manifestes,  les  dépêches  et  les  votes  de  l'Assemblée  elle- 
même,  voyait  partout  l'empreinte  de  la  même  pensée,  c'est-à- 
dire,  la  négociation  pacifique  des  intérêts  italiens.  M.  Ledro-Rol- 
lin  avait  été  au  pouvoir  :  qu'avait-il  fait?  Avait-il  lancé  au-delà 
dés  Alpes  les  légions  françaises  ?  Il  n'y  avait  jamais  songé.  C'est 
que  les  hommes  les  plus  ardents  et  les  plus  passionnés,  alors 
qu'ils  sont  en  présence  des  faits,  hésitent  eux-mêmes  et  reculent 
Ce  que  n'avaient  pas  fait  le.  Gouvernement  provisoire,  la  Com- 
mission executive,  le  généraHlavaignac  alors  que  l'Autriche  était 
battue,  alors  que  Vienne  et  Berlin  étaient  au  pouvoir  de  l'insur- 
rection, pouvait-on  penser  à  le  faire  aujourd'hui? 

En  proclamant  dans  son  ordre  du  jour  du  24  mai  l'affranchisse- 
ment de  l'Italie  -,  que  voulait  l'Assemblée  ?  Voulait-elle  prêter  à 

» 

la  Lombardie  et  à  la  Vénétie  l'épée  de  la  France  pour  repousser 
la  domination  de  l'Autriche?  Non,  car  c'eût  été  là  une  déclara- 
tion immédiate  de  guerre.  Elle  voulait  que  la  médiation  de  la 
France  résolût  pacifiquement  cette  grande  cause  de  l'affranchisse- 
ment de  l'Italie.  L'Assemblée  n'avait  donc  pas  à  se  donner,  tm 
démenti  ;  elle  n'aiait  qu'à  persister  dans  la  vbie  qu'elle  avait 
tracée  :  elle  avait  surtout  maintenant  à  protéger  l'intégrité  d'an 
État  voisin  contre  toute  extension  illégitime  de  la  part  de  l'Autri- 
che. Mais  la  première  condition  de  l'affranchissement  d'un  peuple» 
c'est  .que  lui-même  il  sache  se  montrer  digne  de  la  liberté. 

Toute  cette  argumentation  étincelante  d'esprit  et  de  bon  sens  fat 
entremêlée  de  dures  vérités  à  l'adresse  de  la  démagogie.  Ce  lan- 
gage vraiment  politique  auquel  la  représentation  nationale  n'était 
plus  habituée  Ot  une  vive  et  profonde  impression  sur  l'immense 
majorité  de  la  Chambre.  Aussi,  M.  Ledru-Roliiu,  pour  en  atténuer 
l'effet,  vint-il  faire  un  appel  aux  passions  révolutionnaires.  Mali- 
cieusement accablé  sous  le  poids  d'éloges  ironiques,  désigné  avec 
honneur  comme  représentant  de  la  diplomatie  pacifique,  M.  Le- 
dru-Rollin,  sans  trop  s'inquiéter  de  traiter  la  question  qui  lui 
était  offerte,  s'empara  avec  habileté  du  langage  tenu  en  1840  par 
M.  Thiers.  Il  demanda  à  l'ancien  président  du  conseil  du  1er  mars, 
si  ce  n'était j>as  aussi  pour  une  question  d'influence  qu'il  avait 


ROME  A  PARIS.  M5 

failli  embraser  l'Europe  tout  entière.  Mais,  quelque  talent  que 
put  mettre  l'orateur  de  la  Montagne  dans  ces  attaques  rétrospec- 
tives, il  fallait  revenir  à  la  question  actuelle  :  il  fallait  prendre 
parti.  «  Ne  vous  cachez  pas  derrière  des  rédactions  ambiguës  » 
avait  dit  M.  Tbiers.  »  M.  Ledru-Rollin  devait  donc  choisir,  a  Ce 
que  je  veux,  dit-il  enfin  aux  applaudissements  de  la  Montagne, 
c'est  la  guerre plutôt  que  la  paix  à  tout  prix.  »  Mais  n'y  avait- 
il  pas  encore  là  une.  ambiguité  ?  Qu'était-ce  que  la  paix  à  tout 
prix,  et  où  commencerait  le  cas  de  guerre  ? 

Quant  à  sa  conduite  eora;ne  membre  du  Gouvernement  pro- 
visoire, M.  Ledru-Rollin  n'hésita  pas  à  s'en  accuser  en  toute  hu- 
milité ;  et  il  déclara  que  s'il  avait  un  regret  dans  le  cœur,  c'était 
de  n'avoir  pas,  au  lendemain  de  Février,  lancé  les  armées  de  la 
France  au  cœur  de  l'Italie. 

Cet  acte  de  contrition  fut,  pour  M*  Odilon  Barrot,  le  signal  d'une 
vigoureuse  réplique,  a  Nous  ne  sommes  pas  venus  au  pouvoir, 
s'écria  M*  le  président  du  conseil,  pour  réparer  les  regrets  de 
M.  Ledru-Rollin,  mais  pour  réparer  ses  fautes  et  relever  les  ruines 
dont  il  a  semé  le  sol  de  la  patrie.  » 

M.  Odilon  Barrot  reprit  ensuite  la  question  dans  les  termes  où 
l'avait  posée  la  veille  M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères,  et  il 
déclara  q*e  le  Gouvernement  acceptait  l'ordre  du  jour  de  M.  Bixio, 
tel  qu'il  était  amendé  par  M.  Payer.  M.  Payer  proposait  de  re- 
trancher les  considérants  rédigés  par  M.  Bixio. 

Le  débat  épuisé,  l'ordre  du  jour  de  M.  Payer  fut  adopté  par 
4*4  voix  contre  320  (30  mars). 

Cependant  les  événements  marchaient  en  Italie.  Dès  le  16  avril, 
M.  le  président  du  conseil  était  amené  à  déclarer  que  le  mo- 
ment paraissait  venu  de  pourvoir  aux  prévisions  de  l'ordre  du 
jour  dp  30  mars;  qu'une  crise  était  imminente  dans  les  États  ro- 
mains, et  que  la Rrance  n'y  pouvait  rester  indifférente;  a  qu'en- 
fin le  protectorat  deços  nationaux,  leâojn  de  maintenir  notre  lé- 
gitime influence  en  Italie,  le  désir  de  contribuer  à  obtenir  aux 
populations  romaines  un  bon  gouvernement  fondé  sur  des  insti- 
tutions libéra!esvtout  faisait  un  devoir  au  Gouvernement  d'user 
de  l'autorisation  qui  lui  avait  été  accordée  et  d'entretenir  sur  le 
pied  de  guerre  le  corps  expéditionnaire  de  la  Méditerranée.»  M.  le 


260  HISTOIRE  bi  FRANCE.  (1849.) 

président  du  conseil  ajoutait  que,  sans  entrer  quant  à  présent 
dans  plus  de  détails,  ce  qu'une  certaine  réserve  lui  interdisait,  it 
pondait  déclarer  que  «  du  fait  de  notre  Intervention  sortiraient  dif- 
férentes garanties  et  pour  les  intérêts  de  notre  pays  et  pour  la 
cause  de  la  vraie  liberté.  *  En- conséquence,  M.  le  président  du 
conseil  demandait  l'allocation  d'un  .crédit  ettraordinaire  de 
1,200,000  fr.  pour  subvenir  aux  éventualités  de  l'expédition 
projetée. 

Une  commission  fut  nommée  immédiatement.  tJitanime  sur  la 
question  d'urgence,  elle  eut  quelque  peine  à  s'àccotder  sur  le  fond 
même  delà  proposition.  M.  Jules  Favre,  son  rapporteur,  déclara 
que  la  commission,  tout  en  accordant  l'allocation,  n'y  consentait 
que  sur  la  promesse  faite  par  M.  le  président  du  conseil  et  M.  le 
ministre  des  Affaires  étrangères  que  les  armes  françaises  ne  se- 
raient pas  dirigées  contre  la  République  romaine.  Le  rapport  n'in- 
diquait pas  nettement  la  politique  adoptée  par  le  Gouvernement, 
et  M.  Emmanuel  Arago  voulut  obtenir  des  explications  plus  Caté- 
goriques. M.  Emmanuel  Arago  ne  comprenait  pas  que  la  France 
pût  mettre  le  pied  en  Italie  autrement  que  pour  soutenir  la  Répu- 
blique romaine  ou  tout  au  moins  pour  empêcher  qu'elle  ne  fût 
renversée.  Etait-ce  làleréleqo'on  voulait  faire  jouer  à  la  France? 

M.  Odilon  Barrot  répondit  avec  quelque  embarras.  Kl  se  borna 
à  dire  qu'il  ne  s'agissait  que  de  sauvegarder  ladlgnité  et  l'influence 
légitime  de  la  France  en  Italie.  Des  événements  graves  se  prépa- 
raient dans  les  États  romains  qui  pourraient  avoir  pour  consé- 
quence la  restauration  du  Saint-Père.  Dans  cette  perspective,  trois 
partis  se  présentaient  entre  lesquels  il  fallait  choisir  :  ou  bien  mar- 
cher au  secours  de  la  République  romaine  et  prendre  sa  défense 
les  armes  à  la  main.  Ce  n'était  là  ni  la  ligne  tracée  par  l'ordfe 
du  jour  de  l'Assemblée,  ni  celle  que  le  Gouvernement  se  propo- 
sait de  suivre.  A  toutes  les  époques,  soit  par  ses  discours,  sett 
en  refusant  de  recevoir  officiellement  les  envoyés  de  la  Répu- 
blique romaine,  il  avait  prouvé  qu'il  n'entendait  établir  aucune 
solidarité  entre  la  République  française  et  celle  de  Rome»  Ou 
s'abstenir  :  mais  c'était  permettre  à  l'Autriche  d'exercer  feeule  son 
influence  en  Italie;  c'était  compromettre  peut-être  en  même  temps 
que  les  intérêts  français,  l'intérêt  et  la  libellé  des  nafans  eux- 


ROttlE  A  PARIS.  2« 

mêmes.  Le  troisième  parti,  c'était  de  mettre  le  pied  en  Italie  et 
de  ne  pas  permettre  que  si  des  événements  prêtas  s'accomplis- 
saient, ils  s'accomplissent  en  dehors  de  l'influence  française.  C'est 
&  cette  résolution  que  s'arrêtait  le  Gouvernement)  comme  le  plus 
en  rapport  avec  la  dignité  et  les  vrais  intérêts  de  la  France. 

Ces  déclarations  forent  accueillies  avec  violence  sur  les  bancs 
de  l'extrême  gauche.  M.  Ledru-Rollin  traduisit  cette  altitude  dans 
nn  discours  menaçant  qui  trouva  une  calme  et  énergique  réfuta- 
tion daûs  les  paroles  de  M.  le  général  de  Lamorkière. 

L'article  \tx  du  projet  fut  adopté  par  395  voix  contre  283. Mais, 
dus  le  vote  sur  l'ensemble,  la  Montagne  s'abstint  systémati- 
quement pour  enlever  au  scrutin  le  nombre  de  votes  exigible 
(16  avril).  La  même  manœuvre  fut  reproduite  le  lendemain. 
Mais,  cette  fois ,  le  projet  fut  adopté  à  la  majorité  de  388  voix 
contre  161,  sur  SU9  votants  (47  avril). 

L'intervention  était  décidée. 

Intervenir  à  Rome,  en  présence  des  dangers  qui  menaçaient  le 
Gouvernement  do  Saint-Père,  ce  n'était  autre  chose  que  la  poli- 
tique immémoriale  de  la  France  en  Italie.  Autrefois  h  Ancêne, 
aujourd'hui  à  Civita-Vecchia,  l'intervention  libérale  d'une  armée 
française  prévenait  l'intervention  despotique  d'une  armée  autri- 
chienne. Telle  avait  été  peut-être  la  pensée  du  général  Cavai- 
gnac  lui-même,  qui  avait  annoncé,  sinon  entrepris,  une  expédi- 
tion de  ce  genre.  Tons  l'approuvaient  alors  et  cet  acte  d'énergie 
eût  prévenu  sans  doute  bien  des  difficultés  politiques,  bien  des 
malheurs  regrettables.  Quelques-uns  avaient  vu  dans  la  manifes- 
tation avortée  du  général  Cavaignac  une  manœuvre  '  électorale. 
Vieux  vaut  croire  que  la  pensée  de  l'intervention  avait  été  sé- 
rieuse et  loyale.  Mais  alors  le  général  avait  dû  reculer  devant  les 
préjugés  démagogiques,  devant  les  nécessités  de  parti. 

Les  événements  se  succédaient  avec  rapidité.Le  Gouvernement 
français  se  hâta  de  réunir  à  Toulon  un  corps  expéditionnaire  placé 
sous  le  commandement  du  général  Oudinot,  et  l'occupation  de 
Civita-Yeccfaia  fut  le  premier  acte  de  l'intervention  française. 
Bientôt  parut  une  dépêche  publiée  le  6  mai  et  qui  portait  que 
le  général  Oudinot  s'étant  mis  en  marche  sur  Rome,  où,  suivant 
tons  Tes  renseignements,  il  était  appelé  par  le  vœu  de  la  popu- 


268  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

Jation,  aurait  rencontré  delà  part,  des  étrangers  qui  occupaient 
Rome  une  résistance  plus  sérieuse  qu'il  ne  s'attendait  à  la  trouver. 
Le  général  avait  cru  devoir  prendre  position  à  quelque  distance 
de  la  ville  et  il  y  attendait  le  reste  du  corps  d'expédition.  Ces  nou- 
velles firent  une  vive  impression  au  dehors  et  au  dedans  de  l'As- 
semblée. Le  7,  des  interpellations  furent  portées  à  la  tribune. 
Quelles  circonstances  avaient  amené  ou  provoqué  cet  engage- 
ment imprévu  ?  Quelles  étaient  les  causes,  quelle  était  la  gravité 
de  r échec  subi  par  nos  armes?  Tous  l'ignoraient,  le  Gouver- 
nement, comme  l'opposition.  Et  cependant  M.  Jules  Favre  crut 
devoir  apporter,  non  pas  seulement  des  interpellations,  mais  un 
acte  d'accusation  contre  le  ministère.  Il  l'accusa  d'avoir  trompé 
l'Assemblée,  d'avoir  surpris  à  sa  confiance  un  vote  favorable  à  l'in- 
tervention dont  il  aurait  adroitement  dissimulé  le  but  ;  d'avoir 
joué  enfin  un  double  rôle,  en  déclarant  publiquement  que  l'inter- 
vention avait  pour  but  non  pas  de  coopérer  à  l'anéantissement 
de  la  République  romaine,  mais  seulement  d'empêcher  que  cet 
événement,  prévu  par  tous,  ne  s'accomplît  sous  l'influence  exclu- 
sive de  l'Autriche,  tandis  que  le  général  Oudinot  était  parti,  muni 
d'instructions  et  d'autorisations  nécessaires  pour  marcher  sur 
Rome  et  pour  y  entrer,  si  besoin  était,  les  armes  à  la  main.  A 
l'appui  de  ces  accusations,  M.  Favre  rappela  les  déclarations  faites 
par  M.  le  président  du  conseil  devant  le  comité  des  affaires  étran- 
gères et  devant  l'Assemblée  elle-même,  et  il  s'efforça  de  démon- 
trer que  l'attitude  du  général  Oudinot  sous  les  murs  4e  Rome 
était  entièrement  contraire  à  ces  déclarations.  M.  Jules  Favre 
conclut  en  demandant  qu'une  commission  de  quinse  membres 
examinât  sans  délai  les  instructions  données  au  général  Oudinot. 
Il  demanda,  en  outre,  que  l'Assemblée,  faisant  acte  de  vigueur, 
retirât  la  direction  de  cette  expédition  à  un  ministère  en  qui  elle 
ne  pouvait  avoir  confiance,  et  qu'elle  envoyât  sur  le  théâtre  des 
événements,  près  du  général  Oudinot,  deux  de  ses  membres  char- 
gés de  lui  transmettre  ses  instructions.  En  formulant  cette  propo- 
sition, réminiscence  d'une  époque  fameuse,  M.  Jules  Favre  ou- 
bliait, sans  doute,  et  M.  le  président  du  conseil  se  chargea  de  le 
lui  rappeler,  que, la  constitution  de  1848  a  organisé  un  pouvoir 
exécutif  avec  des  attributions  restreintes  il  est  vrai,  mais  aux- 


ROME  A  PÀBI8.  90» 

quelles  on  ne  saurait,  sans  une  usurpation  fiagraiite,  porter  at- 
teinte. On  confondait  la  Constituante  avec  la  Convention.  Quant 
au  fond  dn  débats  M.  le  président  du  conseil,  repoussant  avec  in- 
dignation l'accusation  de  mensonge  et  de  trahison  si  légèrement 
dirigée  contre  le  Gouvernement,  se  demanda  si,  avant  de  forma* 
1er  des  imputations  aussi  graveB,  il  ne  convenait  pas  d'examiner 
les  pièces,  de  prendre  connaissance  des  instructions  données  an 
générai,  enfin  de  connaître  les  événements.  Or,  M.  Odilon  Barrot 
déclara  que  les  instructions  données  au  général  Oudinot  étaient 
entièrement  conformes  aux  paroles  prononcées  devant  l'Assem- 
blée, lors  du  vote  qui  avait  autorisé  l'expédition,  et  il  en  donna 
pour  preuve  que  la  proclamation  affichée  &  Civita-Vecchia,  lors 
du  débarquement,  proclamation  dont  M.  Favre  lui-même  avait 
loué  les  termes  pleins  de  bienveillance  et  de  fraternelle  amitié 
pour  le  peuple  romain,  était  en  réalité  l'œuvre  du  ministère  des 
Affaires  étrangères.  Au  reste,  loin  de  s'opposer  à' l'examen  des 
dépêches  et  des  instructions  données  par  le  Gouvernement  au 
commandant  de  l'expédition,  H.  Odilon  Barrot  dit  qu'au  besoin 
il  provoquait  lui-même  cette  mesure ,  et  qu'il  insistait  pour 
qu'elle  fût  immédiatement  mise  à  exécution,  parce  qu'il  ne 
saurait  convenir  au  Gouvernement  de  rester  plus  longtemps  soup- 
çonné d'avoir  manqué  à  son  devoir  et  à  sa  parole.  Une  commis* 
sion  fut  nommée  immédiatement  d'un  commun  accord. 

Dans  les  bureaux,  M.  le  président  du  conseil  résumait  ainsi  la 
situation  de  Rome.  Le  roi  de  Naples  a  franchi  des  frontières  ;  il 
marche  de  Térracine  sur  Rome.  L'Autriche  s'avance  sur  Bolo- 
gne et  sur  Ancftne  avec  25,000  hommes.  L'amiral  français 
Ricaudy  aura  devancé  les  Autrichiens  àAncéne;  une  interven- 
tion d'humanité  l'y  appelait.  Fallait-il,  en  présence  de  ces  faits, 
gue  l'Assemblée  se  mit  en  contradiction  avec  ses  votes  précédents, 
qu'elle  déclarât,  au  profit  de  la  République  romaine,  une  guerre 
à  l'Aptriche,  qui  pourrait  devenir  une  guerre  européenne  ?  Ce 
serait  courir  aux  aventures.  Ou  plutôt  fallait-il  que  l'armée  fran- 
çaise se  concentrât  à  Civita-Vecchia,  qu'elle  y  attendît  passive- 
ment les  événements,  malgré  l'échec  subi?  Restait  un  dernier 
parti  qui  consistait  à  marcher  sur  Rome,  en  considérant  le  fait  de 
guerre  qui  venait  de  s'accomplir  comme  un  motif,  mais  dans  le 


flW  HISTOIRE  BE  FRANCE.  (1849.) 

(terme  dessein^  tout  ert  faisant  respecter  le  drapeau  français,  de 
sauver,  autant  que  possible,  la  liberté  italienne.  C'était  là,  aelo* 
M.  Barrot,  le  meilleur  parti  à  prendre.  Jusque  là  rien  de  phi 
net;  toutefois  M.  le  président  dit  conseil  croyait  devoir  ajouter 
que,  dans  sa  pensée,  le  pftpe,  tôt  ou  tard,  serait  rétabli  à  Rome, 
ma»  que  son  poutolr  temporel  serait  modifié.  II  Ajoutait  cette 
étrange  doctrine  que  la  sécularisation  du  pouvoir  était  deve- 
nue inéfitable.  Qui  autorisait  M.  Barrot  à  tenir  ce  singulier  lan* 

La  commission  immédiatement  Constituée  nomma  M.  Goud- 
ehaut,  son  président,  et  M.  Chavoht,  son  secrétaire.  M.  Senard, 
nommé  rapporteur,  proposa,  le  soir  même,  un  ordre  du  jour 
ainsi  motivé  : 


«  1/AeeemWée  Datàooale  invita  le  Gouvernement  à  prendre,  «ans  délai,  les 
mesures  uécesaaires  pour  que  l'expédition  d'Italie  ne  «oit  pas  plus  longtemps 
détournée  du  bat  qui  Ini  avait  été  assigné.  » 


M.  le  ministre  des  Affaires  étrangères,  pour  mettre  à  même  l'As- 
semblée d'apprécier  les  instructions  dont  le  général  Oudinot  était 
porteur,  en  donna  lecture.  L'extrême  gauche  interrompit  fré- 
quemment, surtout  les  passages  où  il  était  dit  que  fa  France  ne 
reconnaissait  pas  la  République  romaine  et  qu'elle  était  venue 
pour  donner  du  courage'et  de  l'appui  aux  honnêtes  gens.  Le  mi- 
nistre déclara  que  toutes  les  circonstances  qui  avaient  motivé  l'in- 
tervention, et  qui  devaient  engager  les  Français  à  marcher  sur 
Rome,  s'étaient  rencontrées;  que  le  général  Oudinot  n'avait  reçu 
ordre  de  se  diriger  sur  Rome  que  si,  d'une  part,  il  ne  rencon- 
trait aucune  résistance,  et,  d'autre  part,  s'il  n'y  était  appelé  par 
le  vœu  des  populations.  Or,  le  ministre  déclara  que  tout  autori- 
sait à  croire  que  le  général  n'avait  pas  dépassé  ces  instructions. 
«  Que  véut-on  d'ailleurs,  ajoutait-il?  A-t-on  la  prétention  que  la 
France  recule?  Cela  est  impossible.  L'Autriche  et  les  Napoli- 
tains marchent  sur  Rome.  Le  drapeau  de  la  France  ne  peut  pas 
céder  la  place.  » 

Ce  qui  eût  dû  peut-être  dominer  toute  cette  discussion,  c'était 


ROME  A  PARIS.  171 

i'abêeoc*  évidente  d'informations  sérieuses*  Personne  ne  couuù*- 
sait  les  faits  :  que  pourrait  donc  être  uu  vole,  sinon  un  acte  de 
passion?  M.  Flocon  eut  bien»  à  la  vérité,  la  prétention  d'éclairer 
P Assemblée  par  Ja  lecture  d'une  lettre  sans  caractère  officiel*  On 
y  faisait  une  terrible  peinture  de  l'accueil  reçu  par  nos  troupes. 
M.  Flocon  foulait  habilement  dissimuler  une  partie  de  cette  cor* 
respondance  •:  c'est  qu'il  y  était  parlé  d'un  fait  qui  défait  causer 
une  indignation  profonde  dans  des  cœurs  f raiment  français.  Il  y 
était  dit  que  nos  soldats  s'étaient  heurtés  contre  des  barricades 
êlef  ées  par  des  mains  françaises  ;  que  des  Français  étaient  orga* 
nîsés  en  légion  et  décidés  à  combattre  le  corps  expéditionnaire. 
U  en  résultait,  en  outre,  cet  aveu  que  Rome  était  pleine  d'aven* 
turiers  de  toutes  les  nations. 

Malgré  ces  tristes  indications,  M.  Senard  persista,  au  nom  de 
la  commission ,  dans  la  rédaction  de  son  ordre  do  jour  motifé  : 
il  chercha,  il  est  frai,  à  en  atténuer  la  portée  en  déclarant  que 
ffntention  de  la  commission  n'était  pas  d'obliger  le  Gouverne* 
ment,  quels  que  fussent  les  événements,  à  quitter  le  territoire  de 
Rome,  mais  bien,  tout  en  lui  laissant  sa  liberté  d'action,  de  lui 
faire  comprendre  que  l'Assemblée  persistait  à  ne  pas  vouloir  que 
les  armes  de  la  France  servissent  à  détruire  la  République  ro- 
maine. L'ordre  du  jour  fut  adopté  à  la  majorité  de  328  votants 
contre  241,  sur  569  (7  mai). 

Le  vote  du  7  mai  avait  été  un  vote  de  mauvaise  humeur.  Mats 
comment  exécuter  un  vote  semblable?  Quel  en  était  le  sens,  et 
tous  le  comprenaient-ils  de  la  même  manière?  Fallait-il  rappeler 
l'armée  expéditionnaire?  Quelques-uns  le  pensaient ,  sans  réflé- 
chir à  la  flétrissure  qu'un  pareil  acte  eût  imprimée  sur  la  France. 
Fallait-il  foire  des  soldats  français,  les  appuis  de  la  république 
des  assassins  de  M.  Rossi?  Certains  l'eussent  voulu  sans  doute ,  et 
Tordre  du  jour  avait  pour  eux  cette  signification?  Fallait-il  désa- 
vouer un  général  après  un  échec?  C'eût  été  là  une  honfe.  Fallait- 
il  entamer  des  négociations  avec  la  démagogie  romaine?  Mais  c'eût 
été  la  reconnaître.  Le  ministère  voulut  foire  honneur  au  dan- 
gereux testament  de  l'Assemblée.  H  envoya  un  diplomate  nou- 
veau, M.  de  Lesseps.  M.  de  Lesseps  était  chargé  de  ramener  à  son 
but  r expédition  d'Italie.  Que  voulait  dire  cette  phrase?  Qu'il  fa!^ 


272  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

lait  négocier  avec  Mazzini?  Mais  c'était  reconnaître  la  République 
romaine.  Et  d'ailleurs,  sur  quoi  négocierait-on?  L'expédition 
avait  pour  but  de  rétablir  le  Gouvernement  du  pape  :  serait-ce  là 
le  sujet  des  communications  faites  au  chef  des  démagogues  ita- 
liens? Conduite  délicate,  pour  ne  pas  dire  impossible ,  que  celle 
d'un  négociateur  qui  ne  peut  négocier  ni  avec  quelqu'un,  ni  sur 
quelque  chose. 

Ce  vote,  outre  sa  gravité  naturelle,  car  il  semblait  imposer  une 
reculade  aux  armes  françaises,  soulevait  d'ailleurs  de  sérieuses 
questions  constitutionnelles.  Que  l'Assemblée  portât  un  vote  de 
censure  sur  le  Gouvernement,  elle  ne  faisait  qu'user  bien  ou  mal 
de  son  droit  ;  mais  qu'elle  se  chargeât  elle-même  d'exécuter, 
n'était-ce  pas  empiéter  singulièrement  sur  les  attributions  du 
cond  pouvoir  de  délégation  populaire  ?  On  se  demandait  si  Y 
semblée  nationale  pouvait  raisonnablement  prétendre  à  diriger 
ces  opérations  militaires  qui  se  passaient  sur  un  théâtre  éloigné, 
et  les  décréter  dans  l'ignorance  absolue  de  toutes  les  circonstan- 
ces locales  ou  éventuelles.  En  supposant  que  le  général  Oudinot 
eût  dépassé  ses  instructions,  n'était- il  pas  de  la  plus  simple  jus- 
tice d'attendre  que  les  faits  fussent  exactement  connus?  Au  lieu 
de  cela,  on  arrachait  un  vote  de  passion  fondé  sur  des  relations 
sans  autorité.  Il  y  a  doue,  se  disait-on,  des  hommes  et  des  partis 
pour  lesquels  un  malheur  national  n'est  qu'un  sujette  triomphe, 
et  qui  se  consoleraient  volontiers  de  voir  un  corps  d'armée  fran- 
çais écrasé,  pourvu  qu'un  ministère  le  fût  avec  lui.  N'était-ce  pas 
là  se  battre  contre  la  France,  comme  les  démagogues  français  de 
Home?  • 

Un  nouvel  incident  vint  encore  enflammer  la  lutte.  Les  jour- 
naux rendirent  publique  une  lettre  adressée  par  M.  le  président 
de  la  République  au  général  Oudinot.  Louis-Napoléon  Bonaparte, 
devançant  l'opinion  avec  tact  et  courage,  y  disait  :  *  Notre  hon- 
neur militaire  est  engagé  :  je  ne  souffrirai  pas  qu'il  reçoive  au- 
cune atteinte.  »  (Voyez  le  texte  aux  Documents  historiques.)  La 
lendemain,  9  mai,  M.  Ledru-Rollin,  s'appuyant  sur  les  dépêchée 
reçues  jusqu'à  ce  jour  de  l'armée  d'Italie,  en  conclut  que  l'expé- 
dition, commandée  par  le  général  Oudinot,  était  dirigée  contre 
la  République  romaine,  et  que  dès  lors  le  pouvoir  exécutif  s'était 


ROME  A  PARIS.  X» 

n»  en  opposition  flagrante  avec  l'article  5  de  la  Constitution,  qui 
défend  à  la  République  française  de  s'armer  contre  la  liberté  des 
peuples  ;  il  en  conclut  également  que  la  République  romaine 
n'était  pas  un  vain  fantôme,  comme  on  s'était  plu  à  le  faire  croire 
à  l'Assemblée.  En  conséquence,  il  demanda  formellement  la 
mise  en  accusation  du  président  de  la  République  et  des  minis- 
tres, et  une  résolution  formelle  de  l'Assemblée  consacrant  la 
reconnaissance  de  la  République  romaity*.  Qiumt  à  la  lettre  du 
président  de  la  République,  M.  Ledru-Rojlin  signala  seulement 
on  fait  auquel  il  attachait  une  extrêmç  gravité.  Cette  lettre,  dit  il» 
a  été  affichée  dans  les  casernes,  accompagnée  d'un  commentaire 
du  général  en  chef  Changarnier,  et  dans  lequel  on  lit  la  phrase 
suivante  :  «Faites  que  cette  lettre  soit. connue  dans- tous  les 
rangs  de  la  hiérarchie  militaire.  Elle  doit  fortifier  rattachement 
de  l'armée  au  chef  de  l'Etat,  et  elle  contraste  heureusement 
avec  le  langage  de  ces  hommes  qui,  à  nos  soldats,  frappés  par  le 
feu  de  l'ennemi,  coudraient  envoyer  pour  tout  encouragement 
un  désaveu.  »  M.  Ledru-Rollin  demandait  si  un  pareil  commen- 
taire n'avait  pas  pour  but  de  désigner  l'Assemblée  aux  baïonnet- 
tes, au  profit  d* un  régime  impérial  ou  royal,  et  si  la  lettre  du  pré- 
sident, «  accompagnée  du  langage  hautain  de  son  prétorien,  » 
ne  démontrait  pas  que  partout,  au  dehors  comme  au  dedans, 
s'agitait  la  contre-révolution. 

M.  le  président  du  conseil  répondit  avec  chaleur  :  il  releva  le 
gant  qui  lui  était  jeté,  et  il  déclara  que,  lui  aussi,  il  appelait  un 
vole  solennel  de  l'Assemblée  y  que  depuis  trop  longtemps  on 
cherchait  à  accabler  le  Gouvernement  sous  des  insinuations  per- 
fides et  calomniatrices,  qu'il  fallait  aujourd'hui  déchirer  tous  les 
voiles;  qu'en  un  mot,  il  sommait  ses  adversaires  de  formuler 
une  proposition  positive  sur  laquelle  l'Assemblée  pût  être  appe- 
lée à  prononcer  immédiatement.  Abordant  ensuite  les  affaires 
d'Italie,  M.  Odilon  Barrot  se  plaignit  avec  indignation  de  la  per- 
sistance avec  laquelle  un  certain  parti,  sans  connaître  les  faits, 
et  sur  la  foi  d'une  correspondance  qui  ne  prouvait  qu'une  chose, 
i  savoir  qu'il  avait  de  puissants  amis  dans  la  place  ennemie, 
prétendait  profiter  comme  d'une  bonne  fortune  d'un  échec  mo- 
mentané de  nos  armes.  A  cçs  mots  de  «  bonçe  fortune,  »  toute 

18 


»4  HISTOIRE  DE  FRANCE.  {1849.) 

l'extrême  gauche  se  leva,  en  demandant  le  rappel  à  Tordre  do 
ministre,  et  lui  adressant  des  interpellations  violentes.  Pendant 
plusieurs  minutes,  l'Assemblée  resta  en  proie  à  la  plus  vive  émo- 
tion ;  mais  M.  le  président  du  conseil  tint  tête  à  Forage.  «  Àvea- 
vous  donc,  ajouta- t-il,  perdu  toute  notion  du  juste  et  de  J'iiyaste? 
Eh  quoi  !  lorsque  chaque  jour  vous  jetez  incessamment  à  la  face 
du  Gouvernement  l'accusation  du  crime  de  trahison,  vous  ne 
toulez  pas  lui  laisser  la  liberté  de  dévoiler  à  son  tour  et  vos  pro- 
jets et  vos  sympathies?  »  Et  comme  M.  Flocon  lui -lançait  la  quan- 
tification d'accusé  :  «  Vous  dites  que  je  suis  accusé,  s'écria  M.  Gdi- 
lon  Barrot,  mais  devant  qui?  est-ce  devant  vous?  si  cela  était, 
dites  donc  que  je  serais  d'avance  condamné.  Mais  je  ne  recon- 
nais pas  voire  jugement,  car  vous  et  moi  nous  avons  d'autres 
juges;  nous  avons  cette  Assemblée  tout  entière,  à  l'apprécia- 
tion de  laquelle  je  serai  toujours  heureux  de  soumettre  mes 
actes  :  nous  avons  aussi  ce  juge  souverain  dont  les  délibérations 
commencent,  et  qui  bientôt  aura  prononcé  entre  vous  et  nous... 
Redouteriez-vous  sa  décision,  et  la  violence  de  voire  langage  ne 
serait-elle  donc  que  le  signe  précurseur  de  votre  défaite?  » 

Ces  paroles  furent  couvertes  d'applaudissements,  qui  redou- 
blèrent encore  lorsque,  repoussant  le  reproche  qui  lui  était  in- 
cidemment jeté  par  M.  Clément  Thomas  de  pousser  à  la  guerre 
civile,  M.  le  président  .du  conseil  déclara  que,  de  la  part  du  pou- 
voir, l'excitation  à  la  guerre  civile  ne  serait  pas  seulement  l'acte 
le  plus  criminel,  mais,  en.  même  temps,  l'acte  le  plus  insensé. 
La  guerre  civile  !  Ah  I  si  dans  de  pareilles  circonstances  elle  pou- 
vait éclater,  la  responsabilité  en  serait,  ajouta-t-il,  à  ceux  qui 
professent  qu'il  y  a  quelque  ehose  au-dessus  du  suffrage  univer- 
sel ;  à  ceux  qui,  lorsque  les  comices  du  pays  se  sont  réunis  pour 
élire  le  président  de  la  République,  ont  traîné  l'élu  du  pays  dans 
la  fange  de  la  diffamation;  à  cette  presse  qui,  tous  les  jours,  pro- 
voque à  dégrader  celui  que  le  suffrage  universel  a  honoré.  S'ex- 
pliquant  ensuite  sur  Tordre  du  jour  du  général  Changarnier, 
M.  Odilon  Barrot  n'hésita  pas  à  reconnaître  que  s'il  avait  en  réa- 
lité le  sens  qu'on  loi  attribuait,  il  serait  répréhensible,  puisqu'il 
tendrait  à  censurer  une  délibération  de  l'Assemblée.  Restait  la 
proposition  faite  de  reconnaître  la  République  romaine.  Hais 


ROME  A  PARIS.  275 

était-il  besoin  de  discuter  une  proposition  qui,  présentée  dans 
le  moment  où  le  sang  de  dos  soldats  coulait  sous  les  murs  de 
Rome»  blessait  si  profondément  tous  les  sentiments  français? 
M.  le  président  du  conseil  le  repoussa  donc  dédaigneusement, 
et  il  conclut  en  demandait  àl'Assetoblée  de  ne  pas  permettre  que 
les  difficultés  de  la  situation  s'aggravassent  par  des  équivoques, 
des  doute*  et  des  incertitudes* 

M.  Jules  Fatre  parut  alors  à  la  tribune.  À  défaut  de  documents 
nouveaux,  l'orateur  crut  devoir  apporter  une  lettré  émanée  du 
ministère  de  ta  Guerre  de  la  République  romaine,  et  de  laquelle* 
il  serait  résulté  que  non -seulement  le  général  Oudinot  aurait 
attaqué  Rome  à  coups  de  canon,  mais  encore  qu'un  grand  nom- 
bre de  soldais  français  faits  prisonniers,  indignés  d'avoir  été 
trompés  sur  le  but  de  l'expédition,  se  seraient  offerts  à  combattre 
dans  les  rangs  des  Romains  contre  les  Autrichiens.  A  ce  passage, 
reconnu  plus  tard  comme  un  odieux  mensonge,  et  qui  semblait 
indiquer  de  la  part  de  nos  soldats  l'intention  de  déserter  le  dra- 
peau français,  une  agitation  inexprimable  s'empara  de  l'Assem- 
blée. M.  le  général  Bedeau  se  précipita  vers  la  tribune  :  de  ton* 
les  parts  ces  interpellations  énergiques  furent  adressées  à  l'ora- 
teur :  «N'insultez  pas  l'armée.  »  On  voyait  d'ailleurs  une  injure 
laite  à  l'Assemblée  dans  la  lecture,  comme  d'un  document  offi- 
ciel, d'une  "pièce  émanéto  d'un  Gouvernement  que  la  France 
n  avait  pas  voulu  reconnaître,  et  qui  cherchait  aujourd'hui  fi 
flétrir  l'honneur  de  nos  soldats.  If.  le  ministre  de  la  Marine  pro- 
testa par  quelques  paroles  chaleureuses  en  faveur  de-  l'armée 
française  et  de  sa  fidélité  au  drapeau.  M.  le  général  Lefto  re- 
pouesa  à  son  tour  avec  indignation  les  calomnieuses  allégations 
puisées  dans  des  correspondances  hostiles.  «  C'est  bien  assez, 
dit-il,  d'avoir  tenté  d'humilier  l'armée  en  lui  fermant,  il  y  a 
quinze  mois,  les  murs  de  Paris.  Elle  s'est  vengée  depuis  en  sau- 
vant la  société  :  ne  la  flétrissez' pas  aujourd'hui.  Je  n'ai  pas  l'hon- 
neur d'être  citoyen  romain,  moi  ;  le  titre  de  citoyen  français 
suflK  à  mon  ambition  :  c'est  donc  comme  Français  que  je  parle, 
laissant  à  d'autres  le  soin  de  faire  acte  de  patriotisme  en  prenant 
contre  nous  la  défense  de  la  République  romaine.  » 

11  fallait  arriver  à  un  vote.  M.  Jules  Pavre,  modifiant  la  pro- 


278  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

position  de  M.  Ledru-Rollin,  s'était  borné  à  demander  que  l'As- 
semblée, se  retirant  dans  ses  bureaux,  nommât  une  commission 
chargée  de  formuler  une  résolution  qui  déclarerait  le  ministère 
déchu  de  la  confiance  de  l'Assemblée.  L'ordre  du  jour  pur  et 
simple  fut  réclamé  et  mis  aux  voix  :  il  donna  au  ministère  une 
majorité  de  329  voix  contre  292. 

L'ordre  du  jour  adopté,  on  mit  aux  voix  une  proposition  de 
H.  Babaud-Larrbière,  tendant  i  ordonner  des  poursuites  contre 
le  général  coupable  de  désobéissance  au  décret  dn  14  mai.  La 
proposition  fut  repoussée  à  la  presque  unanimité. 

Enfin,  on  vota  sur  la  demande  de  mise  en  accusation  du  prési- 
dent de  la  République  et  de  ses  ministres.  538  voix  contre  138 
firent  justice  de  la  proposition.  Quant  à  la  reconnaissance  de  la 
République  romaine,  il  n'en  fut  plus  question  (41  mai). 

Sortie  de  l'Assemblée,  l'agitation  se  continua  dans  les  partis. 
On  vit  éclater  une  sorte  de  patriotisme  excentrique  parmi  les 
partisans  de  la  République  romaine.  Si  quelque  bulletin  étran- 
ger racontait  un  échec  de  nos  armes,  ce  bulletin  était  reproduit, 
commenté  avec  passion  par  les  journaux  socialistes.  Les  récits 
les  phis  grotesques  étaient  accueillis  s'ils  étaient  défavorables  a 
l'armée  française.  On  transformait  en  héros  de  Saragosse  ces 
pauvres  Romains  que  la  terreur  conduisait  sur  les  bastions  de 
Rome,  et  que  les  forcenés  de  la  légion  étrangère  traînaient  sur  les 
remparts.  Le  Peuple  rapportait  avec  enthousiasme  cette  lettre 
bouffonne  pour  qui  connaît  la  population  romaine  :  «  Le  quar- 
tier de  Trastevère  entier,  enfants,  hommes  et  femmes,  est  en 
armes  aux  barricades  ;  les  femmes  menacent,  après  avoir  épuisé 
tous  moyens  de  défense,  de  jeter  de»  croisées  leurs  petits  enfmis 
<ur  les  assaillants.  » 


ROME  A  PARIS.  277 


HAPITRE  XV. 


LU  DHUUBli  J0GM  I»  U  COWSTITBAUT*. 


Mutent  télégraphique  de  H.  Léon  Faucher,  discussion  violente,  accusation 
d'influence  électorale,  explications,  ordre  du  jour  motivé  de  M.  Millard,  vote 
de  blftme,  démission  de  M.  Léon  Faucher.  —  Congés  nombreux,  vides  dans 
r  Assemblée,  mouvement  électoral,  le  suffrage  à  deux  degrés,  opérations  pré- 
paratoires fcYUuÛM  éUc&rale,  liste  du  ifotàmoi;  scission  de  dix-sept 
journaux  de  la  presse  modérée»  liste  socialiste,  listes  diverses.  —  Résultai 
des  élections,  majorité  nombreuse  et  minorité  compacte,  sens  nouveau  de  cette 
minorité,  le  socialisme  parlementaire;  émotion  publique.  —  Derniers  travaux 
de  l'Assemblée,  abolition  de  limpot  des  bsisuens,  vote  hostile  an  général 
Chungarnier,  agitation  électorale  après  les  élections,  bruits  de  conspiration, 
l1  armée  est  «elle  socialiste.  —  Encore  les  questions  extérieures;  entrée  des 
Rosses  en  Hongrie,  l'Italie;  ordre  du  jour  belliqueux  de  M.  Joïy,  rédaction 
nouvelle  de  M.  Cavaignac  ;  M.  Ledru-BolKn,  allusions  regrettables  ;  expé- 
dient révolutionnaire,  hf .  Gondehaui  et  la  permanence  ;  adoption  de  l'ordre 
du  jour  de  M.  Cavaignac.  —  Encore  des  conspirations,  revue,  cris  inconsti- 
tutionnels, M.  Considérant  et  ses  quarante  infirmiers;  acte  d'accusation 
contre  le  général  Cbangarnier  ;  déviation  des  débats,  M.  de  Falloux  et  la 
Montagne,  les  ateliers  nationaux,  gagné  jm  de  tout  et  cmpaèlts  de  rùm; 
M.  JoJy  et  M.  de,  Falloux,  luttes  personnelles,  ordre  da  jour  pur  et  simple. , 
—  L'amnistie  et  M.  Flocon.  —  "Testament  de  la  Constituante,  l'adresse  aux 
Français,  de  IL  Antony  Thouret;  vote  d'un  décret  de  remerciements, 
M.  Base; discours  de  clôture  par  M.  Armand  Marras!  ;  permanence  étrange, 
défiances  et  regrets,  les  non-reéluf  ;  derniens  adieux. 

Résumé  généra),  la  Constituante  devant  l'histoire. 


Tout  n'était  pas  terminé  par  le  vote  favorable  au  ministère. 
A  la  suite  de  la  discussion,  M.  le  ministre  de  l'Intérieur  crut  de- 
voir en  foire  connaître  le  résultat  dans  les  départements  par  une 


«78  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (18*9.) 

dépêche  télégraphique  adressée  aux  préfets,  et  conçue- en  ces 
termes: 

DÉPÊCHE    TÉL&GRAPHIQUE. 

Le  ministre  de  V Intérieur  au  préfet  de.,,,. 

»  • 

«  12  mai,  ont*  heures  do  matin. 

»  Après  une  discussion  très-animée  sur  les  affaires  d'Italie,  V Assemblée 
nationale  a  repoussé  par  Tordre  du  jour  pur  et  simple,  à  la  majorité  de  329  von 
sur  621  votants,  la  proposition  de  M.  Jules  Favre,  de  déclarer  que  le  ministère 
avait  perdu  la  confiance  du  pays.  Ce  vote  consolide  la  paix  publique;  les  agita- 
teurs n'attendaient  qu'un  vote  de  l'Assemblée  hostile  au  ministère  pour  courir 
aux  barricades  et  pour  renouveler  les  journées  de  juin. 

»  Paris  est  tranquille. 

*  Parmi  les  représentants  du  département  ont  voté  pour  Tordre  du  jour  et 
pour  le  Gouvernement  :  MM 

*  Se  sont  abstenus  ou  étaient  absents  :  MM » 

Cette  dépèche  devint  le  sujet  d'une  discussion  violente  et  tu- 
multueuse. Selou  les  uns»  il  était  cartaiu  que  les  départements, 
instruits  des  menées  qui  pourraient  tendre  à  faire  ajourner  les 
élections,  avaient  besoin  d'être  rassurés;  cela  était  d'autant  plus 
nécessaire»  que  les  nouvelles  les  plus  alarmantes  y  avaient  éé^k 
été  répandues.  On  citait,  par  exemple,  un  journal  de  province 
qui  avait  publié,  comme  certain,  le  fait  de  l'arrestation  des  mi- 
nistres et  celui  de  l'avènement  de  M.  Ledru-Rollin  à  la  dictature. 
Il  était  donc  nécessaire  d'opposer  à  tous  ces  bruits  un  énergique 
démenti,  et  de  faire  participer  les  habitants  des  provinces  i  It 
satisfaction  publique  qui  avait  accueilli  le  vote  de  l'Assemblée. 

Mais,  disaient  les  autres,  la  dépêche  allait  jusqu'à  mentionner 
les  noms  des  représentants  de  chaque  département  qui  avaient 
voté  pour  ou  contre  le  Gouvernement.  On  pouvait  comprendre 
la  juste  susceptibilité  de  ceux  qui,  comme  M.  Millard  (de  l'Aube), 
vinrent  demander  au  ministre  dans  quel  but  avait  été  faite  cette 
publication  et  quelle  solidarité  on  entendait  établir  entre  les 
représentants  hostiles  à  la  politique  du  ministère  et  les  agitateurs 
de  la  place  publique. 

D'autres,  enfin,  avec  M.  Clément  Thomas,  insinuaient  déjà  que 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  LA  CONSTITUANTE.  879 

si  celte  dépêche  télégraphique  constituait  une  manœuvre  électo- 
rale, que  s'il  était  prouvé  que  les  élections  avaient  eu  lieu  soui 
l'influence  de  la  note  ministérielle,  il  serait  peut-être  du  devoir  de 
l'Assemblée  d'annoter  les  élections.  Cet  empiétement  sur  les  droits 
de  l'Assemblée  législative  ne  fut  pas  approuvé  par  la  majorité. 

Mais,  en  dehors  de  la  question  d'influence,  restait  l'apprécia* 
lion  de  la  dépêche  en  elle-même.  M.  Léon  Faucher  s'empressa 
de  donner  satisfaction  à  de  légitimes  susceptibilités,  et  il  désa- 
voua loyalement  l'intention  qu'on  loi  supposait  d'avoir  voulu 
faire  peser  aucun  soupçon  injurieux  sur  des  membres  de  P As- 
semblée. Quant  i  la  publicité  donnée  aux  votes,  de  quoi  peut-on 
se  plaindre,  ajoutait  M.  Léon  Faucher?  Cette  publicité  n'est-elle 
pas  chaque  jour  donnée  par  le  Moniteur  et  reproduite  par  les 
départements?  Ces  explications  furent  asses  mal  accueillies. 
MM.  Senard  et  de  Larochejacqoelein  les  combattirent  avec  chaleur, 
en  insistant  principalement  sur  le  rapprochement  que  semblait 
faire  la  dépêche  entre  tes  noms  dés  votants  et  des  projets  de  guerre 
civile.  Ce  fut  en  vain  que  M.  le  président  du  conseil,  parlant  au 
nom  de  la  conciliation,  rappela  à  l'Assemblée  toute  la  réserve 
que  lut  imposait  désormais  sa  situation  exceptionnelle  lorsqu'il 
s'agissait  d'émettre  un  vote  politique.  Au  reste,  on  put  voir, 
par  la  discrétion  même  avec  laquelle  M.  Odion  Barrot  glissa  sur 
le  fond  du  débat,  que  la  dépêche  lui  était  inconnue  et  qu'il  en 
approuvait  peu  les  termes. 

La  discussion  fit  naître  un  ordre  du  jour  motivé,  conçu  d'a- 
bord dans  des  termes  très-explicites  et  très-sévères,  modifié  en- 
suite par  son  auteur,  M.  Millard,  dans  les  termes  suivants  : 
*  L'Assemblée  nationale,  blâmant  la  dépêche  télégraphique 
adressée  le  1t  mai  par  M.  le  ministre  de  l'Intérieur  aux  préfets, 
passe  à  l'ordre  du  jour,  s 

Cette  proposition  soulevait  nue  question  grave,  celle  de  savoir 
si  l'Assemblée  actuelle  pouvait  constitutionnellement  apprécier 
un  fait  relatif  a  la  sincérité  des  élections,  ou  si  l'appréciation  de 
ce  fait  ne  devait  pas  naturellement  appartenir  à  l'Assemblée  leV 
gtslative.  Celte  dernière  opinion  ne  fut  pas  celle  de  l'Assemblée. 
Le  nombre  des  votants  était  de  5*4  :  l'ordre  du  jour  fut  adopté 


280  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1819.) 

à  la  majorité  de  819  toht  contre  S.  One  partie  du  «été  droit  de 
l'Assemblée  s'était  abstenue  (  1 4  mai  ) , 

Beaucoup  regrettèrent  ce  vote.  Déjà,  pur  toute  la  France,  le 
scrutin  était  fermé;  1* Assemblée  législative  «Hait  sortir  de  l'unie 
électorale.  Les  pouvoirs  de  F  Assemblée  constituante  expireraient 
après  quinte  jours.  Cette  situation  inouie  d'une  Assemblée 
assistant  et  survivant  à  la  naissance  d'une  Assemblée  nouvelle 
devait  peut-être  imposer  à  celle  qui  finissait  des  devoirs  de  bon 
goût.  loge  et  partie ,-  poirvait-elle  être  impartiale  dans  cette 
cause? 

Quoi  qu'il  en  fût,  ce  Vote  n'atteignait  qu'un  acte  isolé  d'an  mi- 
nistre, et  la  majorité  avait  entendu  dégager  complétensent  la 
question  d'influence  électorale;  l'auteur  de  l'ajnendement  lui- 
même,  H.  Mil  lard,  l'avait  déclaré  en  termes  formels. 

A  l'issue  de  celte  orageuse  séance,  M.  le  ministre  de  l'Inté- 
rieur déposa  sa  démission  entre  les  mains  de  M.  le  président  de 
la  République.  Ce  n'était  là,  à  la  vérité,  qu'un  échec  personnel; 
mais  beaucoup  pensèrent  que,  si  on  considérait  l'énergie  avec 
laquelle  le  ministre  tombé  avait  épuré  et  renouvelé  l'adipinistn- 
tion  départementale,  sa  chute  était  une  perte  sensible  pour  le 
parti  de  Tordre. 

On  l'a  vu,  toutes  les  lottes  engagées  depuis  quelque  temps 
dans  l'Assemblée  nationale  reposaient  sur  une  question  capitale, 
la  question  même  de  sa  durée.  Résolue  par  un-  vote  courageux, 
cette  question  l'était  encore  et  par  le  sentiment  même  du  pays 
et  par  l'attitude  de  l'Assemblée.  Des  congés  étaient  demandés  par 
un  grand  nombre  de  représentants  :  un  vide  niJNmt  s'opérait 
dans  les  rangs  de  l'Assemblée  avant  qu'elle  n'eût  décidé  sa  sépa- 
ration. Le  mouvement  électoral  était  déjà  commencé  dans  la  pays. 
A  Paris,  VUniofi  électorale  s'organisait  et  soumettait  aux  votes 
préparatoires  de  la  population  une  liste  de  cinquante  noms,  choi- 
sis dans  toutes  les  nuances  du  parti  de  l'ordre,  et  parmi  lesquels 
une  première  élection  aurait  à  choisir  les  vingt-huit  noms  de  la 
liste  définitive.  Il  en  était  ainsi  par  toute  la  France  :  des  comités 
préparatoires  consultaient  l'opinion,  et  le  Suffrage  à  deux  degrés 
s'établissaitdans  leshabitudesde  la  nation ,  malgré  les  prescriptions 
delà  Constitution  de  \  848.  A  côté  de  ce  mouvement  significatif,  Fa- 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  LA  CONSTITUANTE  281 

gitatien  électorale  duparli  démocnit^ocavakaussimsignification 
également  opposée  aux  intentions  delà  loi.  Descomités  non  sortis 
de  réfection,  arrêtaient  secrètement  des  listes  définitives  qu'on 
imposait  ani  électeurs  sans  les  consulter  en  aucune  façon.  C'était 
encore  le  suffrage  à  deux  degrés,  moins  la  liberté  des  choix.  On 
voit  ce  que,  des  deux  côtés,  devenait  dans  l'application  le  suffrage 


Les  opérations  de  V Union  électorale  pour  le  département  de  la 
Sema,  firent  sortir  du  vote  préparatoire  de  5¥,097  électeurs  la 
liste  suivante  de  vingt-huit  candidats  définitifs  :  MM.  Dubure, 
Bippoiyte  Passy,  Bedeau,  Lamoricière,  Odjlon  Barrot,  Ferdinand 
de  Lasteyrie,  Léon  Faucher,  Bugeaud,  Moreau,  Thiers,  Cavaignac, 
ravin,  Garnon,  de  Falloux,  Wolowski,  Mole,  Peopin,  Roger  (du 
Nord),  Achille  Fould,  de  Montalembert,  Coquerel,  Rapatel,  Victor 
Hugo,  Bixio,  Chambolle,  Boisse),  Marie,  Lucien  Murât.  Expres- 
sion de  la  fusion  des. amis  de  Tordre,  disait  le  comité  de  V Union, 
cette  liste  devrait  être  le  signe  de  ralliement  de  tous  ceux  qui 
voudraient  se  ranger  avec  Velu  du  10  décembre,  sous  l'égide  de  la 
Constitution,  autour  du  drapeau  de  tordre  dans  la  République. 
(9  mai.) 

Mais  on  avait  compté  sans  les  fantaisies  du  caprice  individuel. 
Ce  n'est  que  dans  les  opinions  qui  s'appuient  sur  les  classes  les 
moins  intelligentes  de  la  société,  qu'il  est  possible  de  faire  ac- 
cepter eans  discussion  un  mot  d'ordre.  Le  jour  même  où  cette 
liste  paraissait,  le  National  publiait  la  sienne,  et,  sur  cette  der- 
nière, on  retrouvait  les  noms  de  MM.  Dubure,  Cavaignac,  Lamori- 
cière, Marie,  Ferdinand  de  Lasteyrie.  Quelques  journaux  repoussè- 
rentune  combinaison  quirencontraitsescandidats  dans  deuxcamps 
opposés  :  ou  pomma  les  cinq  candidats  des  deux  listés  d'opter  entre 
Tune  des  deux.  Aux- cinq  noms  suspects  on  proposait  desubstituer 
eenx  de  MM.  Garaier-Pagès,  de.  Bar,  Gourgaud,  Piat,  Louis-Lucien 
Bonaparte.  Ées  premiers  symptômes  de  division  paraissaient  d'au- 
tant plus  graves,  que  l'esprit  de  discipline  u'avait  pas  cessé  de 
régner  dans  le  camp  qui  e'iutittdait  définitivement  socialiste.  Là, 
vingt-huit  candidats  choisis  en  secret  étaient  imposés  à  la  masse 
électorale  du  parti  :  aucune-discussion  n'était  permise..  Ces  vingt- 
huit  noms  étaient  les  suivants  :  MM.  Bac,  Boicbot,  Cabet,  Charas- 


MS  HISTOIRE  BE  FRANCE    (18W.) 

sin.  Considérant,  d'Alton-âhée,  Bemay,  Genitter,  Greppo,  Hervé, 
Hisay,  Lagrange,  Lamennais,  Laaglois,  Le bon,  Ledru-RoUia, 
Madier  de  Montjau,  Malarmet,  Montagne,  Perdiguier,  Prondhoo, 
Félix  Pyat,  Rattier,  Ribeyrolles,  Savary,  Thoré,  Vidal. 

Ainsi,  il  y  avait  en  pcéience  quatre  listes  principales,  celles  de 
l'Union  électorale,  des  socialistes,  de  la  presse  modérée  (liste  de 
scission),  et  des  Amis  de  la  Constitution.  Cette  dernière  qui  re- 
présentait le.  parti  des  républicains  de  la  Teille,  non  encore  passés 
aux  socialistes,  proposait  entre  autres  noms  ceux  de  Mil.  Arago, 
Bastide,  Billault,  Bûches,  Carnot,  Degousée,  Dupont  (de  l'Eure), 
Jules Favre,  Flocon,  Forestier,  Guinard,  Lamartine,  Marrast.  On 
comptait  encore  deux  listes  moins  importantes,  mais  qui  ne  de* 
vaient  pas  laisser  que  d'ajouter  à  la  confusion  :  4°  la  liste  dn  co- 
mité présidé  par  M.  de  Larochejaoqaelein,  laquelle  empruntait 
seulement  quinze  noms  à  la  liste  de  V  Union  électorale  ;  2»  la  liste 
du  comité  bonapartiste. 

Le  18  mai,  le  résultat  des  élections  de  Paris  fut  connu.  Il  ne 
répondait  pas,  comme  on  pouvait  s'y  atteadre,  aux  espéraoces 
du  parti  modéré.  Sur  les  vingt-huit  représentants  nommés,  dix- 
huit  appartenaient  à  la  liste  de  Y Union  électorale,  les  dix  antres 
à  la  liste  socialiste.  (Voyez  aux  Documents  historiques  les  listes 
complètes.)  Aucun  des  candidats  substitués  de  la  presse  mqdérée 
n'avait  été  nommé.  Les  dix-huit  candidats  appartenant  en  propre 
à  la  liste  des  Amis  delà  Constitution  avaient  échoué  dans  le  scru- 
tin. Aucun  des  candidats  élus  n'avait  réuni  la  majorité  absolue.  Le 
nombre  des  votants  était  de  274,000,  majorité  absolue  137,000. 
Or,  le  candidat  sorti  le  premier  de  l'urne,  M.  Lueien  Mural, 
n'avait  pas  atteint  le  chiffre  de  155,000  voix.  1+  seule  lotte  sé- 
rieuse s'était  établie  entre  les  deux  listes  de  Y  Union  et  des  sotia* 
listes.  Les  antres  n'avaient  fait  passer  aucun  candidat  qui  leur  lût 
propre.  La-scission  des  dix-sept  journaux  modérés  n'avait  donc 
ett  pour  résultat  que  d'assurer  cinq  noms  de  plus  à  la  liste  socia- 
liste. Et  pourtant  le  parti  modéré  avait  montré  dans  ces  élections 
une  discipline  qu'il  n'avait  pas  encore  connue,  et  dont  tout  Thon* 
near  revenait  à  rtfrwonlJ^orafo.Qaantaa  parti  socialiste,  il  avait 
manœuvré  avec  un  admirable  en  semble.  La  différence  de  30,000  voix 
qui  se  ffli8*'1  remnrquerentrelepremieret  le  dernierdescarMlîdata 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  LA  CONSTITUANTE.  283 

delà-liste^  ne  pouvait  être  attribuée  qu'à  l'appoint  fourni  par  la 
liste  des  républicains  de  la  veille.  Pour  ceux-ci,  la  défaite  était 
entière.  Étrange  retour  de  la  fortune  politique  !  Les  noms  autour 
desquels  venait,  un  an  auparavant,  se  grouper  le  nombre  le 
plus  imposant  de  suffrages,  étaient  précisément  ceux-là  qui  res- 
taient cette  fois  dans  le  plus  complet  abandon.  MM.  de  Lamartine, 
Dupont  (de  l'Eure),  Arago,  Garnier-Pagès,  Armand  Marrast,  n'a- 
vaient pas  même  la  moitié  des  suffrages  recueillis  par  le  dernier 
des  socialistes. 

Les  résultats  électoraux  du  reste  de  la  France  reproduisirent  à 
peu  de  chose  près  les  mêmes  situations  et  les  mêmes  résultats. 
En  somme,  près  de  cinq  cents  membres  appartenaient  dans  la 
représentation  nouvelle  aux  nuances  diverses  de  l'opinion  modé- 
rée; plus  de  deux  cents  au  parti  ultra-démocratique.  Une  majorité 
formidable  était  acquise  au  parti  modéçé  s'il  savait  conserver  l'u- 
nité entre  ses  éléments  si  divers;  une  minorité  évidente,  mais 
compacte,  était  acquise  au  socialfsme.  En  présence  de  ce  résultat 
inattendu,,  l'opinion  publique  s'émut.  Il  y  avait  désormais  autre 
chose  que  la  République  à  l'horizon  des  partis. . 

Le  15  mai,  l'Assemblée  législative  était  nommée  :  le  27  seule- 
ment expiraient  les  pouvoirs  de  la  Constituante.  Ainsi  commen- 
çait, pour  durer  douze  jours,  cette  situation  inouïe,  mais  légale, 
d'une  Assemblée  fonctionnant  en  présence  de  son  successeur  en- 
core inconnu.  Au  milieu  de  cette  anomalie,  la  Chambre  qui  allait 
finir  saurait-elle  s'imposer  l'obligation  de  n'user  qu'avec  réserve 
de  ses  pouvoirs  expirants?  S'abstiendrait-elle  d'hostilités  systé- 
matiques contre  le  pouvoir?  Devenue  complètement  irrespon- 
sable, u'abuserait-elle  pas  de  cette  situation  exceptionnelle?  La 
sagesse  qu'avait  montrée  l'Assemblée  en  signant  son  abdication, 
pouvait  faire  espérer  qu'elle  ne  se  laisserait  pas  entraîner  aux 
regrets  et  aux  rancunes. 

Restait  le  budget  que  la  Constituante  fêtait  donné  la  tâche  de 
voter.  Les  crédits  provisoires  accordés  expiraient  après  quelques 
jours  et,  si  le  budget  des  recettes  n'était  pas  \oté,  il  ne  serait  plus 
possible  de  percevoir  les  impôts  indirects  à  partir  du  i«r  juin. 
Cependant,  et  lorsque  l'Assemblée  avait  si  peu  de  temps  à  consa- 
crer à  l'étude  sérieuse  des  finances,  une  foule  de  propositions 


284  HISTOIRE  DE  FIUNCE  (1849) 

incidentes,  et  toutes  de  tactique,  vinrent  charger  son  ordre  du 
jour.  Le  16  mai,  M.  Grévy  appela  l'attention  de  la  Chambre  sur 
le  projet  de  loi  relatif  à  la  réunion  du  commandement  de  la 
garde  nationale  et  des  troupes  entre  les  mêmes  mains.  M.  Larabit 
flt  remarquer  que  ce  projet  intéressait  beaucoup  plus  l'Assem- 
blée future  que  l'Assemblée  actuelle.  La  demande  de  M.  Grévy 
fut  repoussée.  Le  budget  des  dépenses  était  voté  :  on  passa  au 
budget  des  recettes.  Nous  avons  dit  plus  haut  (voyez  chapitres 
précédents)  par  quel  vote  déplorable  l'abolition  de  l'impôt  des 
boissons  fut  décrétée  le  18  mai,  et  comment  l'Assemblée  expirante 
léguait  ainsi  des  embarras  nouveaux  aux  finances  de  l'avenir. 
Elle  n'existait  plus  qu'en  vertu  d'une  fiction  légale,  et  cependant 
elle  créait  sur  un  budget  dont  elle  n'avait  pas  à  s'occuper,  celui 
de  1850,  un  déficit  nouveau  de  100  millions.  C'était  là,  selon 
quelques-uns,  une  usurpation  flagrante  :  beaucoup  y  virent  une 
regrettable  tactique  qui  consistait  à  créer  pour  l'Assemblée  nou- 
velle un  immense  embarras  si  elle  conservait  le  déficit,  une  im- 
popularité certaine  si  elle  rétablissait  l'impôt. 

Le  lendemain  de  ce  vote  (19  mai)-,  la  Chambre  désorganisait 
le  commandement  de  la  force  publique  dans  Je  département  de  la 
Seine,  en  rejetant  le  projet  de  loi  présenté  par  le  Gouvernement 
pour  régulariser  la  position  du  général  Çhangarnier  (19  mai, 
293  voix  contre  210). 

Ces  différents  votes  jetèrent  une  assez  grande  inquiétude  dans 
le  pays.  L'agitation  électorale  n'était  pas  éteinte  avec  les  élec- 
tions. Des  cris  de  triomphe  accueillaient  dans  le  parti  socialiste 
l'échec  des  républicains  de  1818  et  la  nomination  d'une  mino- 
rité compacte.  Les  feuilles  de  ce  parti  prêchaient  le  calme  an 
peuple  comme  à  la  veille  des  jours  de  désordre  :  on  semait  la 
défiance  et  l'irritation  en  annonçant  tous  les  matins  une  cons- 
piration du  pouvoir,  et  ces  bruits  étaient  accueillis  avec  faveur 
par  le  parti  qui  disparaissait  presque  tout  entier  par  suite  des 
élections  nouvelles  :  c'était  avec  une  joie  secrète  que  les  opi- 
nions extrêmes  propageaient  ou  acceptaient  l'idée  d'une  attitude 
menaçante  du  pouvoir.  Sur  32,000  soldats  appartenant  au  dé- 
partement de  la  Seine,  6,000  s'étaient  laissés  prendre  au  désir 
de  porter  deux  soldats  à  l'Assemblée  nationale.  On  en  concluait 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  LA  CONSTITUANTE.  285 

que  Tannée  était  socialiste,  et  qae  tonte  répression  était  devenue 
impossible. 

L'Assemblée,  cependant,  continuait  arec  an  calme  impertur- 
bable i  traiter  des  questions  de  première  importance,  i  aborder 
des  projets  de  loi  qui  eussent  demandé  de  longues  et  sérieuses 
études.  Le  21  mai,  elle  entamait  la  première  lecture  d'un  projet 
sur  l'école  d'administration.  Il  est  vrai  que  le  scrutin  de  division 
ne  pouvait  réunir  que  376  suffrages.  Le  22,  MM.  Serrans,  Joly 
ctLedru-Rolîin  interpellaient  le  Gouvernement  au  sujet  de  l'en- 
trée des  Russes  en  Hongrie.  Il  y  avait  sans  doute  quelque  chose 
de  grave  dans  l'intervention  d'une  armée  russe  dans  les  Etats  do 
l'Autriche:  mais  y  avait- il  là,  comme  le  pensait  M.  Ledru-Rollin,  un 
cas  de  guerre?  Le  manifeste  de  S.  M.  l'empereur  de  Russie  paraissait 
i  l'orateur  une  déclaration  de  guerre  ;  et  cependant  il  y  était  dit 
formellement  que  la  Russie  entendait  s'abstenir  de  s'ingérer 
dans  les  affaires  domestiques  des' autres  pays;  elle  ne  s'oppose- 
rait en  aucune  façon  aux  modifications  qu'il  leur  plairait  d'ap- 
porter à  leurs  institutions  ;  on  y  circonscrivait  avec  soin  l'action 
que  la  Russie  prétendait  exercer  aux  contrées  limitrophes  de  ses 
frontières.  (Voyez  plus  loin  Allemagne  et  Russie.)  Pour  confir- 
mer ces  protestations  par  une  preuve  publique ,  le  Gouverne- 
ment russe  venait  de  reconnaître  Officiellement  la  République 
française.  Telle  fut  en  substance  la  réponse  de  M.  Odilon  Barrot. 

En  même  temps,  M.  Sarrans  reproduisait  les  interpellations 
de  îa  semaine  précédente  sur  les  affaires  d'Italie,  déclarant  que 
le  temps  des  négociations  était  passé,  qu'il  fallait  prendre  un 
parti,  mais  n'en  indiquant  pas.  M.  Drouin  de  Lhuys  s'en  référa 
à  ses  explications  antérieures;  nn  agent  français  était  parti  poor 
le  quartier  général  de  l'expédition  d'Italie,  emportant  pour  ins- 
truction le  compte-rendu  de  la  dernière  discussion  qui  avait  eu 
lieu.  En  ce  qui  concernait  l'intervention  russe  en  Hongrie,  M.  le 
ministre  des  Affaires  étrangères  répéta  qu'il  avait  transmis  ses 
observations  aux  cabinets  européens  par  la  voie  diplomatique, 
qu'il  n'entendait  pas  en  employer  d'autres  pour  le  moment,  et 
que  si  Ton  était  d'avis  de  recourir  à  des  mesures  plus  énergi- 
ques, il  fallait' les  formuler  d'une  manière  catégorique»  afin  que 


38«  HISTOIRE  DE  PHANCB.  (ftgftSv) 

chacun  acceptât  franchement  la  responsabilité  de  aes  conseils  et 
de  ses  propositions. 

M.  Joly  répondit  à  cet  appel»  et  formula  une  rédaction  très- 
claire.  Son  ordre  du  jour  demandait  que  l'Assemblée,  protestant 
contre  Je  manifeste  rusée  et  contre  une  coalition  nouvelle,  enjoi» 
gnit  au  Gouvernement  de  prendre  immédiatement  les  mesura 
les  plus  énergiques  pour  fajre  respeeter  le  principe  de  l'indépen- 
dance et  de  la  nationalité  des  peuples  partout  où  il  serait  me- 
nacé. 

Cet  ordre  du  jour,  c'était  la  guerre.  D'un  autre  côté,  selon  one 
autre  fraction  de  l'Assemblée,  l'adoption  de  l'ordre  du  jour  por 
et  simple  ne  pourrait-elle  pas  donner  lieu  au  dehors  à  des  inter- 
prétations fâcheuses  ?  Répondrait-il ,  cet  ordre  du  jour,  i  h 
préoccupation  générale  des  esprits  ?  Ce  furent  là  les  graves  consi- 
dérations qui  engagèrent  le  général  Caraignac  à'  formuler  une 
rédaction  nouvelle.  L'intervention  de  l'honorable  général  dans  le 
débat  produisit  une  vive  impression.  Plusieurs  fois,  du  haut  des 
bancs  de  la  Montagne,  de  violentes  interpellations  lui  forent 
adressées  ;  il  les  repoussa  avec  dédain,  en  déclarant  que  la  ques- 
tion était  trop  grave  pour  qu'il  songeât  à  en  faire  un  débat  per- 
sonnel. Le  général  résuma  sa  pensée  dans  ces  mots  :  a  On  a  ea 
tort  d'attaquer  la  République  romaine,  mais  on  n'est  pas  obligé 
de  là  servir.  » 

Mais  il  fallait  conclure,  et  l'ordre  du  jour  du  général  Gavaigaac 
parut  vague  et  obscur.  C'était  une  recommandation  au  Gouverne- 
ment, une  tentative  faite  pour  éveiller  sa  sollicitude.  A  ce  point 
de  vue,  dit  M.  Odilon  Barrot,  on  pouvait  l'accepter.  Mau\  il  n'en 
restait  paa  moins  ceci,  à  savoir  que  l'on  cherchait  un  principe 
d'action  immédiate  dans  une  manifestation  parlementaire,  et  qoe 
le  vote  u  aurait  aucune  signilication  précise.  Aussi,  les  partisans 
de  la  guerre  repoussèrent-ils,  comme  le  Gouvernement  lui-même, 
cette  rédaction  sans  couleur.  M.  Ledru-Rollin  insisla  sur  les  dan- 
gers de  la  situation  :  il  le  fit  avec  chaleur;  mais  bientôt,  entraîné 
par  sa  parole  plus  loin,  sans  doute,  que  sa  pensée,  l'orateur  alla 
jusqu'à  rappeler  un  des  plus  mauvais  jours  de  la  première  révo- 
lution. Expliquant  la  siniatre  journée  du  10  aoftt,  par  le  wft» 
qu'une  portion  de  l'Assemblée  nationale  de  1792  lit  de  voter  une 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  LA  CONSTITUANTE.  287 

déclaration  de  guerre  en  réponse  au  manifeste  du  duc  de  Bruns- 
wick, If.  Ledru-Rollin  jeta,  au  milieu  de  i'eflervescence  des  es- 
prits, une  menace  d'insurrection  et  de  guerre  civile.  Ces  allusions 
regrettables  furent  énergiqnement  repoussées  par  M.  le  président 
du  conseil  :  «  Quoi  donc,  s'écria-t-il,  ce  n'est  pas  dans  le  senti- 
ment des  véritables  intérêts  du  pays,  c'est  dans  une  pression 
violente,  c'est  dans  la  crainte  d'une  émeute  que  l'Assemblée  doit 
puiser  sa  délibération!  Je  ne  comprends  pas  cette  politique  qui 
veut  la  guerre  et  les  énormes  sacrifices  qu'elle  entraîne,  et  qui 
commeuce  par  ces  appels  à  l'agitation  de  la  place  publique  et 
paralyse  ainsi  i  l'avance  toutes  les  forces  du  pays.  » 

On  allait  voter  sur  l'ordre  du  jour  pur  et  simple.  Mais  un  grand 
nombre  de  représentants,  M.  Mauguin  i  leur  tête,  reconnaissant 
que  la  question  était  du  ressort  do  l'Assemblée  législative,  s'abs- 
tinrent de  voter.  Quarante  voix  manquaient  pour  la  validité  du 
scrutin.  Alors,  M.  Goudchaux  proposa,  si  le  vote  n'était  pas  com- 
plété dans  un  délai  donné,  de  déclarer  l'Assemblée  en  perma- 
nence. La  proposition  fut  votée  à  la  presque  unanimité,  mais  par 
un  nombre  de  suffrages  inférieur  à  celui  qu'exigeait  le  règlement. 
Cet  expédient  révolutionnaire  eut  un  plein  succès,  et  Tordre 
du  jour  pur  et  simple  fut  repoussé  par  459  toit  contre  53,  sur 

52î  votants  (22  mai). 

Le  lendemain,  la  priorité  fut  accordée  à  l'amendement  du  gé- 
néral Cavaignac.  «  C'est  là  un  escamotage,  »  s'écrie  M.  Deville, 
organe  peu  châtié  de  la  Montagne.  M.  Marrast  persiste  malgré 
rfnsolte.  Alors  on  a  recours  à  la  tactique.  If.  Flocon  cherche  à 
persuader  à  la  Chambre  que  les  deux  amendements  expriment  la 
même  pensée.  Le  général  Cavaignac  repousse  loyalement  cette 
association.  Il  n'a  voulu  que  signaler  un  danger  sérieux,  appeler 
l'attention  du  pouvoir  exécutif  sur  une  éventualité  de  guerre, 
mais  non  consacrer  une  sorte  de  solidarité  entre  la  République 
française  et  1er  autres  républiques  européennes.  Cette  loyale 
interprétation  dissipe  les  incertitudes  du  parti  modéré,  et  Tordre 
do  jour  du  général  Cavaignac  est  adopté  à  la  majorité  de  51 1  voix 
contre  Jfcl. 

Deux  jours  s'étaient  passés  dansées  interpellations  stériles: 
de  nouveaux  incidents  surgirent  immédiatement  pour  créer  de 


288  HISTOIRE  DE  FRÀMCK.  (184»-) 

nouveaux  embarras.  ParmLles  conspirations  imaginaires  créées 
par  les  journaux  ,  la  Démocratie  pacifique.an  avait  inventé  une 
tellement  circonstanciée  que  II.  Crémiëux  crut  devoir  dénoncer 
sur  ces  preuves  le  pouvoir  exécutif.  Une  revue  avait  eu  lieu  le 
20  mai  et,  selon  le  jçurnal,  ou  avait  voulu  s'assurer  des  disposi- 
tions de  l'armée.  Un  complot  devait  éclater  Je  17.  De  là  des  inter- 
pellations nouvelles.  M.  Considérant  parut  à  la  tribune,  invoquant 
comme  preuve  principale  des  mouvements  de  troupes  suivant  lui 
calculés,  et  même  l'arrivée  à  Paris  de  quarante  infirmiers  appe- 
lés pour  les  cruelles  éventualités  du  combat.  Geci  tournait  au  ridi- 
cule et  à  l'odieux  ;  lesjnfiriniers  devaient,  en  effet,  subvenir  aux 
nécessités  d'une  épidémie  qui  'frappait  en  ce  moment  sur  la 
France  :  le  choléra  régnait  à  Paris.  De  toutes  parts,  l'Assemblée 
demanda  autre  chose  que  des  allégations,  des  preuves.  M.  Consi- 
dérant répondit  qu'il  n'avait  pas  de  preuves  judiciaires,  mais  des 
renseignements  sûrs,  et  que  d'ailleurs  il  n'avait  jamais  menti  : 
«  Vous .  avez  menti,  »  s'écrie  M.  Pierre  Bonaparte  d'une  voix 
éclatante;  vous  avez  menti  ea  disant  que  le  président  de  la 
République  conspire  contre  la  Constitution.  » 

Ces  paroles  ne  firent  qu'accroître  l'agitation.  M.  Ledru-Rollin 
comprit  alors  qu'il  (allait  détourner  le  débat  si  maladroitement 
engagé  :  il  le  lit  en  portant  à:  la  tribune  un  acte  d'accusation 
contre  le  général  Cbangarnier.  En  vue  d'une  permanence  pos- 
sible, le  président  de  l'Assemblée  aurait  fait  demander  la  veille 
un  certain  contingent  de  troupes,  et  le  général  Changarnier  aurait 
répondu  en  envoyant  à  tous  les  généraux  de  brigade  Tordre  de 
n'obéir  qu'au  commandant  en  chef.  M,  Ledru-Rollin  demandait 
une  commission  d'enquête.  Après  lui,  MM.  Charras,  Lagrange  et 
Michot  dénonçaient  des  cris  inconstitutionnels  poussés  par  l'armée 
qu'on  aurait  payée  pour  son  enthousiasme  décommande.  Le  gé- 
néral Bedeau  s'élança  à  la  tribune  et  protesta  énergiquement  oontre 
ces  indignes  accusations.  A  son  tour ,  M.  le  président  du  conseil 
repoussa  avec  indignation  ces  accusations  soulevées  par  l'imagi- 
nation des  journaui,  portées  à  lajribune  sans  le  contrôle  des 
formalités  légales,  avec  le  dessein  manifeste  d'en  faire  un  moyen 
d'agitation,  et  peut-être  de  guerre  civile,  «  Un.complot,  s'écri*» 
t-il,  un  complot  an  moment  où  va  se  réunir  la  nouvelle  Assemblée 


LES  DERKH5BS  JOURS  SE  LA  CONSTITUANTE.  969 

issue  da  suffrage  du  pays,  ne  serait-ce  pas  le  comble  de  la  folie  ?  » 
Le  24  mai ,  la  lutte  dorait  encore.  H.  Clément  Thomas  tou* 
lait  qu'on  forçât  le  général  Changàrnier  i  des  explications  person- 
nelles: un  autre  membre  s'écriait  qu'il  fallait  le  traduire  révolu- 
tionnairement  à  la  barre.  M.  Ledn*-Rollin  déroulait  d'injurieux 
commentaires  sur  le  passé  du  président  de  la  République.  M.  Flo- 
con évoquait  les  tristes  réminiscences  de  la  réaction  de  1815 
et,  prenant  à  partie  M.  le  ministre  de  l'Instruction  publique, 
lui  jetait  l'odieux  souvenir  de  Trestaillon.  A  cette  inqualifiable 
insulte,  IL  de  Fallouz  répondait  énergiquement  par  le  rappel 
des  journées  du  10  août,  do  2  septembre,  du  31  mai,  du  9  ther- 
midor, de  toutes  ces  crises  honteuses  et  sanglantes  couronnées 
par  ienr  conséquence  nécessaire ,  le  coup  d'Etat  du  18  bru- 
maire. Alors  s'engagea  une  lutte  étrange  de  tout  un  parti  contre 
un  seul  homme  :  de  tous  côtés  descendaient  de  violentes  inter- 
pellations :  chacune  d'elles  recevait  de  l'orateur  sa  réponse,  et 
quelquefois  son  châtiaient.  Déjà  l'incident  remplaçait  la  question 
principale  dans  les  émotions  de  la  Chambre.  Attaqué^  pour  la 
part  qu'il  avait  prise  à  la  dissolution  des  ateliers  nationaux , 
M.  de  Falloux,  avec  une  impitoyable -lucidité ,  répandait  la 
lumière  sur  ces  journées  de  juin  et  sur  leurs  causes  encore  mal 
connues.  Les  traits  les  plus  cruels  de  cette  vive  improvisation 
arrachèrent  des  applaudissements  nombreux  à  l'Assemblée.  On 
avait  prononcé  ce  mot  un  peu  superbe  :  Je  ne  veuœ  plus,  c  Les 
hommes  dont  la  France  ne  veut  plus,  dit  M.  de  Falloux,  ce  sont 
les  hommes  qui  sont  capables  de  tout  et  les  hommes  qui  ne  sont 
capables  de  rien.  »  (U  mai.) 

On  était  loin  de  la  conspiration  prétendue.  Le  lendemain,  on 
s'en  éloigna  plus  loin  encore.  M.  Xoly  continua  l'accusation. 
Mais  le  principal  accusé  ce  n'était  pi ur  M.  le  président  de  la  Ré- 
publique, ou  le  général  Changàrnier,  c'était  décidément  M.  de 
Falloux»  M.  Joly  vint  lire  à  la  tribune  des  fragments  isolés  et 
choisis  de  deux  ouvrages  de  l'honorable  ministre,  Y  Histoire  de 
saint  Pie  V  et  Y  Histoire  de  Louis  XVI.  il  ressortait  de  ces  frag- 
ments, pour  M.  Joly,  que  M.  de  Falloux  avait  fait  l'apologie  de 
l'Inquisition  et  de  la  Saint-Barthélémy.  Par  malheur,  les  textes 
empruntés  à  ce  recueil  périodique  étaient  falsifiés;  Mais  les  ré» 

19 


990  HISTOIRE  DE  fftAJKX.  (414*.) 

cri  «mations  engendrent  les  récrimmatioiis,  M.  )foittaet-ftr~ 
ntui  vint,  à  son  tour,  faire  le  procès  aoi  opinions  républicaines 
4e  M.  Jpiy.  Il  tira  de  la  GmutU  dm  Tribuam*  ut  discours  so- 
lennel dani  lequel  M.  Jely,  proottrear-généraJ  4  la  cour  de 
Montpellier  en  1850,  protestait  de  son  détonement  chaleureux  4 
la  monarchie  constitutionnelle  en  général  et  an  roi  LooMfti- 
Uppe  en  particulier» 

Cependant  la  conspiration  avrit  entièrement  dispara  derrière 
ees  engagements  rétrospectifs.  H  est  vrai  que  M,  le  président  de 
contejl  avait  donné  des  explications  complètes.  La  lettre  du  gé- 
néral avait  été  écrite  à  une  heure  où  l'Assemblée  avait  renoncé 
4  la  permanence  ;  en  consignant  les  troupes,  on  n'avait  fait  que 
prendre  «ne  mesure  de  sûreté  générale;  Perdre  de  n'obéir 
qu'au*  instructions  d«  chef  militaire  allait  au-devant  de  la  com- 
plication des  ordres,  et  ne  pouvait  avoir  pour  but  de  paralyser 
J'exereiee  du  droit  de  réquisition  attribué  par  le  décret  du 
14  mai  1*48  nu  président  de  l'Assemblée.  D'ailleurs,  ce  décret 
B'étaibil  pus  resté  4  l'ordre  du  jour  dans  toutes  les  casernes  do  la 
division)  Tout  cela  était  trop  clair  :  aussi,  quand  revint,  quoique 
wn  peu  tard,  la  demande  d'enquête,  M.  Odilon  Barrot  put-il  dire 
qu'il  n'y  avait  14  rien  de  sérieux,  et  l'Assemblée  loi  donna  raison 
par  on  ordre  du  jour  pur  et  simple  voté  4  la  majorité  de  308  voie 
eototre  f€0  sur  868  votants  (25  mai). 

Tout  n'était  pas  fini.  A  l'ordre  du  jour  se  trouvait  inscrite  une 
proposition  d'amnistie.  M.  Flocon  y  vit  un  moyen  d'agiter  les 
deux  dernières  séances.  Mais  la  Chambre  s'y  refusa  et  s'apprêta 
à  se  séparer.  Comment  le  faire?  M.  ftegousée  voulait  un  compte* 
vendu  solennel  des  travaux  de  F  Assemblée  ;  M.  Antony  Tbouret 
tenait  pour  une  adresse  aux  Français.  La  majorité  préféra  un 
simple  décret  rédigé  en  ces  termes  par  M.  Base  :  s  L'Assemblée 
nationale  vote  des  remerciements  4  la  garde  nationale  et  4  l'ar- 
mé* pour  le  concours  énergique  et  dévoué  qu'elles  ont  constam- 
ment prêté  à  toutes  les  mesures  décrétées  pour  le  maintien  de 
f  ordre  et  de  la  liberté,  et  le  salut  de  la  République,  a 

La  dernière  séance  de  la  Constituante  Ait  terminée  pat  un  dte* 
cours  do  président.  La  parole  de  H.  Armand  Mérrast,  reprdsen* 
tant  officiel  de  l'Assemblée,  M  digne,  calme  et  mesurée;  H  parla 


LES  DERNIERS  JOURS  DÉ  LA  CONSTITUAIS  TE.  &< 

auctoBvenanee  des  travaux  qu'il  avait  éi  longtemps  diriges,  ff  jeta 
sur  la  situation  du  pays  un  coup  d'œil  rapide,  et  commenta  spiri- 
tneflement  le  mot  connu  d'un  programme  récent  :  Ni  réaction,  ni 
utopie.  Il  conclut  en  recommandant  à  tous  le  respect  de  la  Cons- 
titution qui  avait  été  l'œuvre  principale  de  dette  Assemblée,  de 
la  Constitution  qui  devait  tout  à  la  fou  servir  de  règle  et  de  bou- 
clier; pnis  1  termina  en  poussant  le  cri  dk  :  ft«*  Ut  République! 
qui  fat  répété  par  des  vtiit  nombreuses. 

Ainsi  finit  l'Assemblée  constituante.  Pendant  vingt-quatre 
heuresencore,  le  bureau  et  un  certain  nombre  de  membres  sans 
mission  spéciale  se  constituèrent  en  permanence,  les  uns  pour 
D'iaferrompre  en  rien  l'action  du  pouvoir  parlementaire,  les  au- 
tres pour  manifester  une  fois  de  plus  d'injurieuses  défiances  ou 
(f/Mtile*  regrets.  Parmi  ces  derniers,  comme  parmi  les  promo- 
teurs des  dernières  agitations  parlementaires,  on  remarqua  en 
gitodè  majorité  les  représentants  non  réélus.  Enfin,  le  28  mai, 
lis  nembres  du  bureau  de  l'Assemblée  constituante  reçurent  le 
karea»  provisoire  de  l'Assemblée  nouvelle,  «  potrr  constater,  dit 
I.  Verras!  (voyez  les  Documents  historiques),  qae,  sons  Peut* 
pire  de  notre  Constitution  répeblièatoe,  il  ne  srarafty  avoir  tTto- 
taraiftenee  dans  le  pouvoir  législatif.  » 


292  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 


^•a 


RÉSUMÉ  GÉNÉRAL 


LA  CONSTITUÀHtE  DBVANT  L'HISTOIRB. 


On  Ta  tu,  les  derniers  moments  de  l'Assemblée  constituante 
avaient  paru  manquer  de  cette  dignité  calme  que  la  France  «xige 
de  qui  a  l'honneur  de  la  représenter.  Après  avoir,  par  un  vote 
digne  d'éloges,  fixé  un  terme  à  ses  travaux,  elle  n'avait  peut-être 
pas  su  mourir.  Dans  les  convulsions  de  soif  agonie,  elle  avait 
suscité,  sans  le  vouloir  sans  doute,  plus  d'un  embarras  sérieux  aa 
Gouvernement.  Fallait-il  l'en  accuser,  ou  n'était-ce  pas  plutôt  li 
la  faute  de  cette  coexistence  fatale  de  deux  pouvoirs  indépen- 
dants, et  par  cela  même  rivaux,  que  la  Constitution  avait  impo- 
sés à  la  France»  Si  l'Assemblée  ne  s'était  pas  associée  aux  injures 
prodiguées  au  président  de  la  République,  elle  avait  ouvertement 
patronéde  fâcheuses  défiances,  de  regrettables  coups  d'autorité.  Il 
s'était  trouvé  361  voix  pour  refuser  au  lieutenant  général  Cban- 
garnier  une  indemnité  qu'autrefois  on  décernait  d'enthousiasme 
à  MM.  de  Courtais  ou  Clément  Thomas.  «  Ce  qui  se  passe  ici, 
avait  pu  dire  M.  Léon  Faucher,  pourrait  s'appeler  1a  guerre  an 
pouvoir  exécutif*  »  Et  cette  guerre ,  elle  était  devenue  chaque 
jour  plus  agressive,  à  mesure  qu'approchait  l'heure  de  la  re- 
traite. Ce  n'est  pas  ainsi  qu'avait  fiai  le  pouvoir  temporaire  du 
général  Cavaignac.  Il  avait  su  descendre,  et  la  dignité  calme  de 
sa  retraite  n'avait  légué  au  pouvoir  du  10  décembre  aucun  héri- 
tage difficile  autre  que  la  situation  elle-même. 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  LA  CONSTrTUANTE.  293 

L'Assemblée  s'était  souvent  laissé  prendre  *ux  séductions  de 
l'économie.  Elle  avait  cherché  à  restreindre  les  travaux  publics, 
tout  en  modifiant  radicalement  le  budget  des  recettes  par  une 
diminution  énorme  des  impôts.  Était-ce  bien  le  moment  lors- 
que le  pays  se  ressentait  encore  de  la  brusque  disparition  du 
travail,  et  lorsque  le  déficit  toujours  croissant  des  finances  récla- 
mait l'emploi  de  toutes-  les  ressources  ordinaires  ? 

Fallait-il  pourtant  méconnaître  les  services  que  la  Constituante 
avait  rendus  au  pays?  Elle  avait  intronisé  le  droit  à  la  place  du 
fait,  elle  avait  substitué  une  délégation  régulière  de  la  volonté 
nationale  à  une  violence  de  mauvais  exemple.  Elle  avait  tiré  le 
pays,  sinon  de  la  révolution,  au  moins  de  l'état  révolutionnaire: 
enfin,  elle  avait  été  longtemps  le  seul  point  de  ralliement  de 
toutes  les  forces  vives  de  la  France.  Avec  elle,  le  pays  avait  pu 
combattre  l'anarchie. 

Qu'a-t-elle  fait,  disaient  ses  adversaires?  Elle  a  effleuré  bien 
des  projets,  abordé  bien  des  questions  :  elle  n'en  a  résolu  sérieu- 
sement aucune.  On  oubliait,  sans  doute»  au  milieu  de  quelles 
agitations  s'était  passée  l'existence  de  cette  Assemblée.  Si  on  con- 
sidérait le  nombre  de  ses  membres,  l'inexpérience;  politique,  ad- 
ministrative et  financière  de  beaucoup  d'entre  eux,  on  pouvait 
«'étonner  encore  de  ce  qu'elle  avait  fait.  Il  est  juste  d'avouer 
qu'un  grand  nombre  de  représentants,  nouvellement  arrivés  à 
la  vie  politique,  avaient  cherché  à  suppléer  par  un  travail  assidu 
à  tout  ce  qui  leur  manquait  de  science  et  d'habitude  parlemen- 
taire. Si  ce  travail  s'était  le  plus  souvent  résolu  en  initiatives  sté- 
riles, en  propositions  impossibles,  fajlait-il  en  accuser  autre  chose 
que  ce  sentiment  erroné  partagé  par  une  partie  de  la  nation  elle- 
même,  que  la  société  était  tout  entière  à  refaire  .'Beaucoup  d'illu- 
sions enracinées  dans  l'opinion  publique  avaient  contribué  à  gas- 
piller les  forces  et  le  temps  de  la  Chambre.  Four  n'en  citer  qu'une, 
te  droit  de  pétition,  cette  arche  sainte  de  la  liberté  pour  l'ancien 
libéralisme,  était  devenu  ira  embarras  quelquefois  dangereux, 
plus  souvent  ridicule.  A  la  date  du  17  janvier,  l'AsseiAblée  n'avait 
pas  reçu  moins  de  huit  mille  pétitions.  Le  texte  même'  de  ces 
requêtes,  fruit  des  plus  étranges  initiatives,  montrait  mieux  que 
toute  discussion  ce  que  peut  produire  d'utHe  ce  droit  de  pétition 


m  HWTÛIAE  m  ffUNOE*  (1M0.) 

autrefois  considéré  qmum  la  base  dee  libertés  puWiqae**  I/we 
d'elles  demandait  qu'on  érigeât  l'athéisme  •»  «cianoe  et  fo'oa 
renseigné*  dan»  1m  collège*. 

Si  ffwtyua  chose  pouvait  diminuer  la  sévéritééele  France  pour 
l'AeseBMée  expirante,  c'était  It  logement  mentant  porté  sarailo 
pur  k  Montagne*  Dana  wo  déeleraàon  adressée,  io  S  a?ril,  ont 
électeurs,  les  repréeentintsderopposition  radicale  condamnaient 
mm  la  Constituante  i 


«  Aon  o&uvre,  la  Constitution,  est  entachée  d'inconséquences...  elle  admet  U 
feia*  do  Mort  et  répaaste  h  èkAi  au  travail.  Le  meilleur  de  ses  articles  est 
«ektf  w «a  pémat  1*  **r|u»a>.«  (fe^Ut^ueeeiéittot^ae  c*to^êoao»m, 
vwtafc  à  l'I^térieu*  faible  à  ratfériaar  et  rétw**1  partout  » 


Ce  qui  avait  mérité  à  l'Assemblée  ces  accusations  ultra-radi- 
cales, c'était  ce  bon  sens  profond  dont  elle  avait  souvent  fait  preuve 
en  condamnant  de  dangereuses  utopies,  cet  esprit  de  réparation 
qui  l'avait  animée  à  plusieurs  moments  de  sa  difficile  carrière. 

S'il  était  vrai  de  dire  que  le  niveau  du  talent  s'était  abaissé  de- 
puis la  révolution  de  Février  dans  la  représentation  nationale»  il 
n'était  pas  moins  évident  que  les  habitudes  de  haute  convenance» 
qui  jusqu'alors  avaient  distingué  la  France  parlementaire!  n'é- 
taient plus  qu'une  tradition.  Le  langage  violent  d'une  fraction 
nombreuse  de  l'Assemblée,  avait  donné  souvent  lieu  à  des  inci- 
dents pénibles  pour  la  dignité  de  la  France.  Quelquefois  mémo  la 
violence  était  descendue  des  paroles  aux  actes.  Ainsi,  un  dos 
membres  de  la.  Montagne,  M.  Eugène  Raspail,  s'oublia  jusqu'à 
frapper,  dans  l'enceinte  même  de  la  Chambra,  un  de  ses  collè- 
gues» M.  Point*  Ce  dernier,  qui  ne  connaissait  pas  mémo  M.  Ras- 
pail, était  accusé  par  l'auteur  de  l'insulte  do  l'avoir  lorgné!  Un 
autre  membre  de  la  Montagne,  M.  Flocon,  voulut,  on  no  le  croira 
pas,  s'opposer  à  ce  que  des  poursuites  fussent  autorisées  contre 
le  coupable.  Il  invoquait,  pour  le  renvoi  dans  les  bureaux,  es 
qu'il  appelait  des  précédent*  l  «  Je  proteste,  s'écria  la  général 
Lebreton,  je  proteste  contra  cette  expression.  Pour  f bonnenr  des 
Assemblées  fraoçeisea,  u  n'y  ajauaie  en  dans  leur  #ein  de parail* 


LES  DEBMJBaS  J09R8  BE  Là  GQHSVfltlANTE.  3» 

et  le  boucher  Legendre. 

Bientôt,  il  est  vrai,  ce  déplorable  scandale  devait  devenir  un 
frécédent  et  trouver  de»  imitateurs. 

Telle  avait  été  cette  Assemblée  à  qui,  malgré  des  erreurs  et 
fes  dûtes,  rhistaire  rendra  sans  doit»  un  honorable  justice* 

Héritière  de  ses  travaux  comme  de  ses  dangers,  l'Assemblée 
législative  aurait  à  remplir  une  mission  aussi  grande,  aussi  labo- 
rieuse que  celle  de  l'Assemblée  constituante.  Elle  aurait  à  récon- 
cilier les  mœurs  avec  tes  lois,  et  à  faire  supporter  au  pays  les  vices 
mênei  des  institutions. 


296  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 


CHAPITRE  XVI. 


LES  PREMIERS   JOUBS  DE  LA  LÉGISLATIVE. 


Ouverture  de  l'Assemblée  législative,  rassemblements,  la  République  sociale» 
les  agitateurs  refoulés  ;  discours  de  M.  de  Kératry,  président  d'âge;  nomina- 
tion des  présidents  de  bureau,  rassemblements  nouveaux.  —  Seconde  séance; 
M.  Kœnig  et  la  Constitution;  M.  Landolphe  demande  une  nouvelle  procla- 
mation de  la  République,  silence  de  la  majorité,  explications  de  M.  Ségar 
d'Aguesseau,  les  deux  Républiques,  la  Montagne  socialiste,  rappel  à  Tordre. 
—  Interpellations,  déjà  des  défiances,  le  général  Forey  et  le  coinina^idement 
de  l'Assemblée  ;  M.  Ledru-Rollin  et  M.  de  Kératry,  tumulte,  retraite  dos 
secrétaires,  explications  de  M.  de  Kératry,  le  maréchal  Bugeaud,  paroles  de 
conciliation.  —  Vérification  des  pouvoirs,  la  dépêche  Faucher,  M.  Rattier 

,  parle  au  nom  de  l'armée.  —  M.  Dupin  est  élu  président,  force  respective 
des  partis.  —  Remaniement  da  ministère,  message  dn  président  de  la  Répu- 
blique. —  Questions  extérieures,  rappel  de  M.  de'Lesseps,  attaque  de  Rome, 
interpellations  de  M.  Ledru-Rollin,  la  Constitution  violée,  demande  de  mise 
en  accusation,  la  déchéance  sans  phrases,  manifeste  démocratique  ;  explica- 
tions ministérielles;  M.  Ledru-Rollin,  appel  saux  armes;  protestations  de 
MM.  Ségur  d'Aguesseau  et  Bedeau  ;  M.  .Thiers  déclare  la  délibération  im- 
possible ;  vote  de  l'ordre  du  jour  pur  et  simple.  —  Écho  insurrectionnel  ;  ma- 
nifestes de  la  Montagne,  de  la  presse  démocratique  et  dn  comité  démocra- 
tique-socialiste ;  proclamation  des  écoles.  —  Séance  dn  12  juin:  interpella- 
tions de  M.  Grandin,  M.  Pierre  Leroux,  doctrines  pacifiques,  déclaration  de 
M*  Dufaure  ;  rapport  sur  la  mise  en  accusation,  discussion  sur  le  fond,  de- 
mande de  production  de  pièces,  M.  Thiers  et  M.  Ledru-Rollin,  cosaques  et 
insurgés,  M.  F.  Pyat,  serment  tragique,  la  mise  en  accusation  repoussée.  — 

t  Calme  de  Paris,  le  choléra,  mort  du  maréchal  Bugeaad,  complications  exté- 
rieures, insurrection  badoise,  ses  rapports  avec  la  démocratie  parisienne, 
marche  des  Prussiens,  insurrection  hongroise,  les  Russes  en  Autriche,  dé- 
sordre et  répression.  —  Tribuns  et  soldats,  chefs  véritables  de  la  démago- 
gie, histoire  secrète  du  parti  militant,  la  Solidarité  républicain;  direction 
cachée,  comité  démocratique-socialiste,  commission  des  vingt-cinq,  comité  de 
la  presse  socialiste,  propagande  Macé,  organisation  redoutable.  —  Choix  dn 
prétexte,  la  question  romaine,  révélations  imprudentes,  la  ttriiliif  a 


LES  PREMIERS  JOURS  DE  LA  LÉGISLATIVE.  297 


Bon* et  à  Pari*.—  La  société  te  Droite  de  l'Homme  —  parmiasuee,  réu- 
nion dans  le»  bureaux  da  la  Démocratie  pmcjfique,  proclamations,  commission 
de  délégués  de  la  garde  nationale,  annonce  d'une  manifestation,  appel  à  la 
garde  nationale,  éléments  nouveaux  de  trouble,  les  clubistes  de  province,  les 
graciés,  préludes  d'une  journèev 


Le  28  mai,  à  midi,  eut  lieu  l'ouverture  de  l'Assemblée  législa- 
tive. Dès  le  matin,  un  millier  environ  d'hommes,  la  plupart  en 
blouse,  stationnaient  aux  abords  du  palais  législatif.  Des  groupes 
compactes  s'échelonnaient  au  commencement  de  la  rue  de  Bour- 
gogne et  sur  le  quai  qui  fait  face  au  péristyle.  Quelques  cris  de 
vive  la  République  démocratique  et  sociale  partaient  de  temps  en 
temps  de  ces  groupes.  Lorsque  les  représentants  commencèrent 
a  arriver,  cette  foule  grossit  et  se  rapprocha  du  palais ,  de  façon 
qu'on  put  craindre  un  instant  que  la  cour  de  l'Assemblée  ne  fût 
envahie.  Le  général  Changarnier  dut  s'entendre  avec  le  président 
d'âge,  M.  de  Kératry,  et  des  détachements  d'infanterie  et  de  cava- 
lerie furent  postés  au  dehors,  de  manière  à  garder  les  approches 
et  à  faire  circuler  la  foule  au  moyen  de  promenades  inoffensives. 
L'intérieur  du  palais  était  confié  à  la  garde  du  général  Forey.  La 
foule  n'opposa  à  ces  mesures  pacifiques  aucune  résistance.  Seule- 
ment, chaque  représentant  était  accueilli,  à  son  arrivée,  selon  ses 
opinions  connues,  par  des  cris  portant  le  caractère  ou  de  la  pro- 
vocation ou  de  la  menace.  Quelques  meneurs  espéraient  une 
répétition  de  la  scène  populaire  du  4  mai  1848  et  déjà  quelques 
représentants  se  montraient  aux  fenêtres  de  l'Assemblée  pour 
répondre  aux  cris  des  agitateurs ,  lorsqu'avec  une  précision  mer- 
veilleuse accompagnée  d'une  modération  visible,  la  foule  fut 
repoussée  et  les  abords  du  palais  dégagés.  Les  sommations  légales 
avaient  été  faites. 

A  l'intérieur,  M.  de  Kératry,  dans  un  discours  simple  et  mo- 
deste, invoquait  le  concours  et  la  bienveillance  de  ses  collègues 
pour  l'aider  dans  les  opérations  préliminaires  nécessaires  i  la 
constitution  définitive  de  l'Assemblée.  M.  Odilon  Barrot  vint 
ensuite  annoncer  que  le  Gouvernement  se  mettrait  en  mesure  de 
présenter  le  compte-rendu  de  la  situation  politique  aussitôt  que 
la  Chambre  serait  constituée. 


MB  HISTOIRE  MB  FRANCK.  (IMft.) 

Le  première  eiprenrion  de  1*  pensé»  politique  ri»  l'AssomMéc 
fut  2a  nontnetimi  des  président*  o>  bnreâut.  Coftdllfttiftft  et  Mo- 
dération, telle  parât  être  la  signification  des  noms  de  MM.  Mole, 
de  Panât,  Bugeaud,  Bedeau,  Ba  roche,  Dupin,  Rénneat*  Geoin, 
deBroglie,Thier8,  Bauchart,Mauguin,  François Arago,  Cavaignae. 

Vers  six  heures  et  demie,  et  lorsque  déjà  la  plupart  des  repré- 
tentants  avaient  quitté  l'Assemblée,  una  banda  da  1  ,&ÛO  hommes 
environ  se  présenta  de  nouveau,  entoura  le  palais  aux  cris  4e 
vive  h  soûaiel  vivt  V amnistie!  Fopoe  fui  pour  dégager  laa  ave- 
nues d'avoir  encore  recours  4  la  cavalerie  et  quelques  aireetations 
durent  être  opérées. 

Pendant  que  sa  passait  cet  acte  de  profceotien  plutôt  que  4e 
répression,quelques  représentée U  4a  la  nouvelle  Montagne  prirent 
à  partie  le  vénérable  présidant  d'âge,  lui  reprochant  d'inquiéter 
la  population  parisienne  en  faisant  garder  laa  abords  du  palais. 
M.  de  Kératry  répondit  énergiquement  par  una  approbation 
complète  des  mesures  prisas  de  concert  avec -lui» 

Ainsi  se  termina  la  première  séanoa  de  l'Assemblée  législa- 
tive (1).  La  seconde  devait  dessiner  plus  nettement  l'attitude 
nouvelle  de  l'opposition.  H.  Kœnig  vint  d'abord  se  plaindre  de 
ce  que  le  bureau,  ayant  fait  distribuer  un  petit  volume  conte- 
nant le  règlement ,  n'eut  pas  fuit  distribuer  la  Constitution.  Or, 
le  petit  volume  contenait  à  la  fois  les  deux  documents  et  M.  Ko&nig 
provoqua  l'hilarité  générale  en  avouant  qu'il  ne  l'avait  pas  mtee 
ouvert.  Mais  alors  s'éleva  un  incident  plus  grave.  Un  représentant 
nouveau  de  la  Montagne,  M.  Landolphe  rédama  contreFouM  d'une 
formalité  selon  lui  essentielle,  la  proclamation  officielle  de  la  Répu- 
blique. L'orateur  prit  sous  sa  protection  las  rassemblements  delà 
veille  et  fit  un  crime  à  l'autorité  des  masures  qu'elle  avait  priées. 
Puis,  il  proposa  de  réparerl'oubli  par  lui  dénoncé  et,  an  eri  de  vivt 
laMpubliquel  qui  termina  son  discours»  la  Montagne  répondit  par 
une  acclamation  unanime.  L'immense  majorité  de  l'Assemblée 
demeura  silencieuse  et  calme.  Un  membre  nouveau  du  côté  droit, 
M.  de  Ségur  d'Aguesieau  ,  expliqua  las  motifs  de  celte  attitude. 
La  majorité  était  disposée  à  s'associer  de  emur  et  d'intention  an 

(1)  28  mai. 


LES  PBfiMBRS  JOURS  DE  LA  LÉGISLATIVE.  900 


*n  t non  provoquai  mm  eHe  n*  foulait  p»  4*  cette 

tatioo  lui  parût  imposée  par  une  fraction  de  ses  membrse,  ta  nom 
de  quelques  milliers  de  faotieui  et  de  curieux  décorés  du  nom  de 
peuple.  L'Assemblée  ,  dit  l'orateur,  n'est  pas  pins  dans  une  frae» 
tioo  de  ses  membres  que  le  peuple  n'est  dans  cette  poignée  d'agi» 
taleura  et  d'oisjfe  qui  assiègent  les  placée  publiques;  l'Assemblée 
est  dans  l'ensemble  de  see  membres,  de  même  que  le  vrai  peuplé 
est  dans  l'universalité  des  citoyens.  Ces  explications  données» 
l'Assemblée  s'associa  tout  entière  au  cri  de  vive  la  Répnbliqm  l 

Mais  ici  se  démasqua  l'opinion  vraie  de  la  minorité*  La  Repu* 
bliqne  acclamée  la  veille  sur  la  place  de  Bourgogne ,  ee  n'était 
pss  la  République  de  la  Constitution ,  mais  ceUe  des  ateliers 
nationaux,  du  Luaembeurg,  des  journées  de  juin.  Son  vrai  nom, 
une  voix  seule  laodama,  celle  de  M.  Landolphe, -c'était  la  Repu* 
bliqne  sociale.  A  oeçri,  soixante  voii  environ  répondirent  Là 
minorité  se  plaçait  franchement  en  dehors  de  la  Constitution* 
M.  de  Kératry  rappela  à  l'ordre  M.  Landolphe,  malgré  des  protes- 
tations violentes  et  dé  regrettables  menaces  (29  mai). 

La  troisième  séance  fut  plus  orageuse  encore  et  les  mauvais 
jours  de  l'Assemblée  constituante  se  trouvèrent  même  dépassés, 
La  substitution  au  général  Lebreton  du  général  Forey  dans  la 
commandement  du  palais  de  la  Chambre  fut  l'occasion  d'un  non** 
veau  scandale.  M.  Chavoix  affirma  que  le  général  Forey  avait 
refusé  d'obéir  i  tout  autre  qu'à  son  supérieur  dans  la  hiérarchie 
militaire,  il  y  avait  là,  dit  l'orateur,  un  légitime  sujet  de  défiance* 
M.  Ledru-Rollin  appuya  à  son  tour  sur  les  inquiétudes  de  son 
parti  qui  pouvait  craindre  de  voir  l'Assemblée  violée  par  les  forets 
mêmes  destinées  à  la  défendre.  A  ce  moment,  l'orateur  échange 
avec  vivacité  quelques  paroles  avec  le  président  de  la  Chambrai 
puis*  se  retournant  vers  l'Assemblée,  il  s'écrie  que  la  liberté  de  la 
triton*  est  violée  en  sa  personne  par  le  doyen  d'ige.  Une  inteiw 
ruption  entendue  de  M.  Ledru-Rollio,  mais  non  de  la  Chambre* 
lai  avait»  en  effet,  été  adressée  par  11.  de  Kératry.  a  Les  envahis- 
neuf»  de  l'Assemblée*  avait  dit  l'honorable  doyen  d'âge»  ne 
aani  pas  dans  ne*  rangs*  ils  sent  parmi  vos  amis  politiques,  a 
Flotte*!*  fois»  IL  Ledru-Hollin  répèle  ces  paroles  au  milieu  dee 


300  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (184».) 

clameurs  de  la  Montagne,  puis,  déclarant  que  la  tribune  n'est  plus 
libre,  il  renonce  à  la  parole. 

Alors  commence  une  effroyable  scène  de  tumulte.  Quatre  des 
secrétaires  provisoires  montent  &  la  tribune  et  déclarent  qu'ils 
quittent  le  bureau.  M.  Barrot  veut  parler.  «  11  n'y  a  plus  de  bu* 
reau ,  »  crie  la  Montagne.  Plusieurs  représentants,  désignés  par 
leur  âge,  montent  au  bureau  pour  y  prendre  les  places  devenues 
vacantes.  «r  L'ancien  bureau  1  »  s'écrie  une  partie  de  la  Chambre. 
Au  milieu  de  cette  tempête,  le  vénérable  président  prononce 
quelques  mots  par  lesquels  il  déclare  retirer  ce  que  ses  expres- 
sions pouvaient  avoir  eu  d'offensant.  Cet  acte  de  courage  et  de 
vraie  dignité  ne  désarme  pas  le  tumulte.  Alors  paraît  à  la  tribune 
le  maréchal  Bugeaud  qui,  en  quelques  mots  pleins  de  noblesse 
et  d'esprit  de  conciliation,  rappelle  à  la  majorité  que  c'est  i  die 
de  donner  l'exemple  de  la  modération.  Le  due  d'Isly  termine  en. 
demandant  que  l'ancien  bureau  soit  rétabli.  La  proposition  est 
votée  à  l'unanimité  et  le  calme  se  rétablit  (30  mai). 

C'est  au  milieu  de  ces  agitations  que  l'Asseftblée  procédait  k 
la  vérification  des  pouvoirs.  Plusieurs  élections  furent  attaquées 
comme  entachées  d'illégalité  par  la  dépêche  de  M.  le  ministre  de 
l'Intérieur  (Voyez  plus  haut,  page  278).  Quelques  autres  avaient 
été  faites,  dans  le  sens  de  la  minorité,  sous  la  pression  de  busses 
nouvelles,  la  prise  de  Vienne  par  les  Hongrois,  la  mise  en  accusa* 
tion  et  l'incarcération  des  minisures.  L'Assemblée  ne  jugea  pas 
qu'il  y  eût  dans  ces  faits  divers,  attribués  à  des  opinions  diffé- 
rentes, un  abus  d'influence  électorale*  Signalons,  d'un  côté,  la 
réponse  de  M.  Lacrosse,  qui  se  félicita  d'appartenir  à  une  admi- 
nistration à  laquelle  on  n'avait  à  adresser  que  de  semblables 
reproches  ;  de  l'autre,  l'attitude  d'un  sergent  de  l'armée  de  ligne, 
M.  Rattier,  qui,  à  l'occasion  des  élections  du  Nord,  protesta 
au  nom  de  l'armée  tout  entière.  M.  le  général  Gourgaud  releva 
énergiquement  cette  étrange  prétention. 
*  Une  sorte  de  trêve  semblait  établie  entre  les  partis  qui  divi- 
saient l'Assemblée.  On  en  profita  pour  constituer  définitivement 
le  bureau.  Trois  candidats  étaient  proposés  pour  la  présidence. 
La  réunion  dite  du  Conseil  d'État,  représentant  la  fraction  la 


LES  PREMIERS  JOURS  DE  LA  LÉGISLATIVE.  301 

plus  nombreuse  de  la  Chancre,  portait  M.  Dupin.  Une  autre  réu- 
qk>n,  présidée  par  M.  Dnfaure  et  qui  formait  le  parti  intermé- 
diaire de  la  Chambre,  avait  adopté  M.  de  Lamoricière.  Enfin,  le 
parti  monUMpUÊrd  on  parti  rouge  (4),  comme  if  se  désignait  lui- 
même;  volait  pour  M.  Ledro-Rollin.  M.  Dupin  aîné  obtint 
336  suffrages,  M.  Ledru-Rollin  184,  M.  de  Lamoricière  76.  Le 
nombre  des  votants  était  de  609,  majorité  absolue  505.  M.  Du- 
pin  atné  fut  donc  proclamé  président-  de  l'Assemblée  législative. 
134  voix,  tel  était  le  chiffre  de  la  minorité  socialiste.  Ce  chiffre 
ne  fut  pas  même  atteint  dans  les  élections  pour  la  vice-prési- 
dence. MM.  Baroehe,  Bedeau,  Jules  de  Lasteyrie,  Denis  Benoist, 
Desése  et  de  Rocqueville  furent  élus  vice-présidents;  MM.  Ar- 
naud (de  l'Ariége),  Peupin,  Lacaie,  Chapot,  Heckeren  et  Bérard 
furent  proclamés  secrétaires: 

Le  bureau  étant  définitivement  constitué,  le  Gouvernement  put 
faire  connaître  à  l'Assemblée  l'issue  de  la  crise  ministérielle  qui 
s'était  ouverte  avec  la  retraite  de  M.  Léon  Faucher.  Un  message 
du  président  de  la  République  informa  la  Chambre  des  modifi- 
cations apportées  dans  la  composition  du  cabinet.  M.  Odilon  Bar- 
rot  restait  au  ministère  de  la  Justice  avec  la  présidence  du  con- 
seil ;  MM.  Passy,  Rulhières,  de  Palloui,  Lacrosse  et  de  Tracy 
conservaient  les  portefeuilles  des  finances,  de  la  guerre,  de  l'ins- 
truction publique,  des  travaux  publics  et  de  la  marine.  M.  Da- 
laure  était  nommé  ministre  de  PIntérieur;  M.  de  Tocqueville, 
ministre  des  Affaires  étrangères,  et  M.  Lanjuinais,  ministre  du 
Commerce.  Ce  ministère  nouveau,  dont  la  composition  indiquait 
une  pensée  persistante  de  conciliation,  fft  accueilli  par  les  mur- 
mures de  la  gauche  et  par  l'approbation  de  la  majorité. 

L'honorable  représentant  de  la  Nièvre  reprit  ensuite,  après 
douze  ans  d'intervalle,  possession  du  fauteuil  qu'il  avait  occupé 
pendant  sept  sessions  consécutives  de  l'ancienne  Chambre  des  dé- 
putés. M.  Dupin  débuta  dans  ses  fonctions  nouvelles  par  une  courte 
allocution  dans  laquelle,  après  avoir  rappelé  la  gravité  des  devoirs 

* 

(!)  Nous  n'attachons,  bien  entendu,  aucune  intention  malveillante  à  celte 
désignation  acceptée  hautement,  par  l'organe  de  M.  Savoye.  Le  mot  t»t  devenu 


*»  HISTOIRE  DE  FRANCK.  (18*9.) 

imposé*  sa  président  et  à  l'Assemblée  elle-même,  il  flt  appela 
l'union  des  grands  pouvoirs  de  l'État.  «  Il  n'y  â  qu'a»  pouvoir  t 
A  l'ordre!  »  s'écrièrent  quelques  membres  de  là  Montagne. 
M.  Dupin  renvoyé  les  interrupteurs  à  la  Constitution  et  termina 
par  ces  mots  :  «  Que  Dieu  nous  soit  en  aida  1  Vive  la  Répu- 
blique! a  (S  juin). 

La  vérification  des  pouvoirs  terminée  sans  autre  incident  que 
la  radiation  de  l'élection  dVrn  failli  non  réhabilité,  H.  Germain 
Sarrot,  l* Assemblée  reçut  communication  do  message  du  prési- 
dent de  la  République  contenant  l'exposé  de  la  situation  gêné* 
raie  (6  Juin).  Le  mérite  essentiel  de  ce  document,  c'était  d'obéir 
littéralement  aux  prescriptions  de  la  Constitution,  article  9t,  en 
traçant  un  tableau  de  la  Franc»  tout  administratif,  sans  phrases 
d'apparat  comme  en  contenait  trop  souvent  l'ancien  discours  offi- 
cie). La  situation  politique»  telle  qu'elle  était  dépeinte  dans  le 
message,  n'avait  sans  doute  rien  de  brillant.  L'état  de  la  France 
et  de  l'Europe  y  était  apprécié  sans  illusion.  Lea  difficultés  poli- 
tiques y  étaient  envisagées  avec  calme  et  franchise»  L'expédition 
àa  Rome  y  était  considérée  avec  le  caractère  que  lui  avait  attri- 
bué le  Pouvoir,  celui  de  la  conciliation  et  de  la  prévoyance* 
Questions  politiques»  administratives,  économiques,  financières, 
diplomatiques  et  internationales,  tout  était  compris  dans  ce  pro- 
gramme, avec  plus  de  sobriété  toutefois  que  dans  les  messages 
difos  de  l'Union  américaine.  Les  documents  statistiques  les  plue 
importants  et  les  plus  divers  sur  les  ressources  du  pays,  sur  ï'ap» 
née»  la  marine,  l'instruction  publique,  les  colonies,  lea  douanes, 
les  voies  de  communication ,  le  commerce ,  l'industrie»  l'agri- 
culture et  les  travaux  publics  étaient  réunis  et  classés  dans  ce 
méthodique  inventaire.  Les  réformes  de  tout  genre,  les  améliora- 
tions reconnues  possibles  dans  Tordre  moral  et  dans  Tordre  so- 
cial, étaient  annoncées  dès  à  présent  en  attendant  qu'elles  fus- 
sent  proposées  à  la  sanction  de  l'Assemblée  nationale. 

Le  premier  engagement  sérieux  entre  lea  partis,  trouva  son 
occasion  dans  les  événements  extérieurs.  Des  interpellations  de* 
mandées  par  M.  Ledru-Rollin  sur  l'Italie  commencèrent,  le  7 juin, 
aoua  tonne  d'incident.  La  question  romaine  était  entrée  dans  un* 
phase  nouvelle  (Voyez  pour  les  détails  le  chapitre  Italie)»  H*  4i 


LES  PREWE&S  JOUftS  DE  LA  LÉGISLATIVE.  303 

avait  cru  devoir  conclure  avec  te  gouvernement  de  la 
Républiqne  romaine  une  convention*  dont  les  termes  dépassaient, 
diaait~on ,  les  instructions  qu'il  avait  reçues.  De  là  le  rappel 
du  ministre  plénipotentiaire  français.  Wk  Emmanuel  Arago  et 
M.  Théodore  Bae,  demandèrent  s'il  était  vrai  qu'on  se  fit  écarté 
do  la  politique  solennellement  adoptée  par  F  Assemblée  consti- 
tuante. M.  Odilon  Barrot,  tout  en  déclarant  que  le  Gouvernement 
avait  désavoué  dos  actes  contraires  à  ses  instructions,  s'en  référa 
à  la  discussion  prochaine.  Bans  l'intervalle,  arrivèrent  des  nou- 
velles annonçant  la  prise  des  positions  de  la  villa  Panftli,  de 
l'église  8an~Panemio,  et  des  villa  Yalentini  et  Corsini,  ainsi  qne 
le  passage  do  Ponte-Molle. 

Le  lundi,  44  juin,  le  débat  s'engagea.  L'attitude  de  l'Assem- 
blée était  grave  et  solennel!*.  C'était  plus  qu'une  discussion, 
t'était  uuo  tau*  extrême  qui  allait  s'engager.  M.  Ledru-Rollin 
s'écria  qu'il  n'avait  point  de  discours  à  faire,  qu'il  ne  voulait  point 
interpeller  le  Gouvernement,  qu'il  ne  voulait  point  de  phrases. 
A  quoi  bon?  Ne  savait-on  pas  que  Rome  avait  été  attaquée,  que 
des  combats  acharnés  avaient  été  livrés  sous  ses  murs,  que  le 
sang  français  et  le  sang  romain  avaient  coulé  à  flots?  Ne  venait-on 
pas  d'apprendre  par  des  correspondance»  particulières  et  par  les 
joontftta  do  Mantille,  qu'après  deux  jour»  d'une  lutte  terrible, 
la  villa  Panfili,  deux  fois  prise  et  reprise,  avait  fini  par  rester  aux 
Romains;  qu'une  partie  de  notre  cavalerie  avait  été  écrasée  par 
les  batteries  des  défenseurs  de  la  cité  ;  que  cinq  mille  Français 
avaient  été  tués  ou  blessés,  et  que  le  général  Oudinot  avait  dû 
demander  et  obtenir  des  triumvirs  un  armistice  de  vingt-quatre 
tairas  pour  l'enlèvement  des  morts?  Or,  cette  agression,  dirigée 
contre  la  République  romaine,  n'avait-elle  pas  été  condamnée  â 
t'avance  par  le  vote  do  7  mai,  en  vertu  duquel  le  Gouvernement 
avait  été  invité  à  prendre  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  que 
^expédition  no  fftt  pas  plus  longtemps  détournée  de  son  but?  Le 
siège  de  Rome  n'avait-il  pas  été  ordonné  contre  la  volonté  souve- 
raine de  l'Assemblée  constituante,  et  n'impliquait-il  pas  la  viola- 
tion de  Partiele  54  de  la  Constitution?  La  Constitution  n 'avait-elle 
fa»  été  pins  directement  violée  encore  dans  l'article  3  de  son 
préambule  t  Évidemment!  il  n*y  avait  sut  ces  deux  pointe  aucun 


304  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1&18.) 

doute  possible,  partant,  point  dé  discussion  nécessaire  ;  la  con- 
duite du  Gouvernement  ne  méritait  qu'un  acte  d'accusation.  Ce 
disant,  M.  Ledru-Rollin  déposa  sur  le  bureau  un  acte  d'accusa- 
tion contre  le  président  de  la  République  et  ses  ministres* 

M.  le  président  du  conseil  commença  par  désavouer  complète- 
ment ces  étranges  nouvelles,  réunies  sans  doute  pour  les  besoins 
de  la  mise  en  scène,  et  que  démentait  sur  tous  les  pointa  un  ré- 
cent rapport  du  général  Oudinot,  seul  document  officiel  encore 
connu.  Puis,  sf adressant  à  la  Montagne,  il  demanda  si  les  auteurs 
de  l'acte  d'accusation  avaient,  avant  de  le  déposer,  pris  avec  eux- 
mêmes,  l'engagement  solennel  de  rester  dans  la  légalité;  s'ils 
n'avaient  point  déjà  protesté  par  anticipation  contre  l'arrêt  du 
tribunal  souverain,  l'Assemblée  législative,  et  si  leur  intention 
était  sincèrement  de  ne  point  cumuler  la  lutte  légale  avec  la  sédi- 
tion. C'était  là  une  allusion  transparente  au  langage  des  journau 
extrêmes.  La  Révolution  démocratique  et  sociale,  du  10  juin,  avait 
demandé  la  déchéance  sans  phrases  du  président  de  la  République* 
L'association  démocratique  des.  Amis  de  la  Constitution  avait 
lancé  un  manifeste  dans  lequel  elle  rappelait  à  chaque  citoyen  : 
a  Que  le  dépôt  de  la  Constitution  et  des  droits  qu'elle  consacre, 
est  confié  à  la  garde  et  au  patriotisme  de  tous  les  Français,  » 

Rengageant  ensuite  dans  l'examen  des  faits  qui  avaient  amené 
la  question  d'Italie  au  point  où  elle  se  trouvait  aujourd'hui, 
M.  Odilon  Barrot  expliqua  par  quel  enchaînement  de  circonstan- 
ces on  avait  été  amené  à  attaquer  des  populations  auxquelles  os 
ne  voulait  dans  l'origine  apporter  que  protection  et  liberté.  Après 
avoir  rappelé  la  glorieuse  initiative  du  Saint-Père  pour  la  causa 
de  l'affranchissement  et  sa  fuite  après  l'odieux  assassinat  de  son 
premier  ministre,  M.  Odilon  Barrot  exposa  la  situation  délicate 
qui  était  faite  à  la  France  par  l'attitude  prise  dès  lors  par  les 
puissances  catholiques,  par  leur  volonté  d'intervenir;  plus  tard, 
par  l'anéantissement  de  la  puissance  piémontaise  et  par  la  réso- 
lution que  manifestait  l'Autriche  de  profiter  de  sa  victoire,  d'é- 
tendre son  influence  sur  toute  l'Italie  et  de  poursuivre  la  restau* 
ration  du  Saint-Père  sans  conditions.  La  France  fut  sommée  do 
déclarer  ce  qu'elle  voulait  faire.  Devait-elle  associer  son  action  i 
celle  des  autres  puissances  T  Mais  elle  eût  dénaturé  son  caractère 


LES  PREÉOERS  JOURS  DE  Là  LÉGISLATIVE. 

propre  et  menti  à  «m  origine.  Bevait*elle  s'abstenir?  MaiseUe.se 
serait  abaissée,  et,  n  on  accusait  maintenant  le  ministère  d'avoir 
agi,  on  l'eût  également  accusé  d'à? oir  laissé  faire.  il  fallait  donc 
intervenir  ;  tout  le  monde  ea  comprenait  la  nécessité  dans  l'As- 
semblée constituante.  Cette  intervention  devait-elle  aller  jusqu'à 
la  solidarité  des  deux  républiques?  Le  ministère  s'y  était  haute*» 
meut  refusé  et  l'Assemblée  avait  adhéré  A  ce  refus.  Une  propo- 
sition n'avait  pas  même  été  formulée  en  ce  sens,  L'abstention 
n'étant  pas  permise,  et  la  reconnaissance  étant  refusée,  que 
restait^  L'intervention  exclusivement  française,  l'action  propre, 
isolée,  indépendante,  La  France  était  intervenue  ;  elle  avait  mar- 
ché sur  Rome,  parce  qu'il  y  avait  un  événement  imminent,  la 
chute  de  la  République  romaine.  On  ne  croyait  pas  qu'il  y  eftt 
résistance.;  mais,  dans  tous  les  cas,  envoyait- on  des  soldats  pour 
en  faire  uniquement  des  spectateur»  et  des  négociateurs  ?  N'était-il 
pas  d'ailleurs  urgent  d'arriver  à  Rome  avant  les  Autrichiens,  afin 
de  pouvoir  concilier  la  restauration  du  pape  avec  les  garanties  de 
progrès  et  de  liberté?  Le  général  Oudinot  avait  rencontré  la  guerre 
qu'il  ne  cherchait  pas;  il  avait  été  reçu  à  coups  de  fusil  ;  il  s'était 
retiré;  mais  ce  lait  grave  avait  dû  nécessairement  intervertir  les 
{apports.  Cependant,  le  vote  du  7  mai  ayant  été  rendu  par  l'As- 
semblée constituante,  le  Gouvernement  consentit  à  jeter  un  voile 
sur  le  douloureux  échec  du  30  avril.  A  ses  yeux,  et  d'après  les  ex- 
plications fournies  à  la  tribune  tant  par  le  ministre  des  affaires 
étrangères,  M.  Drouin  de  Lbuys,  que  par  le  rapporteur  de  la  com- 
mission^ M.  Senard,  ce  vote  du  7  mai  signifiait  qu'il  fallait  que 
le  Gouvernement  épuisât  les  négociations  et  les  moyens  pacifi- 
ques* On  négocia  donc  de  nouveau  ;  on.  envoya  à  Rome  M.  de 
Lesseps;  on  poussa  le  culte  de  la  temporisation  jusqu'à  laisser 
s'écouler  un  mois  en  pourparlers,  et  le.  respect  de  l'armistice 
jusqu'à  laisser  les  Romains  -envoyer  des  troupes  contre  l'armée 
napolitaine.  Or,  après  un  mois  de  vaines  tentatives,  où  en  étak- 
on  ?  à  un  traité  rédigé  par  M.  de  Lesseps,  qui  avait  été  consenti 
à  titre  d'ultimatum  par  le  général  Oudinot  et  qui  fut  repoussé 
avec  dédain  par  l'Assemblée  constituante  romaine.  La  mission 
de  H*  de  Lesseps  était  dès  lors  terminée  ;  il  ne  lui  restait  plus 
qu'à  l'annoncer  au  Gouvernement  romain  ;  au  Heu  do  cela,  il 

20 


MS  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (ift|9>) 

conclut  otie  nouvelle  convention  avec  le  triumvirat  *  et  dtne  cette 
convention,  qui  portail  que  noire  armée  était  eonaidéféo  ciwe 
«ne  armée  alliée,  venant  concourir  à  la  défense  in  territoire,  il 
laissa  stipuler  que  nos  troupes  ne  pourraient  entre»  à  Rapt  *t 
qu'elles  devraient  ee  contenter  de  cantonnements  ettérima. 
Cotte  convention  était  inadmissible  ;  die  défait  être  i ejetée  par 
1e  ministère  français  i  après  l'échec  dit  90  avril,  l'entrée  de  ms 
•oWatB  dans  Mme  était  une  nécessité. 
-  Telles  furent  les  explications  donaéeearec  une  eahne  IwMité 
pat  M.  le  président  du  conseil.  Noue  avons  en  du  malheur  en 
Italie,  ajouta-t-il  avec  une  noble  tristesse.  Mous  avons  voulu  em- 
pêcher le  Piémont  d'aller  au-devant  de  sa  perte,  il  n'a  pae  voulu 
nous  entendre,  et  il  a  été  écrasé;  nous  avons  voulu  arrêter  la 
guerre  en  Sicile,  les  Siciliens  ne  nous  ont  pas  écoutés,  et  ils  ont 
succombé  à  leur  tour.  Aujourd'hui  nous  allons  porter  aux  Ro- 
mains notre  protection,  ils  nous  reçoivent  à  coups  de  fusil,  et, 
par  une  invincible  fatalité,  d'amis  nous  nous  trouvons  changés  en 
ennemis, 

Sans  doute  il  y  avait  en  des  fentes,  mais  des  fautes  commises 
par  tous  les  partis.  Hais  à  quoi  bon  discuter?  La  question  vérita- 
ble n'était  plus  dans  Rome,  mais  à  Paris»  A  peine  M.  Baroet 
avait-il  quitté  la  tribune,  que  M,  Ledru-Rellin  s'y  élance  à  son 
(dur.  Il  fait  à  son  point  de  vue  l'historique  de  la  question  se- 
maine. Mais  sa  parole  devient  à  chaque  instant  plus  ardente, 
geste  plus  passionné.  Il  ne  discute  plus,  il  apostrophe  avec 
véhémence  sans  égale  le  ministère  auquel  il  reproche  d'avoir 
front  une  tache  de  sang.  M.  le  président  du  conseil  sourit  déd 
gneusement  :  alors,  emporté  sans  doute  par  sa  violence  plus  kia 
que  sa  pensée,  M.  Ledru-Rollin-  s'écria  :  t  La  Constitution  a  été 
violée  :  nous  la  défendrons  par  tons  les  moyens  possiMos^  tt 
même  par  les  armes!  s  Aussitôt,  un  tumulte  effroyable  Adou 
dans  l'Assemblée.  La  majorité  proteste  avec  énergie  :  F  extrême 
gauche  se  lève  et  adhère  avec  enthousiasme  à  la  déclaration  de 
guerre  civile  qui  vient  de  descendre  de  la  tribune.  H.  Dapta  re- 
pousse avec  fermeté  cet  appel  à  la  violence  révolutionnaire  for- 
mulé dans  le  sanctuaire  même  de  la  loi.  M.  Ledru-Rellin  est  de- 
bout sur  son  banc.  On  le  presse,  on  le  pousse,  et  il*  répète,  a« 


LES  PREMIERS  JOURS  DE  LA  LÉGISLATIVE.  907 

apffaidtteemeots  dé  la  Montagne,  cette  phrase  qui  11'étair  peut* 
êlre  qu'une  témérité  involontaire  échappée  au  bâtards  4e  rim- 
provigatùm.  Alors  h»  général  Bedeau  se  précipite  à  la  tribune,  et 
Merle  avec  cbaleur  qu'un*  minorité  n*a  pas  le  droit  d'opprimer 
la  votante  da  pays,  et  que,  quant  à  lai,  il  se  soumettra  tocrjfttrs 
à  la  votatté  de  fat  représentation  nationale.  M.  Mgurwd'Agaefr» 
seau  hrî  succède;  H  renvoie  à  M.  Ledru-Rotttn  injure  pour  in- 
jure, et  dit  que  ht  tacbe  de  sang- est  an  front  de  ceux  qui  pont-» 
sent  tout  à  la  Ibis  à  la  guerre  civile  et  à  la  guerre  étrangère.  Il 
propose  en  même  temps  un  ordre  du  jour  qui  donne  une  com- 
plète approbation  uni  mesures  ordonnées  par  le  Gouvernement 
H.  le  président  de  1* Assemblée  se  bâte  de  mettre  l'ordre  dn  jour 
sut  voit  ;  maïs  H.  Emmanuel  Arago  réclame  la  continuation  du 
débat.  Plus  catare  que  beaucoup  de  dés  collègues,  il  a  peut-être 
compris  les  nécessités  d'une  atténuation.  Alors  la  voix  de  M.  Tbiers 
se  bit  entendre.  «  Le  cri  oraux  armes!  »  a  été  poussé,  dit-il;  il 
n'est  plus  dé  la  dignité  de  l'Assemblée  de  délibérer,  a  M.  AragO 
insiste;  mais  on  comprend  bientôt  qu'après  l'appel  aux  armes 
il  n'y  a  plus  rien  à  dire,  et,  sur  la  proposition  de  M.  («arabit, 
Tordre  du  jour  pur  et  simple  est  volé  par  561  voix  contre  903, 
sur  564  votants  (41  juin). 

A  l'appel  aux  armes  si  imprudemment  hncé  du  baat  de  la  tri* 
buse  législative,  répondit,  dans  les  rangs  de  la  presse  et  du 
parti  socialiste,  un  cri  général  d'insurrection.  Ce  fut  d'abord  un 
Manifeste  de  la  Montagne  qui  en  appelait  au  peuple  de  la  majo- 
rité parlementaire,  et  accusait  la  représentation  nationale  de 
violer  la  Constitution.  Une  autre  pièce  portant  pour  signature  : 
les  membres  de  la  presse  républicaine,  les  membres  du  comité 
démocratique  socialiste,  donnait  avis  que  cinq  représentants 
avaient  été  délégués  par  la  Montagne  pour  aviser  et  ajoutait  :  Tort 
les  républicains  se  lèveront  comme  un  seul  homme.  Une  pro- 
damfttion  dite  du  écoks,  annonçait  que  les  écoles  de  Paris  n'ai- 
tendaient  que  U  signri  des  représentants  pour  matchtr  en  munit. 
A  l'ouverture  de  la  séance  du  12  juin,  M.  Grandin  produisit  ees 
appels  à  la  guerre  civile,  et  demanda  &  la  gauche  si  elle  avait  si- 
gné, si  elle  avouait  ces  manifestes  étranges;  au  ministère 
qeetiee  masures  ii  avait  prises  pour  protéger  la  paix  pablty*. 


308  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

ML  Ledru-Rollin  resta  silencieux  sur  ton  banc.  M.  Pierre  Le* 
roui  vint  répondre*  I!  protesta  contre  tout  appel  à  la  violence, 
protestation  honorable  pourxelui  qui  la  faisait,  mais  qui  n'en- 
gageait en  rien  la  fraction  militante  de  son  parti.  M.  Dotante 
déclara  que  le  Gouvernement  était  prêt  à  défendre  la  Constitu- 
tion, qu'il  comprenait  ses  devoirs,  et  qu'il  saurait  les  remplir. 
Cependant,  M.  Lacrosse,  an  nom  do  ministère,  avait  insisté 
pour  que  la  mise  en  accusation  du  président  de  la  République 
et  des  ministres  fût  immédiatement  l'objet  d'un  rapport.  Ce 
rapport,  présenté  par  M.  Daru,  conclut,  à  l'unanimité,  au  rejet 
de  la  proposition.  Un  membre  de  la  gauche  réclame  des  pièces 
pour  éclairer  rassemblée  sur  la  véritable  situation  de  la  qu 
tlofi  italienne.  M.  de  Tôcqueville  répond  que  les  pièces  les  pi 
importantes  ont  été  publiées  par  le  Gouvernement,  et  annale 
par  un  démenti  formel  les  déplorables  nouvelles  si  légèrement 
acçneillie&la  veille.  577  voit  contré  7  décident'qu'on  passera  &  fa 
discussion  sur  la  fond.  La  Montagne  avait' demandé  le  scrutin  de 
division  pour  gagner  du  temps  :  elle  s'abstient  de  prendre  part 
au  vote.  Alors  est  reproduite  la  demande  de  production  de  piè- 
ces :  M.  Crémieux  insiste;  M.  Ledru-Rollin,  revenu  à  un  langage 
pacifique,  atténue,  amoindrit,  sans  les  retirer,  ses  paroles  de  ta 
veille  ?  lui  aussi  demande  des  informations  nouvelles. 

Alors  M.  Thtere  s'empare  de  la  tribune,  et  dans  une  apostro- 
phe brûlante,  il  dit  à  M.  Ledru-Rollin  :  a  Comment  I  hier  vom 
étiez  assez  convaincu  pour  faire  un  appel  aux  armes,  pour  pro- 
voquer l'insurrection  et  pour  faire  couler  des  torrents  de*  sang; 
et  aujourd'hui  vous  n'êtes  pas  assez  éclairés,  et,  vous  demandes 
dtos  papiers.  » 

M.  Thiers  avait  dit  de  l'expédition  de  Rome  :  C'est  la  guerre 
entre  Pordre-et  la  démagogie.  Vous  employez,  s'écrie  M.  Ledni- 
RoHin,  les  mêmes  paroles  qui  se  trouvent  dans  le  manifeste  de 
l'empereur  de  Russie  :  «  Les  prétendus  amis  de  l'ordre  sont  les 
tuméeêCùêaquês.  d  M.  Thiers  répond,  et  sa  réponse  est  sa»* 
gkote  :  «  Le  pays  jugera  entre  nous*,  il  jugera  si  entre  rtioame 
qui  a  prononcé  tes  paroles  que  l'Assemblée  a  entendues  hier  et 
les  insurgés  de  juin,  il  n'y  a  pas  une  liaison  intime.  » 

L'Assemblée  s'émeut  à  ces  vives  paroles,  on  y  voit  presque 


LES  PREMIERS  JOURS  DE  LA  LÉGISLATIVE.  309 


mie  prophétie  et  on  comprend  le  danger  qui  phrae  sot  le  pays. 
En  fain,  M.  Félix  Pyat,  rappelé  plusieurs  fois  à  Tordre  pour  ses 
interruptions  violentes,  cherche  à  attirer  l'attention  par  un  ser- 
ment dramatique  :  en  vain  jure-t-il  sur  le  eadavre  de  se$  frères 
que  la  Constitution  est  violée  et  somme*t»il  if.  Thiera  de  profé- 
rer un  serment  semblable,  M.  Thters  se  préoccupe  médiocre- 
ment de  cette  injonction  bisarre  et  l'Assemblée  consultée  repousse, 
à  la  majorité  de  377  voix  contre  8 ,  la  proposition  de .  mise  en 
accusation  (l).  Cette  fois  encore ,  la  Montagne  s'était  abstenue 
(12  juin)* 

Cependant  Paris  restait  sourd  au  excitations  :  la  choléra  se* 
vissait,  et,  qnelqoes  jours  auparavant»  P  Assemblée  avait  perdu, 
coup  snr  coup,  plusieurs  de  ses  membres.  Le  phis  illustre  capi- 
taine que  possédât  la  France ,  le  maréchal  Bugeaud ,  venait  de 
succomber,  et  sa  mort,  si  douloureuse  en  toute  autre  circonstance, 
empruntait  aux  dangers  qui  menaçaient  le  pays  le  caractère  d'un 
malheur  public.  A  ces  tristes  nouvelles  s'ajoutait  l'inquiétude 
causée  par  les  menaces  des  partis  extrêmes  à  l'intérieur  :  à  l'exté- 
rieur surgissaient  de  graves  complications.  Aux  portes  de  la 
France,  l'insurrection  levait  son  étendard  dans  le  grand  duché 
de  Bade  et  dans  le  Palatinat.  Les  chefs  de  ia  réiottc  ne  cachaient 
pas  leurs  sympathies  peur  les.  théories  sociales  enfantées  par  la 
philosophie  allemande.  Ils  étaient  en  correspondance  active,  en 
entente  complète  avec  les  chefs  de  le  démagogie  française.  A  la 
tribune  de  la  Constituante  badoise,  M.  Brentano  annonçait 
hautement  une  insurrection  victorieuse  à  Paris.  Mais  une  armée 
prussienne  s'avançait  pour  balayer  ces  bandes  de  pillards  *td'*e- 
aaenns  qui,  au  nom  du  peuplé  allemand,  venaient  de  prodamer 
la  République.  En  Hongrie,  l'Autriche  appelait  à  son  secours 
l'intervention  du  csar,  et  déjà  les  baïonnettes  de  Famée  russe  se 
massaient  sur  la  frontière  de  la  GaHicie.  A  Rome,  Mariai  aftsnj- 
dait ,  disait-il ,  de  Paris  de*  nouvelles  consolante,  fii  le  désordre 
était  partout  en  Europe,  la  répression  s'annonçait  partout  et  tout 
faisait  prévoit  qu'elle  aérait  irrésistible.  Aussi ,  malgré  le  senti- 
ment de  malaise  que  causent  toujours  tes  agitations  politiques,  la 

(1)  376  voix  éfaûtat  néesitaifw  p«r  qm  k  senti*  fat  valVé. 


MO  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

société  française  ne  fr'eftrayeit-elle  pu  outre  mesure  der  pénis 
qui  la  menaçaient.  Lahausse  des  fond?  publics  correspondait  à  là 
ferme  altitude  eu  Gouvernement  et  de  la  majorité  nouvelle.  Les 
chefs  intelligents  de  la  minorité  pouvaient-ils  ignorer  ces  dispos 
«liions?  Non  ,  sans  doute  •  :  maïs  il  est  des  forcée  impérieuses  et 
secrètes  qui  poussent  en  avant  les  hommes  les  plus  sages >  du  jour 
ot  ils  ont  accepté  la  direction  des  partis  extrêmes.  Us  croient  Poen- 
mander  ;  ils  ne  font  qu'obéir.  Dans  l'ombre  de  ces  partis  s'agitent 
les  chefe  véritables,  et  ceux-là  sont  toujours  les  plus  violente* 
L'arme  ordinaire  des  démagogies ,  les  sociétés  secrètes ,  artue 
puissante,  mais  souvent  terrible  à  ceux  qui  la  maniant»  n*a- 
vait  pas  été  abandonnée  à  l'époque  où  la  France  essafa  ém 
euffoge  universel*  A  côté  des  anciennes  sociétés  qui  fonction*» 
naient  toujours,  s'étaient  élevées  des  sociétés  nouvelles,  entre 
autres  la  Solidarité  républicaine,  dont  le  but  était  d'organiser» 
en  vue  d'une  lutte,  le  parti  démocratique  et  social.  Des 
lés  de  département, ;  d'arrondissement,  de  canton,  étaient 
de  porter  par  toute  la  France,  à  tous  les  degrés  de  la  circonscrip- 
tion administrative,  la  direction  et  la  surveillance  d'un  comité 
central  présidé  par  M,  Martin  Bernard,  représentant  du  peuple, 
et  ayant  pour  secrétaire' général  M.  DeUscluze*  Dans  ce  conseil 
général  figuraient  Ml.  Ledru-Roliin ,  Fargin~FayoUe,  De  ville, 
tiembon,  Félix  Pyat,  représentants  du  peuple. 

Préparer  une  immense  violation  de  la  Constitution  pour  le 
four  oè  une  insurrection  serait  possible,  et  cependant  s'abriter 
derrière  nette  Constitution ,  la  déclarer  .violée  i  chaque  essai  de 
Gouvernement  ou  de  l'Assemblée  pour  résister  aux  efforts  soe* 
terrains  de  l'association,  tel  fut  le  plan  habile  de  la  Sokdariêé 
réfmbUcmne.  A  partir  de  ce  moment,  l'action  de  la  société  ae  faii 
aenlk  sur  les  cbefc  du  parti.  Le  16  janvier,  le  Gouvernement  paa. 
poee  ne  préfet  de  loi  sur  les  clubs  qui  redoublent  de  îMtnoe  z 
le  tf ,  par  une  entente  manifeste,  cinq  jeurnaai  socialistes  et  eee 
délégation  desclubsdemandcot  la  mise  en  accusation  de  minif  tàea  » 
proposition  formulée  le  même  jour  à  l'Assemblée,  par  M«  liiiier 
RoÛn«  De  là  le  mouvement  erorlé  du  19  janvier. 

L'approche  des  élections  générales  avait  donné  une  nouvelle 
énergie  à  la  propagande  i4rolarteaaatf».  Ha  séante  dtoosanlàqae 


LES  PREMERS  JOURS  DE  IA  LÉGtStATIVE.  4i| 

socialiste  s'était  organisé»  Ses  «ambres,  entre  entres  l'abbé 
Mentlonis  ai  Chipron,  excitaient  les  représentants  à  i'uuuriw 
tien,  gonmmdaient  leur  tiédeur,  échauffaient  leur  sèla*  Lee 
élections  terminées,  le  comité  ne  désarmait  pas  :  il  confiait  sas 
pouvoirs  k  une  commission  intérimaire,  dite  des  vingfecinf» 
Enfin,  subordonné  à  l'action  du  comité  démocratique  socialiste* 
as  comité  de  la  presse  sans  organisation  fixe  se  tenait  prêt  à  lent 
événement*  Ces  centre*  divers,  mais  solidaires»  étaient  secondés 
encore  par  un  bureau  de  propagande  établi  par  un  M.  Jean  Maçé  : 
ce  bureau  s'était  donné  pour  mission  la  distribution  d'écrits 
socialistes  et  d'appels  révolutionnaires  dans  les  villages  et  dans 
les  casernes. 

(Test  cette  redoutable  oiganisation  qui  choisit  pour  son  prétexte 
la  question  romaine.  Un  soldat  indiscipliné  de  la  presse  socialiste* 
MrProndbon,  accusé  de  timidité  par  ses  amis,  révéla  ce  plan 
avec  une  mauvaise  bumeur  imprudente,  a  Ce  qu'il  leur  fout,  s 
dit-il  en  répondant  à  un  article  de  la  Révolution  démocratique  et 
sociale  qui  engageait  l'attaque  sur  ce  nouveau  terrain,  a  ce  qu'il 
leur  faut,  c'est  une  perpétuelle  et  fatiguante  agitation  qui,  écla- 
tant tout  à  coup,  se  termine  par  la  création  d'un  comité  de  salut 
public,  où  certains  patriotes  trouvent  une  occupation  digne  de 
leur  génie.  Voilà  ce  qu'entendent  ces  messieurs  par  traditioti 
de  95.  Eh  bien  !  que  la  Révolution  démocratique  et  sociale  soit 
satisfaite  :  ce  qu'elle  veut,  elle  l'aura...  Certains  signes  nous  aver- 
tissent que  notre  belle  patrie  doit  bientôt  recevoir  une  petite  vi- 
site de  la  Providence,  comme  dit  la  Bible.  Le  peuple  a  soif  d'ei~ 
péfience  ;  la  bourgeoisie  veut  qu'on  lui  force  la  main,  il  faut  1 
cette  race  blasée  un  mardi  gras  révolutionnaire  de  $iœ  mois*  .» 

Le  2  juin,  un  membre  4e  la  commission  des  vingt-cinq, 
M ♦  Àhfcê  Battue,  annonçait  hautement,  dans  un  club,  que  les 
cfaefs  étaient  dan*  le  comité  démocratique  socialiste  et  parmi  tel 
kemtocs  de  la  presse  et  de  ia  Montagne  j  que  le  peuple  démit 
Mrim  les  ftesufts  prises  par  eux  et  s'ébranler  comme  un  tcn| 
homme*  L'itsuirootion  était  annoncée.  Le  4  joinv  la  demande 
é'iaterpeUationfl  frite  par  M.  Ledra-RoUin  correspondait  avec 
la  reprise  de  proposition  de  mise  en  accusation  du  président, 
avec  les  menace*  de  déebéaiwe  faite*  par  les  organes  <ta  eepai- 


312  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

lés.  Le  7  jtifo,  le  journal  de  M.  Delescluse,  secrétaire- général  de 
la  Solidarité  républicaine,  disait  :  «  Bientôt  la  Montagne  mira 
Foccasion  de  parler  au  peuple,  au  nom  de  la  Constitution  vio~ 
fée...  que  tous  les  démocrates  socialistes  s'apprêtent  à  payer  lenr 
dette  à  la  patrie  et  à  l'humanité,  d  Le  9,  le  40  juin,  les  clubs 
surexcités  redoublaient  de  violence.  Dans  un  banquet  des  socia- 
listes du  Das-Rttin,  on  portait  un  toast  au  choléra,  qui  a  emporté 
le  maréchal  Bùgêaud,  et  on  déclarait  la  patrie  en  danger. 

Une  active  correspondance  existait  entre  les  démagogues  de 
Rome  et  les  socialistes  français  :  ce  Nous  attendons,  écrivait-on, 
quelque  fait  de  Pans  qui  change  d'un  seul  coup  la  tournure  de 
nos  affaires  (1).  »  Ainsi,  par  une  lactique  habile,  tandis  qu'à 
Paris  on  se  faisait  un  prétexte  de  l'expédition  d'Italie  pour 
faire  éclater  un  mouvement  insurrectionnel,  à  Rome  on  ne  pro- 
longeait, par  l'oppression  et  la  dictature,  Une  résistance  sans  es- 
poir et  sans  but,  qu'en  promettant  le  secours  d'une  insurrection 
parisienne. 

Le  10  juin,  une  commission  de  la  société  des  Droits  de 
l'homme  décide  la  permanence  pour  le  11,  et  cinq  membres 
sont  chargés  de  se  rendre  chez  divers'repréeentants  de  la  Monta- 
gne, a  afin  de  savoir  quelle  sera  leur  conduite  si  la  mise  en  ac- 
cusation n'est  pas  votée.  » 

C'est  ainsi  qu'un  pouvoir  occulté  avait  conduit  l'opinion  dé- 
mocratique avancée  jusqu'à  cet  appel  aux  armes  lancé,  le  i  1  juin, 
du  haut  de  la  tribune,  atténué  le  12,  mais  accepté  sans  rétracta- 
tion par  la  presse  socialiste.  Les  chefs  parlementaires  du  socia- 
lisme ne  s'appartenaient  plus  :  il  leur  fallait  marcher  en  avant  ou 
tomber. 

A  la  suite  du  vote  du  12  juin,  la  Montagne  se  rendît  dans  les 
bureaux  de  la  Démocratie  pacifique.  Là  se  trouvaient  aussi  les 
membres  de  la  commission  des  vingt-cinq  et  du  comité  de  la 
presse,  ainsi  que  quelques  délégués  du  Luxembourg.  MM»  Ledrn- 
Rollin,  Considérant  et  Félix  Pyat  rédigèrent  une  proclamation 
m  nom  de  la  Montagne,  et  on  convint  d'y  apposer  les  nsms  te 

(1)  RecoeU  éê  pfecu  du  protêt  dtototo»,  c.  990,  10S0. 


LES  PREMIERS  JOURS  DE  LA  LÉGISLATIVE.  313 

signataires  d'une  adresse  à  la  démocratie  allemande,  insérée 
dans  les  journaux  de  la  veille.  Cette  pièce  était  conçue  en  ces 
termes  : 


AU  PEUPLE  rBAHÇAia. 

.  Le  peuple  seul  est  souverain. 

Les  délégués  <Ju  peuple,  quels  qu'ils  soient,  le  président  de#la  République, 
les  ministres,  les  représentants  eui-mémes,  ne  reçoivent  et  ne  conservent  leur 
mandat  qu'à  la  condition  d'obéir  à  la  Constitution. 
•  Quand  ils  la  violent,  leur  mandat  est  brisé. 

La  Constitution  dispose  :  «  Article  54.  Le  président  de  la  République 
»  Teille  »  la  défense  de  l'État;  mais  il  ne  peut  entreprendre  aucune  guerre  sans 
»  le  consentement  de  l'Assemblée  nationale.  » 

Article  5  du  préambule  :  «  La  République  française  respecte  les  nation»* 
■  lités  étrangères  comme  elle  entend  faire  respecter  la  sienne;  n'entreprend 
»  aucune  guerre  dans  des  rues  de  conquêtes,  et  n'emploie  jamais  ses  forces 
»  contre  la  liberté  d'aucun  peuple.  » 

Or,  le  président  de  la  République  a  déclaré  la  guerre  à  Rome  sans  le  consen- 
tement de  l'Assemblée  nationale. 

Bien  plus,  au  mépris  du  décret  de  l'Assemblée,  du  7  mai,  il  a  continué  de 
faire  verser  le  sang  français. 

Enfin,  il  a  employé  les  forces  de  la  France  contre  la  liberté  du  peuple  ro- 


Cette  double  violation  de  la  Constitution  est  éclatante  comme  la  lumière  du 
soiei]. 

Les  représentants  du  peuple  soussignés  ont  fait  appel  à  la  conscience 
de  leurs  collègues  en  leur  proposant  la  mise  en  accusation  du  pouvoir  exé- 
cutif. 

La  majorité  de  l'Assemblée  a  rejeté  l'acte  d'accusation  ;  elle  s'était  déjàreo* 
due  complice  du  crimejpar  son  vote  du  1 1 ,  sur  les  affaires  d'Italie. 

Dans  cette  conjoncture,  que  doit  faire  la  minorité? 

Après  avoir  protesté  à  la  tribune,  elle  n'a  plus  qu'à  rappeler  au  peuple,  à  la 
garde  nationale,  à  l'armée,  que  1'artide  110  confie  le  dépôt  deda  Constitution 
et  des  droits  qu'eUe  consacre  à  la  garde  et  au  .patriotisme  de  tous  les  Fran* 
çais. 

Peuple,  le  moment  est  suprême  I  Tous  ces  actes  révèlent  un  grand  système 
de  conspiration  monarchique  contre  la  République.  La  haine  de  la  démocratie, 
mal  dissimulée  sur  les  bords  de  la  Seine,  éclate  en  toute  liberté  sur  les  bords  do 
Tibre. 

Dans  cette  lutte  engagée  entre  les  peuples  et  les  rois,  le  pouvoir  s'est  rangé 
du  cété  des  rois  contre  les  peuples. 

Soldats,  vous  comptiez  arracher  l'Italie  am  Autrichiens  ;  on  vous  condamne 
à  seconder  les  Autrichiens  dans  l'asservissement  de  l'Italie. 

Au  moment  où  la  Prusse,  la  Russie  et  l'Autriche  menacent  vos  frontières  de 
FEst,  on  vent  faire  de  vous  les  auxiliaires  des  ennemis  de  la  France. 


314  HISTOIRE  DE  FlUJKiE.  (lMfl.) 

Garde*  nationaux,  ions  êtes  les  défenseurs  de  l'ordre  et  delà  liberté»  I4  li- 
berté et  Tordre,  c'est  la  Constitution,  c'est  la  République. 

Rallions-nous  donc  tons  aux  cris  de  :  Vive  la  Constitution  !  Vive  la  Ré* 
publique  I 

Avril  (de  llsère),  Anstett  (do  Bas-Rhin),  Arnand  (du  Var),  Bac  (de  la 
Haute-Vienne),  Banne  (de  ia  Loire),  Benoit  (dn  Rhône),  Bertholon  (de  Plsère), 
Brives  (de  l'Hérault),  Bru  y  s  (de  Saône-et-Loire),  Breymand  (de  la  Hante-Loire), 
Beyer  (do  Bas-Rhin),  Bandsept  (dn  Bas-Rhin),  Boch  (du  Bas-Rhin),  Baudin  (de 
l'Ain),  Bard  (de  Saône-et-Loire),  Boysset  (de  Saône  et-Loire),  Boichot  (de  la 
Seine),  Aristide*  Bouvet  (de  l'Ain),  Burgard  (du  Haut-Rhin)*  Cholat  (de  Pl- 
sère), Commissaire  (du  Bas-Rhin),  Considérant  (de  la  Seine),  Cantagrel  (de 
Loir-et-Cher),  Cassai  (dn  Haut-Rhin),  Crestin  (du  Jura),  Chouvy  (de  la  Hante- 
Loire),  Cbevelon  (de  la  Haute-Loire),  Coinbier  (de  l'Ardèche),  Clément  (de  Pl- 
sère), Delbetz  (de  la  Dordogne),  Détours  (de  Tarn-et-Garonne),  Deville  (des 
Hautes-Pyrénées),  James  Demontry  (de  la  Côte-d'Or),  Dontre  (dn  Rhône), 
Dulac  (de  la  Dordogne),  Duché  (de  la  Loire),  Délavai lade  (de  la  Creuse),  Derriey 
(du  Jura),  Marc  Dufraisse  (de  la  Dordogne),  Duputz  (du  Gers),  Dussoubs  (delà 
Haute-Vienne),  Daniel  Lamazière  (de  la  Haute- Vienne),  Ennery  (du  Bas-Rhin), 
Fargin-Fayolle  (de  l'Allier),  Fond  (du  Rhône),  Faure  (dn  Rhône),  Fawtier  (da 
Haut-Rhin),  Frémond  (de  l'Ain),  Gambon  (de  la  Nièvre),  Gastier  (de  la  Nièvre), 
Gilland  (de  Seine-et-Marne),  Gendrier  (de  Saône-et-Loire),  Greppo  (dn  Rhône), 
Heitsmann  (de  Saône-et-Loire),  Hofer  (dn  Haut-Rhin),  Jannot  (de  Saône-et- 
Loire),  Jehl  (du  Bas-Rhin),  Joigneaux  (de  la  Côte-d'Or),  Jollivct  (de  la  Dor- 
dogne), Kcenig  (dn  Bas-Rhin),  Kopp  (du  Bas-Rhin),  Labronsse  (du  Lot),  La- 
claodure  (de  la  Hante-Vienne),  Lafon  (du  Lot),  Lamarqne  (de  la  Dordogne), 
Lamennais  (de  la  Seine),  Landolphe  (de  Saône-et-Loire),  Lasteyras  (dn  Puy- 
de-Dôme),  Lavergne  (dn  Tarn),  Ledrn-Rollin  (dé  la  Seine),  Louriou  (du  Cher), 
Madet  (de  l'Allier),  Malardier  (de  la  Nièvre),  Martin-Bernard  (de  la  Loire), 
P.  Mathé  (de  l'Allier),  Mathieu  (de  la  Drôme),  Menand  (de  Saône-et-Loire), 
Michel  de  Bourges  (du  Cher),  Michot  (dn  Loiret),  Mie  {de  la  Dordogne),  Miol 
(de  la  Nièvre),  Monnier  (de  la  Haute-Loire),  Morellet  (du  Rhône),  Mornarx 
Monleubeck  (dn  Haut-Rhin),  Nadaud  (de  ia  Creuse),  Pelletier  (dn  Rfaône), 
Perdigvîer  (de  la  Seine),  Pflieger(do  Hant-Rhin),  Pilhe*  (de  PAriége),  Pons- 
tande  (de  l'Ariége),  Félix  Pyat  (dn  Cher),  Raconchot  (de  Saône-et-Loire), 
Rantian  (de  PAlHer),  Rattier  (de  la  Seine),  Richard  (da  Cantal),  Richardet 
(du  Jura),  Rifafldie  (de  la  Dordogne),  Hobert  (de  l'Yonne),  Rochot  (de  » 
Nièvre),  Rolland  (de  Saône-et-Loire),  Renjet  (de  Wsère),  RotelK  Mot)*  (de 
l'Ain),  Rouaix  (de  l'Ariége),  Rouet  (de  la  Nièvre),  Roogeot  (de  Saône-et* 
Loire),  Roussel  (de  l'Ain),  Saînt-Féréol  (de  la  Haute-Loire),  Salmon  (de  la 
Medrtbe),  Sartin  (de  PAIlier),  Savatler-Leroche  (de  PYonne),  Savoy é  (di 
Bant-ftnin),  Slgnard (delà  Haule^Saône),  Sommier (d*  Jura),  Suchet  (dn  Yar), 
Terrier  (de  l'Allier),  Testelin  (dn  Nord),  Vautbier  (dn  Cher),  Vignes  (de  PA- 
riége),  Yiguier  (dn  Cher),  Brnckncr  (du  Haut-Rhin),  Pierre  Lefrane  (des  Py- 
rénées-Orientales). 

A  la  8ui(*  dg  ;eJt*  pradpa^ipp  tfevait  parçjtre,  k  tatfAMiig 


LES  PBSMBKS I0UB3  DE  LA  LÉGISLATIVE.  «15 

cette  attn  pièce  qui  répétait  raccord  des  totem  atti attes  de  le  44» 
OtOcratie  socialiste  : 


Le  président  de  la  RepobHque  et  let  ministres  sont  bots  h  Ctasjita> 


La  partie  de  F  Assemblée  qui  s'est  rendue  leur  complice  par  son  vote  s'est  mise 
bon  la  Constitution. 

La  garde  nationale  te  lève! 

Let  ateliers  se  ferment  ! 

Que  nos  frères  de  Tannée  se  souviennent  qu'ils  sont  citoyens,  et  que,  comme 
tels,  le  premier  de  lenrs  devoirs  eet  de  défendre  la  Constitution. 

Que  le  peuple  entier  soit  debout  ! 

VIVE  LA  RÉPUBLIQUE! 
VIVE  LA  CONSTITUTION! 

Le  Comité  de  la  preste  républicaine* 
Le  Comité  démocràtique-êocialùte. 
Lee  déléguée  du  Luxembourg* 
Le  Comité  dee  Écolee,  etc. 


On  s'occupait  en  même  tempe  des  moyens  matériels.  Une 
commission  de  délégués  de  la  5*  légion,  présidée  par  un  capitaine 
de  la  3*  batterie  d'artillerie,  organisait  les  préparatifs  et  les  con- 
vocations d'une  manifestation  pour  le  lendemain  13.  Sous  pré- 
texté d'une  réunion  électorale,  cette  commission  attendait  les 
ordres  que  devaient  loi  transmettre  les  représentants  de  la  Mon- 
tagne. Un  appel  à  la  garde  nationale  sortait,  le  43  au  matin,  de 
cette  commission  dite  executive  permanente.  On  y  engageait 
toutes  les  légions  à  se  réunir  à  onze  heures,  au  Château-d'Eau, 
en  face  de  la  mairie  du  5*  arrondissement.  On  se  rendrait  là,  en 
tenue y  sans  aucune  arme,  et  on  se  transporterait  à  l'Assemblée, 
afin  de  lui  rappeler  le  respect  dû  4  la  Constitution rdont  la  défense 
est  confiée  au  patriotisme  de  tous  les,  citoyens.  C'était  là,  on  le 
voit,  la  reproduction  exacte  de  la  manifestation  pacifique  du  15 
mai  4 848.  Et  cependant  on  savait  que  l'Assemblée  législative  ne 
devait  pas  avoir  de  séance  le  43. 

Si  l'on  ajoutait  i  ces  dispositions  de  la  démocratie  militante 
les  éléments  non  veaux  de  trouble  matériel,  les  graciés  de  Cher- 


ftft  HISTOIRE  DE  FRANGE,  (l«t.) 

foule  augmenta  bientôt  rapidement.  Bcanoonp  dtobifc  attirés  f» 
l'annonce  d'une  manifestation,  un  certain  nombre  de  citoyens 
convaincus  que  la  Constitution  a  été  violée,  les  soldats  ordinaire! 
de  tout  désordre  public,  quel  qu'en  soit  le  préteite,  enfin  les  ini- 
tiés moins,  nombreux,  mais  plus  à  craindre,  tel  était  le  personnel 
de  cette  multitude  croissante*  A  onze  heures,  M.  Lacrosse,  mi- 
nistre des  Travaux  publics,  passant  sur  le  boulevard,  suivi  d'une 
ordonnance,  est  reconnu  et  entouré*  On  veut  le  contraindre  i 
crier  :  Vive  la  République  romaine!  à  bas  le  président!  11  crie  : 
Vive  la  République  française  !  vive  le  président!  On  saisit  la  brida 
de  son  cheval  :  un  homme  lui  crie  :  «  Vous  venes  voir  si  c'est 
une  émeute;  c'est  une  révolution  :  votre  président  et  vous,  vous 
irez  à  Yincennes.  x>  Aux  menaces  succédèrent  les  violences,  êtes 
n'est  qu'à  grand'peine,  les  habits  déchirés,  qu'avec  le  secours  de 
M.  Cent,  ancien  représentant  de  la  gauche,  que  M.  le  ministre 
parvient  à  échapper  à  ces  foreurs.  A  quelques  pas  de  là,  den  et- 
Aciers  d'état-major  de  la  garde  nationale  sont  assaillis  et  la* 
s^tés, 

Autour  du  Chiteau-d'Ean,  la  eotonae.se  forme,  Mioritds: 
Vive  la  République  romaine!  vive  la  Constitution!  vive  Ratpail! 
«tv#  la  Montagne! d  bas  les  traîtres!  Ces  cris  divers  correspon- 
dent aux  nuances  diverses  d'opinions  et  d'intentions  réunies. 
M.  Mon*  Arago  arme  en  uniforme  de  chef  de  bataillon  de  la 
garde  nationale  ;  c'est  lui  qw  organise  et  dirige  la  colonne.  Tous 
ses  efforts  tendent  à  lui  conserver  une  attitude  pacifique. 

Enfin,  la  colonne  s'ébranle;  6,000  hommes,  selon  les  uns, 
$0,000  selon  les  autres,  s'échelonnent  sur  la  chaussée  du  boule- 
vard. Dans  le  trajet,  quelques  enfants  perdus  de  la  manifestation 
sHurrttent  devant  le  poste  du  boulevard  Bonne*NoiifeUe,  et  le 
comment  de  rendre  ses  armes.  Le  sergent  Terré,  du  18»  léger, 
déconcerte  par  sa  ferme  contenance  le  groupe  qui  lui  adresse 
tette  sommation.  Sur  le  passage  de  la  colonne,  la  foule  est  non* 
brense.  Elle  parait  plutôt  curieuse  qu'inquiète,  et  ne  partage  pas 
l'enthousiasme  qui  semble  animer  la  protestation  qui  s'avance. 

La  tète  de  la  manifestation  venait  de  dépasser  la  rue  de  la  Paix 
Am  la  direction  de  la  Madeleine  :  vers  une  heure,  le  général 
Ot  ebef  Chengarnier  était  arrivé  dene^oetèerue,  snhé  4*hm  Iriffe 


PARIS  ET  LYON,  13  ET  *3  KJ1N.  ftt 

«•tome  de  geadarmes  mobile»,  de  dragon*  et  de  «haneafi  à 
pied.  A  peine  la  manifestation  a-t-elle  passé  devant  le  général, 
i|ae  les  (soupes  débouchent  sur  le  boulevard,  coupent  e»  dou*  la 
manifestation  faisant  faee  à  droite  et  à  gauche  à  l'attroupement. 
Lea  sommation*  sont  fartes  et  les  divers  corps  s'élancent.  Des 
chargea  vigoureuses  refoulent  de  la  chaussée  et  de  la  contre-allée 
dta  boulevards  la  masse  qui  se  reforme  en  fhvant  par  groupes 
compacts,  Quelques  exaltés  se  jetèrent  à  genoux  devant  les  sol- 
dats, en  criant  :  a  Tireres-vous  sur  vos  frères  1  »  La  troupe  ne 
tire  pas,  mais  s'avance  toujours,  poussant  en  avant,  sans  violen- 
ces, ceux  qui  toi  font  obstacle.  Alors  la  manifestation  se  débande 
dans  tontes  lés  directions  ?  des  cris  isolés  :  Auw  armes!  se  font 
entendre;  des  pierres  sont  lancées  sur  la  trotrpe.  Au  coin  de  la 
nie  de  la  Chaussée-d'Antin,  un  coup  de  pistolet  part,  un  chasseur 
eet  frappé  d'un  coup  de  poignard  et  blesse  lui-même  dangereuse- 
ment l'agresseur.  Quelques  hommes  cherchent  à  brûler  la  devan- 
ture d'un  armurier,  quelques  tentatives  de  barricades  sont  es- 
sayées, des  voitures  sont  renversées,  des  chaises  accumulée*,  des 
pavés  remués  :  mais  la  rapidité  des  mouvements  de  ta  troupe 
déconcerte  Pémeute  naissante. 

Dispersée  sur  lea  boulevards,  la  manifestation  se  répand  dans 
les  rues,  au  cri  de  :  Vive  la  Constitution!  Aux  armes!  Mais  tous 
les  éléments  étrangers  ont  disparu  :  le  noyau  seul  est  resté,  sin- 
gulièrement amoindri.  Déjà  les  troupes  ont  fait  halte  à  la  Porte 
Saint-Denis,  et  ré  meute  ne  se  fait  plus  reconnaître  que  par  des 
désarmements  de  gardes  nationaux  isolés,  et  par  quelques  Coups 
de  feu  tirés*  sans  résultat,  sur  l'état- major  du  général  en  chef, 
pas  des  hommes  postés  dans  la  petite  rue  Notre-Dame-dé-Bonne- 
Monvetle. 

Cependant  les  représentants  de  la  Montagne  se  réunissaient 
ras  du  Hasard,  numéro  5,  et  l'artillerie  de  la  garde  nationale  à 
son  état-major,  au  Palais-National.  On  comptait  sur  l'assistance 
armée  de  Fartilierie  tout  entière,  et  ce  corps,  si  distingué  par  son 
«Mirage  dans  les  journées  de  juin  1848,  était  l'espérance  la  plus 
avouée  de  la  démocratie  militante.  La  légion  se  composait  de 
12  à  1,500  hommes  :  300  environ  se  trouvèrent  au  rendez-vofflr. 
Là,  une  sorte  de  revue  fut  passée.  M.  Ledru-ftollin  et  quelques 


330  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

antres  représentants  y  assistaient.  Déjà  la  nouvelle  de  la  disper- 
sion des  pétitionnaires  était  arrivée,  la  maison  de  la  rue  du  Hasard 
avait  été  évacuée  et  un  rendez-vous  nouveau  indiqué  au  Conser- 
vatoire des  Arts-et-Métiers.  Malgré  le  contre-ordre  eipédié  an 
colonel  Guinard  par  l'état- major  général,  les  artilleurs  présents 
se  forment  en  colonne*  M.  Guinard  leur  fait  une  allocution  qui  se 
termine  par  ces  mots  :  «  Que  ceux  qui  partagent  mes  opinions  me 
suivent,  que  les  autres  se  retirent.  »  Quelques  armes  sont  char- 
gées  et  on  part  aux  cris  de  :  Vive  la  République  romaine  !  Vive  la 
Constitution  !  Jurons  de  défendre  la  Montagne  !  Plusieurs  repré- 
sentants, entre  autres  MM.  Ledru-Rollin,  Boichot,  Rallier,  Gara- 
bon,  marchent  en  tête  de  la  colonne.  Déjà  une  moitié  des  artil- 
leurs a  disparu  :  des  hommes  en  blouse  se  joignent  au  cortège. 
De  temps  à  autre,  sur  le  chemin,  le  cri  :  Aux  armes!  est  proféré 
par  les  artilleurs.  La  population  des  rues  parcourues  ne  répond 
pas  à  ces  cris-:  elle  est  calme,  étonnée,  indignée. 

On  arrive  au  Conservatoire.  Ce  n'était  pas  sans  raison  que  es 
local  avait  été  choisi.  Depuis  le  29  janvier,  c'était  là,  pour  l'in- 
surrection, le  centre  naturel  de  réunion  et  de  défense.  Les  molifc 
de  cette  résolution  s'expliquent  par  l'attitude  prise,  à  cette  époque, 
par  le  colonel  de  la  6e  légion,  et  par  l'idée  erronée  qu'on  se  fai- 
sait des  dispositions  de  la  légion  tout  entière. 

Un  poste  de  quinze  voltigeurs  du  !«■  léger  était  établi  à  ren- 
trée du  Conservatoire  dont  la  grille  était  ouverte.  La  colonne  se 
présente  devant  ces  hommes,  et  M.  Ratlier  les  somme  de  livrer 
leurs  cartouches,  en  s'annonçaut  comme  le  représentant  de  l'ar- 
mée. Le  sergent  s'y  refuse,  et  le  poste,  trop  peu  nombreux  pour 
s'opposer  à  une  invasion,  se  .retire  dans  une  cour  intérieure,  ma* 
sans  rendre  ses  armes.  M.  Ledru-Rollin  se  présente  au  directes* 
du  Conservatoire,  M.  Pouillet,  et  l'invite  à  mettre  à  sa  disposition 
une  des  salles  de  l'établissement.  Cette  invitation  équivalait  à  un 
ordre.  Une  partie  des  envahisseurs  se  forme  en  commission  et  dé- 
libère dans  Tune  des  salles,  tandis  que  l'autre  organise  un  service 
de  sentinelles  i  l'intérieur  et  à  l'extérieur.  Trois  barricades  sont 
commencées  à  l'intérieur,  une  quatrième  s'élève  dans  la  rue 
Saint-Martin. 

Que  fait-on  dans  la  salle  des  filatures,  où  les  représentants  dé- 


PARIS  ET  LYON.  321 

libèrent?  On  s'agite,  on  s'inquiète,  on  propose  des  mesures, 
surtout  on  attend.  On  attend  les  masses  insurrectionnelles,  on 
attend  le  peuple  :  rien  ne  parait.  On  attend  H.  Forestier  et  sa 
6e  légion  qui  doit  couvrir  le  Conservatoire  :  M,  Forestier  ne  paraît 
pas.  Un  représentant,  M.  Suchet  (du  Var),  se  détache  avec  un 
trompette  artilleur  et  va  chercher  le  colonel  à  la  mairie  :  on  ar- 
rête les  deux  émissaires.  Quelques  hommes  se  portent  rue  Saint* 
Denis  et  cherchent  i  entraîner  un  posté  de  gardes  nationaux  ;  un 
représentant,  M.  Beyer,  est  ileur  tête;  on  l'arrête.  Vers  trots 
heures,  une  proclamation  *est  lancée  ;  elle  est  ainsi  conçue  : 


AD  PKCPLI, 

A  LA  GASPI  NATIONALE, 

A  L'Aaitl! 

«  La  Constitution  est  violée!  Le  peuple  se  lève  pour  1a  défendre.  La  Mon« 


àmx  ofMet/  Aux  arwit» / 

Vite  la  République  Vive  la  Constitution! 

Au  Conservatoire  des  Arti  et  Métiers,  le  13  juin,  à  deux  heures. 

Les  rtprétetUanli  dé  la  Montagn*  : 

Suivent  les  signatures  des  absents  comme  des  présents. 

Mais  cette  proclamation  ne  peut  être  affichée  ;  quelques  exem- 
plaires seulement  sont  arrachés  ou  saisis.  Une  compagnie  de  la 
6*  légion,  cet  autre  espoir  du  mouvement,  occupe  la  rue  du  Pon- 
ceau  ;  elle  est  commandée  par  les  capitaines  Goubeau  et  Duputs. 
Un  garde  à  cheval  vient  l'avertir  en  toute  hâte  qu'une  barricade 
se  construit  rue  Saint-Martin.  Aussitôt  elle  part  et  arrive  par  le 
passage  Au  Cheval-Rouge.  Les  artilleurs  placés  derrière  la  barri* 
cade  mettent  fa  crosse  en  l'air;  les  gardes  nationaux  leur  crient 
de  défaire  la  barricade.  Mais  les  fusils  sont  tournés  contre  la  com- 
pagnie Goubeau  :  une  décharge  a  Heu  et  les  artilleurs  se  replient 
sur  la  grille  du  Conservatoire.  Qui  a  tiré  le  premier?  les  débats 
n'éehîrciitrat  peut-être  pas  suffisamment  ce  point;  mais  de  quelque 


aiS  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1849.) 

côté  que  soit  parti  le  premier  feu,  qui  est  derrière  âne  barricade 
ne  peut  être  qu'un  ennemi  de  l'ordre  publie.  C'est  ce  qu'a  pensé 
le  capitaine  Goubeau,  qui  fait  battre  la  charge  et  lance  sa  compa- 
gnie la  baïonnette  en  avant.  Une  seconde  et  plus  forte  décharge 
part  du  côté  de  la  grille.  D'autres  coups  de  feo  sont  tirés  de  la  nie 
Crénelât  par  un  groupe  d'hommes  en  blouse  et  d'artilleurs.  Per- 
sonne n'est  atteint.  Le  bruit  de  ces  décharges  amène  du  boule- 
vard, au  pas  de  course,  quatre  compagnies  du  62e  de  ligne, 
commandées  par  le  chef  de  bataillon. Gelly  de  Montcla.  Le  géné- 
ral L.  Cavaignac  et  le  colonel  du  62'  de  ligne  accompagnent  cette 
colonne  qui  franchit  la  barricade.  Les  artilleurs  se  précipitent 
dans  le  Conservatoire  dont  ils  essayent  de  refermer  et  de  défendre 
la  grille  ;  mais  une  compagnie  force  eette  résistance  et  pénètre 
dans  les  cours  :  a  Toilà  la  ligne  !  p  s'écrient  le*  artilleurs.  La 
déroute  est  déjà  complète  :  par  toutes  les  issues  s'échappent  les 
défenseurs  du  .Conservatoire.  Le  lieutenant  Castelbon  arrive  à  la 
salle  des  ûlatures  :  tous  ceux  qui  s'y  trouvent,  représentants  et 
artilleurs,  se  précipitent  dans  le  jardin  par  les  fenêtres,  par  les 
toits.  M.  Ledru-Rollin  gagne  le  jardin  en  passant  par  un  vasistas. 
Les  fuyards  arrivent  ainsi  dans  la  rue  Vaucanson,  d'autres  s'é- 
chappent par  une  porte  donnant  sur  le  marché  Saint-Martin. 

En  même  temps,  le  colonel  d'Alphonse  lançait  une  compagnie 
de  voltigeurs  contre  trois  barricades  élevées  dans  les  rues  Jean- 
Robert  et  Transnonain  :  après  avoir  reçu  trois  décharges  sans 
riposter,  cette  troupe  s'emparait  des  barricades  dans  lesquelles 
quatre  insurgés  tombaient  morts  et  plusieurs  blessés.  Une  autre 
barricade  avait  été  élevée  rue  Frépillon  :  le  général  Cornemuse 
la  faisait  attaquer  par  une  compagnie  de  grenadiers  du  2i«  de 
ligue.  Malgré  un  feu  très-vif  de  mousqueterie  dirigé  des  maisons 
voisines,  la  troupe  dispersait  les  émeutiers  qui  perdaient  encore 
trois  des  leurs  dans  le  combat. 

Au  reste,  si  un  instant  on  avait  pu  ignorer  où  était  le  quartier 
général  de  Insurrection,  les  mesures  étaient  tellement  prises  par 
le  général  en  chef  qu'aucune  résistance  sérieuse  n'avait  été  pas- 
sible. Ce  quartier  dans  lequel,  autrefois,  l'insurrection  s'était 
trouvée  maîtresse,  était  enveloppé  comme  dans  un  réseau  de 
baïonnettes,  il  en  était  de  mémo  de  la  ville  tout  entitee.  Pendant 


PAJltf  m  LYON.  $& 

qu'une  barrière  infranchissable  liait  établie  sur  1*  ligne  des  hau- 
jevards,  tpytea  les  positions  importantes  de  Paris  sur  les  deux 
rites  de  la  Seipe  étaient  occupées.  Sur  tout  le  pourtour  de  Paris, 
les  têtes  de  ligue  des  chemins  de  fer  étaient  mises  à  l'abri  de  loutç 
insulte.  Aucun  symptôme  d'insurrection  ne  se  manifestait  sur  la. 
rive  gauche,  et  cependant,,  là  aussi  la  répression  était  prêle.  Un 
incident  sans  importance  prouva  la  nécessité  de  ces  mesures.  Le 
général  Sauboul,  insultésurJa  place  St-Sulpice  par  quelques  gardes 
nationaux  de  la  1  le  légion,  dut  faire  arrêter  le  colonel  Pascal- 

A'rnsj  était  terminée  uup  journée  qui  eût  pu  être  funeste  sans 
l'admirable  attitude  de  cette  armée  qu'on  disait  socialiste,  sans  le 
calme  profond  de  l'immense  majorité  de  la  population.  L'avortè- 
rent de  lfl  révolte  avajt  été  sj  complet  qu'on  pouvait  s'étonner  de 
voir  que  deshommes  d'une  incontestable  valeur  politique,se  fussent 
laissés  acculer  ainsi  dans  une  impasse.  L'impuissance  des  chefs 
à  conduire  leurs  partisans,  l'incertitude  des  uns,  la  défection  des 
autre»,  l'impatience  de  ceux-ci,  les  illusions  de  ceux-là,  tout  avait 
contribué  à  amoindrir  le  mouvement,  à  diminuer  le  personnel  de 
l'insurrection.  Ce  qui  éclatait  surtout  dans  les  actes,  dans  les  leU 
très  des  envahisseurs  du  Conservatoire,  c'était  l'ignorance  pro- 
fonde de  l'état  vrai  des  choses,  de  l'opinion  publique.  Tous  se 
croyaient  entourés  d'une  immense  révolte.  Pour  eux,  Paris  était 
en  feu  :  le  peuple  se  levait  de  toutes  parts,  tandis  qu'ils  étaient 
prisonniers  sans  le  savoir. 

A  la  permanence  insurrectionnelle  des  Arts-et-ijé tiers,  l'As* 
semblée  législative  avait  opposé  la  permanence  légale.  M.  Ûdjlon 
ftarrot  avait,  à  deux  heures  et  demie,  réclamé  cette  mesure. 
M.  Dufaure  demandait,  en  même  temps,  une  délibération  immé- 
diate sur  La  mise  en  état  de  siège.  Malgré  l'opposition  de  M.  La- 
grange,  une  commission  présentait  à  cinq  heures  et  demie,  par 
l'organe  de  M.  Gustave  de  Reaumont,  un  rapport  concluant  à  l'a- 
doption, tf.  Pierre  Leroux  combattit  la  mesure  en  attribuant  à 
l'état  de  siège  de  1848  tous  les  maux  du  pays.  Ces  paroles  appe- 
lèrent à  la  tribune  le.  général  Cavaignac.  L'honorable  gépéral 
prononça,  avec  une  émotion  profonde,  quelques  mots  énergi- 
ques ;  «  Vous  dites  que  nous  sommes  tombés  par  l'état  de  sjége. 

jjtçn;  PQU$  np  çoouncs  j>as  tombes;  nous  sommes  descendu?  du 


1 


324  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

pouvoir...  Le  vœu  national  n'est  pas  de  ces  pouvoirs  qui  ren- 
versent :  il  ordonne  et  nous  obéissons...  J'ai  servi  la  République, 
je  ne  servirai  pas  autre  chose.  Mais  si  jamais  elle  devait  succom- 
ber, sachez-le  bien  !  c'est  vous  qui  l'auriez  perdue.  *  D'unanimes 
applaudissements  accueillirent  ce  noble  langage.  La  mise  en  état 
de  siège  fut  votée  par  394  voix  Contre  82. 

Le  lendemain,  14,  la  permanence  durait  encore.  Des  arresta- 
tions nombreuses  avaient  été  faites.  L'action  de  la  justice  était 
arrêtée  en  ce  qui  concernait  les  représentants  du  peuple  compro- 
mis. Les  demandes  d'autorisation  de  poursuites  furent  présen- 
tées par  M.  Dufaure,  comme  d'autant  plus  urgentes,  qu'en  ce 
moment  même  un  des  prévenus  était  sur  la  route  de  Lyon,  où 
un  mouvement  insurrectionnel  paraissait  imminent.  Les  autori- 
sations furent  accordées.  {Voyez  aux  Documents  historiques  les 
pièces  officielles  relatives  à  la  journée  du  13  juin.) 
.  C'est  qu'en  effet  tout  n'était  pas  fini  avec  la  tentative  avortée 
de  Paris.  Les  grands  foyers  d'industrie  et  de  population  étaient 
enveloppés  dans  un  vaste  plan  insurrectionnel.  Dans  plusieurs 
départements,  la  presse  démocratique-socialiste  trahissait  un  plan 
général  par  des  appels  au  peuple,  par  des  sommations  à  la  Mon- 
tagne, plus  encore  par  des  nouvelles  anticipées.  On  annonçait  que 
la  Montagne  s'était  constituée  en  Convention,  qu'un  décret  avait 
mis  hors  la  loi  le  reste  de  l'Assemblée,  que  la  révolution  était 
accomplie.  A  Reims,  le  13,  un  président  de  elub  signifiait  au 
sous-préfet  la  victoire  d'une  insurrection  parisienne  et  la  fia  de 
son  mandat;  à  Toulouse,  les  clubs  s'agitaient;  à  Bordeaux,  te  15, 
il  fallut  disperser  de  nombreux  rassemblements  ;  à  Lille,  à  la 
même  heure  qu'à  Paris,  une  affiche  appelait  le  peuple  aux  armes; 
à  Amiens,  on  découvrait  un  complot  tendant  à  s'emparer  de  la 
préfecture,  de  l'hôtel  de  ville  et  du  débarcadère  du  chemin  de 
fer  ;  à  Maçon,  a  Dijon,  à  Valence,  partout  des  appels  à  l'insur- 
rection. Le  13,  les  démocrates  de  Limoges  entourent  la  poste 
avant  l'arrivée  du  courrier.  Ils  attendent  un  événement  prévu. 
Le  15,  leur  agitation  est  extrême  :  vingt  d'entre  eux  sont  arrêtés. 
A  Strasbourg,  des  bandes  veulent  s'emparer  de  la  préfecture  et 
de  la  citadelle  ;  à  Colmar,  on  va  livrer  les  porteB  de  la  ville  à  un 
chef  socialiBteâ  quand  arrive  de  Paris  la  nouvelle  de  U  victoire. 


PARIS  ET  LYON.  325 

Mais  la  mal  heureuse  ville  de  Lyon,  depuis  soixante  ans  si  cruel- 
lement éprouvée  par  la  guerre  civile,  devait  donner  la  preuve  la 
plqs  terrible  des  nombreuses  ramifications  de  la  révolte. 

Un  journal  socialiste  de  Marseille,  la  Voix  du  Peuple,  avait  ac- 
cueilli, sur  la  foi  d'un  journal  mazzinien,  la  Concordiade  Turin, 
des  nouvelles  mensongères,  annonçant  un  prétendu  revers  et  jus» 
qa'à  une  défection  en  masse  des  troupes  françaises  devant  Roule. 
Le  Censeur  de  Lyon  reproduisit  ce  conte  absurde  et  odieui  avec 
unempressementsignificatif.  Une  joie  féroce' chez  quelques  fac- 
tieux qui,  pour  le  succès  de  l'anarchie,  feraient  litière  de  l'hon- 
neur de  la  France,  une  profonde  consternation  dans  la  masse 
crédule  et  honnête  de  la  population,  tels  furent  les  résultats  de 
cette  honteuse  tactique.  Le  12  juin,  des  rassemblements  nom- 
breux se  formèrent  :  on  y  commentait  les  fausses  nouvelles 
que,  déjà,  cependant,  M.  Tourangin,  préfet  du  Rhône,  s'était 
empressé   de  démentir.  De  vagues   rumeurs   parcouraient  la 
cité.  Les  anciennes  associations  de  1848  se  retrouvaient  en- 
core  toutes  formées  :  clubistes  et  Voraces  n'attendaient  qu'un 
signa).  Le  13  juin,  le  parti  militant  attendait;  le  14,  les  so- 
ciétés secrètes  étaient  en  permanence,  mais  une  pluie  torren- 
tielle s'opposait  tout  à  la  fois  et  à  la  communication  télégraphique 
et  i  la  réalisation  des  projets  subversifs.  Lé  soir  du  14,  un  bulletin 
socialiste  lança  au  milieu  de  cette  fermentation  ces  prétendues 
nouvelles  télégraphiques  qui  révélaient  un  mot  d'ordre  insurrec- 
tionnel :  la  Montagne  est  formée  en  Convention  ;  le  peuple  de 
Paris  se  soulève;  le  président  de  la  République  et  ses  ministres 
sont  décrétés  d'accusation.  L'audace  des  factieux  s'accroît  de  ces 
bruits  mensongers.  Une  colonne  armée  descend  de  la  Croix- 
Rousse,  pénètre  de  vive  force  dans  l'École  vétérinaire,  et  la  moitié 
des  élè?es  va  grossir  les  rangs  des  insurgés.  Ceci  se  passait  le  15 
au  matin.  Des  nouvelles  rassurantes  étaient  arrivées  de  Paris  ; 
mais  les  factieux  sont  en  mouvement;  ils  ne  s'arrêteront  plus.  Le 
tambour  des  Voraces  bat  le  rappel  à  la  Croix-Rousse  et  le  foubourg 
de  Vaise  est  en  fermentation.  L'autorité  civile  et  militaire  a  par- 
tent doublé  les  postes  ou  pris  des  précaptions  salutaires.  Un  dé- 
arrive de  Paris  qui  met  en  état  de  siège  la  ville  de  Lyon  et 


336  HISTOIRE  DE  FRANCE.  (1849.) 

toute  la  circonscription  comprise  dans  la  6e  division  militaire 
(Isère,  Drôme,  Ain,  Rhône  et  Loire). 

Un  fait  grave  s'était  passé  dans  la  matinée  du  15,  le  désarme- 
ment de  1 50  hommes  du  1 7e  léger  chargés  de  la  garde  de  l'École 
rétérinaire.  Ce  poste,  surpris  à  l'improviste,  n'avait  pas  eu  le 
temps  de  se  mettre  en  défense.  Plusieurs  des  soldais  qui  en  fai- 
saient partie  s'étaient  retirés  dans  les  forts  de  la  rive  droite  de  la 
Saône  ;  mais  d'autres  s'étaient  laissé  séduire  par  les  êmeutîers 
qui  l.eâ  avaient  emmenés  aux  cris  de  :  Vive  la  ligne  !  Fallait-il 
donc  craindre  dans  l'armée  des  connivences  avec  la  révolte,  et 
Ces  calomnies  que  l'admirable  attitude  de  l'armée  parisienne  ve- 
nait de  confondre  si  hautement ,  étaient  -  elles  fondées  pour 
Pôrmée  lyonnaise?  Incertitude  terribfe,  mats  qui  ne  pouvait  ar* 
rêler  les  généraux  chargés  de  la  défense.  Le  général  de  division 
Gémeau,  commandant  de  la  6e  division  militaire,  et  le  général 
Magnan,  son  digne  collègue,  savaient  que  quelques  défection! 
isolées  ne  pouvaient  faire  suspecter  Tcxceîlent  esprit  des  troupes. 

Cependant,  la  bande  partie  de  l'École  vétérinaire  avait  désarmé 
deux  petits  postes.  Il  devenait  urgent  de  frapper  la  révolte.  Les 
généraux  formèrent  leurs  colonnes  d'attaque.  Le  général  Gé- 
meau se  dirigea  rapidement  sur  la  préfecture  que  cernait  en- 
tièrement une  foule  compacte  :  l'hôtel  fut  promptemedt  dégagé. 

Ce  n'était  rien  pour  l'émeute  que  d'occuper  la  Èroix-Roosse, 
ce  faubourg,  dont  la  population  a  de  tout  temps  pactisé  avec  le 
désordre^  Il  lui  fallait  s'établir  à  Lyon.  Pour  cela,  il  fallait  forcer 
la  porte  des  Bernardines  qui  établit  la  communication  entre  la 
fcroix-Rousse  et  Lyon,  et  qui  est  complètement  commandée  par 
Ta  caserne  crénelée  des  Bernardines.  Vers  dix  heures  et  demie, 
une  colonne  se  présente  devant  le  poste  de  la  ligne,  fort  d'envi- 
ron cinquante  hommes,  qui  gardait  celte  communication,  et  de- 
mande fe  passage.  Les  émeutiers  s'avancent  en  criant  :  Vire  la 
ligne!  t  armée  est  pour  nous!  Mais  F  officier  Commande  le  feu; 
àouie  ou  quinze  des  agresseurs  tombent  et  le  reste  s'enfuît  «1 
criant  :  «  Nous  sommes  trahis,  la  troupe  est  fidèle.  »  Aussitôt,  les 
cris  :  AuA  armes  !éq  font  entendre,  le  tocsin  yonttë,  tes  barri- 
cadé* fc'élèVeht,  notamment  dans  h  <fr  ânde-ftue  et  éafte  la  rot 


paris  et  Lyon.  3sï 

An  Mail,  dafls  le  cours  d'Herbouville,  &  la  Grande-Cflte  et  dans 
toutes  les  rues  qui  avoisinent  le  Jardin-des-Plantes.  Aux  Bernar- 
dines, un  feu  de  tirailleurs,  partant  des  cheminées,  des  croisées, 
des  barricades  commence  de  tous  côtés  contre  la  caserne,  dans 
l'intérieur  de  laquelle  la  ttoupe  s'est  retirée,  et  d'où  elle  répond 
par  un  fende  mousqueterie  et  bientôt  par  la  canonnade. 

C'est  alors  que,  vers  onze  heures,  le  général  Magnan  envoie  le 
lieutenant-colonel  de  Villiers  ordonner  aux  troupes  de  Caîfaîreet 
de  Montessuy  de  prendre  la  position  dé  la  Croit-Rousse  à  revers*, 
de  concert  avec  une  batterie  d'artillerie.  Lui-même,  à  ta  tête 
d'une  colonne  d'environ  2,500  hommes,  gravit  le  chemin  qui, 
sous  la  protection  du  fort  Saint-Jean,  du  bastion  numéro  3  et  des 
Bernardines,  conduit  de  la  Saône  au  plateau  de  la  Croix-Rousse. 
Onze  compagnies  du  17e  léger  tiennent  la  droite  de  la  colonne. 
Le  colonel  Gresy  a  tenu  à  honneur  de  réhabiliter  son  dra- 
peau et  a  obtenu  pour  son  régiment  le  poste  le  plus  dangereux. 
«^Yous  avez  une  tache  à  laver,  dit  le  général  Magnan  aux  soldats 
du  17e  léger.  »  Ces  braves  gens  répondent  aux  cris  de  vive  la 
République,  et,  sous  la  conduite  du  général  d'Arbouville,  s'élan- 
cent à  l'attaque  des  barricades  de  la  grande  place.  Une  fusillade 
très-vive  part  des  maisons  :  mais  rien  ne  peut  arrêter  l'ardeur  du 
U'Jéger.On  sent  dans  l'exaltation  des  soldats  une  fureur  inusitée: 
ce  n'est  pas  seulement  un  ordre  qu'ils  exécutent,  c'est  une  ven- 
geance qu'ils  tirent,  c'est  une  éclatante  réparation  qu'ils  achè- 
tent au  prix  de  leur  sang.  Quelques  soldats  du  17*  léger  sont  der- 
rière les  barricades  :  l'insurrection  les  a  placés  là  par  un  calcul 
honteux.  Trois  d'entre  eux  sont  saisis  et  passés  par  les  armes. 
Le  capitaine  Mortel,  celui-là  même  qui  s'est  laissé  surprendre  si 
malheureusement  le  matin,  combat  les  insurgés  en  homme  qui 
cherche  la  mort  :  il  la  trouve  sur  une  barricade  et  tombe  en  di- 
sant :  a  Je  devais  mourir  aujourd'hui  ;  je  n'ai  qu'un  regret,  c'est 
de  ne  pas  avoir  succombé  huit  heures  plus  tôt.  » 

Pendant  cette  vigoureuse  attaque,  le  6e  léger,  sous  les  ordres  du 
colonel  O'Keiffe  exécutait  avec  succès  ce  mouvement  combiné 
qui  prenait  les  insurgés  entre  deux  feux.  Ceux-ci  débusqués  de 
toutes  parts  et  ne  pouvant  plus  gagner  la  campagne,  se  jetèrent 
par  des  rues  détournées  sur  la  rampe  que  le  général  Magnan  ve- 


380  HISTOIRE  DE  FRANCS.  (1840.) 

nait  de  gravir  et  tomberont  entre  les  mains  d'un  eseadren  des 
guides*  Plus  de  700  furent  faits  prisonniers.  La  lutte  avait  duré 
cinq  heures. 

Ainsi  se  termina  cette  folle  tentative  d'un  parti  qui,  malgré  son 
évidente  minorité,  impose  au  pays  des  agitations  sans  fin  et  de 
sanglants  sacrifices.  A  Lyon  comme  à  Paris  ces  factieux  qui  se  qua- 
lifient de  peuple  avaient  i  peine  réuni  5,000  combattants.  La 
population  lyonnaise  proprement  dite  n'avait  en  rien  participé  à 
la.  lutte  ;  et  cependant  la  minorité  insurrectionnelle  n'en  conti- 
nuerait pas  moins  à  usurper  audacieusement  le  nom  de  la  France. 


t . 


RÉPRESSIONS,  RÉPARATIONS.  319 


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CHAPITRE  XVI1L 


BÉP1B8SI0NS,    lfiPAlATIOK*. 


PomnriêH  jiididaire*,  protestations  contre  les  signatures  de  l'appel  ans  traet  ; 
reiuerdments  à  la  garde  nationale,  à  l'armée,  an  général  Ckananniaf.  — 
Meemre»  réprtmvee.  Apre*  l'anarchie»  la  dictature  ;  anepenaioa  de  six  jour» 
naux;  rétablissement  da  double  commandemeBt  du  général  Changarnier, 
siispension  des  articles  64  et  67  de  la  loi  dn  23  mars  1831  ;  MM.  Lagrange, 
Cherras  et  faragnav-d'Hifflers ,  le  18  brumaire;  dissolution  de  gardes  na- 
tionales; loi  provisoire  snspendant  les  clabs;  dwnansVs  nombreuses  en  anv 
torisation  'de  poursuites, »la  terreur  Manche,  la  majorité  criminelle*  encore 
des  violences  parlementaires;  bris  de  presses  dans  la  journée  du  13  juin,  dé* 
net  passionné,  M  Victor  Hugo,  arrêt  de  non-lie*  ;  interpellations  sur  l'état 
de  siège,  sur  les  affaires  étrangères  ;  V.  Estancelin  et  les  eosaques,  cossédie 
de  patriotisme;  nécessité  de  modiler  le  règlement,  adoption  d'un  nouTean 
régime  disciplinaire  ;  projet  de  loi  temporaire  sur  la  presse,  M.  de  Monta- 
lembert,  tableau  de  la  situation  sociale  ;  M.  Jules  Favrc  attaque  le  projet, 
•nruaents  rétrospectifs,  M.  Dnfanre,  les  Trais  ennemis  de  la  RépeÂlique, 
M.  Pierre  Leroux  et  les  jésuites,  m  sodalissse  •  la  namale,  M.  Thiers  jus* 
tifie  la  loi  ;  discussion  des  articles,  effeneee  au  président  de  la  République, 
distribution,  colportage,  adoption  de  la  loi  ;  projet  déterminant  les  formes  et 
coédition»  de  l'état  de  siège,  dictature  militaire,  dictature  parlementaire, 
dwrneaiun,  M.  Dntâure,  vote  delà  loi  ;  renvoi  deseeeusés  da  13  juin  devant 
la  hante  cour  de  justice.  —  Meewree  réparatrice*.  Officiers  généraux  mis  à 
In  retraite,  pétition  de  M.  de  Castellane ,  MM.  Fabvier,  Cherras  et  Cavai- 
guac  ;  proposition  tendant  à  modifier  la  loi  dn  1 4  avrif  1 832  sur  l'avancement 
sWne  Pâmée,  prise  en  ednsi&rsxien  ;  projeu  de  lm  ^ 
projet  portant  maintien  des  cours  et  tribunaux  et  autorisant  une  institatioa 
nouvelle  de  la  magistrature,  adoption  ;  école  d'administration,  liquidation  ; 
loi  sur  renseignement  public,  projet  de  M.  de  FaRoux;  proposition  relative 
•  Tassninlssement  des  logements,  M.  Metun  (  du  Mord);  srimasénjeu  da 
M.  IUeeff~iftollc.e**T  m  psnmsninu  *  pnsjsm  sus  1s  tenus*!.  Il  erésntet 


ttft  HïSTOtHE  DE  FRANCE.  (1849.) 

les  institutions  de  prévoyance,  iontilité  et  dangers,  spoliation dégnUée,  prise 
en  considération  rejetée  ;  prévoyance  et  assistance,  proposition  de  M.  Meloa 
(d'I Ile-et-Vilaine),  M.  Victor  Hugo,  attitude  nouvelle,  suppression  de  la 
misère,  adoption. 


La  justice  poursuivait  tous  ceux  qui  venaient  de  lever  haute- 
ment l'étendard  de  Ht  révolte  ;  mais  combien  de  complices  de 
l'insurrection  nouvelle  n'avaient-ils  pas  échappé:  dans  son  réqui- 
sitoire demandant  autorisation  de  poursuites  contre  les  représen- 
tants compromis,  le  procureur  général  avait  fait  ses  réserves  au 
sujet  d'une  instruction  commencée  sur  la  proclamation  insurrec- 
tionnelle signée  par  plus  de  cent  représentants.  M.  Grandie  de- 
manda leeture  de  ces  noms.  Les  protestations  affluèrent  :  le  pla- 
çprd  des  ArU-et-Métiars  fui  désavoué  par  un  grand  nombre  de 
représentant*  MJcMisle&  Ce  ptaeivd,  te  n' était  qu'an*  «ttche 
sans  pnbKtité,  un  appel  i  ht  réttrite  qui  «gardait  la  Jesrfee.  Hais 
le  manifeste  publié  dans  les  journaux  socialistes,  ce  manifeste 
qui  déclarait  les  représentants  de  la  mqj*rtt*S  criminels  et  dédias 
de  leur  mandat»  ee  manifeste  qu'on  pouvait  ddteveuer  pendant  la 
lotte  delà  veille,  portait-il  des  signatures  autorisées?  Des  repré- 
sentants, nia  hors  la  loi,  pouvaient-ils  siéger  à  *Alé  de  ceux  qui 
tas  avaient  eneoniMaié»)  M*  Félix  Maitt  répondit  par  an  argu- 
ment étrange.  Tous  avez,  dit-il,  on  m*  l'assure,  la  pièce  originale 
avec  les  signatures  manuscrites.  Alors  r  pourquoi  demander  des 
déHMMft  t  (Mtfduiaee la  pièce  ai  voua  levez.  L'Assemblée  eaavrit 
de  l'ordre  da  joareet  aMigealit«peetaele<4^itiia).  Le  lendemain, 
elle  votait  des  remerciements  à  la  garde  nationale,  à  l'armée  et 
an  fendrai  Changarnier.  Un  membre  de  la  gauohe  demanda  la 
dttrion»  Ud  v#te  «namiiefat  la  «téfjease»  La  Mantagnea'aMaL 

Lé  profit  ie  plus  clair  des  tastifrmtons,  c'est  la  perte  de  quel- 
ques libertés  :  à  l'anarchie  il  n'y  a  qu'une  réponse,  la  dictature. 
■osa ssjsjavHWNi asjGMBawsjnt  sa «mb/v*  m^Sf  m •amws»  va ^rMnavvnwie nav 
«vpvns,  la  nananpwea  neveewnpffne  e»  eenMSv*)  fB  rfiw  f^AHiait* 
que  et  ta  tribune  des  peupîei  fanent  suspendus  par  arrêté  du 
frounsif  aaicatiC»  Va  déctpl.réfciklU  le  tfénéfld  Chingamiar  dans 
k  4feM»«mafc*o*alwt  è»m**yM'wm*êi*mÊ*m  et 


RÉPRESSIONS,  RÉPARATIONS.  ftftt 

des  troupes  de  la  première  division  militaire.  Mais  le  décret  por- 
tait que  cette  disposition  cesserait  avec  le  rétablissement  de  la 
paix  publique  dans  la  capitale.  Ce  n'était  pas  assez.  M.  de  Mon- 
talenibert  demanda  l'abrogation  de  Fart.  67  de  la  loi  du  43 
mars  1831  sur  la  garde  nationale,  article  qui  interdisait  la  réu- 
nion des  deux  emplois.  La  commission  nommée  se  prononça 
pour  une  simple  suspension  de  l'article  jusqu'à  ce  que  l'organi- 
sation de  la  garde  nationale  et  la  constitution  de  f  armée  eus- 
sent été  réglées  par  une  loi;  au  lieu  de  restreindre  la  mesure  I 
l'art.  67,  elle  proposait,  en  outre,  de  retendre  à  l'art.  *4>  qui 
interdit  au  Gotrternement  de  réunir  les  gardes  nationales  de  tout 
un  département  ou  <Ttm  même  arrondissement  sous  f  autorité 
d'an  seul  commandement  supérieur,  excepté  dans  le  déptfrte»- 
ment  de  la  Seine.  A  ces  mesures,  MM.  Lagrange  et  Châtra*  op- 
posèrent leurs  défiances,  leurs  susceptibilités  ordinaires.  M.  fta- 
raguay-dHilliers ,  membre  de  la  majorité,  parla,  lui  aussi,  dé 
f  inconvénient  des  lois  exceptionnelles,  des  dangers  de  h  dicta- 
ture militaire  :  l'honorable  généra)  alfa  jusqu'à  évoquer  les  sou- 
venirs du  f8  brumaire.  (Tétait  là  un  premier  symptôme  de  scis- 
sion dans  la  majorité  :  l'union  est  rare  après  la  victoire. 
Défendue  par  MM.  Dufimre  et  Vérin,  la  proposition,  amendée  pat 
fa  commission,  fut  adoptée  par  832  toix  contre  146  ft  juillet). 

En  même  temps,  M.  Dufaure  demandait  le  maintien  au  detà 
du  terme  d'un  an  prescrit  par  la  loi  de  1631,  de  la  dissolution 
ik*  **,  «*  et  12*  légions,  décrétée  tu  40  Jtffti  f  640.  I/AssemMNfe 
ne  pensa  pas,  qu'en  présence  des  derniers  événements,  il  fût 
possible  de  les  réorganiser. 

H.  le  ministre  de  l'intérieur  présenta  enewe  (14  jtrfrr)  une  loi 
protisoiré,  suspendant  les  dubs  pendant  une  année.  Le  rappor- 
teur de  la  commission,  H.  Jules  de  LAsteyrie,  contint  à  Tadop- 
tîon  du  projet,  augmenté  tf  un  article  portant  qu'il  sefraft  rendu, 
flans  le  délai  d'un  an,  tme  lof  téndfcaw  k  i  igfeirteuter  fe  droHde 

réunion.  Ainsi  amendé,  le  projet  ftft  toté  ila  majorité  #S  37$ 
réhi  contre  4M. 

L'énefglqtie  attitude  do  ■Gorfremeittent  A*a**it  rencontré  «6^- 
cmiè  opposition  pfeiidatrt  tes  premiers  jtttins  tj6f  Siflfnwtft  la  fètanK 

%vtb  ittSWrWWfOTiWIW6  Utt  Y 5  jU™.  aPHSj  m  fli^MxSI  qWU  ^b  paHL 


332  HISTOIRE  DE  FRANGE.  (1**9.) 

publique  se  raffermissait,  le  langage  des  journaux  et  de  la  tri- 
bune, socialistes  devenait  plus  assuré.  La  Montagne»  bien  que 
décimée,  reprenait  courage.  Sept  représentants  seulement, 
MM.  Suchet,  Devjlle,  Maigne,  Boch,  Fargin-Fayolle,  Daniel  La- 
mazière,  Vautbier  et  Pilhes  avaient  été  arrêtés  en  flagrant  délit. 
Mais  chaque  jour  révélait  des  complicités  nouvelles,  et  chaque 
jour  amenait,  par  coflséquent,  dés  demandes  nouvelles  en  auto- 
risation de  poursuites»  Lp  14  juin,  MM.  Ledru-Bollin,  Considé- 
rant, Rattier  et  Boichot;  le  15,  MM.  Menand,  Heitzman,  Rol- 
land, Rougeot,  Pflieger,  Laodolphe,  Avril  et  Jaoot;  le  18,  M.  F. 
Pyat;  le  21,  M.  Malardier;  le  23,  M.  Marc  Du&uisse;  le  28, 
MM.  Ronjat,